Grim Reaperz
Grim Reaperz, duo de beatmakers français, a récemment signé chez Enemy Soil Records, label de Vinnie Paz (Jedi Mind Tricks). Retour sur cette très bonne nouvelle, qui devrait constituer un tournant dans les carrières de Crown et d’Oxydz.
Abcdr Du Son : Pouvez-vous présenter Grim Reaperz ?
Grim Reaperz : Grim Reaperz est un groupe de beatmakers formé de Crown et Oxydz. A la base on aurait du être plus, mais certains ont quitté le navire parce qu’ils jugeaient nos projets trop « risqués » ou trop underground. Car Grim Reaperz c’est avant tout une marque de fabrique, on prend la tendance à contre-courant. On ne cherche pas à plaire au plus grand nombre mais surtout à faire de la qualité et avant tout la musique qu’on kiffe, qu’on aimerait écouter quand on allume la radio, au lieu de toujours tomber sur des trucs bidons. On est des perfectionnistes, du coup on s’impose aussi beaucoup de rigueur par rapport aux mixes.
On s’inspire bien sûr de grands artistes hip-hop tels qu’Alchemist, RZA, Stoupe, DJ Premier… Mais on prend aussi beaucoup à la soul, la musique classique, aux B.O. de films d’horreur, au heavy metal… Pour en faire un hip-hop qu’on pourrait voir comme sonnant « à l’ancienne », mais en faisant évoluer le style au maximum pour le faire sonner actuel. On se sert de tous les outils et toutes les influences qu’on peut trouver dans ce qui se fait de mieux aujourd’hui. Le but est de faire évoluer le style jusqu’à sa maturité.
A : D’ailleurs, pourquoi avoir choisi ce nom, Grim Reaperz ?
GR : Notre truc c’est le rap, le vrai rap, le real hip-hop, celui du Wu-Tang, de Mobb Deep, de Cypress Hill, de Jedi Mind Tricks, de Gang Starr… Ce style là a été souvent qualifié de « mort ». Et qui peut ramener le hip-hop à la vie à part la mort en personne ? D’où le nom Grim Reaperz, qui est le nom de la faucheuse en anglais.
« En plus d’une satisfaction personnelle, la signature chez Enemy Soil nous paraissait évidente. »
A : Crown, l’Abcdr t’avait interviewé il y a un peu plus d’un an. Tu venais de placer deux prods sur The Unholy Terror , le troisième album d’Army of the Pharaohs. Apparemment, cette connexion n’est pas restée sans suite puisque Vinnie Paz vous a proposé de signer sur son label, Enemy Soil Records. Comment ça s’est passé au juste ?
Crown : Vinnie Paz a eu de très bon retours concernant les morceaux que j’avais produits, surtout pour « Agony Fires » avec l’intro en francais. Il nous a contactés pour la préparation de son deuxième album solo et divers projets Enemy Soil. Il avait gardé pas mal de prods, et cela nous a permis aussi en parallèle de participer a plusieurs albums de divers membres d’AOTP tels que King Magnetic, Celph Titled, Doap Nixon ou Planetary (Outerspace). Un maxi vinyle Army Of The Pharaohs produit par Grim Reaperz est d’ailleurs en préparation.
A : Quels étaient les arguments pour vous inciter à signer ? Avez-vous eu affaire directement à Vinnie Paz ?
GR : Des arguments simple : il nous propose de faire du travail de qualité avec des gens que l’on aime écouter. Jedi Mind Tricks est un des groupes de rap que nous écoutons depuis ses débuts, on s’est toujours retrouvés dans les instrumentaux et dans l’ambiance du groupe musicalement parlant. Les artistes de Army Of The Pharaohs se rapprochent vraiment du style que l’on travaille avec Grim Reaperz. Donc en plus d’une satisfaction personnelle, la signature chez Enemy Soil nous paraissait évidente !
Sinon on a toujours eu affaire à Vinnie, que ce soit à propos de notre affiliation ou pour le travail des morceaux. Pour Enemy Soil, on en parlait à distance depuis quelques temps, Vinnie en avait déjà discuté avec son staff avant de nous proposer l’idée. Puis on l’a rencontré pour évoquer le sujet plus concrètement quand il était en Suisse, pendant sa tournée avec ILL Bill pour Heavy Metal Kings. On s’est très vite mis d’accord car nous avons la même vision des choses par rapport à beaucoup de sujets.
