Les instruments de So La Zone
Alors qu’il vient d’annoncer un premier album pour janvier, rencontre avec So La Zone, nouveau rappeur de la Castellane.
Le succès de 13 Organisé et le triomphe au niveau national de Jul et SCH ont-t-ils conduit à multiplier les signatures de jeunes artistes marseillais ? Pas vraiment, mais l’un d’entre eux tire son épingle du jeu : So La Zone. Encouragé en détention par son « grand-frère » / producteur à se lancer plus sérieusement dans la musique, puis introduit par Soolking, il attire l’œil d’Henri Jamet (directeur d’AllPoints), qui voit en lui un style à part. Après le succès de « La Rue m’a eu », le jeune du porche de la Casté s’apprête, en janvier, à sortir son premier album. L’Abcdr revient avec lui sur ses débuts dans la musique, la création du label Ghetto Child Music en détention, son goût pour les guitares et les difficultés à rapper l’intime.
Abcdr du Son : Dans « Pare-balles », tu dis « il y a deux ans je faisais des freestyles dans une cellule. » Tu n’avais pas rappé avant ça ?
So La Zone : Si, mais c’était des freestyles d’enfant, pour passer le temps. Je suis né en 1999, le premier freestyle, j’ai dû le faire vers 2012, il n’avait pas de titre, je n’étais pas dans les temps et tout c’était n’importe quoi. [Rires] Le rap c’est parti d’un délire. Je ne me serais jamais imaginé là. J’écrivais dans mon coin, pour m’évader : si j’étais énervé, j’écrivais un texte pour me calmer. Je gardais un texte pendant six mois et je le ressortais, toujours le même. C’est vraiment en cellule que c’est devenu sérieux.
A : Tu t’es toujours appelé So La Zone ? Parce que tu as dû voir les blagues qu’on fait sur un autre rappeur qui s’appelle So La Lune, genre les auditeurs de So La Zone vendent à ceux de So La Lune…
SLZ : Oui il y avait même une image avec deux routes, une vers l’enfer et une vers le paradis, So La Zone et So La Lune. [Rires] Mais ça a toujours été So, le diminutif de mon prénom, et petit à petit on a ajouté « La Zone. » En fait ce n’est même pas un nom que j’ai choisi, on me l’a donné. C’est mon surnom.
A : Comment ça se passe quand on rappe en cellule ? J’ai toujours cru que c’était un peu un mythe…
SLZ : Je ne vais pas te dire que je préférais, mais limite c’était mieux – pour ça en tout cas. Être en prison ça m’incitait à rapper avec plus de hargne, et faire plus de recherche dans l’écriture. J’avais tout mon temps, donc je pouvais me consacrer qu’à ça. Ce n’est pas un mythe les rappeurs qui écrivent en cellule, je ne suis pas le seul : Maes, ZKR, Sicario 78, ce sont des artistes qui l’ont fait. Rohff a écrit son album à Fresnes il me semble. En détention, il n’y a que toi, tu n’es jamais dérangé à droite à gauche, franchement la cellule pour écrire c’est un délire.
A : Dans le titre « Dans la cellule », tu dis « ma mère écoutait Balavoine sur une cassette violette. » C’est un vrai souvenir ?
SLZ : Oui ! Elle mettait la cassette dans sa Saxo, il fallait la retourner pour tout écouter. C’est fou, parce que je ne suis pas si vieux par rapport à d’autres ! Je n’ai pas été marqué que par Balavoine, Cabrel aussi m’a tarpin marqué. Mais je ne vais pas te dire ma préférée, déjà je t’ai dit Cabrel ça va me casser mon délire. Encore aujourd’hui ça m’arrive de chanter avec ma daronne. [Rires] C’est son époque en fait. Eminem aussi, elle m’a fait tremper dans ça. Ladjoint un jour d’ailleurs m’avait cramé : il m’a dit « oh t’aimes trop les guitares toi, tu écoutais Eminem quand tu étais petit ? »
A : Il l’a vu par les guitares ? Genre comme au début de « Lose Yourself » ?
