Justice : « Doggystyle c’est un album sincère, naïf et mortel »
Deux albums au compteur, un succès critique et populaire quasi-immédiat, Xavier de Rosnay et Gaspard Augé côtoient déjà les cieux. Figure éclairée de la fameuse French Touch, le duo Justice ne manque ni d’idées, ni de références. Rencontre infusée hip-hop avec les maestros de la musique électronique.
Nous sommes au tout début du mois de février. Il est 16h00 et les températures flirtent de très près avec le zéro. À l’entrée de l’Olympia, deux cents personnes attendent impatiemment l’ouverture des portes pour se coller au plus près de la scène. Les lumières rouges de l’Olympia annoncent la venue du duo Justice. Les expressions enjouées sur les visages retranscrivent bien la passion et la notoriété prise par Xavier de Rosnay et Gaspard Augé. Une fois glissés dans les coulisses de l’Olympia – check – nous retrouvons les maestros de la musique électronique. Avec l’intention de leur parler de hip-hop. Les ponts entre les deux nous semblant trop récurrents pour rester ignorés. Deux-trois mots échangés juste avant avec Bouchon – leur fameux Tour Manager, toujours aux aguets – nous rappellent qui nous rencontrons. Tranquillement installés sur un canapé, Xavier et Gaspard se montrent vite chaleureux. Et curieux de notre démarche.
Abcdr Du Son : Vous avez remixé « She wants to move » de N.E.R.D, le single du deuxième album de N*E*R*D, Fly or Die. Comment est venue cette opportunité ?
Xavier de Rosnay : Pharrell et Chad Hugo nous avaient contactés pour nous proposer de faire un remix de ce morceau. Et nous on adore les Neptunes depuis très longtemps. Les Neptunes représentent, à nos yeux, le rock des années 2000. Pharrell c’est presque le Stevie Wonder de son époque. Certaines personnes vont penser qu’on exagère, mais il faut aussi laisser du temps à la musique. Dans vingt piges, je pense qu’on le regardera comme un des mecs les plus importants des années 2000, autant pour son travail de producteur que celui d’interprète.
On était super contents de faire ce titre. En plus, c’était l’un des premiers morceaux qu’on faisait. Avant ça, on avait fait juste un titre et un remix. « She wants to move », on ne l’aimait pas particulièrement au début. D’ailleurs, toujours aujourd’hui, ce n’est pas un de mes morceaux préférés de N*E*R*D. J’avais adoré la version studio de In Search of… mais après, il s’est mis en tête de faire un groupe de rock. Et quand il fait du rock, malheureusement, il n’a plus le bon goût qu’il peut avoir pour plein de trucs plus funky. Après, c’était N*E*R*D et apparaître sur un de leurs disques c’était cool.
A : Vous avez repris sur « Genesis » une toute petite partie du « In da Club » de 50 Cent. C’était quoi : un hasard ou un morceau que vous aimez bien ?
X : On cherchait avant tout un clap qui sonne bien. « Genesis » est un morceau très lent, vraiment laidback. On voulait un clap comme celui de « In Da Club », qui sonne comme un os que tu brises. Du coup, on a repris ce micro-bout pour faire « Genesis ».
A : Sur cet album, pour « The Party », vous reprenez aussi une partie de « Stay Fly » de Three Six Mafia. Sampler Three Six Mafia ça ne semble pas forcément évident, le rap c’est une musique parmi tant d’autres ou vous en écoutez régulièrement ?
X : Reprendre Three Six Mafia, à la base, c’était une idée de Feadz. En sachant que « Stay Fly » c’est un morceau qu’on jouait déjà dans nos DJ set. On ne connait pas la discographie complète de Three Six Mafia, mais même dans des soirées très électro, quand on jouait tout le monde connaissait « Stay Fly ».
A : On a entendu qu’à une époque il avait été question d’une production de Justice sur un album de Booba : réalité ou pure légende urbaine ?
X : C’est tout à fait vraie cette histoire et ça nous intéressait. Du coup, on l’avait rencontré pour échanger un peu. On lui avait proposé un morceau mais ça ne lui a pas plu. Et nos échanges se sont arrêtés là. Quand des rappeurs nous demandent des instrus, ils veulent très souvent l’image qu’ils ont de Justice. Soit quelque chose qui ne correspond plus à la musique qu’on peut être en train de faire au moment où on nous le demande. Et pour nous, les meilleurs morceaux de rap ce sont ceux de Rick Rubin. Des trucs très rock. On lui avait proposé une « Rick Rubinerie », un truc vraiment rap mais avec des bouts de Black Sabbath. Et ça ne lui allait pas. Il a sorti son album 0.9 quelques mois après.
