Hype & Sazamyzy
Ils ont commencé à rapper avec Kohndo, ont enregistré des morceaux avec Casey et ATK, ont écouté les conseils de Booba et s’apprêtent à sortir un projet produit par Madizm et Steve Below. Hype et Sazamyzy, jamais avares en anecdotes, se sont livrés sans détour pour retracer leur parcours et présenter Grand Banditisme Paris.
Abcdr du Son : Une bonne partie du public vous a découvert en 2010 avec Braquage en YZ mais il semblerait que vous aviez déjà un parcours relativement chargé. Est-ce qu’on peut revenir dessus ?
Hype : Nous sommes deux rappeurs de Bondy qui nous connaissons depuis l’enfance. On se connaissait bien avant de rapper mais on a toujours écouté cette musique. Et quand c’est comme ça, tu commences très vite à avoir envie de rapper… Saza a eu le déclic bien avant moi.
Sazamyzy : En fait, on traînait souvent à Boulogne et c’est là-bas que j’ai rencontré Kohndo. J’ai aussi beaucoup fréquenté Booba et Mala mais, bizarrement, c’est avec Kohndo que je discutais le plus. J’étais beaucoup plus jeune que lui puisque j’avais 15-16 ans et, au départ, on ne faisait que parler musique. A l’époque, Kohndo était à la fac et il nous voyait en bas de chez lui dès qu’il sortait puisqu’on a très vite noué des liens avec des mecs de là-bas.
H : Il a compris qu’on voulait commencer à rapper et c’est comme s’il avait tout fait pour nous empêcher de nous foutre la honte. Il nous a dit « Les mecs, c’est pas pour tout de suite. » Du coup, on y allait de plus en plus souvent et on posait dans sa chambre. Il faut savoir que Kohndo faisait tout dans sa chambre et y enregistrait même des chanteuses.
S : On traînait beaucoup à Boulogne. A l’époque, Booba était très différent de celui qu’on connaît aujourd’hui : tout maigre, un vrai mec de cité ! [Rires].
H : En tout cas, Kohndo nous a vraiment appris les bases et donné des techniques d’écriture. Avant que tu puisses enregistrer un son, il se passait un temps fou ! Il nous a vraiment structuré.
A : Est-ce qu’aujourd’hui Kohndo sait que Hype et Sazamyzy ont sorti Braquage en YZ ?
H : Bien sûr, on l’a eu au téléphone et il nous a même fait un retour. Il nous a dit que, nous connaissant, il n’était pas surpris par ce qu’on faisait et qu’il trouvait le produit bien fait. Je lui ai même demandé ce qu’il dirait si on lui rappelait qu’il nous a appris à rapper. Il m’a répondu qu’il dirait en être fier.
S : Normalement ça ne se dit pas mais je n’ai aucune honte à affirmer que c’est Kohndo qui m’a appris à rapper. Je suis quelqu’un de très fier et c’est dur pour moi de reconnaître ce genre de choses. C’est un peu comme Oxmo : s’il ne lâche pas l’affaire, un jour les gens se rendront compte de son talent.
H : Il ne faut pas se mentir : on était petit, on écoutait Kohndo rapper et on comprenait ce qu’était le flow.
A : Après l’épisode Kohndo, quelle a été l’étape suivante ?
H : On grandissait et on était dans une ambiance où on n’avait plus le temps d’aller chez lui. On était aussi plus débrouillard et on commençait à faire nos propres morceaux. On bossait beaucoup avec Popeye, qui est un ingé son ultra présent dans le rap français, et on commençait aussi nos premières collaborations. On avait fait trois, quatre morceaux avec Stor-K, avec l’Skadrille…
S : On était très présent et on fréquentait tout le rap français. Une fois, j’étais à un concert à Roubaix où il y avait un large panel représentatif du rap français dont IV my people. Ca se déroulait dans un stade de foot et le public jetait des bouteilles. Tu sais pourquoi le concert s’est arrêté ? Je suis monté sur scène avec un cuir Redskins jaune et j’ai insulté tout le public. C’était un stade blindé ! Ça a fini avec une scène envahie par tout le public. Tous les rappeurs sont partis en courant, j’en ai vu plonger dans des voitures… Les rappeurs jouaient tous les mecs de cité mais ils se sont mangés des bouteilles pendant tout le concert. J’avais 16-17 ans et mon manager était Bob de Générations.
