Feadz : « Je veux juste vivre ma passion »
Interview

Feadz : « Je veux juste vivre ma passion »

Il a fait partie d’ATK, animé un paquet de soirées avec DJ Mehdi et revendique aimer le rap teubé. Il se définit avant tout comme un DJ et officie dans la famille Ed Banger depuis des années. Rencontre avec DJ Feadz.

Photographie : Chroniques Automatiques

A : On a interviewé longuement Cyanure il y a quelques mois. On est notamment revenus avec lui sur les origines du collectif ATK. Tu en as fait partie au moment où vous étiez vingt-cinq. Tu gardes quels souvenirs de cette époque ?

F : Je me souviens très bien de ces années. J’étais au bahut à Paul Valéry, à côté de Porte Dorée. Ce bahut, c’était une espèce d’usine à bédos, un truc de dingue. Il y avait pas mal de collectifs de rap là-bas. On a formé une espèce de grande famille où on était tous vraiment passionnés par le rap. Il y avait un petit côté cainri à Paul Valéry, les mecs jouaient au basket dans la cour, ça fumait des tonnes de joints à chaque récréation. La classe était genre surcaillera, il n’y avait que des meufs qui mettaient la pression. C’était impressionnant.

C’était aussi une bonne usine de rencontres. C’est là-bas que j’ai rencontré un de mes meilleurs potes, Shone, avec qui j’ai monté Audiomicid. J’ai aussi fait la connaissance d’autres mecs qui, eux, faisaient partie du collectif ATK. On avait réussi à trouver un plan pour faire des concerts dans des bahuts. Je suis devenu très pote avec DJ Tacteel qui était le DJ d’ATK. On a fait des contests de scratches ensemble, il m’a aussi montré quelques trucs pour la production. Il avait un peu plus de matos que moi, c’était un vrai avantage.

A : Tu as suivi les aventures de chacun après ?

F : Non, pas vraiment. En fait, en plus d’ATK, j’ai été dans d’autres projets autour du rap. Et à un moment j’ai eu une bonne overdose de rap. Même à Paul Valéry, il fallait que je ramène des cassettes avec les scratches que j’avais fait la veille pour être un peu accepté. Je m’en suis tapé des sessions à porter mes platines en banlieue avec des mecs pas forcément cools, juste parce que j’étais blanc. Du coup, ça m’a un peu passé ce délire. L’amour du rap est resté mais le milieu du rap m’a fatigué.

A : Tu as commencé à évoquer Audiomicid, collectif de turntablism que tu as créé à la toute fin des années quatre-vingt-dix. Tu peux revenir sur la genèse de ce groupe ? C’était une toute autre aventure.

F : J’étais fasciné par le scratch. Du coup j’ai eu envie de partager ma passion, notamment avec mon ami Shone. On s’est mis pleinement là-dedans. Il était très talentueux et on a vite décidé de monter ce groupe ensemble. J’ai ramené Shone et ensuite c’est lui qui a choisi tous les autres membres du groupe. Ça m’a permis notamment de rencontrer DJ Kodh, un mec génial avec qui je suis toujours ami aujourd’hui. On a pris des chemins différents avec les autres membres du groupe. Comme tous les scratcheurs, on était vraiment gros fans d’Invisibl Skratch Piklz. C’était la révolution avec les vidéos en pagaille, la Turntable TV. L’idée de monter un crew de scratcheurs comme ça était assez logique. On a tout simplement suivi le modèle cainri. On a sorti un disque de « vraie musique » fait avec des platines et des huit pistes. On a aussi fait des disques de scratches. Après, chacun est parti dans des gros trucs de travail et un esprit de compétition. Très rapidement, j’ai compris que la compétition ce ne serait pas mon truc. J’étais un bon scratcheur, je fumais quelques joints et je réussissais à sortir des trucs un peu spatiaux. Mais les mecs étaient vraiment techniques, ça bossait grave. Je dois avouer que j’étais un peu plus flemmard.  Du coup, j’ai choisi un autre chemin. Mais il me semble quand même que j’avais mon propre swag au niveau du scratch.

A : Avec Audiomicid, vous aviez sorti quand même un EP en 2000.

