L’oeil de Diwang Valdez
De Questlove à Lil Boosie, le photographe de la Motion Family commente dix de ses clichés les plus mémorables.
Certains clichés ont la peau dure. L’un d’entre eux consiste à croire que les rappeurs sont généralement des mecs énervés et/ou flippants. De temps en temps, il est bon de désamorcer ces vieux poncifs. C’est ce qu’a fait le photographe américain Diwang Valdez avec The Happy Rapper, une série de photos représentant des rappeurs tantôt souriants, tantôt rigolards. Bref, humains. La qualité des images nous a donné envie d’en savoir plus, et d’emmener nos interviews photographiques un peu plus bas sur la carte des États-Unis. Membre du collectif Motion Family (auteurs de clips pour Lil Boosie, Pill ou Big K.R.I.T.), Diwang Valdez s’est prêté à jeu : il commente ici dix de ses clichés les plus mémorables.
Questlove (2007)
« Cette photo est un vrai coup de chance. J’étais à un concert Boost Mobile/Rock Corps, qui avait lieu au Fox Theater, à Atlanta. Il y avait cinq ou six artistes attendus sur scène ce soir-là, et Questlove était là pour mixer entre chaque set. J’étais devant la scène à prendre des photos, mais l’idée d’avoir les mêmes que tout le monde m’ennuyait pas mal. Comme il y avait une autre zone presse près du lieu de répétition, avec un tapis rouge et une estrade, j’ai décidé d’aller trainer entre ces deux espaces, dans l’idée de prendre des photos plus naturelles. Aussitôt dans la cage d’escalier, je suis tombé nez à nez avec Questlove, et je lui ai demandé si je pouvais prendre quelques photos. Il était en chemin pour aller sur scène, du coup je n’avais qu’une ou deux minutes, mais j’ai pu prendre cette photo. Je l’adore, en bon fan de The Roots depuis le lycée ; c’est d’ailleurs un des premiers groupes de hip-hop que j’ai eu l’occasion de voir sur scène. »
Goodie Mob (2009)
« Celle-ci a été prise à l’occasion de la reformation de Goodie Mob sur scène. C’était vraiment quelque chose d’important pour moi qui ai grandi en écoutant Goodie Mob et OutKast. En plus, c’était la première fois que le groupe se rassemblait depuis le départ de Cee-Lo. L’idée était de les photographier dans un restaurant traditionnel, on a donc choisi le Chanterelles dans le West End, un quartier d’Atlanta. Je voulais vraiment recréer l’esprit de la couverture de l’album Soul Food. Après la série de photos à l’intérieur, on s’est mis dehors pour en prendre quelques une de plus, avant d’aller à l’endroit suivant. C’était cool de voir qu’ils s’éclataient toujours, même s’ils n’étaient plus ensemble depuis plusieurs années. Ils ont pris une pose très old school, c’était parfait vu qu’ils avaient ces vestes Adidas assorties. »
Lil Boosie (2009)
« J’ai pris une série de photo de Lil Boosie pour le magazine Ozone : c’était au W Hotel d’Atlanta, où il était descendu. J’avais déjà travaillé avec Boosie pour les photos de son album Super Bad, et j’avais aussi tourné quelques uns de ses clips avec la Motion Family. Pour cette séance photo, c’était différent, car elle s’est passée à un moment assez stressant pour lui. Il était sur le point d’aller en prison, il avait d’autres choses à penser et n’avait pas trop la tête à se laisser diriger. À peu près dix minutes plus tard, l’interview filmée qu’il devait faire avec Maurice Garland [journaliste américain basé à Atlanta] a d’ailleurs pris un ton assez tendu. Il n’en pouvait plus de ces gens qui lui disaient de “garder la tête haute” une fois en prison, alors qu’eux n’étaient pas inquiétés. »
Trinidad James (2012)
