Ekloz, émotionnellement
Artiste audacieuse, Ekloz redéfinit les codes avec une musique hybride frappée d’une authenticité lyricale rare. Échange avec la rappeuse marseillaise qui arrive « énervée comme Shay en 2016 ».
Depuis quelques années, la scène rap française voit émerger de nouveaux talents qui bousculent les codes établis. Parmi eux, Ekloz se distingue par son authenticité et sa capacité à fusionner différents univers musicaux. Originaire de Marseille, cette artiste polyvalente a su imposer son style unique grâce à une énergie débordante sur scène et une approche novatrice en studio. Son dernier EP, 3motional b!tch, ainsi que sa réédition 3motional (bada$$) b!tch, sortis respectivement en novembre 2023 et mars 2024, ont témoigné de son évolution constante et de sa volonté à repousser les limites de sa créativité. Elle n’a fait que confirmer cet élan en dévoilant une série de morceaux à raison d’un titre par mois depuis octobre, ces derniers regroupés dans un EP 3 titres : Merci Pour Les Roses.
Ekloz revient sur le processus de création de son EP, sa vision quant à son art et partage ses amours comme celui du hip-hop. Échange avec une artiste en remise en question continue, qui n’hésite pas à déconstruire ses automatismes pour offrir une musique toujours plus sincère.
Abcdr du son : Ton dernier EP 3motional b!tch est sorti il y a un peu plus d’un an, et sa réédition au printemps dernier. Comment est-ce que tu te sens après la sortie et est-ce que tu aimes la manière dont il vit pour l’instant ?
Ekloz : C’est nouveau, du coup c’est perturbant. Mais ce n’est pas négatif pour autant. C’est cool parce que je commence à avoir pas mal de recul sur le projet, donc je vis en fait. Ça fait longtemps que je fais du son et que j’ai toujours charbonné en mode musique, musique, musique. Et là, c’est la première fois où je m’autorise un peu à souffler après le projet. Il vit comme il doit vivre. J’ai essayé de trop décider comment il devait vivre, j’apprends à lâcher prise
A : L’EP a pris environ un an et demi de travail. Comment est-ce que tu as pris le temps de le travailler ?
E : Je modifie tous mes automatismes en ce moment, on repart à zéro, donc je n’ai pas une manière de bosser. En tout cas, j’en avais et là j’essaie de m’en détacher. Jusqu’à présent, j’étais un peu dans une frénésie depuis le début où je rappais et où je ne m’étais pas posé de questions. C’était automatique. J’étais en mode « je refais un projet. » De toute façon, comme je suis indépendante, il va me falloir le temps de remettre de côté l’argent que je n’ai pas fait pendant le temps de création de cet EP. Avant ça, mon rythme de sortie était assez spontané, et je sortais un projet par an. Là, ça se modifie. Je change un peu tous mes fonctionnements. J’ai eu besoin d’un an et demi pour retrouver des thunes, me re-inspirer et un peu faire vivre cet EP sur scène. Du coup, ça me donne matière à savoir ce que j’ai envie de ne plus faire ou pas
A : Pourquoi cette envie de remettre tout ça à zéro ? De changer tes automatismes ?
E : Parce que déjà, c’est mauvais. Après, parce qu’il y a eu aussi beaucoup de changements, et que je pense que je ne peux pas continuer la même recette. J’ai tendance à beaucoup me remettre en question et toujours un peu me re-challenger. Si je commençais à m’ancrer dans une recette, ça aurait pu être mauvais et le step d’après aurait été un peu difficile à passer. Je ne me limite plus trop. Avant, justement, j’avais des automatismes, mais maintenant, je suis en mode « il faut faire, il faut créer, il faut faire. » Maintenant, j’ai plus tendance à faire des gros blocs de séminaires parce que je bosse avec beaucoup de gens qui ne sont pas ici à Marseille. Je préfère bosser en direct, j’écris rarement sur des prods à l’avance, ou alors je le fais plus en mode training parce qu’il faut écrire. En séminaire je sors de la matière et de cette matière là, j’extrais ce que je préfère puis je vais chercher les gens pour l’arranger.