F : Toute ma vie a été guidée par la passion, je n’ai jamais vraiment eu le sentiment de travailler. Le scratch était ma passion et à un moment je me suis dit qu’il fallait que je bosse. Vraiment. Je me suis fait des sessions pendant deux heures intensives sur la même phase, la même instru. Ma mère en devenait folle [rires]. Ce travail était purement technique, ça m’évadait mais ça m’éclipsait de l’intérêt de la musique. La musique, il faut l’écouter, y réfléchir et tu as des choses qui germent dans ta tête. Quand tu forces un truc technique, c’est autre chose qui germe. Ce n’est plus de l’imagination créative.

A : C’est aussi cet excès de technique qui t’a gavé ?

F : Ouais, c’est tout à fait ça. On pourrait dire que c’est par fainéantise… mais ça m’a vraiment gavé. Et je me suis senti moins fort. Or honnêtement, c’est agréable de se sentir fort dans ton délire. J’aime beaucoup faire de la musique, mais je me sens loin d’être un très grand musicien. De temps en temps j’ai une bonne idée, je m’y accroche et je réussis à finir le morceau. Par contre j’ai l’impression que je suis le meilleur DJ au monde [rires]. Je dis ça en rigolant mais j’y crois.

A : Quand tu vois la reconnaissance qu’ont aujourd’hui les Birdy Nam Nam ou les C2C, tu ne regrettes pas de ne pas avoir poursuivi dans ce domaine de la scratch music?

F : Les gars de C2C, je ne les connais pas. Ça tombe bien, je vais pouvoir mal parler. Je les ai vus arriver avec Hocus Pocus, ce délire rap pour provincial. Cet esprit où on généralise le rap et on prend les petits éléments tranquillou qui nous plaisent bien dans l’esprit rap-jazz-fumeur de joints. Ce sont des mecs qui n’ont jamais regardé trop de l’avant. Après, j’ai vu le succès de C2C et je n’ai rien reconnu d’un groupe de scratch. Pour moi, c’était du sous-Moby. Je n’ai pas écouté plus que ça mais pour moi c’est la lie de la musique. C’est atroce. Sincèrement, je préfère encore Moby. Je n’ai vraiment aucune jalousie, tant mieux s’ils font des sous. Moi, je préfère crever et faire mes trucs. Ils ont probablement pris assez d’argent pour acheter un appart et faire des enfants avec leur femme. Mais jamais ils ne vont revenir dans le game. Peut-être que je me trompe et qu’il y a des génies chez ces mecs-là. Mais ils ont du faire beaucoup de sacrifices pour essayer de vendre des disques, où sinon ils ont une équipe de managers assez intéressante.

Tu vois, ça me fait penser à Disclosure. J’adore Disclosure, leur premier maxi My intention is war, je l’ai adoré de ouf. Je l’ai joué grave. J’aime toujours ce qu’ils font mais ils ont de plus en plus généralisé leur son ce qui leur a permis d’accéder à un public énorme. Ils ont été révélation de l’année, ils ont eu le Mercury Price. Mais à mes yeux, leur musique aujourd’hui est nettement moins intéressante que celle de leur premier maxi. Ils ont probablement une super équipe autour d’eux avec des gars qui sont bons en marketing. Moi, je viens d’un autre monde. Je suis parisien et ça me passe au-dessus tout ça. Je m’en fous de vendre des disques. Je veux juste vivre ma passion, faire ma vie et ça me suffit largement.

« Un bon DJ c’est avant tout quelqu’un qui croit dans la musique qu’il joue. »

A : Pour revenir sur un autre pan de ta discographie, tu as sorti un album avec Uffie en 2010 : Sex Dreams and Denim Jeans. Tu peux nous parler de cette expérience ?

F : J’y pense très souvent. On a fait ce morceau avec ma copine et un pote à moi, vraiment pour rigoler. Le morceau a plu à tout le monde, on a eu un certain succès. Moi, au lieu de pleinement profiter du succès, j’étais plus là en mode : « il faut bosser, essayer de créer des émotions. » Je me suis un peu empêché de kiffer. En sachant que j’ai méga kiffé quand même ! [Rires] On a voyagé dans le monde entier et il faut le dire c’était une vraie histoire d’amour. Au moment où on a fait l’album, c’était un autre délire. On n’était plus ensemble, ce n’était pas facile de bosser pour elle du coup. J’ai souffert un peu, il faut bien l’avouer. C’est aussi pour ça que l’album a mis du temps à sortir. Avec le recul, je suis quand même très content de ce projet. Au-delà de la douleur et de la frustration, on a sorti quelques morceaux vraiment intéressants. Je pense à « Our Song », qui était un peu dans l’esprit break up-vengeance. Je suis fier du travail qu’on a mis là-dessus. Après, c’est vrai qu’on a poussé l’autotune assez loin sur cet album. Il n’y a pas une grande harmonie sur cet album, tu as trois producteurs qui se battent en duel et des sentiments très mitigés dessus. Mais au final, c’est quand même cool.