« Booba m’a dit « Écoute, tu t’appelles Sam, Sazamyzy ça sonne bien, à partir de maintenant ce sera ton nom de rappeur. » »
Sazamyzy
A : Tu avais déjà un manager à l’époque ? Ça veut dire que tu commençais déjà à bosser sur des projets solo ?
S : J’avais fait un premier album sur lequel il y avait tout le rap français de l’époque.
H : Il y avait Casey, la Mafia Trece, ATK…
S : J’avais beaucoup bossé avec Axis d’ATK qui faisait des sons. Il bossait dans une pièce qui faisait la taille d’une armoire et c’est là-dedans qu’il a sorti toutes les tueries de son groupe. Je devenais fou en voyant ça ! Toujours est-il qu’on a eu des galères et que cet album n’a pas pu sortir pour différentes raisons.
H : De mon côté, j’avais fait un projet avec un pote en 2000. C’était déjà de l’autoprod mais on le faisait sans en avoir conscience. Ensuite, toujours en solo, Sazamyzy a enregistré un autre album au studio La Baleine Bleue. A cette époque là, Saza avait enregistré des morceaux conscients mais assez crossover avec deux, trois morceaux qui bougeaient bien. C’était exactement ce que recherchait Hilary de la Baleine Bleue. Il lui a immédiatement dit « Enregistre l’album et on va le sortir derrière. » On commence donc à enregistrer l’album et, d’ailleurs, je devais être présent sur cinq, six morceaux. J’étais tout le temps avec lui en studio. De toute manière, on vivait ensemble donc on passait nos journées à deux.
Parallèlement, on vivait nos vies à côté. Un jour, je vois quatre, cinq puis 10 mecs qui rentrent dans le studio, un air vraiment bizarre. « Messieurs, ne bougez pas. » C’était la BRB [NDLR : Brigade de répression du banditisme] de Versailles ! Le studio se trouvait à Gare du Nord, nous on habite à Bondy et eux sont venus de Versailles… Ils ont été obligés de venir nous chercher dans le studio mais il était prévu qu’ils nous fauchent dans la rue plus tôt, heureusement que des mecs marchaient juste devant nous. Ils nous ont donc ramené en garde à vue.
Ensuite, l’affaire de Saza ne se résout pas et il va en prison à Bois d’Arcy tandis que je sors au dépôt. Le pire c’est qu’ils m’ont interdit de parloir comme je me suis fait interpeller avec lui et qu’ils m’ont longtemps laissé dans l’affaire.
A : Ça a duré combien de temps ?
H : Trois ans. Je ne l’ai revu qu’une fois pendant cette période : quand ils nous ont retapissé.
S : On ne sait pas ce qui aurait pu se passer avec cet album en tout cas. Il est toujours en possession d’Hilary d’ailleurs. En tout cas, on a appris que les flics nous écoutaient déjà depuis un an et demi. Ils nous ont même ressorti des trucs qu’on s’était dit pour rigoler ! Une fois en prison, pendant deux ans, quotidiennement, ils me disaient « Tu sors tout de suite si tu balances tes potes. Tant que tu ne donnes pas de noms, on va te tuer. » J’ai fait trois prisons en deux ans. En même temps, ma défense était solide puisque j’avais Olivier Metzner [NDLR : célèbre avocat qui est notamment intervenu dans les affaires Kerviel, Bettencourt ou encore Clearstream] comme avocat [Sourire].
H : Quand il était enfermé, le rap ne me disait plus rien du tout. En plus on était jeune, on perdait vraiment de bonnes années. On a toujours bien vécu et ça a été une vraie cassure.