A : Ton ancienne manière de travailler prenait plus de temps ?
E : Oui complètement et je crois ne plus avoir envie de bosser tout le temps de cette manière. Je pense qu’il y a des morceaux qui méritent de prendre du temps. En fait, c’est comme ça que je crois percevoir aujourd’hui la différence entre un album et autre chose. Je me dis que sur un album, il peut y avoir des sons qui nécessitent peut-être six ans à faire parce que cette thématique là, il faut la traiter d’une manière profonde. Je commence un peu à m’autoriser à mettre des distances de durée différentes dans mes créations, du style « ça, je sais que ce n’est pas le moment. » Il y a un truc en gestation, je le mets de côté et je me dis que c’est à pousser. Je sens que je ne suis pas assez mature pour ce truc-là, mais qu’il y a un début de beaucoup de remise en question. Avant de surprendre les gens, j’ai envie de ne pas me faire chier avec mon équipe. J’ai envie que les gens qui bossent avec moi écoutent et soient surpris.
A : Dans une émission sur Mouv’, tu disais que le titre d’3motional b!tch était un peu une manière d’apporter du second degré dans ton art. Pourquoi tu y mets un point d’honneur ?
E : Parce que tout le monde se prend trop au sérieux. Parce que je me prends trop au sérieux [rires]. En fait, il y a un truc très élitiste, très hype, et si tu ne rentres pas dedans, tout le reste n’est pas valable. Moi, ce n’est pas du tout de là que je viens, en termes de mentalité. Du coup, j’aime bien le côté un peu anti-hero. On avance, on a les codes, mais en fait c’est une feinte. Il faut prendre du recul et se dire que c’est que du son, au final. Il fallait que je me fasse rentrer ça en tête. Si je ne réussis pas à faire un son dans une session en studio, je ne suis pas nulle, on va continuer de vivre.
A : Tu as commencé le rap en freestylant en live, dans un contexte très hip-hop. Est-ce que tu ressens une différence dans la place que prend cette culture aujourd’hui ?
E : Je crois qu’elle n’existe plus. Elle existe pour les rares qui ont encore ce truc et cette mentalité et dont je pense faire partie. Selon moi, c’est vraiment une mentalité. Il y a une histoire d’héritage et de culture, de savoir, ça passe par les références. Donc je pense qu’on est quelques-uns à le porter l’air de rien, mais ce n’est pas un étendard non plus. Être hip-hop, ce n’est pas quelque chose que tu prônes, mais que tu incarnes malgré toi. Je le porte beaucoup plus que d’autres choses. En tout cas, en concert par exemple, j’essaie de vraiment mettre l’accent sur ça. Parce que c’est aussi mon histoire et c’est une clé de compréhension et de lecture pour les gens. Je pense qu’on est quelques-uns en soum à savoir qu’on porte ce truc-là. Après, il y a des anciens qui assument clairement ce truc de transformation. Je pense à Vicelow ou même Driver, enfin tous ces acteurs-là. Pour moi, le hip-hop aujourd’hui ça se résume à des moments précieux et rares. Il y a des clés de hip-hop. J’ai l’impression que des gens essaient de recréer ça. Mais je crois qu’on est trop inférieurs, en termes numérique, à porter ce truc et à le connaître tout simplement. Peut-être que je jauge mal, il y a beaucoup plus de fourmilières qu’on ne le pense, il y a des initiatives. Le hip-hop, c’est de ça dont je suis tombée amoureuse au-delà du rap. C’est ce truc qui me parle. Peut-être que dans l’industrie, c’est beaucoup moins présent car le hip-hop me fait penser naturellement à la transmission. Par exemple, je fais beaucoup d’ateliers d’écriture avec les petits et j’ai l’impression que c’est plus un truc d’intermittent de propager le hip-hop. Les gens dans mon cas, qui n’ont pas le quart de mes ambitions mais qui sont des artistes locaux et qui restent à ce statut, ils transmettent au quotidien ce truc-là. Que ce soit en ateliers, dans des structures, etc… ça c’est du hip-hop. Par contre, on ne va pas le valoriser dans l’industrie. Donc je pense que ça passe par d’autres biais, par des petits chemins qu’on ne voit pas forcément.