A : Vous aviez fait pas mal de scènes un peu partout dans le monde pour présenter cet album, tu gardes quoi en tête aujourd’hui ? 

F : Je garde un vrai souvenir ému de jeune rock star. Jamais on ne se l’est racontée une seule seconde. Par contre, on était dans la drogue, dans la pillave. Uffie n’était pas une grande artiste sur scène mais elle mettait beaucoup d’énergie sur scène et c’est ça qui comptait. Les concerts étaient marrants et on a bien déliré. On a fait n’importe quoi, c’était chouette.

A : Tu fais partie d’Ed Banger depuis très longtemps maintenant. Tu n’es pas franchement prolifique, par contre tu fais partie des DJs qui jouent très régulièrement.

F : Je me vois vraiment comme un DJ. C’est ma passion et ce que je fais de mieux dans la vie. Si je peux apporter un truc vraiment intéressant à la société, c’est en tant que DJ. La fête c’est un truc léger et éphémère. Ça peut paraître tout sauf important mais pour moi ça l’est. Se prendre des claques sur des musiques que tu ne connais pas en soirée, c’est tout un art. Comme c’est un art d’aller chercher des disques, ça me semble même un métier très important.

Je trouve ça un peu dommage qu’aujourd’hui les DJs soient devenus des producteurs. J’aime aller à un concert comme j’ai plaisir à aller voir un DJ. Maintenant, on est beaucoup dans l’entre-deux. Tu vas voir des DJs qui mettent leurs morceaux et les gens attendent ça, je trouve ça triste. Quand tu fais ça, tu es dans le concert, tu n’es plus dans le DJ. Je suis ravi d’avoir des dates, mais je préfère être dans un club et sentir une atmosphère qu’être au Zénith de Lille et d’être sur une scène où les gens me regardent comme si j’allais chanter. Ça change tout mon set du coup. J’essaie d’être très bon mais je suis beaucoup plus en spectacle, ultra-speed et sans une seconde pour ressentir une ambiance. Face à moi j’ai des spectateurs et pas des danseurs. C’est un tout autre délire. Je respecte énormément les patrons de label qui ne font pas de musique comme Jackmaster, le boss de Numbers. Ou un mec comme Oneman qui est un excellent DJ mais qui ne produit pas de musique.

« Je m’en fous de vendre des disques. Je veux juste vivre ma passion, faire ma vie et ça me suffit largement. »

A : C’est quoi un bon DJ pour toi ?

F : Un bon DJ c’est avant tout quelqu’un qui croit dans la musique qu’il joue. Il y a moins de cynisme dans la musique aujourd’hui. Peut-être que je rêve mais j’ai l’impression que quand j’entends une merde à la radio, cette merde, elle a été faite avec le cœur. Genre Calvin Harris je déteste sa musique, je ne comprends pas ses choix, mais s’il fait sa musique avec le cœur, alors je suis content que ça marche pour lui. La technique, je m’en fous un peu. J’ai beau être technicien, ça m’impressionne assez peu, même si le mec est un gros tueur. Tu vois, j’adore Q-Bert. Je me suis pris des cassettes avec que des scratches de Q-Bert sur des instrumentales et j’adorais ça. Mais quand tu le vois en live, je suis désolé de le dire mais c’est pas terrible. Il va te raconter son histoire du Hip-Hop pendant dix minutes, ce qu’il a fait 100 000 fois, je ne peux pas y croire. Il vient prendre son chèque et représenter qui il est. Mais c’est un mec d’intérieur qui est là pour poser du scratch spatial et éventuellement enregistrer sur cassette. Ce n’est pas un mec de spectacle, c’est trop télécommandé. Je n’ai pas envie de voir des mecs qui sortent toujours les mêmes playlists. Grandmaster Flash qui arrive avec son gros sac du Hip-Hop et une liste avec tous les morceaux qu’il va jouer, c’est horrible pour moi. Il faut croire en ce qu’on fait. Quand tu mets un morceau c’est parce que tu as vraiment envie de l’écouter, pas parce que c’est ta cartouche.