SLZ : Oui, moi, pour une prod, il me faut toujours trois trucs: guitares, piano, violon. Ladjoint m’a grillé par rapport à mes goûts d’instru, et ma manière de rapper. Et c’est vrai, toute mon enfance je me suis tué à Eminem, parce que ma mère l’écoutait. 8 mile, j’ai dû le voir dix fois. Tout ce qui a un rapport avec le rap d’ailleurs, au ciné ou quoi, je suis plutôt renseigné.
A : C’est vrai que tu as un truc avec les instruments de musique, tu as un son qui s’appelle « Flûte ou guitare », un autre « Violon », à un moment tu dis « ça parle de guitare mais c’est des trompettes »…
SLZ : J’aime bien ces jeux de mots. À Marseille, on dit tu es une trompette pour dire que tu es une quiche quoi, les guitares ce sont les armes, etc. J’ai beaucoup joué sur ça, d’ailleurs au début l’album je voulais l’appeler Instruments. Parce qu’il y a des instruments dans la rue, et dans la musique. Mais c’était trop compliqué. Ça a été un putain de débat cette histoire, parce que je suis quelqu’un de très tête dure, et mon grand-frère il est pire que moi. [Rires] Quand je dis mon frère, je parle de mon producteur, avec qui j’étais en prison. C’est lui qui a eu un déclic. Il m’entendait faire mes freestyles d’en-haut, il n’arrêtait pas de me dire « arrête de crier, arrête de crier. » Lui il était au téléphone, il gérait des trucs importants et moi je faisais des freestyles. [Rires] C’est simple, tu as vu la scène dans Validé avec Bosh et Mastar, où il lui dit « tu rappes bien » ? C’est la même, sauf que j’étais en bas et lui en haut. Un jour, il me dit de descendre en promenade. Je me dis, ça y est, des problèmes, la bagarre. [Sourire] Et en fait, pas du tout : dans la semaine on a fait le label et on a signé un contrat ! Il a géré les papiers et j’ai trouvé le nom : Ghetto Child Music [à prononcer à la française]. Pour tout te dire, il a été créé en tickets PCS – la monnaie de la prison. Mais depuis, j’ai vraiment appris un truc : écouter les gens. Parfois, je kiffe un son mais je refuse de le sortir parce que les autres ne l’aiment pas. Quand j’ai essayé d’en faire qu’à ma tête, ça n’a pas souvent marché. Donc j’ai appris à faire confiance. Quand il m’a conseillé de l’appeler La rue m’a eu, je l’ai suivi. Parce que c’est plus près de la vérité, on comprend l’idée direct, il suffit de me voir. Instruments, c’était trop tiré par les cheveux.
A : Ladjoint a produit une grosse partie de tes sons, comment tu l’as rencontré ?
SLZ : En fait, je cassais les pieds à mon frère en lui demandant : « c’est qui « Skenawin [il imite le tag de Ladjoint] au début des instrus ? » Il m’a emmené le voir. C’est en allant au studio de Ladjoint que j’ai rappé pour la première fois avec un métronome. Ça a été d’une très grande aide pour construire les morceaux. Parce que parfois, je mets tellement de cœur à l’ouvrage, d’énergie, que je voulais trouver une technique pour me canaliser et rester bien dans les temps. Le métronome, ça a été l’astuce : Ladjoint me l’a mis une fois, deux fois, puis c’est devenu une habitude. Parce que je veux que le son sorte nickel, qu’il n’y ait pas une seule faute de frappe. Je l’utilise toujours à l’heure actuelle.
A : Tu vas faire comment pour tes premières scènes ?
SLZ : Dis-toi que j’ai déjà fait des scènes. Je sortais de prison, je n’avais pas un seul son sur YouTube, rien, que des freestyles Insta et là mon grand-frère m’envoie au Castellival ! [NDLR : festival gratuit organisé en plein cœur de la Castellane. L’Abcdr en parlait pour l’année 2019]. Je suis quand même monté sur scène, j’ai fait « Traceur », c’était cool. Mais évidemment, je ne peux pas garder le métronome sur scène. Jusqu’à présent je n’ai pas fait de gros concerts, je rappais sur mes sons, donc ça passe. Si je passe le cap supérieur… Il faut savoir être honnête dans la vie, je ne sais pas encore comment ça va se passer.
