Franck Dureau, la passion comme moteur
Interview

Franck Dureau, la passion comme moteur

Après 6 million ways to dig sorti fin 2021, Franck Dureau « Da Cockroach » sort cet automne 2023 We can’t be stopped, son deuxième livre. Si le premier donnait pléthore de disques rap US à (re)découvrir par le biais de témoignages de passionnés, ce dernier garde la même marque de fabrique en présentant cette fois-ci de nombreux récits autobiographiques et autres réflexions autour du hip-hop.

Photographies : Orsolya Rozmis Dureau et Gustavimages

« Nettoie la société, tue les clones ». Inconsciemment, les premières phrases murmurées au début de « Asphalte hurlante », morceau-titre du premier album de La Caution, pourraient répondre en écho à la préface de We can’t be stopped. Et si cette dernière qui présente le nouveau livre de Franck Dureau sous un œil dystopique se veut un brin alarmiste (qui a dit lucide ?), elle est surtout une ode à une musique qui tend à disparaître, perdue dans les limbes des catalogues grandissant des plateformes de streaming où les chiffres comptent plus que les intentions. Elle sous-entend aussi des interrogations. Le rap est aujourd’hui la musique la plus streamée : oui, mais à quel prix ? Combien de raps existent-ils aujourd’hui ? Est-il toujours conforme aux attentes de celles et ceux qui ont grandi avec le rap des années 80 ou 90 ? Enfin, elle est aussi un message de résistance venu de l’underground. Un mot qui revient souvent chez Franck, pour dire : « nous avons une voix, tout est possible. » Comme ce livre de plus de trois cent pages, fabriqué dans l’imprimerie bordelaise où travaille son auteur, ou devrait-on dire son créateur, et qui convie autant d’acteurs reconnus du rap français que d’auditeurs anonymes – dont l’auteur de cet entretien. Présenté par Franck comme un « devoir de mémoire », le livre est l’aboutissement de deux ans de travail entre prises de contacts, rencontres, retranscriptions de témoignages, mises en page, collages de reliure et mises sous cellophane. L’occasion pour l’Abcdr de le rencontrer pour un entretien revenant sur la scène hip-hop de Bordeaux dont il a fait, et fait toujours, partie, sur la conception de ce livre et du précédent, mais aussi sur le regard de Franck sur une culture qui l’anime depuis son adolescence.


Abcdr du Son : Quel est ton background et comment es-tu tombé dans la culture hip-hop?

Franck Dureau : Je suis de Toulouse. J’ai été éduqué dans une famille où la culture était déjà présente. Il y avait beaucoup de disques, de vinyles, de cassettes vidéo à la maison. Dans un premier temps, j’ai été amené à me poser sur tous ces supports physiques qui ont attisé ma curiosité. Mais à la base, je n’écoutais pas forcément de hip-hop, j’écoutais un peu de tout. L’élément déclencheur a été lorsque je suis parti de chez mes parents assez tôt pour faire des études de dessin publicitaire sur Bordeaux. J’avais quinze ans. Là, j’ai découvert un tout autre monde. Déjà, je venais de Toulouse mais plutôt côté campagne donc je n’avais pas vraiment accès à toute cette culture street, cette culture hip-hop que j’avais écouté parmi d’autres musiques comme la techno ou le mainstream. Quand je suis arrivé à Bordeaux, c’était le choc culturel. C’était la fin de l’année 1995, des amis de classe étaient à fond dans Ministère A.M.E.R mais ils étaient déjà dans le hip-hop depuis longtemps. Donc grosse claque ! C’est le coup de foudre de suite. Du jour au lendemain, je réalise que c’est vraiment ce que j’aime. Je me plonge à fond dedans et je rattrape mes lacunes, parce que lorsque tu arrives dans cette culture en 1995, il y a déjà deux, trois wagons qui sont passés. Donc je commence à acheter mes premiers CDs de façon sérieuse, dont la Fonky Family. Bon, celui-ci était un peu après mais c’est un des premiers qui me vient à l’esprit, parce qu’il m’a vraiment marqué. Bref, je suis à fond. Bordeaux est à ce moment-là une ville où les rues sont remplies de tags. La rue est crade de flops [NDLR : technique de graffiti avec un lettrage en forme de bulle], il y a des endroits désaffectés où ça graffe. Ce n’est pas le Bordeaux d’aujourd’hui qui a été gentrifié, on est vraiment dans une ambiance avec les vieux bus accordéons, les gros poscas noirs, ça tague partout. C’est gris, c’est sombre. Bon ce n’est pas le ghetto de New York non plus mais il y a vraiment une ambiance singulière. En plus c’était l’époque d’Ärsenik, on était tous en Lacoste. [Rires] C’est comme ça que je mets mes deux pieds dans la culture hip-hop.

A : Concernant la scène rap à Bordeaux, vers le début des années 2000, il y avait le groupe Kroniker qui avait eu un morceau sur un sampler du magazine Groove. Y-a-t-il eu d’autres groupes importants au sein de la ville ?

