Hooss, la fierté des siens
Après avoir sorti deux mixtapes et s’être ainsi fait un nom, Hooss dévoile ce 10 mars un premier album, Temps Plein. Il revient le temps d’une interview sur ce projet, et sur son état d’esprit maintenant que la musique est son activité principale.
Abcdrduson : Lors de notre interview pour la sortie de French Riviera vol.2, l’an dernier, tu disais que la différence entre tes mixtapes et ton premier album serait la présence d’un directeur artistique sur celui-ci. Qu’en est-il ?
Hooss : Je devais assurer la direction artistique avec Guilty, mais du coup, j’ai un peu moins bossé avec lui, il a moins de prods sur l’album, et moi entre temps je m’étais dit qu’il valait mieux continuer à taffer le projet seul, comme je le faisais. En plus, j’aimerais bien travailler à la réalisation d’albums pour d’autres artistes, plus tard. Donc j’ai fait moi-même la réalisation de l’album, seul comme un D.A. Par contre, Double X, Guilty, Jay Paris, Triple N et Kakou, les beatmakers, ont été présents à chaque fois que j’ai enregistré sur une de leurs prods. J’ai fait chaque titres avec les beatmakers.
A : En quoi ta façon de travailler pour l’album et ta façon de travailler pour les mixtapes auparavant sont-elles différentes ?
H : Temps plein, je l’ai plus fait dans un délire d’Américain, au feeling. En mode je me déplace sur Paris, j’appelle Double X qui bloque quatre jours de studio, et on travaille au feeling. Je ne me suis pas pris la tête cette fois-ci. C’est peut-être ce que j’avais fait avant, j’avais un sentiment d’habitude, et cette fois je l’ai fait comme un Américain, sans prise de tête.
A : Et à aucun moment tu ne t’es fixé une sorte de cahier des charges, du style « il me faut un titre radio, un titre club, un titre ceci, un titre cela » ?
H : Non, non ! Sinon j’aurais fait un titre pour ma mère, ça fait longtemps que je ne l’ai pas fait. J’ai plus travaillé selon mon humeur. Aujourd’hui j’arrive, j’ai plus envie d’un son sombre, négatif, Guilty va me le faire. Un jour j’ai plus envie d’un son enjaillant, j’appelle Double X. Je l’ai plus joué comme ça.
A : Tu t’es attelé à la conception de l’album dans la foulée de French Riviera 2 ?
H : Non, j’ai fait une longue pause, et je l’ai commencé fin novembre. J’ai fait l’album en deux mois, j’ai dû rendre le master le 31 janvier. J’ai fait une pause que je ne vais plus faire à mon avis, une pause que je n’aurais pas dû faire. Il y avait le délire que je m’installais dans ma vie, j’ai pris un appartement, j’ai ma gadji, il y a plein de trucs comme ça, puis les problèmes dans la vie, avec les gens. Ça m’a fait un peu reculer. Ce sont plein de petits trucs, mais pas au niveau de la musique ou de l’inspiration. Il y avait aussi l’été, et le ramadan, j’étais dans un mauvais timing. À un moment donné, je me suis motivé, j’ai fait une sorte de remise en question et je me suis dit « c’est le moment d’y aller, de se battre. » J’ai la chance d’être Hooss, il faut se battre.
A : Justement, tu as la chance d’avoir un nom, une certaine notoriété désormais, tu as bien tourné aussi ; quel serait le pallier à franchir pour toi avec ce disque ?
H : Sans mentir, comme d’habitude je n’ai pas d’attente, je suis en indé. Tant que c’est rentable, tant que je fais le tour de la France, que je fais les clubs, moi ça me va très bien. Maintenant si une étape devait être passée, ce serait de faire disque d’or, être plus gros, plus imposant. Là, j’ai encore un petit statut de jeune rappeur, même si je ne suis plus très jeune.
A : Des titres assez ouverts comme « Andiamo » ou « Elle le sait » ne peuvent-ils pas te faire passer ce cap ?
H : « Andiamo » je l’ai plus fait comme un son club, pour mes showcases. Franchement, quand je fais mes sons je ne me dis pas qu’il faut faire assez commercial ou quoi. « Andiamo » c’est vraiment club, comme « À la Gustavo ».
