Elliott Wilson
Rédacteur en chef du magazine XXL – numéro 1 de la presse musicale aux États-Unis – Elliott Wilson est aujourd’hui un journaliste respecté, un entrepreneur rusé, et un vrai schizophrène. Questions-réponses avec un homme très occupé : Monsieur Yellow N**** himself.
Abcdr du Son : Même si XXL est le plus gros vendeur de la presse rap aux Etats-Unis, beaucoup de nos lecteurs ne vous connaissent pas – ou imaginent que vous gérez un magazine rempli uniquement de publicités. Comment vous présenteriez-vous, ainsi que XXL, à ces gens-là ?
Je leur dirais : je suis Elliott Wilson. Je suis le rédacteur en chef du magazine XXL depuis six ans. Fini les « si » et les « mais », c’est désormais officiel : nous sommes le magazine hip-hop numéro 1 en Amérique et, plus important, le magazine musical numéro 1 dans les kiosques de l’Oncle Sam. Nous devançons The Source, Vibe, RollingStone, Spin et Blender. Les chiffres ne mentent pas, bande d’incrédules. Jetez-y un oeil !
Comment vous êtes vous lancés dans le journalisme ?
En 1992, j’ai travaillé pour un petit magazine rap indépendant qui s’appelait Beat Down. Mon collègue Sacha Jenkins et moi, nous sommes partis au bout de deux ans et nous avons lancé ego trip. La reconnaissance obtenue par ego trip m’a donné l’opportunité de travailler pour The Source. Là-bas, j’ai été le responsable de la section Musique de 1996 à 1998. En 1999, je suis devenu le YNIC de XXL, The Yellow Nigga In Charge.
Vous avez connu de nombreux aspects du journalisme, de Beat Down à The Source jusqu’à XXL. Comment avez-vous évolué pour franchir le pas de journaliste à rédacteur en chef ?
Je me suis rendu compte très tôt que mes amis proches étaient de meilleurs écrivains que moi. Alors qu’est-ce qu’il restait à faire pour un refré à la peau claire de mon espèce ? Devenir le meilleur éditeur dans le biz – un point c’est tout. Aujourd’hui, je suis un vieux grincheux et je n’ai plus la patience, ni l’humilité de courir après des rappeurs pour leur poser des questions auxquelles ils ne veulent pas répondre. Je laisse ça à la prochaine génération.
Quelles sont les leçons les plus importantes que vous avez retenues des expériences journalistiques qui ont précédées votre arrivée à XXL ?
L’importance sans fin de la liberté de création, et savoir préserver son intégrité personnelle dans ce nid de serpents qu’est l’industrie du disque.
Quand je lis vos éditoriaux, j’ai toujours l’impression qu’il y a un rappeur en vous, ou un patron de label sûr de lui, qui vante ses ventes (« J’suis venu pour la place de numéro 1 ; ça veut dire vendre des magazines, connard »). Dans quelle mesure y a-t-il un rappeur, un entrepreneur, et un journaliste dans la personnalité d’Elliott Wilson ?
Je ne suis pas un rappeur, mais c’est vrai je me débrouille pas mal avec les mots. Et je suis complètement entrepreneur en plus d’être capricorne. Mais – désolé les filles – je suis déjà pris !
On dirait que vous assumez complètement le fait que votre boulot est de vendre des magazines, pas de sauver le hip-hop. Avez-vous toujours eu cet état d’esprit ?
Mon boulot n’est pas de sauver la culture, il est de la documenter. En bien comme en mal. The good, the bad, and the Biz Markie.
Quelle est une journée typique pour Elliott Wilson le rédacteur en chef ?
Wow. Ma femme me prépare le petit déjeuner et je pars au boulot. Là, je donne des ordres, mon staff fait tout le travail, et j’en récolte les lauriers. Puis je rentre à la maison, je donne à manger au chien, ma femme prépare le dîner et on se raconte notre journée. Elle est aussi journaliste, alors tu ne peux qu’imaginer combien nos échanges peuvent être lumineux. Mais je ne dors jamais – le sommeil, c’est le cousin de la mort.
Hormis les éditoriaux, vous signez assez peu d’articles dans XXL. Pour quelle personnalité – rappeur ou autre – ou quel sujet seriez-vous prêt à délaisser vos responsabilités éditoriales et vous replonger dans l’écriture ?
Même si j’écrivais, je ne pourrais pas abandonner mes responsabilités de rédacteur en chef. Le patron qui fait ami-ami avec les riches et célèbres, c’est un concept démodé et vraiment wick-wick wack.
Dans le dernier numéro de Scratch, il y a un édito marrant sur tous les gens qui appellent le rédacteur en chef pour se plaindre de tout et n’importe quoi. Quels sont les pires maux de tête que vous avez eu pendant la préparation d’un numéro ?