« Être hip-hop, ce n’est pas quelque chose que tu prônes, mais que tu incarnes malgré toi. »
A : Tu as aussi cet attachement au live, pourquoi y prêter autant d’importance ?
E : Parce que c’est en moi. Avant le rap, j’étais dans la danse. J’avais ce truc de la scène, du spectacle, ça fait partie des choses dont je suis tombée amoureuse avec le temps. Je ne sais pas si ça existe, mais j’aimerai dire que je suis une artiste live. J’ai vraiment appris à bosser le studio plus tard. Et les concerts, même les trucs les plus pétés du monde, tu kiffes quand même grâce à l’énergie.
A : En parlant d’énergie, tu as récemment pris un tournant dans ta direction artistique. Tu pars dans un univers musical et visuel très sophistiqué. Tu avais besoin de mettre en matière une énergie différente en studio, avec l’autotune ?
E : Ce que je voulais, c’était arriver à vraiment accepter la vulnérabilité, le lâcher prise. Après, sur scène, ça a été compliqué parce que ce n’est pas ce que je connaissais et il fallait aller chercher d’autres énergies. Donc là, c’était vraiment différent. Mais ce travail là est en train de m’amener à encore autre chose. Il y a toute une gestation autour de ça que je trouve cool. Je me questionne sur comment j’amène mon live, quelle est la plus-value de venir me voir en live, à part que tu vas voir un concert. Comment j’arrive à vraiment affirmer la même identité et en même temps quelque chose de différent sur du live et du phono.
A : Comment tu visualises ton show ?
E : Quand quelqu’un écoute tous les sons par cœur et qu’il vient à mon concert… désolée, tu n’auras pas ton morceau exactement par cœur. Mais tu vas kiffer parce que tu vas l’entendre à chaque fois dans une version unique Parfois, quand tu n’apportes pas quelque chose de différent sur scène, tu es saoulée du projet. Je n’ai pas envie de subir mes chansons. Même si c’est quelque chose que j’ai en moi, je pense à la musique. J’ai tout le temps des couleurs de choix différentes tous les six mois.
A : Tu as découvert le rap avec des artistes indés et locaux, comme tu le disais. Aujourd’hui, on te voit collaborer avec plusieurs nouveaux artistes marseillais comme ADM ou Lotso. Tu as l’impression qu’une nouvelle scène émerge en ville ?
E : Je pense qu’on n’a pas encore de recul sur ce qui est en train de se passer maintenant. Il y a un truc qui est en train de se construire, mais on ne sait pas encore où ça va. Donc ce n’est pas une volonté, mais c’est juste que je m’affilie à des personnes qui me ressemblent et qui comprennent le mieux ma musique. Ça sort comme ça, c’est logique, c’est fluide, c’est juste du feeling.
A : Tu as envie de continuer à travailler de manière collective à l’avenir ?
E : Moi, je veux travailler avec tous les gens qui ont envie de travailler. Des passionnés. Même bosser avec d’autres artistes avec lesquels je ne vais pas forcément sortir des morceaux. D’ego à ego, on est d’accord pour dire que nos univers ne vont pas forcément ensemble en termes de featuring ou que ce n’est pas le moment, mais on s’alimente. Par exemple, quand je suis avec ADM et Lotso, j’écris beaucoup plus vite parce que c’est fluide. Personne ne se parle, chacun fait son truc, mais au bout de 20 minutes, on a nos couplets. Tu fais, tu fais et tu cherches ces moments de magie. C’est un peu de la drogue. [rires]
A : Tu viens de parler d’écriture. Tu écris pour autre chose que du rap ?