A : Concrètement, le fait de signer avec Enemy Soil Records signifie quoi pour Grim Reaperz ? Quel va être votre rôle au sein du label ?
GR : Je pense que notre rôle sera avant tout d’apporter de nouvelles couleurs musicales aux albums du label. D’apporter notre touche personnelle, notre manière de voir tel ou tel artiste avec lequel on sera amenés a bosser. Il y a de très gros artistes dans ce label comme Jedi Mind Tricks, Vinnie Paz en solo, Heavy Metal Kings (Vinnie Paz et ILL Bill), AOTP, Outerspace, Jus Allah, Reef The Lost Cauze. Pour nous c’est l’occasion de vraiment faire du bon taf. On a aussi la lourde tâche de représenter le label en France, ou peut-être de représenter la France au sein d’un label cainri… En tout cas on sait que beaucoup nous attendent au tournant et qu’on a pas le droit à l’erreur !
« On s’en tape que le mec soit connu ou pas, pourvu qu’on se prenne une grosse claque. »
A : Le fait d’être désormais producteurs résidents d’un label va-t-il vous amener à moins collaborer avec des artistes qui en sont « extérieurs » ?
GR : Non, pas du tout. Au contraire, on espère vraiment que beaucoup d’autres artistes seront séduits par notre musique, et qu’ils décideront de prendre le risque de poser sur du gros son qui n’a rien à voir avec ce qui se fait. Je pense à des trucs décalés comme Freestyle de The Arsonists qui a posé dans notre EP Fuck U et qui est passé récemment à notre studio pour faire le plein.
On est attirés par les vrais artistes, ceux qui débarquent avec un univers à eux et qui t’y expédient à coup de grosse rimes tranchantes ! On s’en tape que le mec soit connu ou pas, pourvu qu’on se prenne une grosse claque. Des artistes comme Scylla, Radix, HTK Fullprod, Abraxxas qui est vraiment un artiste original car il a un style clairement identifiable, mélange de dubstep et de rap, Swann, Lord Willin, Matt Madox, Adlib, Godilla, Sopik, Tunnel Movement avec Kwote, Noah et Wordsplay, avec qui on se retrouve vraiment, Sycksyllables, Snak the Ripper, Psych Ward… Havre & Dire aussi qui est un groupe originaire du Havre, Furax… Je pourrais t’en citer beaucoup d’autres ! On est super ouverts du moment que c’est du bon.
A : Est-ce que cela implique des allers-retours au moins occasionnels entre la France et la côte est des États-Unis, ou est-ce que vous pourrez tout gérer d’ici ?
GR : On sera obligés de bouger là-bas de temps en temps car rien ne peut remplacer une présence physique. Si tu t’enfermes entre quatre murs tu peux pas prendre les vibes d’autres artistes, voir comment le public réagit en live, voir comment un artiste réagit la première fois qu’il écoute un de tes derniers sons… C’est compliqué de tout gérer à distance et c’est très limité. Par contre grâce au net, aux messageries et aux envois de fichiers sur un serveur, on peut quand même faire une grosse partie du travail d’ici. On a aussi notre propre studio d’enregistrement et on a régulièrement le passage d’artistes en tournée qui viennent se poser à la maison pour échanger et produire de nouveaux morceaux.
A : Ce deal va-t-il vous permettre de vivre de votre musique ?
GR : C’est une question très intéressante car elle soulève un débat qui est à la fois actuel, mais qui repose sur un problème bien connu et très ancien. Pour te donner un exemple, ma musique me fait super bien vivre pendant deux mois, c’est la folie totale je kiffe à mort ! Et puis pendant trois mois mon frigo est vide. A ton avis je suis seul dans ce cas ? Si je pouvais demander à un compositeur du 18ème siècle, il me répondrait la même chose…
Le problème c’est que la rémunération d’un artiste n’a rien a voir avec celle d’un mec en CDI. Notre revenu n’est pas juste lié au fait qu’on « pointe » au studio à la bonne heure. Il faut qu’on place des sons, que ces sons nous rapportent des droits d’auteur, que ces droits on les réinvestisse dans des projets personnels, que ces projets se vendent. Plus on bosse et plus on rentre de l’argent, il n’y a pas de secret. Si t’as pas le courage de prendre le risque, tu gagneras jamais rien. Alors pour te répondre honnêtement, ce deal joue un rôle énorme dans notre carrière et dans nos revenus… Notre frigo sera peut-être vide que la dernière semaine du mois ! Mais on a toujours pas envie d’un CDI parce que la vie d’artiste c’est la vie qu’on aime, et surtout celle qu’on a décidé de mener.