« Parfois, je mets tellement de cœur à l’ouvrage, d’énergie, que je voulais trouver une technique pour me canaliser et rester bien dans les temps. Le métronome, ça a été l’astuce. »
A : Le son que tu as fait sur la BO du film des Déguns, c’est Ladjoint aussi ?
SLZ : Oui je l’ai suivi. En général, il met les premières bases, les basses, puis je lui suggère mes idées progressivement, on travaille à deux. Sur celui-là, c’est lui qui a pris les directives parce que j’étais un peu perdu. On avait des contraintes pour ce titre : on devait parler de nos vies, un peu en positif, sans dire de gros mots parce que ça devait s’adresser à un très grand public pour le film… C’est compliqué pour moi de faire ce genre de sons. Mais c’est ça le travail : tu ne peux pas évoluer si tu ne te mets pas des contraintes. Il faut savoir se mettre un peu des bâtons dans les roues pour progresser.
A : Tu dis que c’est plus dur pour toi de faire des sons plus positifs, dans l’EP tu as des sons quand même un peu plus dansants, il y a même une prod un peu 2step pour le feat avec Bylk et Veazy.
SLZ : C’est un son dansant, mais qui se distingue du reste du rap marseillais, ce n’est pas un type-beat Jul. On a demandé le featuring, parce qu’évidemment, c’est des gars que j’écoutais plus jeune, Ghetto Phénomène. Et Veazy je le connaissais personnellement, via mon gars NIC – d’ailleurs NIC, s’il se concentrait sur la musique, il arracherait tout. Bref. Veazy, NIC et moi on avait déjà fait des sons vite fait, en mode calés, en fumette. Donc pour enregistrer ensemble, ça a glissé. Et même, je ne suis pas quelqu’un d’arrogant, qui prend de la place de base ; si tu viens me voir en studio ou ailleurs, c’est limite les autres qui me demandent de parler. Donc pas de souci en featuring, ou en travaillant avec d’autres beatmakers. À part Ladjoint, je travaille aussi avec Belo – qui est ingé mais aussi beatmaker, Wysko, et sûrement d’autres pour la suite.
A : C’est sur quel type de prod que tu te sens le mieux, où tu te dis « là, je fais du So La Zone » ?
SLZ : Les prods old-school. Pas forcément accélérées d’ailleurs, je ne suis pas trop dans le délire rap marseillais actuel en vrai, je suis plus dans le délire des anciens. Niro, SCH [il voit ma tête]… SCH attends c’est un ancien l’air de rien ! En fait, il maîtrise les deux, sons à l’ancienne et sons nouveaux. Je l’écoute beaucoup, avec Niro, parce qu’ils n’ont pas le même rapport au vécu. Mais ils ont un don. Niro, c’est le meilleur rappeur français pour moi. Ce serait eux, mes featurings de rêve – le rêve du rêve, ce serait les deux en même temps sur le son. Mais ça ne sera pas tout de suite, encore deux ou trois ans, sinon l’un comme l’autre, ils vont m’attraper et me secouer dans le son. [Rires]
A : Tu commences par plusieurs séries de freestyles, dont l’une qui marchera bien, « Rentre dans le porche. » Cette manière de commencer par des freestyles avant de faire des sons ouverts, c’est une trajectoire récurrente chez les rappeurs marseillais (et pas que)…
SLZ : Le porche, oui, c’est un lieu de mon quartier, où je traînais souvent, un peu à l’abri des regards, d’où le nom de la série de freestyles. Tu ne peux pas arriver avec un son paisible. C’est impossible. C’est comme si à l’heure actuelle, j’envoyais un son de gadjis. Ça me ridiculiserait. Pour avoir une carrière de rappeur, il faut d’abord construire son image, montrer qu’on est là, déterminé, qu’on en veut, et ensuite on peut se permettre l’ouverture. Une fois que tu as une fanbase bien constituée, qui t’accepte comme tu es. Et encore, même après mes freestyles, il y a des sons que tout le monde n’a pas acceptés. « Dans le game » par exemple, ça a été dur. Parce qu’on est arrivés trop vite avec ça. Les gens me clashaient genre « qu’est-ce que tu nous fais là » – clasher, c’est un bien grand mot, mais c’était genre : « reste dans le rap. » On est donc revenus avec du vrai So La Zone, et j’ai fini par trouver une faille : une faille dans laquelle je peux m’ouvrir, tout en restant dans la rue. « La rue m’a eu », je pense que c’est un son où j’ai réussi à tenir cet équilibre. Je raconte la réalité, la rue, mais pourtant, musicalement, c’est ouvert : ma mère le chante ! « Pushka » aussi. Sur celui-là, Graya m’a aidé sur la mélo, il est fort sur ça.