F. D. : Oui, Kroniker est un des groupes les plus connus de Bordeaux. Ce sont des précurseurs avec D’Oz qui faisait partie du groupe et qui avait un morceau culte avec Triptik. [NDLR « Le piège » sur Microphonorama] Après tu as vraiment toute une vague underground du dee-jaying et du rap à Bordeaux entre 1996 et 2002, comme le groupe Psycatrice, Mission 101, etc. Il y a DJ Steady, une de nos fiertés locales, qui est même sponsorisé par Tribal, une marque de streetwear, qui fait des gros featurings et qui est validé par Marley Marl aux États-Unis. Il y a Grems qui à l’époque est sur Bordeaux, Booba Boopsa, les compilations Maximum Boycott. Il y a beaucoup de DJs, des gros techniciens comme Argo qui est un des supers gars du scratching à Bordeaux. Et puis on a des salles qui accueillent la culture hip-hop. Et il y a des assos qui se bougent comme Asphalt qui organisent des soirées hip-hop, qui remplissent des salles de mille personnes juste en programmant des groupes de rap underground, des breakeurs… Ça parait surréaliste aujourd’hui. C’est l’effervescence à ce moment. Tu as le Zoobizarre qui est une salle culte de Bordeaux qui a accueilli Cannibal Ox, Sage Francis, Triptik, Looptroop. Aller là-bas chaque mois, c’était vraiment du pain béni. Après c’est devenu l’Heretic et le Void, deux superbes lieux de vie des cultures underground. Malheureusement, ça a fermé définitivement il y a peu, mais c’était une salle mythique à Bordeaux. Gros respect à eux, Big up Pierre-Antoine !

A : J’ai l’impression que malgré cette effervescence, ça n’a pas pété comme par exemple à Marseille où la scène locale est connue du grand public. C’est resté assez underground.

F. D. : Non. Ça n’a pas pété. On était entre deux. On voyait vraiment Marseille se détacher. Dans le Sud-Ouest, la majorité des gens que je connaissais était vraiment fan du côté marseillais parce que IAM, la Fonky Family, Le 3ème Œil nous avaient tous fracassé la tête même si on adorait le rap parisien, La Cliqua, les 2 Bal 2 Neg entre autres. On se sentait des affinités proches avec le côté marseillais. Mais nous à Bordeaux, il n’y a pas de groupe qui explose. Kroniker était le groupe le plus connu. Il y a Sam’s qui a une certaine notoriété, aussi pour ses talents d’acteurs, qui est de Bordeaux mais il me semble qu’il vit à Paris aujourd’hui.
Donc on vit cette époque à Bordeaux avec l’envie de créer des choses. Il y a beaucoup de groupes et de gens qui sont en avance sur nous. Moi, je ne suis même pas encore en train de me poser la question si je vais faire quelque chose dans le mouvement. Je suis juste auditeur mais je sens que ça me démange. Mais je ne sais pas quoi faire. Écrire des textes, j’ai essayé ; la danse, je suis encore plus nul. [Rires] Faisant des études dans le dessin, je me dis que je vais graffer mais je ne suis pas terrible non plus. Donc je me cherche. La passion d’acheter, collectionner, écouter déjà me suffit : je décortique les disques, les pochettes. En attendant, avec un ami très cher on décide de créer une collection de tee-shirts hip-hop sous le nom de 4 Unity. Un bon souvenir, même si notre manque d’expérience ne nous emmènera pas très loin dans l’aventure.

A : Avant d’en arriver à ce deuxième livre, tu as publié fin 2021 ton premier ouvrage, intitulé 6 millions ways to dig. Mais avant d’en arriver à ces deux œuvres, est-ce que tu as eu d’autres expériences autour du rap ?

F. D. : Oui, il y en a eu beaucoup. Il y a eu ma rencontre déterminante en 2001, avec mon ami VII, le rappeur de Bayonne. Il m’est présenté par un ami du lycée,  Âme Graphic, qui possède un groupe avec lui depuis de nombreuses années. On devient très vite inséparables. On passe tous nos week-ends à écouter des disques, à mater des films d’horreur, des films de genre, des films asiatiques, à refaire le monde, à rêver de nos futurs projets. Lui fait déjà de la production sur une MPC 2000 XL grise, il a déjà l’expérience. VII finit par nous convaincre de monter notre propre label qui s’appellera Sonatine Musique,sur lequel sortira le premier album de Fayçal en 2006, Murmures d’un silence. On est cinq sur le label. Je commence à acheter une MPC alors que je ne fais même pas encore de son. Je commence par signer une co-prod sur l’album de Fayçal [NDLR : sous le nom de 2FCH] puis on sort beaucoup de projets qui vont marquer les esprits dans l’underground dont le premier album de VII Lettre morte, ainsi que mon premier album en tant que producteur Saison grise qui est une compilation composée d’artistes du label. On monte ensuite le label Rap And Revenge inspiré par nos passions du moment : Non-Phixion, Necro, Jedi Mind Tricks et les films d’horreur. On va chercher des samples dans d’obscures séries B, les disques de Goblin, un groupe italien de rock progressif, etc. Je l’accompagne jusqu’en 2010-2011 et puis, progressivement je quitte le navire. Je n’ai plus d’inspiration dans le beatmaking et j’arrive à saturation. Je ne peux plus rester comme un rat dans ma chambre qui me sert de studio, ça ne me correspond plus. Il faut que je prenne l’air, j’ai besoin de sortir et de faire quelque chose dans le mouvement qui va vers le public. Donc je décide de quitter le label. Mon pote VII continue la route sans moi. Il a toujours son label aujourd’hui, il a sorti des dizaines d’albums sans moi mais on a toujours cette amitié profonde et des échanges réguliers autour de nos projets respectifs. On se soutient mutuellement.

