Driver
Il a rappé pêle-mêle avec Method Man, Diam’s, Kery James et les Boyz II Men. Il a connu l’éveil du rap français, le faste des années Skyrock et les impasses des majors. Témoin et acteur de vingt années de hip-hop, Driver sort aujourd’hui son troisième album. Volubile et généreux, il nous a conté les rencontres et les souvenirs qui ont jalonné son parcours.
Abcdr Du Son : D’où t’est venu le surnom de Driver ? La légende dit que tu n’as pas ton permis de conduire…
Driver : Ça remonte à la 6e. C’était notre première année d’anglais et on s’amusait tous à se donner des noms en anglais qu’on allait taguer sur les tables de l’école. A onze ans, je ne savais même pas faire de vélo [rires]. J’ai un pote qui m’a dit : « Toi, on va t’appeler le conducteur ». Entre temps, j’ai appris à faire du vélo mais, en effet, je n’ai toujours pas le permis.
A : Comment en es-tu arrivé à faire du rap ?
D : J’ai commencé à écrire en 1989. Je devais être en 6e ou 5e. Il y avait l’émission de Dee Nasty sur Radio Nova qui accueillait des rappeurs tous les dimanches. Mon grand-frère est tombé sur une émission, il l’a enregistrée et me l’a faite écouter le lendemain. J’ai complètement bloqué dessus. Il s’agissait de l’équipe de MC Solaar, le 501 Posse. C’est la première fois que j’entendais MC Solaar et, ce jour-là, il rappait « Bouge de là » sur un instru de Kool Moe Dee. Le beat était très rapide… J’ai eu un choc quand j’avais entendu la version définitive du morceau !
A : C’est la première fois que tu entendais du rap français ?
D : Oui. Solaar et toute son équipe étaient très forts. Je me repassais constamment la cassette et je finissais par la connaître par cœur. Ensuite, on s’est mis à enregistrer les émissions tous les dimanches et, quand j’étais au collège, je me mettais à rapper ce que j’avais entendu sur Radio Nova devant mes potes. Je leur disais que j’étais l’auteur des textes [rires]. Jusqu’au jour où un mec qui écoutait les mêmes émissions que moi m’a complètement grillé !
A : Tu découvres le Ministère A.M.E.R. à cette époque ?
D : La semaine suivante, il y a des mecs qu’on appelait Ämer Posse, qui allaient devenir le Ministère A.M.E.R., qui sont passés chez Radio Nova. Ces mecs-là étaient tous de Sarcelles. Je les voyais dans la rue et, du jour au lendemain, je les entends à la radio. Ça a été le choc de ma vie. Pour moi, la radio, comme la télé, était destinée aux autres et pas aux mecs comme nous. Ça m’a donné envie d’écrire mes propres rimes. J’ai réalisé que c’était possible.
A : Et tu t’es mis à écrire tes propres textes…
D : Ouais, je les rappais au collège devant mes potes… Jusqu’au jour où je tombe sur Radio Beur. L’après-midi, il y avait une émission de rap qui avait le même concept que celle de Dee Nasty. On est en 1990 et l’animateur s’appelle Alibi (le futur Alibi Montana). Il improvisait, recevait des rappeurs et proposait aux gens de rapper au téléphone. J’appelle, je rappe et Alibi me dit : « Tu déchires, je te propose de passer en direct dans deux semaines. »
J’ai fait le tour de la ville à la recherche d’autres rappeurs parce que je n’avais pas la force d’y aller tout seul. Je me suis rendu compte que plein d’autres gens rappaient, des connaissances, des gars avec qui je jouais au foot… A cette époque, les mecs qui rappent sont des extraterrestres. On arrive à être six ou sept et on décide de faire un groupe. On s’appelait Les Agents de la Rime. On déboule à la radio et on rappe…
A : De quand date ton premier concert ?
D : Le jour où on était à la radio, il y avait un mec qui s’appelait Georges et qui était professeur à la Fac de Saint-Denis. Il avait au moins la cinquantaine et s’intéressait au rap parce qu’il était professeur de sociologie. Il a apprécié ce qu’on faisait et nous a proposé de participer à un grand concert donné à la Fac de Saint-Denis. Toutes les stars du rap français seraient présentes. Enfin, quand je te parle de « stars », il s’agit de personnes qui n’avaient jamais sorti de disques mais qui passaient à Radio Nova. C’était le dimanche soir, j’avais école le lendemain, c’était impossible pour moi d’en faire partie donc je voyais vraiment ces mecs comme des stars.
Ce soir là, il y avait Stomy Bugsy, qui s’appelait Stomy B. à l’époque. Savoir qu’il serait là me rendait dingue. Quand on a terminé le concert et qu’il est venu me féliciter en disant que ce que je faisais était bien, j’ai su que je ne m’arrêterais plus jamais. Stomy doit avoir quatre ans de plus que moi, ce qui représentait une énorme différence à l’époque. Je devais avoir douze ans et il était impossible qu’on puisse traîner ensemble.
A : Tu étais fan du Ministère A.M.E.R. ?
D : C’était incroyable. Au début, ils ont sorti un maxi qui contenait le morceau « Traîtres ». A l’époque, Rapline finançait parfois les clips de certains titres et ils avaient décidé de le faire pour « Traîtres ». Dans la ville, c’était n’importe quoi ! Tout le monde voulait être dans le clip… On peut y voir Mohamed Dia, qui devait avoir quatorze ans. Les grands du quartier avaient fait un disque et c’était un événement. A l’époque, les gens qui faisaient des disques ressemblaient à Johnny Hallyday mais pas à des gars que tu voyais tous les jours en bas de chez toi. On était très fiers et on voulait leur ressembler.