« Pour avoir une carrière de rappeur, il faut d’abord construire son image, montrer qu’on est là, déterminé, qu’on en veut, et ensuite on peut se permettre l’ouverture. »
A : Tu peux revenir justement sur la conception de ce son, « La rue m’a eu » ?
SLZ : C’est un son que j’avais fait sur un coup de tête, l’ingé l’avait zappé. Et mon frère me l’a ressorti un an après. Encore lui ! [Rire] À ce moment-là, la guitare c’est moi qui l’avais demandée à Ladjoint – maintenant, il me connaît, même à distance quand je veux un son il va me mettre de la guitare. Je suis très content de ce son, mais celui dont je suis le plus fier pour l’instant c’est « Dans la ville. » Parce que j’ai tout géré pour celui-là, de l’écriture au clip. J’ai géré les caméramans, l’ouverture des quartiers, des charbons, en appelant des contacts, le montage aussi, de A à Z. C’est le clip dans lequel j’ai mis le plus de cœur. C’est dans ce sens que c’est le morceau dont je suis le plus fier ; mais mon préféré musicalement, c’est « Pare-balles ».
A : Quand est-ce que tu signes le contrat de distribution chez AllPoints, et qu’est-ce qui fait selon toi qu’on te repère ?
SLZ : On l’a signé récemment là, en 2023. En vrai, c’est parce que je suis moi-même. Les gens aiment aussi bien dire que je pue la rue, c’est un petit peu vrai, je suis cramé, avec ma dégaine et tout, mais je ne vais pas le revendiquer. Le fait que je ne mente pas aussi dans mes sons, c’est la stricte réalité. Enfin, il y a des choses, ce n’est pas forcément à moi qu’elles me sont arrivées, mais ça peut être la vie de mes frères. C’est soit moi, soit mes frères. On a réussi à se démarquer parce qu’on a montré qu’on était déterminés. On a mis deux ans avant de faire un feat, avec TK. On n’a pas spécialement démarché côté niveau maisons de disque, on a juste montré qu’on avait faim. Mais tout ça, c’est mon grand-frère qui gère, c’est lui la tête. Moi je m’éparpille. Lui, il a les idées : il m’a dit de bien m’occuper de mes réseaux aussi. Si tu remarques bien, je suis très proche de ma communauté : je prends le temps de leur répondre tous les jours, sur Snap par exemple [il montre son téléphone] : regarde, il n’y pas beaucoup de messages auxquels je ne réponds pas. C’est quelque chose que je compte garder, même avec plus d’audience. Tous les dimanches, je fais des dédicaces par exemple. C’est ma journée dédicace.
A : Est-ce que tu penses que le succès de Jul, SCH ces dernières années ont joué ? Quelques années auparavant, le rap marseillais était plutôt mis à l’écart…
SLZ : Non, parce qu’on est toujours mis à l’écart pour moi, les Marseillais. On parlait de ça avec TK hier ou avant-hier, regarde juste à Sevran combien de rappeurs sont signés et tarpin connus : Maes, Kalash Criminel, les gars de 13 Block, Da Uzi, Kaaris… Rien que ça ! À Paris, tous les petits jeunes en pleine expansion sont signés, même si c’est un petit contrat. Marseille, on n’a pas cette chance-là.
