Jaymee, come on
Interview

Jaymee, come on

Depuis la série de freestyles « BRAND NEW JAZZ » qui l’a révélé en 2023, Jaymee a enchaîné les sorties. Le Lillois d’origine britannique revient sur son parcours, son entourage et ses ambitions.

Photographies : Fabio Rabarot pour l’Abcdr du Son.

Parmi les récentes propositions de la scène lilloise, Jaymee est tout ce qu’il y a de plus frais. En 2023, il se faisait connaître pour la série de freestyles « BRAND NEW JAZZ » et depuis, le rappeur d’origine britannique n’a pas ralenti la cadence. Un single à succès, « TOUT LE MONDE AUTOUR », sorti également dans une version acoustique, et plusieurs EPs dont ÇA C’EST DU RUN et le plus récent ÇA C’EST DU RUN 2 sur lequel sont invités thaHomey et Nobodylikesbirdie. Si Jaymee est un autodidacte, intraitable depuis son adolescence, son parcours et sa musique reposent sur un grand sens du collectif et de la solidarité. Une manière pour lui d’avancer toujours en se bonifiant et de faire face en toute sérénité à de nouveaux défis dans sa création. Pour l’Abcdr du Son, l’artiste à la voix particulièrement reconnaissable revient sur ses débuts, sa vision artistique et évoque ce qu’il lui reste à accomplir.

 

 


Création

Quand j’étais au collège, puis au lycée, je réalisais des covers d’albums. Je me faisais de l’argent de poche pour manger des trucs à Carrefour le midi [rires]. J’en vendais à droite à gauche, pour du rap français ou US, c’était marrant. Je crois que c’est parti d’un concours de covers, peut-être celui de Jul. J’avais fait un truc nul et je l’avais posté. Le rappeur en question avait liké, donc j’ai continué. J’ai commencé à démarcher des gens. J’avais aussi mon compte où je postais tous les jours, je faisais des fan covers de Booba en prenant des photos sur Internet que je retravaillais. Petit à petit, des rappeurs me démarchaient et parlaient de moi à d’autres gens. J’avais mes « clients fidèles ». Je voulais travailler là-dedans, et après, quand j’ai commencé à faire de la musique, les covers m’ont ennuyé. Je me disais : « Est-ce que je veux vraiment passer ma vie derrière un bureau ? » Même ma mère me disait qu’elle n’était pas sûre que ça m’aille bien. Donc j’ai vite lâché le graphisme quand j’ai commencé à faire du son. Je suis un créatif, j’essaie de toucher à tout. J’ai fait des clips, j’ai été monteur vidéo. Ensuite est venue la musique, j’ai fait des prods, j’ai fait du mix et j’en fais toujours. Toutes les formes d’art qui touchent à l’ordinateur, j’ai essayé. Tout ce qui est numérique, puisque je suis de la génération où on a grandi avec un ordinateur dans les mains. J’avais le temps ! J’étais chez moi, je m’en battais les couilles de l’école, je ne faisais pas mes devoirs… Je ne faisais que ça, en fait. Pendant longtemps, je n’avais pas Internet parce que ma mère ne voulait pas, donc j’avais Paint, Gimp, j’essayais de créer là-dessus. Je jouais à Pinball tout seul comme un débile, mais j’étais trop content.

Premiers pas

J’ai baigné dans la musique via mes parents. Avant, je n’en écoutais pas vraiment de moi-même parce que je n’avais pas de quoi. J’ai eu un téléphone au lycée, j’étais le dernier, et quand j’ai eu Internet, ce n’était pas ma priorité. Je voulais jouer à Minecraft [rires]. Je pense que le rock anglais m’a plu parce qu’on m’a matraqué à ça depuis petit. Mon père écoutait la radio anglaise et il y avait tout le temps du rock anglais. Du coup, il y a plein de morceaux dont je n’ai jamais retenu les noms. Ma mère aussi était fan de ce genre, donc je n’écoutais que ça. C’est aussi pour ça que le rap est venu tard. J’aimais bien alt-J, les Beatles, Queen, les Black Keys, mais surtout Kasabian. J’écoutais aussi de la pop classique, et Daft Punk, des trucs que tout le monde écoute. Quand j’étais au lycée, j’écoutais aussi le groupe d’électro Knife Party, à fond. Il y a un son qui s’appelle « Bonfire » et quand je le réécoute aujourd’hui, j’ai honte d’avoir écouté ça, parce que j’ai l’impression d’avoir écouté du bruit. Ça va dans tous les sens.