Pour résumer, je dis souvent que j’ai commencé à rapper en 1990 parce que c’est la date de mon premier concert à l’université de Saint-Denis. L’affiche est encore dans ma chambre. Ensuite, il y a eu beaucoup de freestyles sur Radio Beur et Tropic FM s’est mis à avoir son émission donc on est également allés là-bas. A l’époque, tu ne cherchais pas à faire un disque car ça paraissait impossible. Contrairement à ce qui se passe aujourd’hui où les gens veulent sortir un disque après leur premier morceau, on ne se sentait pas encore prêts pour partir sur un album. J’écrivais des textes pour les rapper à la radio ! On a fait ça pendant au moins trois-quatre ans.
« Quand Stomy est venu me féliciter en disant que ce que je faisais était bien, j’ai su que je ne m’arrêterais plus jamais. »
A : Le groupe a évolué au fil du temps ?
D : On a commencé à sept avant de se retrouver à trois. Dans ce noyau dur de trois personnes, il y en a un qui a choisi les meufs, un qui a choisi le gangstérisme et moi qui voulais vraiment dédier ma vie à la musique. J’avais des parents sérieux qui ne me laissaient pas sortir quand je voulais et je les en remercie aujourd’hui même si ça ne me plaisait pas toujours. Je me souviens que j’attendais les petites vacances pour pouvoir aller rapper à la radio le soir.
A : Tu te retrouves assez vite en solo, donc…
D : Oui, on doit être vers 1993. Je rappais toujours sur des faces B et je me disais qu’il serait bon d’avoir mes propres instrus. Je vais donc chez Desh, DJ du Ministère A.M.E.R., qui était le premier mec de ma ville à s’être acheté un sampler. Je me suis retrouvé devant lui, j’ai rappé, il m’a trouvé bon et on a décidé de travailler ensemble.
A cette époque, c’était déjà l’ancien DJ du Ministère A.M.E.R., qui avait pris DJ Guetch à la place. Les noms se ressemblent et certains ont fait la confusion. Malgré ça, Desh est resté pote avec le Ministère notamment parce qu’il jouait au club de baseball de Sarcelles avec Passi. Stomy et Passi allaient tout le temps chez lui et c’est chez Desh que j’ai réellement discuté pour la première fois avec le Ministère A.M.E.R. Il y avait Passi, Stomy, Hamed Daye et Moda.
Juste avant la sortie de leur premier album, Moda quitte le groupe et forme un duo avec Dan, du magasin Tikaret. Moda me dit : « Viens avec moi, tu es bon et on va faire des choses ensemble ». Il était dans une optique où il voulait produire des gens. C’est avec lui que je me suis retrouvé pour la première fois dans un studio et que j’ai appris tout le jargon qui va avec. Moda me disait : « Là c’est ton refrain mais il est trop maigre, il faut que tu le doubles »… A cette époque-là, j’étais mineur et c’est Moda qui m’a appris à rapper en studio. Aujourd’hui, on n’apprend pas aux jeunes rappeurs à poser en studio et ça s’entend. En tout cas, moi je l’entends.
Moda a fait son album et une mini compilation qui s’appelait Neg de la peg’ sur laquelle j’ai eu un morceau. Dan avait fait la musique, Moda a fait un couplet de huit mesures et ça s’appelait « Roule avec Driver ». Ma voix était sur un vinyle : j’étais fou ! J’allais à l’école et je montrais le sticker à tout le monde. On me répondait : « Ouais mais on ne t’a pas entendu », « Ouais mais on ne t’a pas vu »… Je me rendais compte que tu n’étais personne tant que tu ne passais pas à la radio ou à la télé mais, dans le milieu, je commençais un peu à faire parler de moi. Ils ont joué mon morceau sur Fréquence Paris Plurielle, qui était la radio qui marchait bien au niveau hip-hop. C’était la première fois que je passais à la radio mais, comme il ne s’agissait pas de Skyrock, Fun Radio ou NRJ, les gens n’étaient pas au courant.
A : Tu croises beaucoup de gens de la scène parisienne à l’époque ?
D : Moda et Dan connaissaient beaucoup de gens et il y avait du passage à Tikaret étant donné qu’ils avaient décidé de faire une compilation qui réunirait toute la scène rap parisienne de l’époque. Je suis tout le temps là, je freestyle avec ceux qui sont de passage et je rencontre beaucoup de gens.
Kery James, qui s’appelait juste Kery à l’époque, a fait un stage chez Tikaret. Je crois qu’il s’agissait du stage d’observation que tu devais faire en 3ème. Il était là tous les jours et c’est aussi à cette époque-là que je rencontre DJ Mehdi qui faisait déjà des beats, mais qui rappait en plus. Je sympathise beaucoup avec lui et il décide de me faire des beats. Un jour, il y a Kery, qui avait son coin dans le magasin où il vendait des vinyles, et je vois un autre mec dans un coin. On est en 1992-1993 et tu sentais qu’il était à fond dans The Chronic et Doggystyle : chemise à carreaux, les mêmes tresses que Snoop dans « Gin & Juice »… Le mec s’appellait Rohff. On était tous en train de rapper et, quand j’entends Rohff pour la première fois, je me dis : « Ah ouais, il est fort lui ! »[rires]. Je connaissais déjà Kery depuis « La vie est Brutale » mais là, il avait grandi et je l’avais trouvé beaucoup plus fort. Je dis à Mehdi que je veux faire un morceau avec lui et Kery. On enregistre le morceau et Mehdi fait un super couplet mais il n’était pas sûr de lui. Deux semaines après, il me dit qu’il n’aime pas le couplet qu’il a fait mais il a un super rappeur pour le remplacer : il s’appelle Manu Key [rires]. La semaine d’après, Manu Key vient poser et ça m’a permis de rencontrer beaucoup de monde.
A : Tu étais assez proche de la Mafia K’1 Fry, du coup ?
D : Oui, mais le mec qui m’a donné un vrai coup de main à cette époque, c’est Dany Dan des Sages Poètes de la Rue. Dany était d’ailleurs très proche de Manu Key à l’époque.Tikaret était vraiment un lien entre tous ces rappeurs. Dany connaissait Moda et est donc venu à Tikaret. C’est là qu’il a eu l’occasion de m’entendre et qu’il a voulu qu’on fasse un morceau ensemble. C’était pour la compilation que Moda était en train de faire et on a enregistré un morceau qui s’appelait « Aucune règle ». Je dois avoir une cassette quelque part chez moi [sourire].