A : La spontanéité occupe une place importante à tes yeux ?

F : Les DJs que je respecte le plus, ce sont ceux que j’ai vu être très mauvais. Une fois tu es très bon, une autre fois tu es mauvais. Tu es un humain. Le même qui te ressort le même set enregistré sur son Serato c’est la honte pour moi.

A : Comment tu expliques le succès d’Ed Banger ? Quels sont les ingrédients clefs de cette recette ?

F : Pour moi c’est assez simple. Cross de Justice c’est un classique. Je pourrais te dire que je préfère le deuxième album qui part dans pleins de directions différentes, mais c’est pas vrai. Le premier album c’est un vrai instant classic. Le maxi Waters of Nazareth annonce l’arrivée d’un nouveau son. Comme le premier Sebastian. Quand le succès est corrélé au fait d’avoir un nouveau son, ça permet à un label d’avoir une vraie reconnaissance. Pour moi c’est la musique de Justice qui a réussi à parler à autant de gens. Après, il y a plein d’autres artistes que j’adore. Je suis très fan de Mr Oizo et il a de vrais tubes. Mais c’est le premier album de Justice qui a servi le déclencheur.

A : Tu as fait beaucoup de DJ sets avec DJ Mehdi à tes côtés. Quelle relation tu avais avec lui ?

F : On était très proches avec Mehdi. On s’est rencontrés bien avant Ed Banger. Il se trouve que Mehdi était le neveu de mon beau-frère. On s’est rencontrés de façon amicale avant de se retrouver dans des cadres familiaux. Mehdi, c’était un vrai frère pour moi. Je pensais pouvoir l’avoir à côté de moi toute ma vie. J’étais très triste quand il est parti. On avait une relation très forte, on était tous les deux fans de rap, on pouvait reprendre ensemble des morceaux d’EPMD de 1992. Il avait aussi une connaissance des paroles de rap assez impressionnante. Après, on aimait toujours parler ensemble. Il y a des gens qui s’énervent un peu avec moi parce que j’ai une grande gueule. J’adore être impliqué dans des sujets et les gens pensent que je suis agressif alors que je suis juste passionné. Mehdi a toujours vu cette passion en moi. Il a quand même réussi à me faire écouter Neil Young alors qu’à la base je n’en ai rien à foutre de Neil Young. Je suis très fier d’avoir fait ce mix hommage sur Soundcloud. Le mix n’était pas du tout technique, ça n’était pas du tout le but de toute façon, mais c’était une forme d’introspection à travers la musique, un truc un peu mystique.

A : Parmi vos points en commun, il y a bien entendu ce pont entre le rap et la musique électronique…

F : Mehdi était un mec très ouvert d’esprit. Après, j’ai été dans l’électronique bien avant lui. Je sortais déjà des maxis sur BPitch [NDLR : label berlinois réputé] quand lui commençait à peine à entendre parler de Cassius. Pour Carte Blanche, je lui avais filé deux-trois samples. Il allait écouter des trucs de rock et même de folk pour trouver des trucs. Il n’avait peur de rien, il voulait découvrir plein de trucs. C’était un vrai passionné de musique. L’amour de Mehdi pour la musique électronique est arrivé de façon assez soudaine. Et c’était assez touchant. En étant le meilleur pote de Pedro il a pu faire ses armes avec des mecs comme Thomas Bangalter et Boombass.

A : Dans une interview récemment donnée à Snatch, tu disais que la rencontre la plus marquante de ta vie, c’était Pharrell Williams.

F : Non, la plus grande rencontre artistique pour moi c’est Oizo. Après, Pharrell c’est la plus grosse star que j’ai pu rencontrer. Oizo, c’est une belle histoire d’amitié. Dans une soirée, j’avais joué un mix que j’avais fait sur une cassette. On est devenus progressivement très amis et on a partagé une vision de la musique. Oizo c’est un mec très agressif. Moi aussi, je suis très agressif. Je dis ça en sachant qu’il ne faut pas confondre la virulence de la passion avec la méchanceté pure. On nous appelait les nazis tous les deux, tellement on détestait tout. Pourtant, je n’ai aucune haine pour les gens. C2C dont on parlait tout à l’heure, je leur souhaite le meilleur. Ma virulence elle est envers leur musique. L’esthétique c’est un truc très important pour moi.

