Gaël Faye, entre Pili Pili et croissant au beurre
Moitié du duo Milk Coffee and Sugar, Gaël Faye prépare la sortie de sa première échappée en solo. Pili Pili sur un croissant au beurre a tout pour figurer parmi les heureuses surprises de l’année en cours. Rencontre où il est question de vie entre France et Afrique, de Motown, de Sang d’Encre et de son groupe Milk Coffee and Sugar.
Abcdr Du Son : Ton premier album solo Pili Pili sur un croissant au beurre est une mosaïque d’influences, de tonalités et thèmes très différents.
Gaël Faye : Je considère que la cohérence de l’album se trouve dans les textes. Sur ce disque, je parle de plein d’étapes clefs de ma vie. Et en fonction de ces étapes, j’ai voulu y mettre la musique qui correspondait. Celle qui me semblait le mieux illustrer ces moments. On a aussi voulu travailler le mix pour rendre le tout très homogène. Au niveau des musiciens, de la guitare notamment, on a essayé de créer des ponts entre chacun des morceaux.
A : Avec une telle diversité, le choix des premiers extraits apparait encore plus important…
G : C’est clair. Avec les équipes de Motown, on est tombé d’accord pour mettre en avant un titre : « Je pars ». Musicalement, il a un vrai truc qui symbolise assez bien l’album. Il a un refrain dynamique, des couplets basse-batterie. Pour ce qui est du choix du premier clip qu’on a pu sortir, « Petit pays », c’était autre chose. Ça nous semblait important de sortir un morceau très personnel, très autobiographique. Quelque chose qui parte du Burundi pour venir jusqu’ici. Tout en parlant du génocide au Rwanda. Ce sont des thèmes qui m’ont poussé à écrire cet album. Après, choisir un single c’est quelque chose d’assez compliqué. Et c’est aussi pour cette raison qu’on a clippé beaucoup de morceaux. Avec un panel très différent.
A : Avant de débuter cette interview, tu évoquais quelques-uns des morceaux qui t’ont particulièrement marqué. Tu citais notamment « Blessé dans mon ego », morceau solo d’Ekoué sur Le poison d’avril…
G : Oui, en fait, c’était la première fois que j’entendais un morceau sur ce rapport entre ce que tu es ici, en France, et là-bas, en Afrique. Sur ce que tu projettes quand tu retournes au pays pendant l’été. En plus, il parlait de ce côté « le cul entre deux chaises« . C’est la première fois que j’entendais cette expression et ça m’a vraiment parlé. Il mettait des mots sur un sentiment diffus que je pouvais avoir. Je me suis reconnu sur certaines phrases, certains points. Même si j’ai une histoire différente. Je ne suis pas un fils d’immigré, je suis un exilé. J’ai un regard autre quand je retourne au pays. Après, je pourrais citer d’autres morceaux qui m’ont aussi marqué, comme « Entre deux mondes » de Rocca.
A : Tu as signé en licence chez Motown France pour cet album. Ça change quoi concrètement pour toi ?
G : Ça nous aide beaucoup avec Edgar, mon acolyte de Milk Coffee and Sugar et ma manager Touria. En 2010 on avait sorti notre premier album Milk Coffee and Sugar. Autoproduit et en totale indépendance. On a réussi à vendre 5 000 albums. On a tout porté à bout de bras. Et malgré les concerts, beaucoup de retours positifs du public, on se rendait compte que c’était compliqué. Tu avais des gros auditeurs de rap qui nous disaient parfois de ne jamais avoir entendu parler de nous. Malgré notre investissement, on sentait ce plafond de verre au-dessus de nos têtes…. Du coup, on a essayé de trouver des gens à même de comprendre notre projet et notre démarche. On est un groupe en développement et on s’est bien compris avec Motown là-dessus. Être en licence ça devrait nous apporter plus de visibilité.
A : Vous recherchiez de la visibilité et un certain conseil sur l’artistique également ? Notamment dans le choix des extraits à mettre en avant ?