Dany Dan était déjà en avance et avait des punchlines de dingue. Ce qui était fou c’est qu’il étudiait les cainris au moment où on ne les étudiait pas. On pétait un câble devant lui ! Le morceau était mortel et on le faisait chacun écouter dans nos coins respectifs. Un jour, Dany Dan m’appelle et me dit : « Tout mon entourage kiffe ce que tu fais, je veux te filer un coup de main. » Il me dit que Cut Killer va faire une mixtape Spéciale Lunatic et que je dois aller poser dessus. Pas de problème ! Je me souviens que Cut Killer habitait à Strasbourg Saint-Denis et c’était un truc de fou d’aller là-bas. C’est là que je rencontre vraiment Booba, Ali, que je sympathise avec eux… C’était vraiment cool. A partir de là, j’ai vraiment senti qu’on commençait à me prendre au sérieux.
A : Tu as toujours semblé un peu à part dans le rap français, notamment via les thèmes et les différents délires que tu as développé sur tes albums. Est-ce que tu te sentais un peu marginal ?
D : Pas du tout. Comme je te le disais tout à l’heure, je suis un grand fan du Ministère A.M.E.R. et j’aimais beaucoup Assassin à l’époque où Solo et Squat étaient ensemble… C’était du rap dur et violent et, de treize à seize ans, j’ai fait du rap dur et violent dans l’espoir de plaire à ces mecs-là. Au fur et à mesure, j’ai compris que je ne devais pas être comme tout le monde, mais être moi-même.
A partir de là, c’est moi qui ai cherché à m’écarter de ce qui se faisait. Ça ne m’a pas empêché de me mélanger aux autres rappeurs mais je ne voulais pas que ma musique ressemble à celle d’un autre. C’est un élément qui était propre à cette époque et qui a un peu changé aujourd’hui. Chacun avait son style et je trouve que trop de choses se ressemblent aujourd’hui. Très tôt, j’ai compris que Sarcelles avait déjà le Ministère A.M.E.R. qui jouait la carte gangster. La ville de Sarcelles était un peu une ville de gangsters et ça n’a pas beaucoup changé d’ailleurs [rires]. C’était marrant de venir de là-bas et de ne pas jouer sur ce côté justement.
A : Finalement, Le Grand chelem, ton premier album, est arrivé assez tard par rapport au moment où tu as commencé à rapper…
D : Oui mais je trouve qu’il est arrivé au bon moment. J’avais acquis un savoir-faire puisque je m’étais formé de 1990 à 1998. Je t’assure que les ingénieurs du son m’adorent ! Ils ne galèrent pas, les prises se font vite et ça m’arrive fréquemment d’enregistrer cinq morceaux en une journée.
J’ai failli avoir l’opportunité de le sortir plus tôt. Le Ministère A.M.E.R. avait un producteur qui s’appelait Mariano et qui nous avait proposé, à l’époque où j’étais encore avec mon groupe, de signer chez lui. Ça se passait avant qu’il signe le Ministère puisque j’avais réussi à récupérer le numéro du mec avant eux. Je suis allé chez lui, je lui ai fait écouter une de nos cassettes… Il a kiffé et a voulu nous signer. Mais il y avait un autre rappeur à côté qui a dit : « Mais l’instru sur laquelle vous rappez c’est ça, et celle-ci elle vient de tel album… » Et le producteur nous dit qu’il ne peut pas nous signer si ce n’est pas notre musique. J’étais jeune et je pensais qu’on pouvait sortir des disques en rappant sur la musique des autres [rires]. C’est là qu’il me dit qu’il faut faire des sons, qu’il faut sampler… Je ne savais pas ce que c’était. Si j’avais sorti mon disque en 1993, ça aurait été n’importe quoi.
A : Il y avait quelques invités sur ton album, dont Diam’s qui était encore toute jeune…
D : C’est d’ailleurs le premier featuring qu’elle ait fait. Des gens vont dire qu’elle était sur Mafia Trece avant… Ouais, mais c’était son groupe ! Après ça, je suis le premier à l’avoir invitée. Je l’avais entendue pour la première fois sur Générations dans une émission qui était animée par Jean-Pierre Seck, si mes souvenirs sont bons. Il a joué un morceau d’elle et j’ai appelé la radio pour savoir qui c’était… J’ai commencé à la chercher partout. Je me souviens d’une interview que j’avais donnée à Radikal dans laquelle je disais à la fin que je cherchais une rappeuse qui s’appelait Diam’s [rires]. Finalement, son équipe est venue vers moi et on a pu faire ce morceau ensemble.
J’ai enregistré cet album à une époque où Skyrock s’etait mis au rap depuis peu. Ce qu’on entendait à la radio venait soit de Sarcelles avec le Secteur Ä, soit de Marseille. De temps en temps, tu avais NTM au milieu quand ils se décidaient à sortir un disque mais sinon tu ne pouvais pas couper à l’axe Sarcelles-Marseille. Tout le monde, et je ne parle pas de la maison de disques mais des gens avec qui je travaillais, me disait qu’il fallait que j’invite des mecs du Secteur Ä ou des mecs de Marseille. Moi, bien sûr, j’ai dit non [rires]. En fait, j’ai invité un seul mec de Sarcelles. Il s’appelle Kybla et c’était un mec avec qui je traînais tous les jours et partageais cette passion. De la même manière, il n’y avait pas de Marseillais parce que je n’en avais pas envie.
A : Comment as-tu eu l’idée de ramener Sophie Favier et Julia Channel sur cet album ?