S : De 16 à 20 ans, on a vécu à 480 km/h. Certains ne feront pas en une vie tout ce qu’on a fait pendant ces années : on a voyagé comme c’est pas permis, je rentrais dans toutes les boîtes possibles et imaginables, on a fait des business à l’époque que les mecs font aujourd’hui, on a rencontré tous les mecs du rap… Quand la BRB est venue, ils avaient l’impression d’arrêter Tony Montana [Rires] !
H : C’est vrai. Je n’avais rien à voir dans l’affaire mais, quand je me faisais interroger par les flics, j’ai vu des trucs improbables. Pendant que le mec m’interrogeait, il me regardait en chargeant et déchargeant son gun… D’ailleurs, c’était un 12 juillet. Je vois le mec arriver en costume-cravate et lui demande ce qui se passe. « On est le 12 juillet, ça fait deux ans qu’on a gagné la Coupe du Monde. » [Rires]
A : Cette période vous a donc freiné…
H : J’ai fait quelques trucs avec des gens, dont Ikbal, mais ça n’a rien donné. Ces choses nous ont plus ralenti qu’autre chose. Finalement, je me suis assis en me disant que j’allais attendre que Saza sorte pour faire quelque chose de vraiment militaire. Des fois il m’appelait pour me dire qu’ils lui avaient remis six mois…
S : A chaque fois que mon avocat allait me faire sortir, ils me sortaient quelque chose qui venait de nulle part. Ils me bloquaient constamment. Finalement, je suis sorti et j’ai pu bosser à Châtillon avec, entre autres, Spike Miller qui venait d’arriver sur Paris. Il était tout jeune mais on sentait qu’il avait un talent fou. A cette époque-là, les gens étaient étonnés parce que je ne me faisais plus appeler Dogg Master.
En fait, un jour, j’étais en promenade avec Booba. Je me souviens parfaitement de la scène. Il me demande « C’est quoi ton nom de rappeur ? C’est nul Dogg Master, n’abuse pas ! » Il s’est énervé [Rires] . Il m’a dit « Écoute, tu t’appelles Sam, Sazamyzy ça sonne bien, à partir de maintenant ce sera ton nom de rappeur. » Ca vient de là. Il m’a appelé comme ça pendant une semaine entière et, finalement, toute la prison a fait de même. Ca se passait avant qu’il sorte Panthéon. Il est sorti en août, pendant la canicule. Une fois qu’il était dehors, on s’appelait tous les deux jours. Il a été là pendant toute ma peine. Il me faisait écouter les instrus de son album avant que ça sorte. J’ai presque choisi l’instru sur lequel il me fait une dédicace [NDLR : « Pazalaza pour sazamuser »].
Quand je suis sorti, Booba revenait souvent vers moi pour savoir ce que j’allais faire niveau rap. Honnêtement, je n’ai quasiment rien fait pendant un an. Parfois, on prenait des séances de studio mais ça ne sortait pas aussi instinctivement que dans le passé. C’était trop tôt et il fallait vraiment que je profite. J’ai fait en six mois ce que j’aurais fait en dix ans ! Du coup, Booba a lâché l’affaire en voyant que je n’étais pas motivé.
A : A cette époque-là, il était donc chaud pour faire des morceaux avec toi ?
S : Il a toujours été chaud ! C’est ma personnalité qui a fait que, pour le moment, je ne l’ai pas sollicité. Je ne supporterais pas que les gens disent « Il est là grâce à Booba. » Booba n’est pas mon pote de rap, c’est mon pote. On s’appelle, on a fait le nouvel an ensemble il y a deux ans à Genève… Il n’y a pas de problème. On l’invitera sur Braquage à l’Algérienne parce que c’est l’album qu’on a toujours voulu sortir. Il s’agit d’un double album et c’est vraiment notre projet initial. Quand cet album sortira, il ne faudra pas nous dire que ce sera grâce à Booba puisqu’on aura sorti deux projets avant. Il faut que les gens connaissent notre patte d’abord. J’ai aussi pensé à ça en voyant The Game et 50 Cent. Même si c’est un peu plus compliqué pour lui aujourd’hui, The Game n’a vraiment pas besoin de 50 mais on lui en reparle constamment. Si on était arrivé avec un morceau en collaboration avec Booba, on nous l’aurait ressorti à chaque fois également ?