« J’ai essayé toutes les formes d’art qui touchent à l’ordinateur. »

Ténacité

Le rap, c’est venu au collège. L’un des premiers artistes francophones que j’ai écouté, je crois bien que c’est Damso. C’était l’époque où « Macarena » tournait tout le temps, donc j’ai écouté son album. Mais j’ai d’abord écouté du rap américain avant d’apprécier le rap francophone. J’écoutais de gros artistes au début, puis j’ai commencé à digger sur SoundCloud. Je voyais des gens qui me ressemblaient, même physiquement, c’est con.  En 2020, pour me faire kiffer pendant le confinement et comme j’ai l’habitude de tester plein de choses, j’ai commandé un micro à 30 balles sur Amazon. C’était un kit, il y avait le pied, le micro, je mettais une chaussette dessus. Et pendant tout le confinement, je n’ai fait que ça. J’étais sur mon ordi tous les jours, tout le temps. J’apprenais à mixer en même temps, ça me faisait kiffer. Et après, quand j’ai commencé à avoir un son que j’estimais bien – ça ne l’était pas mais je le pensais à ce moment – je faisais ma cover et un edit pour le poster sur YouTube. Mes sœurs n’en pouvaient plus et moi, j’en devenais fou. Je ne leur en parlais pas trop. Quand elles me demandaient ce que je faisais, je disais que j’étais en appel. Je séchais le lycée pour faire du son, je commençais une maquette et je me disais : « Est-ce que ça vaut vraiment le coup d’aller au lycée alors que je peux mettre ça sur SoundCloud après ? » Je crois qu’il n’y a pas un seul autre truc pour lequel je me suis autant mis à fond dès le début. Plus tard, ma mère m’a dit : « Si tu veux, arrête la fac, mais trouve un taf et va-t-en. » Au début, elle ne comprenait pas trop mais me disait : « Si tu ne le fais pas, tu vas regretter. »

À l’époque, je faisais mes prods avec les moyens du bord. Je ne savais pas installer des plug-in externes et je ne savais même pas qu’on pouvait le faire. Du coup, je trouvais des loops, je chantais par dessus avec mon micro et j’essayais de sampler ma voix. Je la pitchais et après, j’essayais de poser sur ma prod. J’ai fait et sorti plein de sons comme ça. Mais j’étais un peu nul, donc j’ai préféré déléguer. Je n’ai pas du tout cette oreille musicale, pas dans ce sens-là du moins. Avec mes potes, on avait trouvé des chaînes pas trop connues de type beats sur lesquelles on allait tout le temps, parce qu’on savait que ces prods là n’allaient pas trop être utilisées.

New Jazz

J’ai tellement poncé, épluché les type beats YouTube que je crois que j’ai essayé tous les genres. J’ai essayé de chanter sur de la cornemuse, j’ai fait du reggae, j’ai tout essayé avant de trouver ce que je préférais faire. Maintenant, avec ce que je sais faire actuellement, il y a des notes ou des gammes où je sais que je ne vais pas être à l’aise. Si les mélodies ne me parlent pas, elles ne me parlent pas. En revanche, je peux m’adonner à tout parce que je connais bien mon karaté. J’ai découvert la new jazz avec le son de Yeat, « Out thë way ». Je ne savais même pas que c’était un genre au début, j’ai juste trouvé la prod incroyable et je l’ai cherchée sur Internet pour faire un son dessus. Quand j’ai compris que ça s’appelait la new jazz, je me suis renseigné et je suis tombé amoureux du style de prods. Pendant deux mois, je n’ai fait que ça. Il y a eu un moment où je n’étais que sur de la house, un moment où je ne faisais que des prods rock, et cette période où je n’ai fait que de la new jazz. Depuis, il n’y a pas un autre genre qui m’a autant matrixé.

Quand je sors « BRAND NEW JAZZ », j’ai l’impression d’être le premier. Après, on m’a dit que ce n’était pas le cas. Je ne me suis pas rendu compte que c’était devenu ma « marque de fabrique », mais comme ça a marché, j’ai continué. Après « BRAND NEW JAZZ 3 », je me suis dit « on ne va pas forcer ». J’aime bien faire d’autres choses, ce serait bête de ne faire que ça. À partir de là, les chiffres, les gens qui m’appellent, les gens qui m’envoient des messages… Ça a tout changé, en vrai. Avant, j’étais juste à mon taf et je faisais de la musique en rentrant le soir. J’ai posé ma démission pour me mettre à fond dans le son. D’un coup, je me suis dit que je pouvais peut-être m’en sortir là-dedans. J’ai dit à mes potes que je me donnais un an pour que ça marche. Et un mois après… [rires] C’est normal, j’y passais tout mon temps.