D : Je suis quelqu’un qui regarde la télé et, en signant chez Universal, je me suis dit que c’était une porte ouverte pour réaliser de vrais délires. Quand je voyais Sophie Favier à côté de Dechavanne, j’étais bouche bée. Je me suis dit que si je faisais un album, je n’en avais rien à foutre d’inviter le dernier mec underground : je voulais Sophie Favier ! [rires] Quand j’ai dit ça à la maison de disques, ils m’ont regardé comme si j’étais un grand malade.
Dans un premier temps, Sophie Favier a refusé quand ma maison de disques l’a contactée. Apparemment, elle avait fait une émission avec Doc Gyneco dans laquelle il s’était moqué d’elle et elle ne voulait pas revivre ça. J’étais triste mais j’ai dit la chose suivante à la maison de disques : « Dites-moi quand elle vient et je m’occupe du reste » [rires]. Ils l’ont faite venir et j’ai fait semblant de rentrer par hasard dans le bureau quand elle était dedans. Je la vois et je fais semblant de tomber dans les pommes. Elle se demande ce qui me prend et ma directrice artistique lui dit que j’étais le rappeur qui l’avait invité sur son album, que je suis un grand fan… Sophie Favier commence à s’approcher de moi, me tapote un peu le visage pour me réveiller et… se met à me faire du bouche à bouche ! Je me réveille et dis : « Ah mais c’est réel, ça n’était pas un rêve ». Elle a tout de suite accepté et s’est confondue en excuses [rires]. J’ai pris plein de photos avec elle, dans certaines je lui faisais faire des signes de gangs de Sarcelles auxquels elle ne comprenait rien mais ça s’est très bien passé. Et, dans son interlude, j’ai fait exprès de lui écrire un texte avec plein de « s » partout !
Pour Julia Channel, c’était à l’époque où elle essayait de faire de la musique. Elle travaillait avec Cutee B qui a également bossé sur mon premier album. A chaque fois, je lui disais de la ramener en studio mais il ne voulait pas. Il l’a finalement appelée. A ce moment-là, je n’avais jamais vu un de ses films. Quand je l’ai vue, j’ai été impressionné… Et, depuis, on est resté amis [sourire].
A : L’album est sorti chez Universal…
D : Polygram et Universal avaient fusionné mais j’avais signé quand ça s’appelait encore Polygram. En fait, j’avais enregistré des démos chez Desh et j’avais démarché quelques maisons de disques. Polygram a été la première à accrocher. C’était marrant parce que je suis allé voir une directrice artistique de Polygram qui avait apprécié ce que je faisais, qui avait trouvé mes morceaux originaux. Mais elle m’avait prévenu : Solaar sortait son nouvel album, Paradisiaque, et elle m’a bien fait comprendre que, quand Solaar sortait un disque, plus rien ne comptait autour. Il fallait qu’elle fasse écouter ma musique aux décideurs en sachant que même s’ils prenaient la peine de m’écouter, ils n’auraient sans doute pas le temps de me signer étant donné qu’ils bossaient sur l’album de Solaar. J’étais encore au lycée à ce moment-là et, du coup, je n’y croyais pas trop mais finalement ça a marché.
Mon expérience en maison de disques s’est extrêmement bien passée. Beaucoup d’artistes colportent une mauvaise image des majors et c’est vrai que c’est dur quand on te rend ton contrat. Quelque part, tu te fais licencier. J’avais signé pour trois albums et je n’en ai fait que deux. On m’a viré et je n’ai pas honte de le dire. Bon, ça s’est très bien passé parce que je m’entendais bien avec le boss. Il faut savoir que si tu as signé pour trois albums et qu’on te pousse avant vers la sortie, on te compense financièrement pour ce que tu n’as pas eu l’occasion de faire.
A : Être en major, c’est aussi avoir l’opportunité de réaliser plus facilement ses fantasmes ?
D : J’ai fait des choses de fou quand j’étais en major. Ils m’ont par exemple envoyé aux États-Unis pour faire un morceau avec les Boyz II Men. Il fallait travailler un de leurs morceaux pour la France. En réalité, j’avais juste à poser ma voix sur le titre mais, pour rendre tout ça crédible, ils m’ont envoyé aux États-Unis et ont demandé à la presse d’y aller aussi. C’était la première fois que j’allais aux États-Unis. Les Boyz II Men étaient au top de leur gloire, je les ai retrouvés sur une de leurs dates de concert qui se déroulait dans un immense gymnase de NBA. Je ne sais même pas combien de personnes il y avait… Quand je suis arrivé à l’aéroport, le douanier américain m’a demandé ce que je venais faire sur son territoire. J’ai répondu que je venais faire un morceau avec les Boyz II Men. Il a failli m’enfermer parce qu’il pensait que je mentais ! Il a fallu que je dise que j’étais là en vacances pour qu’il me laisse passer.
Sinon, je ne suis pas le plus grand fan du Wu-Tang mais je me suis retrouvé en studio avec eux pour enregistrer un morceau. C’était pour une compilation qui est sortie aux États-Unis et à quelques exemplaires en France. Il y avait Killah Priest, Prodigal Sunn et Method Man… Il faut savoir que je m’en foutais [rires] ! La maison de disques m’avait dit qu’un jazzman réalisait une compilation hip-hop et qu’il voulait un couplet en français dessus. On me dit que c’est pour rapper avec le Wu-Tang et ça ne m’emballait pas plus que ça. « Ouais mais l’enregistrement se déroule à New-York. » « Ok, on y va ! » [rires] Ce qui me préoccupait le plus c’est que je me suis retrouvé dans le studio où 2Pac s’était fait shooter à cinq reprises. A ce moment-là, Kurupt sortait son album solo et le clip de « We Can Freak It » n’arrêtait pas de tourner. A chaque fois que BET le passait, j’étais comme un fou et je montais le son. Les mecs du Wu pétaient un câble : « Mais arrête d’écouter les trucs qui viennent de Los Angeles ! » [rires] A l’époque, la querelle East/West était encore toute fraîche.
A : A l’époque où tu as sorti ton premier album, le Secteur Ä cartonnait. Tu n’as jamais eu l’opportunité de sortir ton disque par leur intermédiaire ?