A la sortie de prison, on a donc commencé à se remettre à bosser. On récoltait des prods chacun de notre côté mais ça ne nous plaisait pas. On en est venu à rencontrer Dirty Swift, le seul à ce moment-là qui nous a vraiment impressionné. Il faut dire aussi qu’on avait commencé à bosser avec Spike Miller mais, une fois qu’il a sorti « En mode » et signé chez Because, c’était plus compliqué.
H : Une fois qu’on a commencé à bosser avec Dirty Swift, on est reparti en studio. Ceci dit, même avec Dirty Swift, on ne pouvait pas aller exactement où on voulait. On a donc été obligé de faire nos propres instrus. C’est là que le truc est vraiment devenu fou.
A : Vous vous êtes mis tous les deux à la production ?
H : J’ai ramené un compositeur qui n’avait rien à voir avec notre univers. C’est un type qui a fait la fac de musicologie, qui a un vrai savoir musical mais qui ne connaît rien au rap.
S : Un malgache chrétien de 20 ans, qui joue de l’orgue à fond… Rien à voir avec nous !
H : Mais très fort techniquement. On lui demandait quelque chose et il nous le faisait sur le champ. On a bossé un an et demi avec lui et, certaines fois, on finissait la journée avec sept instrus.
A : Pendant près de deux ans, votre beatmaker attitré était donc un malgache de 20 ans qui ne connaissait rien au rap ?
S : Ca n’était pas « notre beatmaker » parce qu’on faisait tous ensemble. Par contre, il faisait en sorte qu’il n’y ait aucune fausse note dans ce qu’on produisait. Même si je jouais un air, il repassait derrière pour corriger le tout.
H : On s’est retrouvé avec 171 instrus et c’est à ce moment qu’on a décidé de créer le label Haute Couture Musicale. On a enregistré 60 morceaux pour en sortir 18.
S : On avait énormément d’instrus. Mais comme Rim-K me disait, tu as beau conduire parfaitement ta voiture, il y a un moment où tu dois en essayer d’autres parce qu’il y en a qui te conviennent peut-être davantage. C’est pareil avec les instrus. C’est ce qui s’est passé avec le projet Grand Banditisme Paris. On bossait sur Braquage à l’algérienne et Mehdi [NDLR : Hype] me dit qu’il est en contact avec Madizm.
H : La connexion avec Madizm s’est faite sur le forum de l’Abcdr Du Son puisqu’on y poste tous les deux. Comme son nom de forumeur est « eezeum », je ne savais même pas au début que c’était lui qui postait. J’ai tout de suite bloqué sur lui parce qu’il débattait comme un dingue sur les francs-maçons [Rires] ! La première fois que je lui ai parlé c’était d’ailleurs pour lui demander la référence d’un livre qu’il citait. Ensuite, on a commencé à parler de choses et d’autres sur Facebook. Un jour, j’étais en Wi-Fi sur mon iPad à une heure pas possible et je reçois un message de Madizm : « J’ai écouté votre projet. Envoie-moi les a capella et je vais les remixer. On mettra le tout sur le net. » Forcément, j’étais partant mais il a commis l’erreur de m’envoyer les instrus avant : on a complètement bloqué dessus. Après s’être concerté, on est retourné vers lui pour lui dire qu’on avait adoré la musique qu’il nous avait envoyée et qu’on avait l’opportunité d’enregistrer un projet super rapidement. Je lui ai demandé s’il était partant : « Je suis déjà parti » qu’il m’a répondu [Sourire].