A : Et donc là, on est en 2011 à peu près, comment germe l’idée du premier livre qui sortira dix ans plus tard ?

F. D. : Progressivement. La petite parenthèse qu’il faut savoir, c’est qu’avant de monter le label Sonatine, avec VII et Âme Graphic, on a sorti un fanzine rap et politique qui s’appelait La Clandestine. J’en garde un bon souvenir, ça m’avait vachement plu de faire ça en équipe et de fabriquer ces trois numéros dans mon imprimerie, déjà, à l’époque.
Après mon départ du label en 2011, je redeviens un simple auditeur et collectionneur de disques pendant deux ans. Je me pose beaucoup de questions et j’ai envie de faire des choses. Je n’ai jamais mixé, mais, déterminé, je décide de m’acheter des platines vinyles. Je rentre tous mes albums originaux dans le Serato de mon ordinateur et je bosse à fond pendant deux ans, je veux vraiment maîtriser le mix au tempo. Je ne scratche pas mais je veux arriver à faire un truc propre et surtout j’ai envie de partager ma collection avec le public. En même temps, je commence à organiser des concerts. C’est à ce moment que je monte ma structure Life Boom Bap And Death. Je fais venir Furax Barbarossa à Bordeaux, on fait salle comble à l’époque où il n’a pas encore explosé mais tu sens que ça va arriver. Par la suite, j’organise une énorme soirée ode aux beatmakers avec entre autres Azaia, Kyo Itachi, Venom, Cris Prolific. Et en même temps je mixe. Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, vu que j’organise les concerts, soit je fais le warm-up soit je fais l’after. Je mixe, j’apprends, j’ai des sensations qui viennent que je trouve plaisantes. Cela fait maintenant environ six ans que j’organise des soirées mix à l’IBOAT de Bordeaux. En fait, quoi que je fasse, l’objectif est de promouvoir la culture underground, promouvoir le hip-hop, faire découvrir aux gens des classics, des nouveautés indés, prendre du plaisir, s’amuser. Que ce soient les livres, les mixes ou les concerts. C’est juste le moyen qui change mais l’objectif reste le même : ce n’est pas de me mettre en avant, c’est de mettre en avant tous les gens qui font des choses que j’aime. J’ai envie que les gens découvrent Venom, Azaia, VII, Kyo Itachi, Furax. J’ai envie qu’ils comprennent ce qu’il y a derrière Non-Phixion ou même Paris, qu’ils ne s’arrêtent pas à 2Pac ou Snoop. Donc avec ces soirées, j’arrive à créer un noyau dur à Bordeaux : une trentaine de passionnés qui sont surtout humainement extraordinaires, des personnes très fidèles et agréables à côtoyer. J’intègre des DJs comme mon ami Ringo dans mon « collectif » et je vois que la sauce prend. Il y a une belle énergie qui me pousse à vouloir faire plus. Et là le covid arrive. Tout s’arrête. Plus de soirées, plus de mix. Il n’y a plus de partage, je suis chez moi et je cogite. Le 31 décembre 2020, je regarde ma collection de disques, et l’idée me vient subitement : je vais faire un livre fédérateur sur le rap US. Le 1er janvier, je commence à contacter tous mes amis, tout mon réseau underground et je vois que ça accroche aussi avec une ou deux têtes un peu plus connues. Donc je me dis : « Je n’ai rien à perdre, je vais contacter des gens plus célèbres du mouvement hip-hop français. » De fil en aiguille, il y a des gens comme Sébastien Damiani, pianiste affilié à IAM, qui m’aide beaucoup sur le premier bouquin. C’est lui qui me présente Olivier Cachin ou encore Faf Larage. Il prend ça vraiment à cœur et s’investit vraiment. Je ne le remercierais jamais assez, même si sur le second il ne participe pas parce qu’il est très occupé. Lui et d’autres, je pense à Real Muzul, m’ont beaucoup aidé pendant le confinement. On avait tous plus de temps et aussi l’envie. Le premier bouquin s’est construit comme ça.

« Je ne voulais pas qu’il y ait d’échelle pyramidale dans la passion. »

A : Il y a de plus en plus de livres qui documentent le rap ces dernières années. Comment est-ce que tu te positionnes dans cette offre qui ne cesse de se développer ?