D : Je traînais dans un quartier qui s’appelle la Secte Abdoulaye. En gros, ce sont des mecs de la Secte Abdoulaye qui ont monté une société qui s’appelait le Secteur Ä. C’était lié. Je voyais donc Kenzy tous les jours et, pour moi, c’était un exemple. Je le voyais partir sur Paris avec son sac à dos pour aller chercher des plans pour le Ministère A.M.E.R.. J’avais plein de potes qui allaient voir Kenzy pour lui dire que je rappais bien. Un jour, il est venu me voir et m’a dit : « Ramène-moi une maquette et je te dirai qui tu es et ce que tu dois faire. » Je suis monté chez moi et je lui ai apporté directement une cassette.
Je ne m’en rendais pas compte mais j’ai fait une terrible erreur à l’époque en lui passant le fameux morceau sur lequel il y avait Manu Key et Kery James. Kenzy est revenu me voir, m’a rendu la cassette et m’a dit : « Il rappe vraiment bien Kery » [rires]. C’est un sacré personnage et, en plus, c’est très difficile de capter ses sentiments.
A : Tu ne l’as pas recroisé après ?
D : Plus tard. J’ai d’abord continué ma route. A l’époque, Desh avait organisé un concert à Sarcelles où j’ai joué, où Ärsenik, qui venait fraîchement de rejoindre le collectif, a joué… Il faut savoir qu’à cette époque le Secteur Ä n’existait pas encore en tant que société. Kenzy était le manager de Doc Gyneco et Première Consultation était en train de se faire. Il y avait des maquettes de l’album qui tournaient dans la ville et tout le monde sentait que Gyneco allait cartonner. Il y avait l’esprit Ministère A.M.E.R. et, en même temps, le discours était accessible à tout le monde.
En 1995, Ärsenik avait rappé sur une compilation de Desh qui s’appelait L’art d’utiliser son savoir. Ils venaient de Villiers-le-Bel mais Kenzy a directement mis son grappin sur eux. Dans mon esprit, il n’était pas question qu’on vienne dans ma ville et qu’on fasse mieux que moi. Il fallait que je fasse mieux qu’Ärsenik. J’avais donc préparé un petit show et, sincèrement, j’ai retourné le truc ce jour-là. Kenzy était là et a demandé à deux mecs qui travaillaient avec lui de venir me voir. Ils m’ont dit qu’ils voulaient s’occuper de moi et qu’ils me proposaient de rejoindre l’équipe… C’était peut-être le plus beau jour de ma vie ! Je n’ai pas hésité et j’ai tout de suite dit oui.
On a roulé ensemble pendant tout l’enregistrement de Première Consultation. Ensuite, il y a eu quelques épisodes sur lesquels je ne m’étendrai pas mais, en gros, je sentais que je n’étais pas une priorité. Après le succès de Gyneco, Kenzy est devenu le manager de LA star du moment. Il décide donc de monter sa boîte et je sens que les Neg Marrons vont sortir avant moi, que Ärsenik va sortir avant moi… Je décide donc de partir à ce moment-là et tout le monde me prend pour un fou. Je n’avais pas de plan derrière mais je sentais que je n’étais pas à ma place. Je suis parti et j’ai eu la chance de signer très peu de temps après.
A l’époque, on était très West Coast à Sarcelles et le Secteur Ä s’apparentait un peu à Death Row. Eh bien, moi, j’étais Warren G ! [rires] Comme lui, j’étais le mec autour du collectif sans vraiment en faire partie. Quand je lisais les interviews de Warren G, tout le monde lui demandait pourquoi il n’était pas chez Death Row. Il expliquait qu’il y était à la base mais qu’ils ne comptaient pas sur lui et qu’ils sortiraient son disque dans dix ans. Je me suis totalement reconnu là-dedans.
« Je me suis dit que si je faisais un album, je n’en avais rien à foutre d’inviter le dernier mec underground : je voulais Sophie Favier ! »
A : Tu t’es plutôt dirigé vers le son californien que vers New York, d’ailleurs.
D : Je ne suis pas à 100 % West Coast et j’aime vraiment le rap sous toutes ses formes. Maintenant, c’est vrai que Sarcelles a été influencée par la West Coast. Par exemple, le film Colors avait profondément marqué les grands de ma ville. Ice-T avait fait le morceau « Colors » qui était sur la bande originale et ce titre tournait énormément au quartier. Aujourd’hui encore, je suis un des plus grands fans d’Ice-T dans ce pays [rires] !
En même temps, j’ai été très fan de Run DMC et de Public Enemy. Je ne me suis jamais borné à la West Coast. Je peux te raconter New York comme L.A., Atlanta comme Chicago ou Detroit… J’aime vraiment ça. C’est ce que j’avais voulu faire avec Le Grand Chelem, qui n’était pas à 100 % West Coast. Je voulais y mettre tout ce que j’aimais. En réalité, mon premier album complètement West Coast, c’est L’Architecte. Il est entièrement produit par Aelpéacha et c’est la première fois que je sors quelque chose comme ça.
A : Finalement, il n’y a qu’en France que les clivages Est/Ouest existent encore..
D : Dans les rues de Los Angeles, tu n’entends pas que de la musique issue de Los Angeles. Un pote à moi y habitait à l’époque de la guerre entre Bad Boy et Death Row et il me disait que la musique de Biggie était très écoutée à Los Angeles. Les gang-bangers ne voyaient pas de problèmes à écouter Biggie avant d’aller faire leurs conneries ! [rires] C’était vraiment une guerre de médias et, au départ, les gens ne cherchaient que de la bonne musique. Ici, ça a été mal interprété. Je me souviens qu’on avait fait l’émission de Mouloud et China sur MTV avec Aelpéacha et 4.21. Ce jour-là, Coolio était là et, après avoir écouté notre musique, il nous a dit : « Putain, vous êtes plus West Coast que la véritable West Coast ! » En France, si tu es fan de West Coast, tu dois forcément avoir ta chemise à carreaux, bien choisir ta couleur de bandana, rapper sur de la G-Funk avec des claps et des sirènes… C’est fini ça. A partir du moment où on n’habite pas à Los Angeles mais qu’on est plus West Coast que les gens qui y vivent, c’est qu’il y a problème quelque part. Je viens d’une époque où on se battait pour être différent et, là, on essaye de coller à une image type. Ça me dérange un peu.