« NIC, s’il se concentrait sur la musique, il arracherait tout. »
A : Il y a un feat qui m’a marqué, c’est « Violon »…
SLZ : Avec Vlospa ? Lui-aussi, c’est grâce à mon grand-frère. C’est lui qui a commencé à me faire écouter cet artiste. En fait, c’est un So La Zone grec ; et personne n’avait encore fait dans le rap français un featuring avec un Grec. J’avais la pression sur ce son, il fallait que je donne tout. Donc j’ai tenu à jouer avec les références à la mythologie et l’histoire grecques. J’ai eu l’idée d’ouvrir le son sur un dialogue du film 300, avec Leonidas, j’étais à fond. Le jour où on a écrit, j’avais fait le vicieux. Renaud, le petit-frère, le bras droit de Ladjoint dont je suis très proche, c’est un gars qui a tout le temps la tête dans les livres. Avant d’enregistrer le feat, je lui ai demandé de m’envoyer douze références grecques. Il m’a parlé d’Aphrodite et de Pénélope, de Socrate, j’ai rajouté ce que j’avais appris au collège sur le cheval de Troie. Cette histoire m’avait pas mal marqué en vrai, c’est un vice de bâtard ce qu’ils ont fait ce jour-là les Grecs… [Rire]
A : YL faisait ça aussi, une comparaison un peu entre son vécu de jeune de quartier et les mythes grecs. Il rappait « mon petit-frère a mis en cloque ta petite sœur, je vais le venger comme le Prince Hector », ça faisait référence à la guerre de Troie aussi, comme à une embrouille qui peut exister ici…
SLZ : Tu sais ce que c’est la différence entre ces gens et moi ? C’est qu’eux, ils ouvrent les livres. Moi c’est un problème que j’ai, ça. Je n’ouvre pas les livres. Tout ce que j’ai appris, je l’ai appris en écoutant : des discussions à gauche, à droite, dans des débats. Si j’entends un truc qui me parle, je vais me renseigner ; si je ne comprends pas un mot, je n’ai pas peur de demander ce que ça veut dire. J’apprends des choses tous les jours, et avec les débats qu’on a fait en prison, je suis capable de te parler de tout et de rien. Mais ceux qui arrivent à ouvrir les livres ont un avantage. Moi c’est ça me tue, j’y arrive pas. Parfois je me dis que si j’avais réussi à le faire, j’aurais encore plus d’identité que ce que j’ai déjà dans la musique. Que ce soit au niveau culturel, au niveau du lexique, je serais encore un niveau au-dessus. Mais c’est trop dur les livres, je ne suis pas du tout patient, c’est ça depuis mon adolescence. Même un film… Tu vois pas là déjà, je tiens pas en place, je bouge les jambes et tout ?
A : Mais tu arrives à te concentrer suffisamment longtemps pour écrire un son ?
SLZ : Il y a des sons que je vais écrire en trente minutes en entier, comme « La rue m’a eu », et parfois, quatre phrases que je vais écrire en six jours. Mais les meilleurs sont ceux sur lesquels je reviens. Ceux que je peux peaufiner, améliorer petit à petit, comme « Pare-balles » ou « Dans la ville » parce que c’est une vraie histoire que je raconte.
A : Il y a un thème qui revient souvent, c’est la froideur, le côté « cœur fissuré. » Est-ce que c’est dans cet état d’esprit que tu rappes ?
SLZ : En fait, je suis vraiment comme ça. Là c’est une interview, mais en vrai… Je t’ai dit, si je suis quelque part où je ne connais personne, je ne parle même pas. Je suis tarpin froid. Mon regard peut vite changer, aussi. Avec les gens que j’aime bien, je suis normal, mais en temps normal, c’est très dur pour moi de m’ouvrir. Si je n’ai pas le choix, comme là en interview, je vais m’ouvrir, mais je vais toujours faire attention.