F. D. : Je suis indépendant et je fais tout moi-même. Quand le premier livre est sorti, ce qui est revenu à mes oreilles est que l’on me considérait comme un artisan du hip-hop. Tout ce que j’ai fait dans ma vie, dans la musique ou dans la création, c’est fait avec des bouts de ficelles, avec ce que j’ai autour. C’est dans l’imprimerie où je suis employé que j’ai découpé et pelliculé chaque marque-page, que j’ai procédé au collage de chaque reliure, que j’ai mis la cellophane sur chaque livre. C’est de l’artisanat, c’est vrai. Cela me permet de gérer chaque étape de la conception. Techniquement, je ne peux pas me payer une couverture cartonnée qui sublimerait le livre mais je fais ça avec mes moyens, en indépendance totale. Je suis le seul investisseur dans ce projet donc ça implique des gros risques financiers à mon échelle, mais le but ultime est de faire en sorte que le livre soit unique et beau, quoi qu’il en coûte. Je veux qu’il reste une trace de tout cela, pour l’éternité.

A : Le mot « underground » revient fréquemment dans tes deux livres. Pour toi, quelle place doit avoir la culture hip-hop dans les médias sans que l’on altère son identité originelle ?

F. D. : Ce que j’ai en tête depuis très longtemps, et c’est une discussion que j’ai eu souvent avec Azaia de manière utopique car on n’a pas les moyens de le faire pour le moment, c’est qu’il faut reprendre ce qui nous appartient. Parce qu’aujourd’hui, sans rentrer dans les détails, je pense que la majorité des médias, qu’ils soient mainstream ou pas, sont détenus par des gens qui ne sont pas tous passionnés. Si on avait les moyens de créer quelque chose… [Il se reprend] Si tous ces passionnés mettaient de l’argent et que l’on arriverait à se structurer, de passer de l’état « underground / bouts de ficelle » à celui de « structure », le monde du hip-hop français changerait. Parce que bien sûr que la moitié des gens veulent du mainstream, ils veulent ce qu’il se fait aujourd’hui ; on n’est pas là pour lutter avec ce mouvement-là. On est là pour que le nôtre reprenne ses droits. Et je pense que si on était une centaine d’ »actionnaires », comme une société autogérée façon communisme, si on arrivait à gérer notre culture avec notre argent et nos médias, on arriverait à gérer beaucoup plus de choses. L’image du rap serait différente et on aurait plus de moyens pour faire de belles choses. Mais bon, ce ne sont que des mots ! [Rires] Je ne suis personne pour donner des leçons mais c’est ma vision. Peut-être qu’un jour, on aura les moyens de le faire, que l’expérience et les années passées à tous créer dans notre coin nous permettront de le faire. Dans ce cas, j’espère que je serais encore en vie et que je serais de la partie !

A : Je vais jouer le rabat-joie de service mais j’ai le sentiment que l’on a déjà essayé de faire cela à plusieurs étapes. Certains ont créé des chaines télé dans les années 2000 qui finalement n’ont pas vraiment marché. Il y a eu l’apparition des blogs vers le début des années 2010, des médias qui se sont construits via Internet. Il y a même eu en France une cérémonie il n’y a pas longtemps faite « par nous pour nous » mais dont le résultat, c’est mon avis personnel, n’est pas à la hauteur des espérances. J’ai l’impression que l’on s’est pris les pieds dans le plat avec des grandes firmes qui récupèrent notre sauce, l’édulcorent et la détournent à leurs fins. L’indépendance, même si le chemin est difficile, n’est il pas le seul moyen de garder le contrôle et comment faire la balance parfois avec des propositions financières alléchantes ?

F. D. : En effet tu as raison, je n’ai rien inventé, de multiples personnes ont essayé ce genre de projet, mais comme tu le dis à la fin de la question, ma vision reste cent pour cent indépendante. Pas de compromis, pas de pacte avec le diable, on garde le même fonctionnement actuel des choses mais on avance en équipe, avec de nombreux labels indés, des artistes underground et on structure les choses à notre manière. Je ne te parle pas de pop urbaine ni de variété inspirée du rap, je te parle de culture hip-hop.
Je vais te sortir une expression tellement bateau mais tellement vraie : real recognize real ! Je crois en cela, mais cet adage fonctionne sur les valeurs, le respect, l’écoute, le partage… L’objectif n’est pas de créer une secte boom bap, juste une réunion des plus grands passionnés et activistes capables de mener à bien notre mission : partager au maximum notre culture, continuer notre travail de « devoir de mémoire », tout en créant encore et encore, en essayant de vivre de cela. Utopique, mais dans l’histoire de l’humanité, certains ont relevé des défis bien plus grands.

A : Ce qui m’a marqué dans tes deux bouquins, c’est que tu as rassemblé tous les types de profils. Il y a autant d’acteurs notoires du mouvement que de simples auditeurs. Quels ont été tes critères pour cette sélection ?