Je suis très proche de toute la scène West française mais je n’aimerais pas qu’on ne voie plus que cette facette de mon rap. Après avoir sorti mes deux albums, je me suis retrouvé indépendant et j’ai fait une compilation qui s’appelait Self défense sur laquelle il n’y avait aucun morceau West Coast. Sur le site de 187prod, des gens m’ont carrément reproché ce projet ! Si j’ai envie d’inviter Seth Gueko, je le fais ! Je fais ce que je veux et ce que j’aime.
A : Tu es animateur radio, rappeur, patron d’un label…Tu multiplies les différentes casquettes.
D : Je regarde beaucoup ce qui se passe aux États-Unis où tu vois des mecs qui, parce qu’ils savent faire des rimes, font plein d’autres choses à côté. Pourquoi est-ce que ça ne fonctionnerait pas en France ? Là, on est en train de discuter mais, tout à l’heure, j’ai participé à un casting pour un long métrage. J’en ai un autre demain, j’ai pris un agent… Je bosse sur ces choses-là en ce moment. Ça ne m’empêche pas d’être également producteur et de m’occuper de Black Kent.
A : Comment tu l’as rencontré ?
D : J’ai un ami qui a déménagé à Bordeaux et qui s’est retrouvé dans une soirée hip-hop là-bas. Le DJ passait du rap français et, en plein milieu de son set, il joue un titre qui fait « Bordeaux, Bordeaux, la victoire est à Bordeaux ! » Tout le monde dans la boîte saute au plafond à ce moment-là. Mon pote ne connaissait pas le titre. Il va voir le DJ qui lui répond immédiatement : « Si tu ne connais pas, ça veut dire que tu n’es pas d’ici ou que tu viens d’arriver. » Il lui dit que le rappeur s’appelle Black Kent, que c’est une star locale et que tout le monde a ses morceaux sur son téléphone.
Il va se renseigner sur Internet et il pète littéralement un plomb sur Black Kent. Il m’appelle tout de suite en me disant que je devrais absolument travailler avec lui. J’ai écouté et j’ai tout de suite kiffé. C’était à l’époque où je faisais Self défense et je lui ai expliqué que j’appréciais ce qu’il faisait et que j’aimerais l’inviter. Il m’explique qu’il aime ce que je fais également et que s’il pouvait venir le lendemain pour enregistrer, il le ferait. Du coup, on s’est rapidement rencontrés et on s’est très bien entendus. J’en ai parlé à Jean-Pierre Seck qui a kiffé et on l’a signé quelques semaines plus tard.
A : Tu te sens une âme de producteur ?
D : Je pense que j’étais destiné à la production. C’est ce que m’avait dit ma directrice artistique chez Polydor. Un certain nombre d’anecdotes le laissaient présager. Je m’entendais très bien avec ma directrice artistique qui est encore mon amie aujourd’hui. Un jour, je me retrouve à un concert au Bataclan et, derrière le chanteur, il y avait deux choristes. Il y avait la sœur du chanteur et une rebeu avec des lunettes. Elle ne faisait que les chœurs mais je dis à ma directrice artistique la chose suivante : « La rebeu au fond, c’est une star. Tu devrais te renseigner sur elle et la signer. » « Qu’est-ce que tu racontes ? T’es amoureux ou quoi ? ». Je sentais que cette meuf était une star. Il s’agissait de Wallen [rires]. Quand j’ai signé là-bas, le premier projet auquel j’ai participé était 24 carats, une compilation de R&B. Je suis la nouvelle signature Polydor donc on me propose de faire un morceau dedans. Le morceau s’appelle « Pardonne-moi » : je raconte l’histoire d’une fille dont tout le monde se moquait quand elle était jeune et qui est maintenant devenue une bombe. Laurent Bouneau écoute la compilation et veut jouer ce titre. On lui dit que le morceau est un morceau de rap et qu’il ne reflète pas la compilation qui se focalise sur le R&B. « Je n’en ai rien à foutre, Driver est une star, c’est lui que je veux jouer. » Il joue donc le morceau. A cette époque-là, il y a un solo de Wallen sur la compilation. Sulee B passe au bureau avec elle parce que ma directrice artistique a kiffé le morceau. Elle reconnaît la meuf et m’appelle en me disant que son morceau tue. « Je te l’avais dit ! » Wallen a signé plus tard et a fait disque d’or.
A : Ils ne t’ont pas proposé un poste de directeur artistique chez Universal ?
D : C’est ce qu’ils auraient dû faire ! Plus tard, je vois Jalane et je dis qu’il faut faire quelque chose avec cette fille. Ils ne la signent pas et elle atterrit finalement chez Sony et fait disque d’or. Ils m’ont pris pour un sorcier [rires].