Avant ce projet, il me disait qu’il n’avait plus envie de bosser en France. Au fur et à mesure qu’on a construit Grand banditisme Paris, on le sentait de plus en plus motivé et il nous envoyait régulièrement de nouvelles prods. Il nous a même donné l’opportunité d’avoir des prods de Steve Below, chose totalement inconcevable dans le rap français actuel. Honnêtement, il nous a envoyé des sons en mp3 qui avaient plus de force que l’album de n’importe quel rappeur français [Rires].
Finalement, les gens vont être extrêmement surpris par ce projet. D’une part parce qu’il y a des combinaisons inédites. D’autre part parce que c’est musicalement varié. Quand j’écoute ce qui a été fait, j’ai l’impression qu’il s’agit d’un album.
« Qu’est-ce que peuvent te raconter les mecs qui rappent à 20 ans, sachant qu’ils ont déjà grandi avec des histoires de rap ? A 20 ans, ils ont été à l’école, ont fait quelques boîtes de nuit et ont vendu/volé des broutilles : ils n’ont rien à raconter. »
Sazamyzy
A : Vous disiez tout à l’heure que vous avez rencontré plusieurs acteurs du rap français dans le passé. Vous n’aviez jamais croisé Madizm avant ça ?
H : A l’époque de IV my people, à chaque fois qu’on parlait de Madizm et Sec. Undo, la photo était floue [Rires] ! Peut-être qu’on l’a croisé à l’époque sans savoir que c’était lui.
A : Aujourd’hui, vous approchez la trentaine. C’est un âge relativement avancé dans le rap quand on sort son deuxième projet. Est-ce que c’est tard ou au contraire est-ce que ça sort au bon moment ?
S : Le rap, c’est mieux quand tu as 30 ans [Sourire]. Qu’est-ce que peuvent te raconter les mecs qui rappent à 20 ans, sachant qu’ils ont déjà grandi avec des histoires de rap ? A 20 ans, ils ont été à l’école, ont fait quelques boîtes de nuit et ont vendu/volé des broutilles : ils n’ont rien à raconter. A 30 ans, avec tout ce que j’ai fait dans la vie, je peux me permettre de venir raconter des choses. Les autres vont raconter des choses sur lesquelles ils ne font que fantasmer. Pour nous, le rap est une fenêtre musicale qui nous permet de nous exprimer.
H : La vie a aussi fait qu’on n’a rien pu sortir avant. Après, il s’agit d’une musique qu’on aime faire et qu’on fait différemment des autres. Pour être honnête, cette question de l’âge ne se pose même pas. Je fais de la musique parce que ça me semble cohérent. Il est clair que des choses nous ont retardé… mais il me semble que Reasonable Doubt est sorti alors que Jay-Z avait 29 ans [NDLR : Jay-Z avait 27 ans].
S : Je suis très croyant et je pense aussi qu’il y avait une raison au fait qu’on n’ait rien pu sortir avant. Et puis on ne fait pas du rap pour avoir des sous ou être connu. On s’amuse aussi.
H : Les gens ont trop tendance à croire que les rappeurs réfléchissent à tout ce qu’ils font, tout ce qu’ils écrivent… Il y a beaucoup de spontanéité dans ce qu’on fait et, quand je réécoute les morceaux à tête reposée, je trouve qu’on propose une alternative. Aujourd’hui, tu as d’un côté les anciens rappeurs qui sont mécontents soit parce qu’ils ne vendent plus de disques soit parce qu’ils ne bossent pas en maison de disques avec toujours cet argument qui consiste à dire qu’aux Etats-Unis ce sont les rappeurs qui sont à la tête des labels. S’ils voulaient que ça se passe comme aux States, c’était à eux de changer la donne quand ils étaient en position de force. De l’autre côté, tu vas avoir des rappeurs ultra-caillera qui finissent par être totalement incohérents. Tu mets un mec qui connaît la vie en face de lui et il lui fera tout de suite remarquer qu’il dit de la merde. Après, t’as l’espèce de rap sac à dos où le mec va sampler le bruit d’une porte qui grince parce qu’il s’agit de la porte de la chambre d’hôtel où John Lennon est mort et faire 60 minutes sur ce que ça fait de ne pas dormir à 4H30 [Rires]. Ça va intéresser quelques personnes mais ça restera faible.