F. D. : Justement, je ne voulais pas qu’il y ait d’échelle pyramidale dans la passion. C’est con ce que je vais dire mais ces livres-là, ce sont mes livres. C’est-à-dire qu’il n’y a que moi qui peux les créer parce que j’invite des amis à moi aussi. J’ai vraiment choisi mon entourage. Dans le deuxième par exemple, on retrouve mon épouse qui est une fan inconditionnelle de Depeche Mode, tu peux aussi trouver mon tatoueur qui a illustré le récit de Pone, ou mon frère de cœur qui vit à Berlin et qui adore la techno. Pour moi, c’était rendre hommage aux passionnés et les passionnés passent forcément par mes proches. Ils ont tellement d’importance pour moi que je ne voyais pas un livre avec seulement les mecs du hip-hop. Bien sûr, tu peux trouver Dee Nasty et Rocca, dont les témoignages sont incroyables, mais tu peux retrouver la scène underground française, des potes comme Azaia, et tu retrouves aussi des mecs passionnés, auditeurs ou journalistes qui sont « actifs ». Puis on retrouve aussi des gens lambda et tout ça donne ces livres-là. Ce qui m’intéresse, c’est le contenu, pas l’accroche. Mais je ne vais pas te cacher que c’était inespéré pour moi de travailler avec des légendes du rap que j’ai pu écouter pendant mon adolescence ! J’ai eu Kohndo, Rocca, Chimiste, JR Ewing, La Cliqua au complet presque !

A : Ces connexions et cette expérience que tu as acquises lors de la réalisation de ces deux livres ont-elles pu t’ouvrir d’autres portes ?

F. D. : Aujourd’hui, les gens voient que je suis un vrai passionné actif et demandent à travailler avec moi sur certains projets. Ça fait plaisir. On a un projet commun avec Kohndo sur un EP d’un rappeur de Bordeaux qui s’appelle Doc X. Je vais également travailler sur la biographie du producteur Eric Blaze et celle de Kyo Itachi. Et plus proche dans le temps, je suis en train de travailler avec Loco Rodriguez de La Casa del Phonky sur un livre de photos qui retrace les trente années de carrière du groupe. Donc comme tu peux le constater, il y a trois, quatre projets en cours. Je suis très content de travailler avec Eric Blaze qui a vécu et travaillé à New York, côtoyé DJ Premier et Lord Finesse. Ce sont des expériences humaines fortes.
Donc pour en revenir à ta question : ça m’a ouvert des portes qui étaient déjà entrouvertes avec le travail que j’avais fait avec VII dans l’underground. Même si là, ça a pris une dimension supplémentaire. Mais honnêtement, je n’ai jamais cherché à courir derrière des mecs connus, ni même chercher des autographes dans des concerts ou parler à des gens célèbres. Ce n’est pas mon truc, au contraire. Je déteste les gens qui se disent être potes avec untel parce qu’ils l’ont vu une fois une minute. C’est le genre d’attitude qui me débecte un peu justement dans le mouvement hip-hop. Et au contraire lors de l’élaboration de ces bouquins, j’ai le sentiment d’avoir construit des relations sincères avec certaines personnes qui m’apportent beaucoup. J’ai pu côtoyer des gens d’expériences qui ont un vécu sensationnel. Toutes ces rencontres m’ont permis d’apprendre énormément de choses. Par exemple, Rocca, que j’ai pu rencontrer lors d’une soirée grâce à Nina Karine et Diez, son vécu entre Bogota, New York et Paris, est bigger than life ! Ce sont des choses qui te nourrissent et t’inspirent. Et que l’on retrouve donc dans ce deuxième livre.

A : We can’t be stopped compte plus de trois cent pages qui se grignotent un peu en piochant aléatoirement. Comment-as-tu présenté la chose aux participants ? Est-ce que tu avais une trame particulière ?

F. D. : Quand j’ai voulu commencer le livre, j’avais dans la tête ce projet un peu dystopique, futuriste. J’avais cette image des boîtes en fer que tu trouvais dans le sol. Je m’explique : à une époque, les gens mettaient dans le sol leurs objets fétiches ou des photos personnelles. Ils mettaient tout ça dans une boîte dans le but qu’un jour quelqu’un la déterre, tel un marqueur d’une époque. Il faut savoir que j’ai une obsession sur la mort que j’essaie de chasser au quotidien.

« J’ai une obsession sur la mort que j’essaie de chasser au quotidien. J’ai du mal à accepter qu’un jour ça va s’arrêter. »

A : D’accord, je comprends mieux la couverture du livre maintenant !