« Dans le rap je suis à fond, motivé, j’essaie d’avancer et je me bagarre. »
A : Il y a un certain contraste entre tes textes, très en prise avec une certaine réalité, disons liée à la rue, et ton interprétation et les instrus que tu choisis, de plus en plus ambiançantes.
H : C’est bien que tu me dises ça, car sur ce projet, au niveau des prods et de l’entertainment, je suis allé vers un délire marseillais. Je me suis plus rapproché de l’école marseillaise, et je trouve que ça me ressemble plus. Dans ce projet-là je me retrouve plus. En vrai, les morceaux de French Riviera 2 où je me retrouvais le plus, c’était « Quatre saisons », c’était « À la Gustavo », où je parlais de femmes. Et dans ce projet-là, j’ai fait encore plus ce que je voulais.
A : Les femmes sont effectivement très présentes dans ce que tu rappes, et tu t’adresses directement aux filles dans ta musique. C’est que tu as conscience qu’elles composent désormais une large partie du public rap ?
H : J’ai juste pris conscience que beaucoup de filles m’écoutaient. Quand j’ai fait « À la Gustavo » je ne m’y attendais pas, je ne croyais pas à ce point en ce son, et j’ai vu qu’il plaisait vraiment. J’ai vu qu’il y avait beaucoup de filles dans ma fanbase, même s’il y a beaucoup plus de mecs qui m’écoutent. Puis c’est ma personnalité.
A : Dans l’année qui a séparé French Riviera 2 de Temps plein, tu n’as pas envoyé d’EP ou de mixtape en libre téléchargement, chose désormais courante. Ce n’est pas quelque chose dont tu avais envie ?
H : J’ai pensé à le faire, il y en a qui le font. Mais je ne voulais pas perdre en intensité, au contraire il faut que j’avance, j’ai sorti deux mixtapes qui ont coûté vingt mille euros chacune et qui sont archi rentables. Il faut que j’avance dans la vie, que j’essaie d’aller plus loin. Au niveau des clips je suis allé un peu plus loin. Et il faut que je me batte, donc un projet gratuit, non… Je peux le faire, genre si j’entre en studio une semaine avec Guilty, et j’envoie un six titres, comme un Américain. Mais sinon, vraiment je ne peux pas.
A : Il y a un double sens derrière le titre de l’album « temps plein », n’est-ce pas ? Entre le mec à temps plein dans la rue et l’artiste à temps plein que tu es aujourd’hui.
H : Voilà, je ne voulais pas que l’on se dise juste « il l’a appelé Temps plein pour le réseau [la vie de rue, NDLR]», il y aussi ça, le fait d’être artiste. Je fais du rap à temps plein, c’est un mode de vie. Quand tu travailles, que t’es maçon à temps plein, t’es motivé, tu charbonnes, t’avances. Moi, dans le rap je suis à fond, motivé, j’essaie d’avancer et je me bagarre. C’est très bien, je suis content, je suis très fier de moi, mes proches sont fiers de moi, tout le monde est content.
A : Tu as dû être flatté de recevoir une réponse positive lorsque tu as invité Rim’K sur ton disque ?
H : Grave ! C’est un ancien qui nous a présentés l’un à l’autre, on est entré en connexion à partir de là mais je n’arrivais pas trop à l’avoir parce qu’il était dans ses projets. J’ai finalement réussi, il est venu, est resté de quinze heure à minuit sans prise de tête, comme moi je viendrais. Il a joué sur le DZ power, il m’a respecté de fou, on a fait un putain de son ! Je suis trop content. En plus c’était limite un des feats de ma carrière, je le voulais ! Je le voulais vraiment. Je crois que c’était celui que je voulais le plus, même par rapport à ma famille, mes cousins, mes oncles… C’était le feat que l’on voulait le plus. On l’a beaucoup écouté, genre il fait partie de ma famille ; mes cousins ne sont pas dans le rap comme moi j’y suis, mais pour eux Rim’k il est plus connu que d’autres. Pour eux c’est lui le meilleur rappeur français !
A : Peux-tu revenir sur ta connexion avec Hornet la Frappe, pour « Double H », un titre hors projet ?