On est différent parce qu’on a le côté rue, on ne néglige jamais l’aspect musical qui demeure primordial et on n’a jamais fait un morceau dans lequel il ne se passait rien. Sazamyzy réalise les morceaux et ça lui prend parfois plus de temps que d’aller dans la cabine pour poser ses couplets. Ça fait tout de suite une différence parce que les autres ne se prennent pas la tête. Il y a des mecs qui ne masterisent même pas ! On veut vraiment proposer cette alternative. Certes, on communique sur un côté ghetto mais on a aussi la touche classe qui ne nous a jamais quitté, tout simplement parce qu’on est comme ça dans la vie.
A : En effet, il y a chez vous ce côté rap de rue avec cette imagerie un peu gangster qui accompagne vos morceaux…
S : Mais il ne s’agit pas d’une imagerie ! Je fréquente des bandits, je fréquente des grosses caillera de cité, c’est pas un rôle. Ça me rend fou de voir tous ces types qui s’inventent une vie quand ils rappent. C’est aussi pour ça qu’on ne rappe qu’avec les gens qu’on apprécie et qui nous ressemblent.
H : Je préfère faire quatre, cinq morceaux avec Zessau ou Shone qu’avec un type que je ne connais pas. Déjà parce que j’aime ce qu’ils font mais aussi parce que ça ira plus vite avec eux et que ça dépasse le cadre musical. Ceci dit, on reste ouvert. Sur le premier extrait du projet, il y a Seno en invité qui est, a priori, quelqu’un d’assez éloigné de notre univers et ça s’est super bien passé.
A : Justement, Seno était estampillé « rappeur westcoast » jusqu’ici et on n’avait pas l’habitude de l’entendre sur des projets extérieurs à son entourage. Comment est-ce que la connexion s’est faite ?
H : C’est un mec qui s’appelle Fizzle [NDLR : chroniqueur sur différents supports dont Rap Mag] qui bosse avec lui et qui m’a fait écouter deux de ses morceaux. Immédiatement, je me suis dit qu’avoir quelqu’un comme ça changerait des gens qu’on a l’habitude d’inviter. Après, les choses vont vite avec Internet : tu googles son nom, tu écoutes plusieurs de ses morceaux, tu lis deux, trois interviews et tu te rends compte que ça va le faire.
« Il ne s’agit pas d’une imagerie ! Je fréquente des bandits, je fréquente des grosses caillera de cité, c’est pas un rôle. Ça me rend fou de voir tous ces types qui s’inventent une vie quand ils rappent. »
Sazamyzy
A : Aussi bien Braquage en YZ que Grand banditisme Paris sont des projets avec beaucoup de collaborations. C’est quelque chose qui manque dans le rap français aujourd’hui ? Il y avait une époque où les compilations fleurissaient et regroupaient des featurings a priori improbables…
S : Ouais, c’est aussi dans cet esprit qu’on le fait. Les compilations Première classe sont des références. Quand on était jeune et qu’on achetait des CD’s, on regardait tout de suite quels rappeurs étaient invités sur l’album. C’est bien de sortir du schéma « Trois couplets rappés par le même mec sur tout un disque. » Et puis, parfois, en un couplet tu vas dire plus de choses que d’autres en trois morceaux. Ça permet aussi de voir plusieurs styles différents.
H : On s’est retrouvé avec plein d’instrus et on s’est également demandé qui on avait envie d’entendre dessus. Par exemple, on avait envie de faire un morceau depuis longtemps avec Joe Lucazz.
Assia… Assia… Laisse-tomber, on a tous écouté Assia [NDLR : elle apparaîtra sur Braquage à l’algérienne]. On était très fier de l’avoir sur un de nos morceaux.