A : Pensez-vous que le fait de ne pas être Américains a joué en votre faveur ? Que c’est d’une certaine façon un moyen pour Vinnie Paz d’ouvrir son label sur l’international ?
GR : Je pense que Vinnie Paz a tout simplement kiffé notre travail et a voulu nous signer avant ses concurrents potentiels. Je ne pense pas que le fait d’être étrangers ait joué réellement en notre faveur d’un point de vue musical, pas à ce niveau en tout cas. Je ne pense pas que Vinnie Paz cherche à signer des groupes étrangers, mais vraiment des gens qui font un travail différent du reste. Il y a des beatmakers très forts dans tous les pays mais ils se cantonnent à faire des trucs dans le style à la mode alors que nous on fait ce qu’il nous plait.
Vinnie nous a testés en nous demandant un remix pour « Bodysnatchers », dont le beat avait été produit par DJ Premier à l’origine. Il l’a envoyé à pas mal de monde. Je pense que ce qui nous a vraiment différencié des autres, c’est notre originalité par rapport aux modes actuelles. On a vraiment réussi a se construire un style propre, une couleur perso. C’est suite a ce remix qu’il nous a contactés pour une signature sur son label.
Même si Enemy Soil Records est un jeune label, Vinnie Paz ou Jedi Mind Tricks sont loin d’être inconnus en France. Paz nous a clairement dit que cette affiliation reste avant tout un échange, l’opportunité selon ses propres mots de « s’entraider et d’avancer en famille« . Donc sûrement que Enemy Soil sera plus visible en France via notre parcours ici, mais de l’autre côté le label nous permet aussi d’accéder à un public plus large aux États-Unis. C’est vraiment un échange de bons procédés. Paz est un amoureux de la musique, il aime ce qu’il fait et il a toujours fait ce qu’il aime depuis tant d’années, les puristes le savent.
« On ne peut pas se permettre de sortir un album pour sortir un album. »
A : Votre premier EP, Fuck U, est sorti il y a peu de temps. Votre nouvelle situation vous offre-t-telle une opportunité de sortir un long format à moyen terme, ou est-ce que dans les prochains temps il faut surtout s’attendre à vous voir placer des prods sur des projets autres que les vôtres ?
GR : Fuck U c’est un peu une présentation du groupe, une carte de visite. C’est un passage obligatoire pour que les gens sachent ce qu’est le groupe Grim Reaperz et puissent nous identifier musicalement. Actuellement on travaille sur plein de projets. On a nos albums solo sur lesquels on bosse depuis un moment, mais aussi des apparitions sur beaucoup de projets du label Enemy Soil, comme l’album de Vinnie Paz, le solo de Planetary (Outerspace), ou sur des projets divers comme l’album de Future Proche, celui de Scylla, de Doap Nixon, Celph Titled, King Magnetic… On aimerait sortir un format long, c’est même un projet qui nous tient à cœur. Mais pour l’instant on a que très peu de temps pour y travailler. Le truc c’est que pour ce genre de projet il faut arriver avec un produit bien ficelé et une finition impeccable. On ne peut pas se permettre de sortir un album pour sortir un album.
Par contre un CD de remixes est prévu d’ici la fin d’année. On bosse aussi occasionnellement chacun de notre coté. Oxydz a posé un gros son sur l’album de G-Zon (La Meute) qui sort en fin d’année par exemple, et Crown travaille sur son deuxième album solo, plus découpage soul-jazz avec des invités de qualité comme Saigon, Masta Ace ou Flynt pour le coté frenchie.
A : Quels sont vos projets dans l’immédiat ? Quelle va être la première manifestation de cette collaboration avec Enemy Soil ?
GR : Comme je te le disais avant, on travaille sur les LP des artistes du labels comme Vinnie Paz ou Outerspace, mais aussi pour plusieurs membres d’AOTP qui sortent leurs solo comme Doap Nixon, Celph Titled, King Magnetic… En fait on essaie au maximum d’apparaitre dans tout ce qui sort chez Enemy Soil. Mais le dernier mot revient toujours au MC et il faut qu’il y ait des beats qui lui plaisent dans ce qu’on envoie. Il ne faut surtout pas croire qu’ils nous font la vie facile, ce sont des artistes très exigeants malgré tout.
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