A : Ce côté très froid des rapports humains, on le retrouve aussi dans la manière dont les femmes apparaissent dans ta musique. Elles-aussi elles sont sans sentiments, elles se vendent, elles trompent…
SLZ : Je vais te dire un truc direct, j’ai été autant déçu par les hommes que par les femmes. Que ce soit ça amicalement, amoureusement, dans la famille, j’ai été trahi partout. Donc je me dis maintenant : pas de sentiment, besoin de personne. Et je ne te mens pas, c’est bien mieux comme ça. Comme ça, tu n’as pas de compte à rendre. Je suis très solitaire. Ce qui peut énerver les gens des fois, c’est que je passe trois jours complets avec eux, puis plus de nouvelles. Mais je n’y arrive pas, il faut que je sois seul, j’ai besoin de la solitude. Ce qui est bien pour écrire mais… ça dépend, des fois, c’est bien aussi de rencontrer des gens, de parler avec eux, tu peux tomber sur un mot, une nouvelle façon de dire les choses qui vont te faire rapper un truc différemment.
« C’est très dur pour moi de m’ouvrir. »
A : Il y a un côté précis, détaillé dans ta musique, comme tu dis, elle colle à la réalité. Par exemple, dans « GAV », on entend ton nom à l’état civil. Comment tu gères ça, la frontière entre la vie réelle et la musique ?
SLZ : Déjà, je fais attention de ne pas exposer les autres. Moi, on me voit, mais pas les autres – à l’exception de mon petit-frère, il a la même tête que moi, on s’en est même servi et c’est son petit kiff. Mais sinon, tu verras, je n’affiche pas ma vie privée, ni ma mère, c’est très rare que je montre chez moi. Même au quotidien, je sors de l’immeuble capuché, je rentre pareil, alors que je suis dans un quartier où je connais tout le monde. Mais c’est vrai que dans le rap, il y a des trucs à dire et d’autres à ne pas dire. On a fait le texte de remerciements pour l’album, il y a des noms que j’ai fait sauter. Parce qu’il y a des gens, personne n’a à savoir qu’ils ont un lien avec moi, c’est leur vie privée. Il y a des couplets voire des sons que j’ai commencé à écrire où j’estimais que je déclarais trop de trucs, que j’ai effacés entièrement. Puis je reviens en arrière, et je réécris. Un son où je me livre complètement, je n’ai pas encore réussi à le faire. Je voulais le faire sur l’instru d’Eminem là [probablement celle de « Lose Yourself », NDLR], un peu dans le style du dernier son de Rémy où il parle de Mac Tyer, mais à chaque fois que j’essaye, je bloque au bout de deux phrases. Si tu remarques bien, quand je raconte ma vie… Je raconte surtout les conneries, ce qu’on a fait, comment on a réussi à se relever. Mais je ne vais pas parler des choses vraiment personnelles. Par exemple, j’ai fait un son pour ma petite sœur : je l’ai envoyé à elle, et c’est tout, il ne sortira jamais.
A : L’autre grand thème qui traverse ta musique, c’est le thème d’ascension sociale, « de la cellule au château. »
SLZ : C’est la vérité, c’est mon but. Quand je dis un « château », ça peut être une putain de baraque dans un autre pays. C’est le symbole de la réussite. Avec l’album qui sort au début de l’année prochaine, c’est une nouvelle page qui se tourne. Il y a un méchant concept. Que je dois encore à mon grand-frère ! [Rires] Pour la suite, j’espère pouvoir faire un son avec une violoniste, qui vient souvent ici [le restaurant où nous sommes, derrière le Vieux Port de Marseille], un ami à moi pianiste de la Castellane et un ingé son ami à Graya, qui est guitariste. Mon but serait de faire un trio pour un son, voire faire un clip, avec ces trois musiciens, ces trois instruments indispensables à ma musique. Par contre pour ce morceau, je n’aurai pas le choix : il faudra cette fois que je me livre vraiment !
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