Oizo a a été la rencontre la plus importante de ma vie dans le sens où moi, mes deux parents sont profs. L’école, ça n’a jamais été très facile pour moi. Quand tu as deux parents profs, ça ne passe pas forcément bien. J’ai quand même eu mon bac pour mes parents, j’ai été à l’université où je me suis bien fait chier. Oizo, c’était un mec qui n’en avait rien à foutre. Il a très vite vécu de son art et quand je l’ai rencontré c’était juste un mec chan-mé pas forcément un génie. Le fait qu’il arrive à en vivre très vite, ça m’a donné confiance. Confiance en l’avenir. J’ai connu les années quatre-vingt et je n’ai pas connu un seul musicien qui avait du succès. Ma grande sœur trainait avec des mecs comme la Malka Family, Human Spirit, la scène funk française, et ce n’étaient pas des mecs à succès. Il y a eu juste FFF qui a vendu quelques disques. Signer pour la musique c’était signer pour la galère. Moi j’ai signé pour la galère.

Oizo c’est le mec que j’ai vu réussir à faire du fric en faisant ce qu’il avait envie de faire. Quand j’ai travaillé sur Analog Worms Attack avec Oizo, mon boulot c’était plus du conseil. Je n’étais pas encore producteur à cette époque-là. Eric Morand qui était le patron du label F Comm’, ne m’avait pas vraiment donné les crédits de co-production. Or, j’avais besoin d’un peu de sous, ça me semblait normal. Oizo m’a fait un chèque en me disant que ce n’était pas le pote qui faisait ça, mais le musicien qui appréciait l’aide qui lui était apporté. Mine de rien quand t’es DJ ce chèque il te permet d’avoir quelques loyers et quelques disques d’avance. C’est ce soutien et cette confiance – au-delà de ce chèque – qui ont fait que la rencontre avec Oizo aura été la plus importante de ma vie.

A : Tu viens de sortir ton premier album solo après toutes ces années et expériences diverses dans la musique. Pourquoi est-ce que tu le sors si tard finalement ?

F : J’ai fait cet album sans penser que ce serait un album. Sinon je pense que je serais encore dessus. A un moment je me suis retrouvé avec vingt-cinq morceaux et je suis allé voir Pedro en lui disant : « on fait quoi avec ça ? » Je pensais sortir une mixtape pour enfin lui refiler tout le boulot que j’avais fait. Sauf que lui il m’a dit : « viens, on va sortir un album. » Du coup, j’ai pris les morceaux que je préférais parmi ces vingt-cinq, j’ai fait les quelques arrangements qu’il fallait… et voilà, ça a fait cet album. Je suis très fier de la spontanéité de ce disque. On est dans une société où la forme est parfaite. Même les trucs qui n’ont aucun fond ont très régulièrement une forme parfaite. Et j’en ai marre de ce truc ça. J’aime bien aussi ce côté pas parfait, pas complet.

Il faut que tu saches que la musique, c’est mon Dieu. Je ne crois pas en Dieu mais dans le grand Dieu musique. Quand tu fais un truc mal mixé, tu as du mal à dire à ce Dieu : « écoute, j’ai fait un truc pas mal mais désolé, je n’ai pas poussé le délire plus loin. » J’aurais pu pousser le délire plus loin, sortir un truc encore plus parfait, mais je n’ai pas la force de bosser si longtemps que ça sur un seul projet. J’ai déjà énormément travaillé dessus. Mais à mon avis, chaque morceau de cet album a une idée qui vaut le coup d’être inscrite auprès du grand Dieu de la musique. La réalisation n’est peut-être pas parfaite, mais si je voulais que ce soit parfait, je serais probablement encore dessus.

A : Imaginons que quelqu’un débarque et ne connaisse absolument pas ta musique. Comment est-ce que tu la présenterais ?