E : J’ai commencé à écrire des poèmes quand j’étais petite, mais pas des poèmes mignons. Je me rappelle des élections 2009-2010. Mes darons étaient énervés et j’ai retrouvé genre 5 poèmes en mode « Sarko, le nabot ». J’avais 9 ans et le premier truc d’écriture, c’était ça. Pas si éloigné du rap, finalement. [rires] Mes parents étaient littéraires et il y avait la lecture au centre de ma vie. Maintenant, j’aimerais bien écrire des bouquins. J’ai envie de faire plein de choses, et je commence à le faire d’ailleurs, mais sinon, c’est full rap.
A : Et comment écris-tu ?
E : J’ai une note géante sur mon téléphone que j’alimente tout le temps. Des fois, c’est juste un mot. Et après, quand j’écris, je fais des assemblages, j’essaie. J’écris aussi beaucoup en voiture, même si ce n’est pas pratique. Je fais des longues distances, donc des fois je bosse plus quand je conduis que quand je suis chez moi.
A : Tu as des exercices d’écriture que tu pratiques ?
E : Je suis hyper paradoxale là dessus parce que j’ai enseigné le rap à des centaines de jeunes, mais je suis incapable de compter des mesures logiquement. Je ne réfléchis jamais à mes schémas. Je sais où ça tombe dans la musicalité. J’écris comme ça, mais je sais que certains de mes potes sont très schémas d’écriture, très droits. Et je ne savais même pas que les gens écrivaient comme ça. Ça m’arrive aussi d’écrire pas mal sans prod : si j’écris chez moi, ça va être a cappella avec mes rythmiques puis je reprends ce que j’ai fait en studio et je termine d’écrire au micro. J’écris beaucoup au micro. Faire uniquement de la topline et partir en mode full micro, c’est l’erreur. Je peux passer littéralement six heures à faire de la topline et à changer des mélodies parce que le champ des possibles est infini, et quand il y a trop de possibilités, c’est compliqué.
« Même si je ne vis pas la misère de la même manière maintenant, c’est ça que je représente. »
A : Je voulais parler du morceau « 3motional b!tch Intro ». Il y a un côté très lyrique, presque comme un poème en musique.
E : Oui, ce qu’on a écrit pour l’intro c’était comme les deux, trois skits qu’on retrouve dans le projet. On les a amenés un peu plus loin. En gros, je voulais écrire un skit par morceau. Ils n’étaient pas forcément dans le projet, mais tous les supports de communication après sur les réseaux, c’était à chaque fois une espèce de définition. J’aime trop écrire ce genre de choses, c’est flou, mais ça parle beaucoup. Parfois, j’ai l’impression que c’est un peu trop romantique, mais j’aime bien ce style d’écriture, plus sensitif, où c’est un mood que tu ressens.
A : Il y a une note très mélancolique qui se dégage de l’EP en général. Dans « Tout Finira » tu dis : « encore des lignes qu’on récite sans y croire. » Desquelles parles-tu ?
E : Je pense que ça fait référence aux paroles, aux schémas que je me fais, sans les comprendre. Par exemple, j’ai une facilité à écrire des sons d’amour, mais j’ai du mal à les assumer. J’en ai plein en stock, à chaque projet, je me dis « celui-là, je le mets », et finalement, je ne le fais pas. Du coup, je me questionne sur mon approche de l’écriture. Est-ce que j’ai des barrières que je me suis mise toute seule ? Ça fait longtemps que j’essaie de déconstruire ça. C’est compliqué, mais j’y travaille.
A : Ce que tu dis me fais penser à cette phase sur ton EP : « je me sens parasitée, que des voix différentes qui se la donnent » (« C Pas Comme Avant »). Est-ce que ce sont tes propres voix ?