F. D. : Oui. J’ai du mal à accepter qu’un jour ça va s’arrêter. Donc je fais beaucoup de choses, je suis hyperactif. J’essaie de donner aux gens le maximum parce que demain, tout peut s’arrêter. Discuter avec Pone [NDLR : présent sur les deux livres], le voir faire autant de choses incroyables dans sa situation, m’a donné beaucoup de force. Du coup, je me trouve encore moins d’excuses. Il faut que j’avance, que je profite du temps que j’ai pour créer, partager, donner de l’amour et partir sans regrets. J’avance dans cet état d’esprit. Et donc la couverture du livre, c’est bien sûr un hommage à l’album Home Invasion d’Ice-T mais c’est aussi l’image du passionné qui est dans un étau entre le temps qui passe et la mort au-dessus de lui. Entre le quotidien et le monde du travail qui lui bouffe le cerveau parce qu’il faut manger. Et malgré tout, c’est cette image de l’enfant dans sa chambre qui se retrouve dans son monde, mais l’enfant a grandi. Il a quarante, il a cinquante, il a quatre-vingts ans parfois. Mais il est toujours là. C’est toujours l’enfant passionné, naïf, joyeux qui veut bouffer la vie. C’est cliché ce que je vais dire mais un adulte qui perd son âme d’enfant, pour moi, c’est un être mort. J’adore côtoyer des gens qui déconnent comme des gamins. Aujourd’hui, j’ai quarante-trois ans mais j’ai l’impression que j’en ai vingt. J’avance comme ça. Je ne dis pas que c’est la bonne version mais c’est comme ça que je suis heureux.

A : On sent dans les deux premières pages, la première écrite par toi et la seconde par Real Muzul, qu’il y a un attrait pour des œuvres d’anticipation assez sombres. On peut aussi reconnaître sur l’illustration en couverture quelques films jonchés sur le sol : Ghost Dog, Orange Mécanique, Fight Club. La page d’introduction « 23 août 2073, planète Terre… » sonne comme de la science-fiction où tu dépeins un futur sous cloche, désenchanté, où la façon de consommer la musique a clairement changé. Comment cette culture de la science-fiction rencontre celle de la culture hip-hop à tes yeux ?

F. D. : Sur la couverture, j’ai vraiment mis des références qui ont marqué mon adolescence et le passage dans l’âge adulte. Alors, je n’ai pas pu tout mettre évidemment mais ce sont parmi les plus symboliques. Je pense que j’aime autant le cinéma que le rap. Actuellement je travaille tellement que je n’ai plus le temps d’aller au cinéma. Mais je ne peux pas dissocier le rap du cinéma. Quand tu connais mon parcours, tu ne peux pas séparer cet univers dystopique du début de ma carrière avec VII puisqu’on était à fond dans le cinéma d’horreur. Lui a d’ailleurs créé un groupe qui s’appelait 1984. Tous ces délires-là, on en a mangé ensemble donc je suis obligé de reparler de lui. Le côté darkness, c’est notre truc. Et même si on ne bosse plus ensemble aujourd’hui, les influences sont les mêmes. C’est comme la West Coast ! Aujourd’hui VII s’apprête à sortir un album dans ce genre-là. [NDLR : l’album est sorti le 3 octobre] Même si ça ne transparaissait pas forcément dans ses anciens projets, ça a toujours été là et on a toujours aimé ça. Il faut l’écouter absolument !

A : Toujours dans cette même page, qui s’apparente à de la science-fiction, ou plus exactement de l’anticipation par le prisme de la culture et de l’industrie musicale, tu écris « [les] progrès fulgurants de l’intelligence artificielle dans les années 2030 », entre autres. En 2023, le débat sur son utilisation est déjà là. Est-ce que, finalement, tu ne t’es pas trompé d’une décennie ?

F. D. : J’ai choisi une date symbolique qui est l’anniversaire du hip-hop : le 11 août 2073. Donc l’histoire de cette page se déroule cent ans après la création du hip-hop. Aujourd’hui, le hip-hop a cinquante ans, et dans ce récit, la dystopie est donc cinquante ans plus tard. C’est un futur proche mais qui est déjà là. Ça peut paraître comme de la science-fiction à la lecture mais non. Nous en sommes très proches. Il y a deux ans, au moment où j’ai écrit ce synopsis avec mon camarade Phono Impulse, l’I.A. n’était pas encore aussi développée. Quand j’ai relu cette page l’autre jour, je me suis dit : « Mais là, on est en plein dedans ! » Ça fait très, très peur. C’est un jeu de parler de ces trucs-là, on le prend à la rigolade. Un peu comme quand tu mates un film d’horreur : tu vois toujours un second degré. Pour résumer, dans cette dystopie, je m’imagine dans le futur en passant les dernières années de ma vie, vers 2073 donc, à récupérer ces récits qui étaient cachés car on n’avait plus le droit de pratiquer la culture. Un délire à la Fahrenheit 541. Je ne sais pas si ça sera la réalité mais je n’ai pas une vision très positive du futur sur cette terre.

A : Tu n’es pas le seul à avoir cet avis, il y a d’ailleurs un témoignage qui rejoint cette vision, c’est celui de Hi-Tekk de La Caution. Est-ce qu’il y a des témoignages qui t’ont marqué plus que d’autres dans cette aventure ?