S : Par exemple, si je pouvais faire un feat avec NTM, je le ferais tout de suite. Je ne connais pas trop Kool Shen mais Joey Starr c’est une bombe atomique. Quand j’étais jeune et que j’allais en colonie, j’écoutais NTM. Dans le car, si le chauffeur ne mettait pas NTM, on lui niquait sa mère [Rires] !
H : Et si je peux faire un morceau avec les Daft Punk, je le fais direct [Rires] !
S : D’ailleurs, je suis persuadé qu’on pourrait approcher certaines personnes de l’électro sans difficultés. A l’époque où j’étais tout le temps en boite, j’ai fréquenté tous ces clubbers. Je rentrais partout… Bon, je sortais avec une danseuse donc ça aidait aussi [Rires]. Mais, aux Bains Douches, ce sont les mecs de cité qui rapportaient tout l’argent, tu ne voyais qu’eux. David Guetta n’était pas encore ce qu’il était et tu discutais avec lui normalement. Je ne sais pas s’il se souvient de moi mais, si c’est le cas, je suis persuadé qu’il ferait un truc avec nous si on lui demandait. Ça ne serait même pas un problème d’argent puisqu’il n’en a pas besoin… et on l’a assez rincé à l’époque [Rires].
A : Il y a un microcosme rap français assez particulier avec des acteurs qui paraissent solidement établis. A partir du moment où ce que vous faîtes est assez différent, comme est-ce que vous vous situez par rapport à tout ça ?
S : On se sent très loin de tout ça. Quand je vois les histoires dans lesquelles certains se retrouvent… Je ne veux même pas être dans ce monde, je n’en ai rien à foutre.
H : Tu as parlé d’un microcosme, je dirais qu’il y en a même plusieurs. Il y a plein de gens que j’aime bien mais certaines personnes ont vraiment une attitude de rappeurs. Tu peux faire le rappeur sur disque mais certaines personnes se sont fait bouffer par ça et sont devenues différentes. Tu les vois sur Paris dans des soirées entre rappeurs, ils passent leurs journées à se retweeter et sont déconnectés de tout. Je me sens radicalement différent de ces gens qui, d’ailleurs, sortent généralement les moins bons albums. Ils ont une bonne promo mais font de la mauvaise musique. J’ai toujours dit que c’était bien beau de faire du rap mais, à un moment, il faut vivre pour avoir des choses à raconter. Ces gens ne vivent plus : ils vont à la muscu, en studio et sur Twitter.
S : Après, il y a des gens qu’on respecte et qu’on apprécie et avec qui on n’a pas encore eu le temps de bosser. C’est ce qui se passe avec Nessbeal ou RR qui est un de mes meilleurs potes.
A : Malgré tout, est-ce qu’il y a des projets récents qui vous ont plu dans le rap français ?
S : Bien sûr. Mctyer, la compil’ de DJ Bellek, Despo Rutti à fond, le dernier album d’Alpha 5.20… De toute façon, on respecte tout ce qu’a fait Alpha. Il est comme nous, très éloigné du microcosme rap dont on parlait parce qu’il préfère traiter la réalité. Alpha est parti de rien du tout et son parcours est honorable.
H : Les derniers projets de Shone également.
S : Shone, c’est quelqu’un qui se diversifie tout le temps. Il n’a pas arrêté de progresser. L’année dernière n’a pas été mauvaise. Il y a eu l’album de Nessbeal qui était très bon… Et puis, évidemment, celui de Booba.
H : Il a également eu Driver qui a fait un super album.
S : Il faut reconnaître aussi qu’on écoute beaucoup de mecs du 9.3 parce qu’ils utilisent un langage qu’on comprend immédiatement. Même si le mec n’est pas spécialement fort, il va plus nous parler qu’un mec qui vient d’une autre cité qui, elle-même, aura son propre langage. Ici, les mecs ne sont pas rap. Ils vont en studio, écrivent leurs textes sur le canapé et les posent dans le foulée.