« On avait proposé à Booba une Rick Rubinerie, un truc vraiment rap mais avec des bouts de Black Sabbath. »
Xavier de Rosnay
A : Booba intéresse beaucoup d’artistes en dehors du milieu rap. Yuksek avait fait par exemple un remix de « Salade, tomates, oignons ». Qu’est-ce qui vous intéresse chez quelqu’un comme Booba ?
Gaspard Augé : Le premier truc qui va nous intéresser c’est la musique. Avant même les paroles. Et Booba, on aimait bien ses morceaux.
X : La première fois que j’ai entendu un morceau de Booba, c’était sur la compilation Hostile [NDLR : Avec Ali, sur « Le crime paie »] J’avais continué à faire attention à ce qu’il sortait après. Au moment où il nous a contactés, il était en train d’exploser en France. Et nous on trouvait ses morceaux cool, les paroles nous plaisaient aussi. Du coup, on était partants pour bosser avec lui. Ça ne nous semblait pas incohérent du tout.
A : Quel type de relation vous aviez avec DJ Mehdi ? Il avait tout ce background de DJ/producteur de rap avant de faire évoluer sa musique.
X : Notre relation était avant tout amicale. D’ailleurs c’est le cas avec la plupart des musiciens avec qui on peut être amis. Même si on avait aimé des trucs qu’il avait pu faire en rap par le passé. En tout cas la musique n’était pas le noyau de notre relation. Le truc musical qui nous unissait avec lui, c’était plutôt des morceaux ou des groupes de rock. Comme Crosby, Stills, Nash ou Neil Young.
G : À mon anniversaire, il m’avait offert un iPod rempli de rap. Pour m’éduquer à une musique que je connais très mal. J’ai effectivement découvert plein de trucs grâce à lui. Il écoutait aussi beaucoup de soft rock.
X : J’ai souvent joué avec lui en « back to back ». On partageait tous les deux cette même idée des DJ set à la Grandmaster Flash. Où tu mets un couplet, un refrain et tu passes à autre chose. Un mix où les deux morceaux ne sont pas exactement superposés, où tu fais parfois des coupures franches pour mettre un autre titre. On a joué très souvent comme ça, on allait très vite et ça marchait très bien. C’était dans l’esprit de Funkmaster Flex et je considère que c’est encore l’approche qui fonctionne le mieux quand tu fais un DJ set. Tu vas vite quitte à faire des enchainements un peu crades. Mais j’aime bien aussi entendre le morceau qui arrive après. Feadz fait ça très bien, comme il sait faire un mix très propre où tu n’entends jamais le titre qui va suivre.
« J’aimais bien « Best I ever had ». On n’arrêtait pas de l’écouter avec Mehdi dans sa voiture quand on était à Coachella. »
Gaspard Augé
A : Xavier, tu disais dans une interview que neuf titres sur dix dans ton iPod c’était de la musique sincère, un peu naïve. Est-ce que quelqu’un comme Drake, qui n’hésite à dévoiler sa vie, à parler de ses problèmes de couple par exemple, ça te parle ?
G : J’aimais bien « Best I ever had ». On n’arrêtait pas de l’écouter avec Mehdi dans sa voiture quand on était à Coachella.
X : Je suis un peu passé à côté de Drake. Pourtant pas mal de gens nous ont conseillé depuis longtemps d’écouter sa musique. Plus généralement, Il y a une grosse partie du rap qu’on aime bien qui est très sincère. Être sincère et naïf dans ta musique, ça ne veut pas forcément dire que tu fais de la musique romantique ou que tu parles de ton couple. C’est surtout essayer de provoquer une réaction immédiate, sans ironie ou sans essayer de paraitre cool. Doggystyle c’est un album sincère, naïf et mortel. Comme les premiers disques de Run DMC où les mecs ne semblaient pas se prendre au sérieux. En tout cas, c’est comme ça que je le perçois. C’est immédiat, puissant, sans essayer d’en faire des tonnes.
G : Un peu comme ESG qui n’a jamais eu besoin de musiciens hors-pairs pour faire passer quelque chose de touchant. Les meufs elles ne savent pas jouer selon des critères académiques mais elles ont un groove impossible à imiter.
A : On sent que vous avez envie de démystifier l’aspect technique de votre musique. En vous positionnant plutôt comme des bosseurs et pas des génies techniques.