« C’est un ami à moi, Dj Dirrty, actuellement à New York, qui m’a fait connaitre Trinidad James. Il m’avait envoyé une chanson de ce gosse d’Atlanta, ville dont il est lui aussi originaire. Le morceau était cool et accrocheur, mais c’est en voyant une photo de lui que j’ai compris qu’il serait une personne vraiment intéressante à photographier. Il avait un sens inné du style que je n’avais vu chez aucun rappeur depuis Andre 3000. On a tourné un de ses premiers clips, “All Gold Everything”, dans un quartier sud d’Atlanta. Cette photo fait partie d’une série prise entre deux scènes, il est sur un vélo qu’on avait repeint en couleur or. Son frère avait organisé un barbecue spécialement pour le tournage, et plein de gamins du quartier rodaient autour pour s’y faire inviter. Une fois la vidéo sortie, beaucoup de gens se sont demandés si son style était ironique ou non, mais de mon côté, j’aime le fait qu’il soit authentique et en accord avec lui-même. Cette photo montre à quel point il est bien dans sa peau. »
Gucci Mane (2007)
« Cette photo est extraite d’une série que j’ai appelée « The Happy Rapper », elle montre des rappeurs qui sourient ou qui se marrent. Celle-ci est une des premières que j’ai pu faire, et c’est aussi une de mes préférées, vu la réputation hardcore de Gucci Mane. À l’époque, il était en prison pour meurtre, mais il venait d’être libéré car d’après la cour, c’était un cas de légitime-défense. On était au studio Patchwerk, un des plus connus d’Atlanta. À la base, la photo devait servir pour la couverture d’une mixtape de DJ Black Bill Gates. On a l’impression que la photo est prise en extérieur, mais en fait c’est à l’intérieur du salon du studio, devant un mur de briques mis à nu. Gucci Mane était en train d’écouter de instrus, il parlait musique avec Black Bill Gates. Peu de gens ont l’occasion de le voir comme ça. Pour moi, c’était un moment unique. »
Bricksquad Monopoly (2011)
« J’ai pris cette photo pour le magazine Urban Ink. On a fait la séance photo dans une casse, où il y avait une sorte de vieux bureau désaffecté et dont le seul usage récent semblait être pour stocker du matériel. La salle avait des murs avec une super texture : la peinture écaillée et les grandes fenêtres permettaient d’avoir un vrai éclairage naturel. J’avais déjà pris des photos de Waka pour la couverture de Urban Ink, c’était le deuxième article sur lui, mais le premier avec son crew. Le magazine m’avait fourni une liste des membres du Brick Squad qu’il voulait sur la photo. Seulement, la moitié n’est pas venue, et d’autres étaient présents mais n’étaient pas sur la liste. Ce jour-là, je n’ai pas pu faire autant de prises que ce que j’imaginais. C’est toujours dur de prendre une photo de groupe en intérieur. Par chance, celle-ci a bien marché. Malheureusement, c’est aussi une des dernières séances photos de Slim Dunkin, celui avec la casquette Chicago Bulls sur la photo. Il est mort par balles quelques mois après. Je suis content d’avoir pu faire cette photo de lui avec certains de ses amis les plus proches. »
Dr. Dre (2010)
« J’étais au Patchwerk Studios avec la Motion Family pour tourner une vidéo. Finalement, je me suis mis à tirer quelques portraits sur le vif. Dr. Dre était là avec T.I., qui venait de sortir de prison. Ils travaillaient sur sa mixtape Fuck Tah City Up. Le premier CD que j’ai eu de ma vie, c’était The Chronic, alors être dans le même studio que lui, c’était fou ! C’était vraiment cool de le voir donner des consignes à T.I. et aux autres artistes de Grand Hustle. J’ai toujours été fasciné de voir les rappeurs et les producteurs travailler ensemble : t’as vraiment l’impression que la chanson se fait comme par magie, là, sous tes yeux. J’ai eu l’occasion de photographier pas mal de producteurs en studio, mais voir Dr. Dre à l’œuvre, c’est l’un des moments les plus mémorables. Il donnait des directives tellement précises… Je n’avais jamais vu un autre producteur être aussi spécifique. Ça sautait aux yeux qu’il avait passé des années en studio. »