A : Même si votre rap est basé sur votre vécu, votre musique a un côté « divertissement » non négligeable et on sent que vos influences sont majoritairement américaines…
H : Honnêtement, je ne me suis jamais inspiré d’un rappeur français. En revanche, j’ai toujours écouté beaucoup de rap cainri et, forcément, ils m’ont influencé.
S : Si tu fabriquais des voitures, qui est-ce que tu irais copier ?
A : Probablement les Allemands.
S : Ou les Italiens. Alors pourquoi est-ce que tu veux écouter du rap français ?
A : Tu peux l’écouter sans forcément t’en inspirer.
S : On rappe en français et on est obligé de regarder vers le top. Ça se saurait si le rap français était le top. Forcément, on regarde les États-Unis. Par exemple, j’ai toujours bloqué sur les Dipset.
A : Alors que Cam’ron a longtemps été considéré comme un guignol ici…
H : Oui mais on achetait du Cash Money quand on était plus jeune [Rires]. On a toujours essayé de chercher ce qui était différent. Comme je t’ai dit, on est ouvert.
« On rappe en français et on est obligé de regarder vers le top. Ça se saurait si le rap français était le top. Forcément, on regarde les États-Unis. »
A : Si vous deviez présenter simplement le projet qui arrive, qu’est-ce que vous diriez ?
S : Sans forcer, ce projet va mettre des claques à tous les rappeurs.
A : Vous pensez que les gens vont comprendre ce projet qui est musicalement différent de ce qui se fait généralement ?
S : Les prods sont américaines et tout le monde écoute du rap américain. Tous les petits de cité écoutent Biggie, Tupac, Waka Flocka Flame ou Gucci Mane. Ils connaissent le rap américain.
H : Ce projet est aussi un exercice pour nous. Si on me propose un projet comme ça et que je refuse, à quoi ça sert d’être dans le rap ? Et puis si les gens ne comprennent pas le projet ici, peut-être que les Américains le comprendront [Rires] . En tout cas, l’opportunité était trop belle.
A : Ce projet va être distribué gratuitement sur le net et Braquage en YZ pouvait uniquement être commandé sur votre site. C’est important de maîtriser le net aujourd’hui ?
H : En fait, on a fait le choix de ne pas passer par des FNAC pour Braquage en YZ alors qu’on avait des contacts. On a stoppé le business alors que c’était sur le point de se goupiller. Tout simplement parce qu’on aurait mis notre disque dans les bacs à 10 euros et que le distributeur aurait récupéré la majorité dessus. On aurait été perdant. C’est pour ça qu’on a décidé de mettre en place un site de VPC. On a fait en partie notre chiffre là-dessus et en partie sur le tour de France qu’on a fait en juin dernier. On a pris la voiture qu’on a blindé de CD’s et t-shirts et on est allé amener le CD aux gens. Certains n’ont même pas de carte bleue. Au final, on a quasiment tout épuisé.
S : Dans certains quartiers, des mecs n’avaient pas de sous et ça nous arrivait d’en donner aussi.
A : Hype, je sais que tu es également chef d’entreprise. Tu peux nous en dire plus ?
S : Honnêtement, ce n’est même pas explicable tellement il y a de choses différentes. Il y a des bâtiments, des boxs, des entreprises de plomberie… Son bureau est au pied de son domicile, comme Batman et sa Batcave [Rires].
H : Il y a beaucoup de choses et ça rejoint ce qu’on disait tout à l’heure : on fait des choses à côté du rap.
A : Pour toi, c’est important de marquer la séparation entre la vie professionnelle, la vie privée et le rap ?
S : On n’est même pas des rappeurs.
H : Il n’y a même pas de séparation. Je peux télécharger un album pendant que je suis au boulot et parler de boulot quand je suis au studio, c’est pas un problème. Je ne deviens pas un rappeur après 18H [Rires].
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