Personne de l’extérieur n’est autorisé à me parler. Sauf Don P de Trillville. Je maudis encore Kevin Liles de lui avoir donné le numéro de ma bat-ligne directe.
XXL est aujourd’hui à un niveau record, loin devant tous ses concurrents. Pensez-vous qu’il y a encore matière à progresser ? Dans quel domaine ?
On est toujours aussi bon que son dernier numéro. Mais il reste toujours trente jours pour tout foutre en l’air. L’idée même de l’échec me donne la nausée. Le pire reste la médiocrité.
« Mon boulot n’est pas de sauver la culture, il est de la documenter. En bien comme en mal. »
D’un autre côté, maintenant que vous êtes au sommet, vous êtes dans une position risquée : vous n’êtes plus l’outsider. Quelle pourrait être la plus grosse erreur à commettre à ce stade ?
Ouais, quand t’es le challenger, tout le monde est avec toi, mais quand tu deviens champion, les encouragements se transforment vite en railleries. Mais je suis un grand garçon, je peux gérer ça. La plus grosse erreur, c’est de prendre de mauvaises décisions, spécialement quand il s’agit des couvertures. C’est avec ça que tu fais ton beurre.
Imaginons pendant une minute que vous n’ayez pas à vous soucier des ventes, des statistiques, des couv’ qui vendent gros. Pour un seul numéro, vous pouvez faire le magazine de vos rêves – un numéro très personnel. A quoi ressemblerait-il ?
Je ne veux pas ne pas me soucier des ventes. Les couvertures de mes rêves feraient toutes un carton, genre Jay-Z et Nas ensemble. C’est celle qu’on veut tous. Et si quelqu’un doit l’obtenir, ce sera moi. Ou alors Jay-Z et Beyoncé. Hé, ce serait pas mortel si Doc Dre faisait vraiment un autre album ? Encore une fois, les enfants, ce n’est pas parce qu’on vend des magazines que l’on devient un vendu.
À mon avis, vous avez écrit la punchline de l’année quand vous avez dit, dans le numéro de septembre 2005 : « Étonnez-vous que toutes mes couvertures cette année aient un lien avec 50 Cent et Jay-Z, mais posez-vous la question : de quoi d’autres vous avez parlé sur vos forums, bande de geeks ?« . Je suis d’accord avec ça, mais dans un sens, ne croyez-vous pas que le rôle d’un magazine aussi puissant qu’XXL pourrait être d’ouvrir de nouvelles portes plutôt que d’exaucer les voeux de son lectorat ?
Il faut informer les lecteurs sur des choses nouvelles, mais ça, ça se passe à l’intérieur du magazine, pas sur la couv’.
J’adore XXL. Vraiment. Je suis un fan. XXL correspond exactement à ce que j’attends d’un magazine rap en 2005. Mais il y a un truc particulier qui me perturbe : dans chaque numéro, on a l’impression que tous les articles ne parlent que du « hustle », du biz, et de la façon dont le dernier MC à la mode a négocié son contrat à X-millions de dollars avec un gros label. Y a-t-il encore des gens qui s’intéressent à la musique ? Et qui est responsable de ça : les artistes, les médias ou le public ?
Je pense que nous sommes tous responsables. Je veux dire, c’est comme quand Jay-Z a dit : « Je suis pas un businessman, je suis un business, man« . Le business du hip-hop est partout, et je ne crois pas que ça risque de changer prochainement. 50 Cent est le meilleur songwriter actuel, et le meilleur marketer depuis Puffy. L’artistique a laissé la place au développement de marque.
De votre point de vue de rédacteur en chef, quels sont les aspects positifs et négatifs d’une telle évolution ?
En fait, en tant qu’éditeur, ça m’aide. 50 Cent veut signer Mase ? Il va vouloir faire une couverture avec lui et toutes ses nouvelles recrues. OK, on fait la totale, et mettez une chaîne G-Unit sur le Pasteur ! Ou alors, Jay-Z décide qu’il va s’habiller comme le Président Kennedy et qu’il ne fera pas de couv’ sans LeBron James. Avoir des artistes avec un tel sens du business m’aide vraiment dans mon propre business – celui de vendre des magazines. D’un point de vue de fan – ce qui, crois-le ou non, constitue encore une partie de moi – j’aimerais que plus de MC’s reconnaissent qu’ils ne sont ni Biggie, ni Jay-Z. Tu peux tout à fait écrire tes textes sur papier avant de les rapper. Tu as même droit à plus d’une prise quand tu enregistres. Je te promets que personne ne t’en voudra. Le résultat final, c’est tout ce qui compte.
« Les couvertures de mes rêves feraient toutes un carton, genre Jay-Z et Nas ensemble. C’est celle qu’on veut tous. Et si quelqu’un doit l’obtenir, ce sera moi. »
Dernièrement, vous avez eu des mots durs pour les bloggers. D’où vient le conflit ? Vous ne pensez pas que les bloggers apportent un équilibre souhaitable avec les magazines ?