F. D. : C’est bien que tu parles d’Hi-Tekk parce qu’il a été le dernier à me livrer son récit. Il a pris le temps car il était occupé par un gros projet qui va bientôt sortir. On a eu de longues discussions passionnées au téléphone autour de la politique, du cinéma, du hip-hop. J’ai retrouvé en lui une partie de moi. J’ai beaucoup attendu son récit et je le trouve extraordinaire. Il retrace l’histoire de La Caution, le graffiti, c’est politique et engagé, c’est un peu triste aussi mais il a vraiment tapé dans le mille. Il faudra vraiment suivre Hi-Tekk dans les temps à venir parce qu’il fait des choses extraordinaires. C’est un des récits qui me parlent le plus. Il y en a plein d’autres dans leur style. Celui de Rocca par exemple où il parle de sa vie et revient sur la conception de son dernier album avec DJ Duke. C’est intimiste, poignant et très fort. En fait je suis content d’avoir tiré chez certaines personnes des choses que je n’avais pas lues ailleurs. Je suis fier de certains récits issus d’interviews. Car tout le monde n’a pas écrit ses récits. Sur le premier livre, Sébastien Damiani a été un acteur majeur. Sur le second, c’est DJ Ness Afro qui, grâce à son énorme réseau, m’a beaucoup aidé. Il était manager des 2 Bal dans les années 90. Il est très actif sur Paris, une sorte d’alter ego sur la capitale. Il est manager, attaché de presse, DJ, producteur. Il a dix mille casquettes ! C’est Real Muzul qui me le présente en me le décrivant comme un protagoniste idéal pour le livre. De là s’est tissée une amitié très forte. Il a travaillé sur une trentaine de récits que je n’aurais jamais pu avoir sans lui. Il a traversé tout Paris pour moi, fait des interviews qu’il m’a envoyées et je retranscrivais tout à l’écrit avec toutes les difficultés que ça comporte. [Rires] Il m’a eu les 2 Bal, Benjamin Epps, Mokless. Tout ça est notifié à la fin du livre dans la table des matières. C’est vraiment une grosse histoire d’amitié, mes remerciements à lui. Je ne pourrai jamais le remercier assez parce qu’il m’a eu des pointures ! Et si moi je suis quelqu’un de persévérant et têtu, lui c’est encore pire ! [Rires] Je pense qu’on s’est bien trouvés pour ça ! Pour Benjamin Epps, il n’a pas lâché l’affaire sachant que ça me tenait vraiment à cœur de l’avoir. Merci, gros Big up à Ness ! Dorénavant, on a des projets en commun sur l’organisation de concerts, on va marcher ensemble.

« Sans les passionnés : on n’existe pas. Ce sont ceux qui font vivre la culture. »

A : Je reviens sur le titre du livre qui est une allusion à l’album des Geto Boys. Tu parles aussi de ce disque dans le livre. Quelle place a ce groupe pour toi dans ta vie ?

F. D. : J’ai découvert les Geto Boys avec VII, ça nous a mis une grosse gifle. Ce qui m’intéresse avec ces expériences d’albums, ce n’est pas que la musique en soi, c’est aussi l’analyse de leurs acteurs. Comme je le dis dans le livre, c’est voir des mecs faire des albums incroyables alors qu’à la base ils n’avaient rien pour réussir. Quand tu vois Bushwick Bill qui a certaines particularités physiques, qui fait partie d’une certaine classe sociale défavorisée, et qui en plus est un peu fou, c’est l’exemple type qui te prouve que tu peux tout faire quand tu veux. Tu ne peux pas avoir d’excuses. Et pareil, quand tu vois ce que fait Guilhem [NDLR : Pone], c’est inspirant. Il y a du travail aussi derrière : des mecs comme Azaia ou Kyo Itachi, ils travaillent leurs productions tous les jours, VII sort un album par an. Ce ne sont pas des mecs qui font ça de temps en temps pour se donner du style, c’est vraiment leur vie. Et pour en revenir aux Geto Boys, c’est inspirant. Parce qu’ils ont des univers incroyables et malgré tout ce sont des putains de bosseurs. Scarface est dans mon top 3 des meilleurs rappeurs de tous les temps. Il est magistral.

A : Tu l’as mentionné plus tôt : le hip-hop fête ses cinquante ans cette année. Comment tu vois son évolution et son état actuel dans un monde qui a considérablement changé depuis l’apparition d’Internet et surtout du streaming ?