H : Respect à Hornet et toute son équipe ! On s’était déjà connectés il y a quelques temps, mais j’étais dans French Riviera vol.2, je n’arrivais pas à le capter. Du coup ça a pu se faire plus récemment, j’étais à Paris, il m’a invité à son studio, on a fait le son. Et franchement, gros respect à son équipe, ils m’ont mis bien, ils m’ont ramené dans leur cité, m’ont présenté des gens. Toute la cité était contente que je sois là. Et en vrai la connexion est incroyable, je suis trop content de l’effet qu’elle a fait. Il y en aura sûrement d’autres, c’est un bon.
A : Sur Temps plein, le morceau « Ali et Ibrahim » se distingue particulièrement, et est surprenant de ta part, c’est la première fois que tu te frottes à l’exercice du story-telling. As-tu ressenti une difficulté particulière pour l’écrire ?
H : Le texte en lui-même je l’ai écrit en quinze minutes, devant Double X, il était choqué vraiment. L’histoire je l’ai bien racontée, trop facilement, et j’étais trop content parce que c’est un truc que je n’avais jamais fait avant. Rapper à la troisième personne, je ne l’avais jamais fait, donc je suis trop content. Et je suis content de l’histoire, de comment je l’ai amenée. C’est une histoire inventée mais qui se rapproche de ce que tout le monde a vécu. Il fallait que je sorte des blases qui n’avaient pas déjà été sortis, que j’invente une histoire à peu près nouvelle, sans reprendre celle d’une famille touchée par ça. J’ai essayé au maximum de faire dans la fiction, et le pire c’est qu’avec les évènements actuels, c’est un truc de fou d’avoir ce morceau… Le son je l’ai fait il y a trois mois, et en ce moment il se passe plein de trucs, l’histoire de Théo… Il y avait celle d’Adama… Trop de trucs. Donc vraiment j’aime bien ce morceau, il dégage une émotion particulière. Tous mes proches à qui je l’ai fait écouter ont été touchés.
A : Y a-t-il des story-tellings de rappeurs français que tu as toi-même beaucoup écoutés ?
H : Moi, j’avais été touché par Disiz la Peste, Les Histoires extraordinaires d’un jeune de banlieue. Quand j’étais gamin, j’étais touché par ce projet-là, et dans tout l’album il raconte des histoires. Et après, si tu regardes bien, le morceau ressemble à « Du ferme » de La Fouine, dans l’histoire. C’est ce que m’ont dit mes proches, et c’est forcément l’inspiration, c’est ce que j’écoutais avant. Quand j’étais petit j’étais un grand fan de rap, comme les gamins qui mettent des comms, sauf qu’il n’y avait pas le net. Mais je matais les magazines en librairies pour me renseigner sur ce qu’il y avait, quel rappeur a fait ci, quel rappeur a fait ça. J’étais grave un fan quand j’étais petit, j’écoutais vraiment tout… Je me souviens de Rohff, La Fierté des nôtres, je m’étais buté à cet album.
A : Tu sembles aussi avoir écouté pas mal de musique orientale non ? Tu cites d’ailleurs Cheb Hasni dans l’album.
H : Déjà il y avait beaucoup de raï chez moi. Je suis un vrai gadjo des cabarets, des ambiances raï. Quand j’étais petit, ma mère écoutait tout le temps Hasni. Et même après, quand j’allais au bled, adolescent, les mecs de mon âge là-bas ils buvaient, ils fumaient, et ils mettaient Cheb Hasni. Limite, ils pleuraient sur les morceaux, je me suis dit « ah ouais, c’est quelqu’un. »
A : Maintenant que tu as fait de ta passion un métier, que tu es à fond dans le rap, n’as-tu pas des moments de doute, des passages où tu te demandes ce que tu peux faire de nouveau ?
H : Non, car le sentiment que j’ai au fond de moi là, c’est que je suis trop fier. Je ne suis qu’au début de ma carrière. Après si ça doit s’arrêter ça s’arrêtera, mais je n’espère être qu’au début. Et j’espère que ce projet-là n’est que le début de tout ce que j’ai à dire. C’est comme ça que je me situe, je n’ai vraiment pas l’impression d’être en fin de cycle. Limite, c’est mon deuxième projet en gros, French Riviera vol.1 et 2, sortis en l’espace de six mois, font un projet, et Temps Plein est le deuxième. C’est mon fonctionnement, de faire tant de projets. D’autres font moins de projets mais ont plus de succès, et vice-versa. Personnellement je me sens vraiment bien, et je me sens jeune dans le rap, un gamin.
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