X : On déteste l’idée que la musique soit réservée à une élite, à des mecs qui ont passé vingt ans à faire du solfège ou qui ont énormément d’argent. La plupart des disques qu’on peut aimer, ce sont des albums qui ont du style. Et pas forcément beaucoup de technique. Et ce, que ce soit dans le rock, le rap ou la musique électronique. Un truc que Mehdi disait souvent, et qui me semble très vrai, c’est que dans le rap on n’a pas fait mieux que lorsque les groupes prenaient une boucle de James Brown, un breakbeat et rappaient dessus. Rick Rubin disait la même chose à partir des disques de Run DMC. Tout n’est pas forcément à sa place mais l’énergie qui s’en dégage donne un truc unique.
Il n’y pas de règles au final. Tu as des mecs qui font une musique ultra-travaillée, où tout est bien à sa place, et c’est très bien aussi. Cette approche correspond aussi à une réalité. On fait de la musique de manière assez simple. Dans des home-studios. On ne dit pas qu’on est des brêles, mais avoir des idées, un peu de patience et de la volonté, ça me semble plus important que de jouer parfaitement du piano.
A : Comment est-ce que vous percevez la tendance des beatmakers de sampler ou de faire référence à la French Touch ? Swizz Beatz vous a samplé deux fois, sur « On to the Next One » pour Jay-Z et une autre fois pour Gucci Mane sur « It’s Gucci Time ».
X : J’aime cette idée que tu n’as pas besoin de sampler forcément des trucs inconnus ou vieux de quarante ans pour faire des morceaux bien. C’est un peu ce qu’on a fait sur notre premier album. Même si ça ne s’entend pas forcément vu qu’on a pris des tout petits bouts de milliards de trucs différents. Y compris des trucs qui étaient sortis trois mois avant et étaient ultra-connus. Après quand tu prends des morceaux ultra-connus, il faut payer des fortunes pour les « clearer ». Le seul truc qui compte c’est d’avoir un bon morceau au final.
Je pense que ces quelques producteurs en question ne se placent pas en tant que pionner d’une espèce de tendance électronique. Le rap est électronique depuis toujours. Ils essaient juste de faire des bons morceaux, sans aucun complexe. En même temps, ça doit aussi leur donner un peu l’impression de rester à la page.
« Première Consultation n’a pas vieilli et il n’y a que des tubes dedans. J’aimais bien la pose, les paroles et la musique »
Xavier de Rosnay
A : Vous avez aussi produit « Parachute Ending » sur le troisième album de Birdy Nam Nam : Manual for Successful Rioting. Comment la relation s’est créée avec eux ?
G : Birdy Nam Nam ce sont de bons et vieux amis. Ils viennent tous de Meaux à la base. Ce morceau c’est avant tout une collaboration amicale.
X : Au final, on n’a pas fait grand-chose sur ce morceau. Ils avaient presque tous les bouts qui le composent. On les a juste aidés à l’organiser. On a fait quelques parties de clavier, mais bon… On ne cherche pas nécessairement à collaborer avec des gens connus mais plutôt avec des gens qu’on aime bien.
A : Est-ce qu’il y a des albums de rap qui ont été marquants pour vous ?
X : Doggystyle, je m’en souviens très bien vu que c’est le premier disque que j’ai acheté. Il m’a aussi ouvert la porte vers tout Parliament et Funkadelic. « What’s my name ? » si ma mémoire est bonne c’est un mélange de trois morceaux de George Clinton. Aujourd’hui quand j’entends des morceaux de cet album je suis toujours choqué par son efficacité. Ça n’a pas vieilli du tout. Parmi les trucs récents, j’ai bien aimé le 808s and Heatbreak de Kanye. Notamment son parti pris de production qui n’est pas si éloigné de celui de notre dernier album Audio, Video, Disco. Faire un disque comme si c’était ton premier album. Comme si Kanye n’avait pas de contrat avec une maison de disque, en vérifiant qu’il n’y avait jamais plus de cinq pistes en même temps. Et ça s’entend vraiment.
Sinon, en rap français j’ai grandi en écoutant NTM. J’appuie sur la gâchette c’est le seul disque ou je connais toutes les paroles par cœur. Avec Paris sous les bombes, ce sont probablement mes deux albums de rap préféré. J’adorais Ministère A.M.E.R. aussi. Et le premier album solo de Doc Gynéco Première Consultation, vraiment une référence du rap français pour moi. On l’avait réécouté en 2008 quand on était à Los Angeles. Il n’a pas vieilli et il n’y a que des tubes dedans. J’aimais bien la pose, les paroles et la musique.
G : J’aime bien le gars-là… Al-K Pote qui dit « sucez-moi les couilles » ! [éclats de rires] L’instru était cool aussi !
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