G : Mouais…. [NDLR : L’air peu convaincu] À vrai dire, je pense qu’on a assez de flair pour savoir ce qui peut marcher dans notre musique. Sur le premier album de Milk Coffee and Sugar on a mis en avant « Alien » qui est un titre en piano-voix où je suis en solo. C’est le morceau qui ouvre l’album et on a fait un clip pour ce titre. Les gens du métier nous disaient qu’on était dingues, qu’il fallait pousser un autre titre avec un refrain chanté par une nana. Mais nous on savait que « Alien » c’était le morceau qui nous représentait le plus. Et à mon avis, on ne s’est pas trompés. Ce titre, c’est celui qui revient le plus quand on vient nous voir. Je pense qu’on a un certain flair…. après, quand on est en indé’, on a tellement la tête dans le guidon qu’on passe parfois à côté de certaines occasions.
A : Tu évoquais Milk Coffee and Sugar, dont tu fais partie avec Edgar. Ton album solo, tu le vois comme une prolongation de cette aventure collective ?
G : Oui, c’est complètement ça. Avec Edgar, on fait aussi partie d’un collectif qui s’appelle Chant d’encre. Chant d’encre regroupe cinq personnes et c’est un vrai laboratoire d’expériences pour nous. On a travaillé de façon très collective sur mon album. Edgar a fait beaucoup d’arrangements, il a aussi fait des instrus qu’on a bossé ensuite avec les musiciens, il a validé les textes que j’ai écrits. C’est un vrai travail collectif cet album. Comme lorsque lui sort des romans, on profite de la scène pour parler de ses bouquins. D’ailleurs, il vient de sortir un recueil de poésie : ‘tite chose. J’espère que mon album solo permettra d’accrocher de nouvelles personnes pour ensuite revenir sur un deuxième album de Milk Coffee and Sugar. On est les VRP de notre musique et de nos productions ! [rires]
A : Tu dis « je ne suis pas rappeur, je suis virevolteur« . Qu’entends-tu par-là ?
G : Je suis rappeur jusqu’au bout des ongles, pas de problème là-dessus. Mais quand j’ai écrit mon premier texte, « A-France », je me suis rendu compte que je le faisais pour exprimer mon sentiment d’exilé. Ce côté cul entre deux chaises. Ce premier texte, il ne m’est pas venu parce que j’ai vu MC Solaar ou Benny B. à la télévision. Si le mode d’expression de tout ça, ça a été le rap, c’est pour d’autres raisons. Avant le rap, je me définis à travers l’écriture.
A : Tu évoques au travers d’un de tes morceaux tes deux années passées à Londres. Où après tes études, tu avais débuté une vie de jeune cadre dynamique….
G : J’étais un peu en pilotage automatique. J’ai eu mon Bac, ensuite j’ai voulu faire plaisir à la famille. J’ai fait une école de commerce, des études de finance. Jusqu’à avoir un Bac +5. Tu arrives là et tu te demandes comment tu as fait. Après, tu enchaines sur un taf’, tu as un peu de thunes pour te payer tes heures de studio le soir… Mais je me suis rendu compte que cette vie me bouffait intérieurement. L’idée de mettre de l’argent de côté et de se lancer dans cinq-dix ans, je me suis dit que c’était une erreur. Il n’y a pas de moment idéal. Le moment idéal c’est quand tu le fais. Ce morceau, il n’est pas à la première personne parce qu’au final, ce que je décris, c’est la vie de plein de gens.
A : L’écoute de ton album dévoile une palette d’influences assez large. Tu peux nous en dire un peu plus ?
G : Je reste un enfant du rap français des années quatre-vingt-dix. De Time Bomb aux Sages Po’ à 45 Scientific. J’ai été dans un label qui s’appelait Squate Sqy. Label qui bossait beaucoup avec Jean-Pierre Seck. On a fait les mixtapes Sang d’encre. J’étais à Saint-Quentin-en-Yvelines à l’époque, je voyais les Lunatic régulièrement. J’étais vraiment dans cet esprit-là. Ce sont aussi eux qui m’ont amené à rapper comme je peux le faire aujourd’hui. Pour ce qui est du jazz, je l’ai beaucoup découvert avec les musiciens avec qui je peux tourner. Ils viennent de cet univers. La musique africaine aussi… j’ai grandi avec de la Rumba dans les oreilles.
A : L’album doit sortir en septembre ?
G : Oui, il est prévu pour le 24 septembre. En attendant, un EP cinq titres va sortir le 18 juin. Il comportera des morceaux qui sont sur l’album. Le 19 juin, je vais présenter de nouveau l’album à La Maroquinerie. J’y serai accompagné de quelques invités.
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