J’ai eu des embrouilles avec deux bloggers, mais j’ai parlé au Président Carter, et j’ai décidé que si lui pouvait le faire, alors je pourrais mettre fin à tous mes beefs, moi aussi. Je déclare la Paix !
Voici la question obligatoire : quelle est la nature de la relation entre XXL et Interscope ?
Interscope est un label qui représente quatre des plus gros artistes hip-hop (Eminem, 50 Cent, Dr Dre, The Game). A chaque fois que je mets n’importe lequel de ces messieurs en couverture, ça vend bien. C’est écrit ainsi, ainsi soit-il. Cela dit, je pense vraiment que Black Eyed Peas pourrait bien être le pire groupe de l’histoire du rap. Honte sur vous, Monsieur Iovine
Beaucoup de gens fantasment sur la prétendue « Machine » qui s’empare de la culture hip-hop pour en faire du fric, de MTV à Interscope, jusqu’à Harris Publications. Ces gens ont-ils complètement tort ?
Je ne vous ferai aucun mal si vous choisissez de rager contre la machine. Mais Zack de la Rocha reste un rappeur de merde malgré tout.
XXL est sur le point de sortir son premier disque – une compilation avec beaucoup d’artistes de premier rang. A mon avis, les gens sont rarement excités par les compilations et autres bandes originales. Qu’est-ce qui pourrait leur faire acheter celle-ci ?
Qui n’aurait pas envie d’un peu de bonne musique dans sa vie ? Allons, c’est pas YN qui va vous laisser tomber. Mais, sérieusement, si vous ne voulez pas l’acheter, fuck it et vous avec. J’ai plus de fierté que Charley Pride.
Avec ce disque, il est clair qu’XXL se lance dans l’univers du marketing, et se transforme doucement en marque. Est-ce juste ? Et ensuite ?
Les bains de bouche XXL, pour que les jacteurs aient toujours l’haleine fraîche !
On murmure sur Internet qu’une édition française de XXL est en préparation. Est-ce que vous le confirmez ? De quelle manière seriez-vous impliqué dans ce projet ?
Mon Dieu, laisse-moi continuer de conquérir l’Amérique d’abord. Ensuite j’irai trouver le prochain MC Solaar.
Je suis assez surpris de vous voir promouvoir l’album XXL sur le net. Il y a beaucoup de remarques sur les geeks, les bloggers et les forums de discussions dans vos éditos, alors je suis sûr que vous suivez de prêt ce qu’il se passe sur le web. En tant que rédacteur en chef, êtes-vous inspirés par ce que vous voyez sur le net ?
Le web est informatif et irritant, tout comme le hip-hop d’aujourd’hui. Ce que j’aime, c’est que si je rate une apparition de Juelz Santana chez Jay Leno, il me suffit de me connecter pour la trouver. Go technology!
Une autre question obligatoire : The Source semble être dans une situation inextricable. On dit que Jay-Z, Russell Simmons, Harris Publicitation et d’autres gros noms sont en course pour racheter le magazine. Même s’il n’y a jamais eu d’amour fraternel entre XXL et The Source, quelle pourrait être, selon vous, la meilleure solution pour sauver ce magazine historique ?
Séparer complètement l’aspect business de l’aspect l’éditorial.
Quand vous quittez le bureau, quels sont les artistes que vous écoutez ? Y en a-t-il que vous aimez mais que dont vous n’avez pas la possibilité de parler dans vos colonnes ?
Encore une fois, je ne suis pas un de ces puristes qui publie un magazine mainstream contre sa volonté. J’écoute la BO de Get Rich or Die Tryin’. Je raconte combien elle surpasse The Massacre et ensuite je remets encore 50 Cent à la une. Tell a friend!
S’il y a quelque chose que vous voulez ajouter à cette interview, je laisse le mot de la fin à Monsieur Yellow Nigga…
XXL is the best. C’est comme ça, c’est tout. Le seul, ni plus, ni moins.
Post Scriptum…
Quand je lis vos réponses, comparées à d’autres interviews que j’ai pu lire de vous (hiphopgame.com, pour ne pas la citer), on dirait qu’il existe une vraie différence entre l’impétueux Yellow Nigga et un Elliott Wilson plus tempéré – façon Dr Jekyll et Mister Hide. Quelle est l’histoire de Yellow Nigga ?
Il se trouve que tu m’as attrapé sur un bon jour. J’étais d’humeur très Yellow Nigga-esque. C’est juste mon côté arrogant et frimeur, on a tous ça au fond de nous. Creuse profondément, et toi aussi, tu trouveras ton Yellow Nigga intérieur. YN est un hommage à Ted Bawno, l’éditeur et propriétaire imaginaire d’ego trip. Je lui ai piqué son style – Mais ne le dis à personne.
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