E : Oui, ce ne sont que mes voix. Je n’écoute plus les autres maintenant, et je suis très têtue. Ce que j’ai dans ma tête, c’est très précis. J’ai essayé de m’ouvrir un peu aux autres, mais ça m’amène à côté de certains trucs. Les conseils en mode « ce son-là, c’est comme ci ou ça », ça ne m’intéresse pas trop. Il faut que je m’écoute et que je me fasse confiance. Si je lâche tout, il faut que ce soit tranquille, que ça résonne vraiment avec ce que je veux faire.
A : Ce que tu racontes dans ta musique, c’est 100% toi, ou tu te crées un personnage ?
E : Je pense que c’est une grosse carapace, mais pas une carapace douloureuse, plus une entité où je peux jouer de mes voix, de mon écriture, de ma musique. Il y a Ekloz et Héloïse, ce sont les deux principales. Et après, il y a toutes les germes dessus, de tous les côtés. J’en découvre des nouvelles tous les deux mois. Je bouge beaucoup.
A : Dans « Pas Assez dedans » tu dis : « qui fait l’industrie, le bizz ? La rue c’est le vice, j’veux une vue sur la misère. » Pourquoi ?
E : Parce que c’est de là que je viens. C’est important de garder un œil sur ce que tu es, d’où tu viens. Même si je ne vis pas la misère de la même manière maintenant, c’est ça que je représente. C’est ce qui me motive à la base à faire de la musique. Si je perds cette connexion, je me perds moi-même aussi, je ne saurais plus pourquoi faire les choses.
A : Tu utilises énormément l’autotune dans ta musique. Quel est ton lien avec cet outil ?
E : L’autotune, pour moi, c’est quelque chose qui me permet d’exprimer des choses de manière différente, un peu déformée. C’est comme si tu enveloppais tes émotions dans un filtre, mais qu’elles sont toujours là. Quand je parle de mettre de l’autotune sur mes regrets, c’est une façon de dire que j’essaie de rendre ces sentiments plus acceptables, plus faciles à digérer, même s’ils restent toujours présents. J’ai toujours voulu que ma musique soit un reflet de mes émotions, de ce que je vis et ressens. Pour moi, l’art, c’est un moyen d’exorciser tout ça, de transformer le négatif en quelque chose de beau ou de porteur de sens. C’est important que les gens puissent se retrouver dans ces émotions, que ça résonne avec eux.
A : On l’a évoqué tout à l’heure, tu parles beaucoup d’amour dans tes textes. Tu en as une vision qui fait mal, qui déchire : « je parle d’amour sous larmes de sel » (“Vue D’la A7”).
E : Il y a un truc très spontané qui sort de moi quand je parle d’amour mélancolique. Je pense que c’est juste un trop plein qui demande à sortir et je vois si ça trouve sa place ou non dans le projet. Parfois rien ne sort. Mais bizarrement, ce n’est pas ce genre de morceau qui est compliqué à faire, plutôt ceux qui sont plus légers. Pendant longtemps, je me suis dit que ce créneau n’était pas pour moi. Et là je travaille pour vraiment trouver le truc. Après, sur ce genre de sons, je pense que c’est plus simple d’en faire beaucoup puis d’en sélectionner. Contrairement à des morceaux plus profonds, d’autres sons très rap, qui ont une vraie essence.
A : Et comment ces différentes énergies que tu captes te servent à créer ?
E : Actuellement, je me demande comment je vais transformer l’énergie qu’il y a en moi depuis le début pour arriver à ce qu’elle soit toujours présente. Peut-être pas de la forme qu’on retrouve sur cet EP, mais autrement justement. Comment est-ce qu’elle peut toujours m’alimenter au fil des années. Mais je conserve toujours le moteur de base. Je sais pourquoi je fais de la musique. Après, ma vision peut évoluer, mais si je le fais toujours pour les mêmes raisons, avec les gens que je kiffe, les réussites sont plus belles et le succès se savoure mieux. Par exemple, ça me fait chier d’écouter des mecs qui pleurent sur le fait qu’ils sont célèbres, que c’est dur, alors que c’est ce qu’ils recherchaient. Quand tu charbonnais, que tu disais que tu méritais ou qu’on ne te donnait pas assez, il faut voir l’ensemble du chemin que tu parcours quoi.