J’avais eu le même sentiment à propos de Diam’s. A l’époque de Premier mandat, j’étais souvent avec elle en studio et j’avais rencontré sa mère. Un jour, on s’est retrouvé aux Francofolies de La Rochelle et Diam’s y rappait. Sa mère était présente et avait peur pour sa fille. Elle ne voyait pas comment elle allait percer dans ce milieu d’hommes. Je lui ai dit : « Madame, ne vous inquiétez pas, votre fille est une star. » Après ce jour-là, j’ai un peu perdu de vue Diam’s. Je l’ai revue le jour de l’anniversaire de sa copine Laure Milan. On était à Châtelet dans un café karaoké. C’était l’époque où Diam’s était souvent avec Jamel Debbouze et elle l’avait accompagné aux States quand il avait enregistré son morceau avec Snoop. Elle revenait de Los Angeles et elle avait signé chez Hostile qui était chez Delabel/Virgin. A l’époque, son album s’appelait 1980. EMI avait racheté Virgin. Son album a été repoussé et ça l’a vraiment déprimée. Elle pensait qu’il ne sortirait jamais. Je l’ai donc filmée à ce moment où elle était déprimée et où elle s’amusait en même temps, elle faisait des C-Walks parce qu’elle revenait de L.A, elle fredonne du Nate Dogg… Elle chante et en même temps elle me dit que c’est la misère et qu’elle ne s’en sortira pas. Plus tard, l’album sort et s’appelle désormais Brut de femme. Deux ou trois morceaux ont été changés et elle a rajouté le fameux « DJ ». On connaît tous l’histoire et le carton qui s’en est suivi. A partir de ce moment-là, je ne la vois plus et elle est un peu dans d’autres sphères.
A : Tu l’as perdue de vue ?
Non, je l’ai recroisée plus tard. Un jour, je me retrouve dans une boîte qui est très importante dans ma vie parce qu’il s’agissait du premier strip club de France, le Pink Paradise [rires]. Parfois, il y avait des soirées plus soft le dimanche sans striptease. Il y avait une soirée hip-hop dans laquelle je croise Diam’s qui était venue y fêter son anniversaire. Sa mère était là. Ça faisait longtemps qu’on ne s’était pas vus et elle m’a reconnu. « Comment se fait-il qu’on ne te voit plus avec ma fille ? En tout cas, ça fait plaisir que tu sois venu à son anniversaire. » En fait, je n’étais pas invité et je m’y suis retrouvé par hasard [rires]. A ce moment précis, elle me dit qu’elle se rappelle parfaitement du jour où je lui ai dit que sa fille était une star. Elle me dit qu’il faudrait que je vienne profiter un peu de son succès avec eux.
J’avais senti Diam’s à l’époque où elle ressemblait à un garçon manqué et qu’elle m’insultait quand je lui parlais de faire une manucure. Il n’y avait rien de commercial chez elle mais j’avais capté que si elle choisissait de l’être, elle allait faire plus de choses que tout le monde. Il paraît que le chef de produit de EMI ne voulait pas sortir son album tant qu’il n’aurait pas de morceau pour Skyrock. Elle a fait « DJ » que Skyrock a rentré tout de suite et Diam’s est devenue une star. Derrière, elle fait Dans ma bulle qui l’a encore amenée à un autre niveau. En tout cas, je suis très content de son succès et j’ai beaucoup d’amour pour elle.
A : Comment s’est déroulée la construction de ton deuxième album ?
D : Au moment où je l’enregistre, je sais qu’il ne va pas marcher. Déjà, ça sort quatre ans après le premier album, je n’ai plus de buzz et, surtout, il y a des guerres intestines entre Universal, moi-même et Skyrock qui ne joue pas ma musique. Ils ont décidé de ne plus la jouer du jour au lendemain. Si vous voulez en connaître la raison, il faudra écouter L’Architecte puisqu’un morceau reviendra sur tout ça [sourire]. En ayant conscience de cet élément, je me dis que je vais me faire complètement plaisir sur cet album. Donc, il y a Dolly Golden, la voix française d’Al Bundy, Manu Dibango, Gloria Velez qui est une star des vidéos Vixen et qui a fait beaucoup de clips aux Etats-Unis (« Big Pimpin »…). C’est la sublime Portoricaine qu’on voit au moment où Pimp C se met à rapper [sourire]. On m’a envoyé à New York pour enregistrer un morceau avec elle.
L’album n’a pas été vendu à beaucoup d’exemplaires mais j’étais préparé à ça. Compte tenu du rap que je faisais, j’avais énormément besoin de Skyrock pour vendre des disques. A cette époque, tu n’allais pas chercher ta musique ailleurs que sur Skyrock ou Ado FM. Quand tu ne passes pas sur Skyrock, ta maison de disques va essayer de chercher un partenariat avec Fun Radio et NRJ. Sauf que ces dernières vont trouver bizarre que tu sois un rappeur et que tu ne passes pas sur Skyrock… Donc, tu n’es sur aucune des trois radios. Fun Radio a joué « Swing Popotin » deux semaines avant de le sortir de la programmation. L’album était mort.
A : Comment avez-vous poursuivi la communication autour du disque ?
D : J’écoutais Fun Radio tous les jours – ce qui n’était pas évident d’ailleurs – et je n’entendais jamais « Swing Popotin ». J’appelle mon chef de produit qui m’assure pourtant que je suis joué quatre fois dans la journée. Il s’est renseigné et est revenu en me disant qu’on me jouait la nuit entre trois et six heures du matin. Comment veux-tu vendre des disques dans ces conditions ?
Le boss du label, avec qui je m’entendais très bien, était chaud pour tenter un deuxième single. On n’était pas d’accord sur le choix. Il voulait sortir le titre avec Manu Dibango parce que Magic System était en train de cartonner. Mais mon morceau n’avait rien à voir avec « Premier gaou ». L’été arrivait et je voulais sortir « An nou alle » qui était un morceau de zouk sur lequel je rappais. Je sentais qu’il pouvait faire un petit quelque chose. Dans ces cas-là, c’est la maison de disque qui gagne. Il décide d’envoyer le morceau avec Manu Dibango que personne n’a rentré en radio. « Tu vois, je te l’avais dit ? » [sourire] Il est gêné parce qu’il m’aime bien et, après quelques mois, il m’avoue qu’ils n’arrivent plus à travailler ma musique. Il m’explique ensuite la procédure à suivre : par rapport aux ventes de « Swing Popotin », ils vont me donner de l’argent sur un troisième album. Ils font une espèce de calcul par rapport aux ventes qui signifie que je n’avais pas touché grand chose. C’est là où le bât blesse parce qu’en général, on te vire quand ton album n’a pas marché. Dans le même temps, l’argent qu’on va te donner est calculé sur ces ventes décevantes.