F : Je dirais que ma musique est l’exact inverse de celle de Katy Perry ! [Rires]

Mon taf’ de DJ c’est d’aller chercher autre chose que Daniel Avery. Daniel Avery, c’est de la bonne techno. C’est un bon disque, bien fait et qui généralise des trucs d’avant. Ca peut parler à beaucoup de monde. Daniel Avery c’est quelqu’un dont la musique est à la Fnac. Moi, dans mes mixes, je vais chercher à mettre des disques qui ne sont pas à la Fnac. Je vais peut-être mettre un morceau de Rihanna à un moment, mais en général, mon truc c’est de chercher des titres que personne ne connaît vraiment. Pour cet album, je n’ai pas voulu reprendre de la techno. Je me suis basé sur des influences très récentes et c’est pour cette raison que c’est aussi spontané. Il y a des influences de la New Jersey House, de la Trap. L’album n’a aucun vrai hit, mais je ne suis pas là pour ça. La seule fois où j’ai fait un hit, c’était un pur hasard. C’est un album de 2013 qui a été fait dans son époque, je ne remonte pas le temps, j’essaie d’aller dans le futur proche.

A : Ton album s’intitule Instant Alpha : pourquoi ce titre ?

F : Je voulais trouver un titre un petit peu mystique. Et je dois dire que j’étais très content de mon tout premier maxi sur BPitch : The High-B EP. Phonétiquement, c’était I Be pour « je suis », mais aussi « High » pour défoncer et ça collait bien vu que je fais tous mes morceaux sous joints. High-B c’était aussi, et surtout, le nom d’une station spatiale russe. C’était un petit concept !

Instant Alpha, c’est un peu le même délire. Alpha ça correspond au premier album. Et Instant ça fait référence à Instant City vu que je me sens vraiment un enfant de la ville. Je n’aurais jamais pu être là sans Paris, sans Radio Nova, sans les magasins de disques. Instant Alpha, c’étaient aussi des graphistes des années soixante-dix qui avaient mis en place une utopie d’une ville super technologique. Cette ville, ils l’avaient appelé Instant City. Tu as aussi deux morceaux qui s’appellent « Instant Delta » et « Instant Beta » vu que le morceau était un peu stupide.

A : Tu pars dans quelques jours aux États-Unis, tu passes notamment par Chicago. C’est, je crois, une ville importante à tes yeux…

F : C’est une ville absolument énorme Chicago. Tu as les gens qui vont te citer constamment New York, mais pour moi c’est Chicago la ville des États-Unis. Ou Detroit. Mais Chicago, c’est la house, Dance Mania et Relief [NDLR : labels de house légendaires ]. Je suis très étonné de ce qui peut passer aux États-Unis. De voir le succès de mecs comme Steve Aoki et deadmau5, avec des anciens comme Jeff Mills qui ne vendent des disques qu’en Europe.

A : Mixer là-bas, c’est quelque chose de particulier ?

F : Oui, c’est une petite pression supplémentaire. C’est un peu comme la première fois où je suis allé jouer au Tresor à Berlin. C’est autre chose que jouer à Nancy, forcément. Et bon, tu ne peux pas jouer du Rihanna au Tresor, comme tu ne mettras pas du David Guetta à Chicago. C’est important de faire honneur dans ces villes qui sont chargées d’histoire.

A : Quel regard tu portes sur la drill music de Chicago ?

F : J’ai appris récemment que cette scène s’appelait comme ça : drill music. Je trouve que ça colle bien par rapport aux charleys. Je ne suis pas assez de Chicago pour voir vraiment la drill music. Après, j’aime Lil Durk, Chief Keef, les productions de Young Chop. Mais je ne vois pas en quoi c’est si différent de ce que peut faire DJ Mustard par exemple. Pour moi ça reste du rap assez nouveau qui ne se base pas sur des samples. Je suis dans le moderne de toute façon. Je ne vais pas écouter Joey Bada$$, je préfère me mettre du French Montana. Je suis dans les trucs teubé moi. Je ne suis plus dans les grands lyricistes, j’ai écouté ça toute ma vie. On est en 2014 et je ne veux plus écouter A Tribe Called Quest aujourd’hui. Les États-Unis ont cette capacité incroyable à reconnaître un hit. Le mec a beau dire « je vais te mettre mon chibre au fond de ta gorge et tu vas souffrir« , si la musique est bonne, ce sera un hit. Un mec comme Lil Durk qui sort une mixtape avec un morceau incroyable et ensuite se fait signer par Def Jam… je trouve ça merveilleux comme histoire. Je ne pense pas que ça existe en France ça.

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