« Quand je parle de mettre de l’autotune sur mes regrets, c’est une façon de dire que j’essaie de rendre ces sentiments plus acceptables. »
A : Tu as également sorti la réédition de cet EP au printemps dernier, comment tu l’as travaillé ?
E : À la base je voulais faire un double EP, donc pour moi, il manquait encore un bout,il fallait vraiment clôturer le truc. Je me suis dit qu’on devait faire une réédition où les morceaux seraient destinés pour le live. Et j’avais envie de re-rapper aussi. C’est pour ça qu’il y a un côté plus brut dans les textes. C’est sorti très facilement et ça m’a fait beaucoup de bien.
A : Est-ce que tu as commencé un petit peu à travailler sur autre chose entretemps ? Ou tu as besoin de laisser vivre cet EP et sa réédition ?
E : J’en aurais eu besoin, mais je ne l’ai pas fait. J’ai enchaîné direct. Je ne sais pas encore si je suis sur la bonne route. Il faut que je vive pour me nourrir. En plus, d’habitude je tourne toujours énormément en concerts. Là c’est la première fois où je fais beaucoup moins de dates mais de manière beaucoup plus qualitative. Et c’est vrai que le live me donnait les directions pour la suite.
A : Et maintenant, comment trouves tu des nouvelles directions sans le live pour t’aiguiller ?
E : Je ne sais pas où je vais mais j’ai des pistes. J’ai un peu moins peur d’assumer toutes ces identités, là où avant, j’avais cette volonté de convaincre à nouveau. En tout cas, j’ai envie que ce soit énergique. La couleur du projet qu’il y a eu sur 3motional b!tch, elle est cool, mais je ne me reverrai pas faire un projet entier de cette palette-là. J’ai envie que le reste soit un peu plus dynamique quand même.
A : Tu as sorti deux morceaux, « Avec Des Mecs En Jogg » en octobre puis « Miroir Sans Tain » en novembre. Tu changes de direction musicale et visuelle. Tu voulais t’éloigner un peu de ce que représentait 3motional b!tch ?
E : Oui. Je veux faire des choses toujours aussi cohérentes mais j’ai la volonté de gagner en lisibilité pour les gens, musicalement et visuellement. J’ai un univers qui est très fourni, donc beaucoup d’éléments se doivent d’être démêlés. Je veux revenir à l’essentialité dans ma musique, je veux l’alléger pour que ce soit plus simple de la recevoir.
A : Tu as changé aussi ta couleur de cheveux, tu as besoin d’incarner ce revirement artistique ?
E : Absolument. Il faut que je l’image de manière différente. 3motional b!tch était un projet assez sophistiqué et j’avais besoin de revenir à quelque chose de plus simple sur ces titres. Ça passe aussi par moi.
A : Tu disais que rester sur ses acquis était dangereux. Quelle a été ta gymnastique de travail pour ces titres ?
E : J’ai eu une méthodologie complètement différente. Je me suis posée chez moi toute seule, j’ai écrit seule et j’ai enregistré seule. J’ai surtout remarqué un changement dans l’écriture. J’y ai plus prêté attention, en prenant plus le temps de me concentrer sur les rimes.
A : Ça a été un travail rapide pour toi ?
E : Les morceaux se sont dégagés assez naturellement. Je les ai enregistrés rapidement après la sortie de l’EP. J’ai pris le temps de bien les faire mûrir, de les transformer comme je le voulais surtout. Je les ai enregistrés en février donc ils m’ont beaucoup accompagnés cette année. Ce sont des morceaux forts.
A : Tu comptes les rattacher à un projet ?
E : Je ne pense pas, ces sons arrivent sur une transition. Ils auraient pu être affiliés à un projet mais je n’avais pas de volonté de segmenter le tout obligatoirement. Je travaille sur un projet à mi-chemin entre ces titres et 3motional b!tch. Je veux que ça reste le plus cohérent possible.
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