F. D. : Artistiquement parlant, pour moi, le hip-hop s’est séparé en plusieurs routes. Il y a le hip-hop actuel, je ne sais même pas comment le nommer, à base d’Auto-Tune, etc. C’est une musique qui marche énormément. On ne peut pas dire que ce n’est pas bien parce qu’autant de gens qui en écoutent… Après, c’est un gros débat sur le mainstream et le « commercial ». Par exemple Jul : c’est quelqu’un qui est parti de l’indé et qui est respectable par son chemin, son travail. Après musicalement, c’est quelque chose que je n’aime pas du tout. Pour répondre à ta question, je pense qu’il y a eu des chemins différents, tu as des mecs qui jonglent encore un peu sur les deux mais c’est rare. Il y a des gens qui le font bien. Des mecs comme Furax sont capables de le faire. C’est un rap « à l’ancienne », boom bap classique, mais parfois il fait des morceaux qui sont beaucoup plus actuels. C’est bien fait. Il maîtrise son sujet et il fait vraiment le passage entre deux générations. Ils ne sont pas beaucoup je trouve. Il doit y en avoir d’autres mais je ne connais pas tout. Si on parle d’état d’esprit en revanche, je persiste à dire qu’on est encore là. Il y a des gens extraordinaires dans le milieu, il y a beaucoup de créativité. Je reste persuadé que l’underground est le meilleur chemin pour la liberté de création car tu n’as pas de maisons de disques au-dessus, tu n’as pas ce besoin de plaire pour plaire. Tu fais ce que tu veux : si tu aimes, tu le sors ; si tu n’aimes pas, tu le mets de côté. Et la modernité, les nouvelles technologies, l’accès facile à la musique c’est à double tranchant parce que n’importe qui peut faire de la musique. Donc on a des trucs qui sortent qui sont vraiment inaudibles et merdiques mais par contre, aujourd’hui, ce n’est plus comme à l’époque de Jimmy Jay et de MC Solaar. Eux, pour sortir leur album, il a fallu sortir des dizaines ou centaines de milliers de francs. Aujourd’hui, tu investis quelques milliers d’euros, tu as un home studio et tu peux sortir des projets qui sont propres. C’est plutôt positif parce que ça démocratise la culture. Et c’est très important. Aujourd’hui, il y a matière à faire. Je pense que le hip-hop, c’est comme dans la vie : il faut savoir bien s’entourer. Il y a des opportunistes, des arrivistes, des fainéants, des gratteurs, il faut faire le tri. Beaucoup de gens disent que je suis un bisounours parce que je trouve tout le monde cool, mais c’est juste que j’ai gardé les bons autour de moi ! En plus on arrive à des âges, 40/45 ans, tu n’as plus vingt ans, tu es moins dans le paraître.
Globalement, je trouve que le hip-hop se porte bien. Après, comme dirait Booba : si t’aimes pas, t’écoutes pas et puis c’est tout. Je n’aime pas la trap, je n’aime pas le dirty actuel, tous ces trucs auto-tunés, l’afrotrap, ce ne sont pas mes délires. Je peux respecter les gens qui écoutent, il n’y a pas de problème, mais ce n’est pas le chemin que j’ai choisi. Je revendique souvent le boom bap dans mes soirées, c’est comme ça. Certains me considéreront comme un vieux con ou quelqu’un qui ne veut pas évoluer, je suis capable d’écouter plein d’artistes actuels qui font plein de belles choses mais il s’avère que dans leurs racines, le boom bap est là.

A : De manière plus concrète, sans avoir cette vision dystopique qui révèle tout de même une part de vérité, comment vois-tu la suite des évènements autour de cette musique ?

F. D. : Je vois l’avenir de manière très positive. Depuis quelques années je ressens un renouveau, une énergie complètement folle dans l’undergound. Tout le monde va dire que je ne parle que de l’underground mais je ne vais pas parler du mainstream ou de gens qui gagnent des millions, je vais parler de ce que je connais. Je sens une énergie, et on est beaucoup à le sentir à Paris, à Bordeaux, à Marseille et ailleurs. Que ce soient les acteurs du mouvement, les disquaires : ça grouille et c’est prêt à exploser. On est tous connectés. Cette image du cafard que j’avais mis dans le premier livre, disant que tout le monde sait qu’on existe mais personne ne nous calcule, c’est ça. J’ai parlé de Eric Blaze, de Kohndo, de Kyo Itachi mais il y a plein d’autres personnes. Le retour de Kool M de La Rumeur est un événement dans ce mouvement français. Il avait mis la production entre parenthèses mais il revient en force. On avance tous ensemble, alors on ne se voit pas tous les jours, on ne s’appelle pas tous les jours, mais on est là. Tout le monde est plein de gros projets, d’énergie et je vois ça de manière hyper positive. Je ne vais pas te dire que ça va être comme dans les années 90 en France parce que ce serait présomptueux de dire ça, je ne suis pas Nostradamus, mais je vois beaucoup de créativité. Même dans les gens qui ne pratiquent pas. Dans les passionnés, les mecs pensent à revenir aux soirées, à racheter des albums, ils donnent de l’énergie, de l’argent pour que l’underground existe. Je veux vraiment le spécifier ici : gros big up à tous les gens du mouvement qui ne sont pas acteurs mais qui par le fait d’acheter des albums, de payer des places de concert, font vivre l’underground. Sans eux : on n’existe pas. Et ces passionnés, c’est la majorité du mouvement. Les artistes sont finalement très peu. Les passionnés sont ceux qui font vivre la culture. Donc je voudrais remercier tous les passionnés, qui écoutent les disques et qui malgré la difficulté aujourd’hui à survivre dans cette société font le choix de manger des pâtes mais d’acheter des albums. C’est un mode de vie, et merci à eux. Je voulais aussi remercier les gars comme toi qui travaillent à l’Abcdr du Son et dans des fanzines indépendants. Même dans la presse spécialisée parce que c’est un média qui nous a nourri à une époque. Heureusement aujourd’hui qu’il y a des personnes, dont ce n’est pas leur métier, qui relaient l’information et qui font ça très bien. Je leur tire mon chapeau.


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