« J’ai découvert la new jazz avec le son de Yeat, « Out thë way ». Je ne savais même pas que c’était un genre au début, j’ai juste trouvé la prod incroyable et je l’ai cherchée sur Internet pour faire un son dessus.  »

Lille

J’ai connu Nobodylikesbirdie par lacasa parce qu’ils réalisent ses clips et les miens aussi. Il habite deux rues derrière chez moi. Parfois, je passais chez lui, on se posait et il nous faisait écouter du son. Il avait regardé ce que je faisais, il aimait bien. Moi, j’avais pris une baffe sur une mixtape où il faisait des remix d’un rappeur qui s’appelle Teejayx6 [Birdiex6, ndlr]. Il m’a donné de la force très vite et j’essaie de lui rendre la pareille. Ça a commencé à marcher de son côté, puis du mien, et maintenant on représente Lille à notre échelle, à celle de notre génération. Quand j’étais au lycée, la scène rap de Lille, ce n’était pas un truc de ouf. J’allais chez Sto à l’époque, il habitait juste à côté de mon lycée, je faisais des clips pour son pote et ça commençait vite fait à marcher sur Soundcloud. À cette époque-là, il n’y avait que Gradur. Et encore, il est de Roubaix. Maintenant, je pense qu’après Paris et Marseille, la scène de Lille peut remplacer celle de Lyon d’il y a quelques années. Je ne sais pas si on est à son apogée ou si ça va devenir encore plus gros, mais pour l’instant, on ne se porte pas trop mal. J’ai l’impression que chacun a son truc différent – même les gros artistes en place de Lille ont leur créneau – alors qu’à Paris, il peut y avoir cinq mecs sur un même créneau, la drill par exemple. À Lille, chacun fait sa vie. On couvre le spectre et il y a assez à manger pour tout le monde. Je fais partie de l’association « Pas de problème ». Il y a les frérots avec qui j’ai commencé à rapper dedans, LDBOII, Miguel 351, lacasa et WIZ qui font les clips, Vesco… Le projet est né il y a un peu plus d’un an et le statut d’association nous permet de louer du matériel pour aller faire des clips, des tournages et même des live session. On a aussi organisé des concerts gratuits à Lille. C’est pour faire bouger le rap là-bas et aussi pour nous entraîner. Si j’ai besoin d’un coup de main sur un clip, il y a un frérot qui va pull up, si c’est lui qui a besoin d’aide sur du mix, je suis là, c’est juste une histoire d’entraide. On travaille tous dans des domaines d’art différents et je pense que c’est important qu’on puisse être honnêtes les uns envers les autres, échanger nos avis, « ça j’aime bien », « ça j’aime moins ». Moi, ça m’a beaucoup aidé et j’estime avoir beaucoup aidé des frérots aussi. C’est donnant-donnant.

Avenir

Mes EPs ÇA C’EST DU RUN sont un best-of de ce que j’ai fait. Je pense que je suis encore à la recherche de ma patte, mais que je n’en suis pas loin. Je dirais que pour l’instant, ça tourne vraiment autour de la voix et des placements. J’aimerais bien que ça s’axe davantage autour de l’écriture, je taffe pour. Pour l’instant, je fais phrase par phrase. Je n’écris pas : je dis une phrase, je m’arrête, je réfléchis, je dis une autre phrase etc. Ça peut prendre cinq heures ou seulement vingt minutes. J’essaie d’écrire un peu plus sur mon téléphone. Je ne pense pas que l’écriture me fasse défaut, il y a des sons où je dis n’importe quoi parce que c’est voué à ce que je dise n’importe quoi. Je crois juste que ça peut être mieux maîtrisé. Peut-être que ça peut freiner les gens, je ne me rends pas compte. Je sais que j’ai ma manière à moi de m’exprimer aussi. J’aimerais bien m’améliorer et délivrer un projet un peu plus long, plus réfléchi, avec plus de cohérence. Déléguer davantage le mix, parce que ça commence à me prendre beaucoup de temps et que je suis en train de capter mes limites. J’aimerais qu’il y ait un pro dans la boucle, tout en continuant à y toucher un peu, mais que je puisse me concentrer davantage sur la création. J’ai trop délaissé ça dernièrement, et je voudrais sortir ma mixtape « signature », une belle carte de visite, dont je suis fier et encore fier même un an après. Il y a des sons qui sont plus intemporels que d’autres. « TOUT LE MONDE AUTOUR », j’en serai fier encore longtemps, même la version acoustique. Mais il y a des morceaux que j’ai fait qui sont très « dans l’ère du temps ». Ce n’est pas une mauvaise chose, je pense juste qu’il y a des sons avec des sonorités d’aujourd’hui qui vont mal vieillir et je commence déjà à sentir qu’ils vieillissent mal. Les « BRAND NEW JAZZ » par exemple, à un moment, ils vont me soûler fort.

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1 commentaire

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  • Brindejonc Aloïs,

    J’adore décidemment de plus en plus l’abcdr. Vos journalistes sont incroyablement gentils et talentueux. Ils prennent du temps pour discuter et faire des interviews avec des étudiants ET en plus vous parlez de Jaymee, média og mais pas fermé aux nouvelles générations. Voilà à quoi devraient ressembler les médias musique en 2025. Merci, merci et merci. Vous me développez, en partie, une passion immense. Je me met presque à poil mais bordel quel kiff je prends à lire et écouter de la musique et vous y êtes pas pour rien. Bonne soirée à vous. Et encore merci.