Big K.R.I.T (2009)
« Big K.R.I.T est un de mes artistes actuels préférés. Il vient du Mississippi et je trouve incroyable qu’il produise lui-même pratiquement toute sa musique. C’est d’ailleurs un des seuls rappeurs du sud qui a une musique et des textes vraiment marqués par la soul. Cette série de photos avait été faite pour Alex Haldi, un directeur artistique de Def Jam. C’est lui qui m’avait fait connaitre la musique de Big K.R.I.T avant qu’il ne signe sur le label. Il m’a aussi fait connaitre les sons de J. Cole et Childish Gambino, bien avant qu’ils soient connus. Il a vraiment une bonne oreille pour tout ce qui est nouveaux talents. Dès que K.R.I.T a signé, Alex m’a fait savoir qu’il allait réaliser la pochette et qu’il voulait que je prenne la photo. À ce moment-là, j’avais pas mal écouté sa musique et j’étais devenu un grand fan. C’était donc un projet de rêve. On a décidé de faire les photos à Meridian, la ville du Mississippi dont il est originaire. J’adore prendre les gens en photo dans des lieux qui sont importants pour eux. Alex avait un paquet de super photos cultes de vieux bluesmen et soulmen. On s’est d’ailleurs inspirés d’une photo de Ray Charles pour cette photo. »
Mystikal (2012)
« Peu de temps après qu’il ait signé avec Cash Money, j’ai eu l’occasion de passer dix huit jours avec Mystikal pendant qu’il était en studio et et qu’il faisait des concerts. On travaillait sur un court métrage documentaire sur sa vie, mais il est parti en prison pour trois mois suite à la violation de sa liberté conditionnelle. Pendant un de ses jours « off », on est partis à la Nouvelle Orléans pour faire une série de photo pour son single. Un ami à moi qui vit là-bas m’avait déjà montré cette salle de gym endommagée par l’ouragan Katrina. Cette photo s’est imposée à cause de tous les dégâts autour. Je la trouve vraiment parfaite, vu que le titre de la chanson est “Bullshit” et que cette salle est restée en l’état depuis 2005. »
Grand Wizzard Theodore (2011)
« J’étais à New York avec la Motion Family pour couvrir une compétition de breakdance, le “Urban Movement Tour”. Ils avaient quelques invités spéciaux et il s’est avéré que l’un d’eux état Grand Wizzard Theodore. J’étais super excité, d’une part parce que je n’ai pas souvent l’opportunité de prendre des photos à New York, et d’autre part parce que Grand Wizzard Theodore est quand même le DJ légendaire qui a inventé le scratch. En tant que photographe et fan de hip-hop, pouvoir photographier à New York un des pionniers du mouvement, c’était un rêve devenu réalité. Alors qu’il se baladait et discutait avec quelques personnes dans la foule, je l’ai approché et lui ai demandé si je pouvais prendre quelques portraits rapides. Il a été cool et a accepté. Par chance, on était au Rosewood Ballroom, une salle de concerts légendaire qui a une esthétique géniale pour les photos. Avant de venir lui parler, j’avais repéré un spot près des escaliers, avec d’énormes fenêtres qui laissaient entrer une lumière naturelle incroyable. C’était vraiment parfait, les fenêtres étaient teintées en bleu, ce qui donne une teinte super douce à la photo. J’ai pris une dizaine de photos en dix minutes et celle-ci est ma préférée. J’adore la manière qu’a le médaillon “Zulu Nation” de tomber sur ses mains, et il a un regard tellement direct ! Étant d’Atlanta, j’ai très souvent l’occasion de photographier des rappeurs du Sud, mais c’était très cool de pouvoir, pour une fois, photographier un artiste new-yorkais. »
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