A : Qu’est-ce qu’il s’est passé après ce deuxième album ?
D : Je me retrouve avec de l’argent et, pour la première fois de ma vie, je vais au États-Unis en payant [rires]. Je vais à Los Angeles et je rencontre beaucoup de gens. A mon retour, je voulais resigner en major parce que, mine de rien, c’était ce que je connaissais le mieux. Je suis retourné en studio pour enregistrer quelques morceaux. Très rapidement, je resigne chez EMI, ce que très peu de gens savent. Je touche de l’argent et je commence à faire un album. Ça se passe très mal parce qu’on m’amenait des sons en me disant qu’il faudrait que je rappe dessus. Dans les cinq/six sons qu’on m’amène, il y en a un qui me plaît. Je fais le morceau et j’en suis content. Ensuite, ils font la déclaration pour clearer le sample et ça prend un temps fou avant qu’on nous réponde. Ça devait être le premier single. Du coup, on me demande de choisir un autre des sons qu’ils m’avaient ramené et de faire un nouveau morceau. Je n’aimais pas les autres sons et j’ai vite senti que je n’allais pas jouir de la même liberté que chez Universal. Ça ne m’intéressait plus de travailler avec eux mais je voulais attendre de me faire virer pour toucher de l’argent. C’est ce qui s’est passé… Et je suis reparti à Los Angeles [rires].
A : C’est à ce moment que vous créez Allmade ?
D : Après ça, j’ai réalisé que du temps s’était écoulé et qu’ils ne m’attendraient plus en major. Il était temps de se tourner vers la voie de l’indépendance. On discute beaucoup avec Jean-Pierre Seck qui a déjà connu l’indépendance avec 45 Scientific et, pour qui c’est un statut normal. Je lui expliquais que c’est très difficile de devenir indépendant quand tu as connu les majors. Il y a une période de flottement pendant laquelle tu ne peux rien faire. J’avais plein de projets, je devais faire plein de choses… mais je n’ai rien fait. J’étais totalement perdu parce qu’on s’était occupé de moi pendant des années. Je ne savais pas comment on faisait.
Je connaissais Jean-Pierre Seck depuis longtemps mais la personne qui nous a fait travailler ensemble, c’est Mark de Bombattack. Il a tout de suite vu qu’on était complémentaires. Ça nous a paru comme une évidence et on s’est lancés dans l’aventure. Jean-Pierre a un gros savoir et il m’a appris beaucoup de choses. Aujourd’hui, je suis fier du peu de choses qu’on a déjà réalisées avec Black Kent parce qu’il était totalement inconnu il y a deux ans. Aujourd’hui, il est connu dans le milieu et a des clips qui tournent. Si tu m’avais demandé de faire ça à la sortie de mes épisodes en majors, j’en aurais été incapable. D’ailleurs, si tu regardes l’histoire des mecs qui se sont fait virer de majors, il y a toujours une période de deux ans dans laquelle ils n’ont pas fait grand chose. Tu ne sais même pas comment faire pour trouver un mec qui va mixer ton disque ! Quand je suis arrivé chez Universal, on m’a demandé qui je voulais pour mixer l’album. Je prenais des disques américains et je disais : « Je veux lui ». La maison de disques le contactait et c’était joué.
A : Comment est né ton troisième album, L’Architecte ?
D : En réalité, je ne comptais même pas le faire. Aelpéacha m’a dit : « Maintenant, tu nous fais chier. Tu vas faire l’album West Coast qu’on attend. » [rires] C’était une période où j’en avais un peu marre et j’étais en panne d’inspiration. Alpha est venu avec quelques beats, avait déjà réfléchi à des thèmes et est venu avec des orientations assez claires. Je voyais qu’il me mâchait un peu le travail et qu’il voulait me pousser. Il a commencé avec trois beats et je n’avais aucun texte. On a dû enregistrer trois titres dès la première journée. Je suis rentré chez moi et j’ai écrit toute la nuit. De son côté, il avait composé de nouveaux beats. Cinq jours après, l’album était fait. Quand j’ai écouté le produit fini, ça ressemblait à un vrai album et pas à un simple enchaînement de titres.
Au départ, j’ai fait cet album parce qu’Aelpéacha voulait que je le fasse mais, aujourd’hui, je suis très content du disque. Ceci étant dit, je voulais uniquement le mettre sur 187prod sans me prendre la tête avec des histoires de distribution. Jean-Pierre Seck, avec qui je suis associé sur le label Allmade m’a dit : « Driver, arrête tes conneries, sors-le normalement parce que c’est un vrai album. » C’est ce qui explique que je ne l’aie pas sorti dans la foulée mais qu’on ait pris notre temps. Il nous fallait le temps de trouver un deal convenable et, aujourd’hui, c’est le cas.
Aujourd’hui, on sait qu’on est capable avec Aelpéacha de réaliser des morceaux rapidement et qu’on travaille très bien ensemble.
A : C’est tout de même terrible qu’Aelpéacha soit un des meilleurs producteurs français et qu’aucun rappeur ne fasse appel à lui…
D : C’est ce qu’on disait tout à l’heure : ici, si un mec est fan de Queensbdrige, il ne va chercher que des sons dans cette tonalité. Une fois, un mec m’a même dit l’aberration suivante : « Moi, je suis fan de Queensbridge, Brooklyn c’est trop commercial ! » [rires] C’est un truc de fou qui n’existe qu’ici.
J’ai eu de grandes discussions avec des mecs du milieu West en France et on se demandait quels étaient les moyens à notre disposition pour amener le mouvement G-Funk à un autre niveau. Je bouffe beaucoup de reportages et de magazines et je m’intéresse beaucoup au marketing dans le rap. Je lisais un article qui revenait sur Lil Jon et l’explosion du crunk. L’article expliquait que l’endroit le plus chiant à conquérir quand tu n’en étais pas un ressortissant était New York. En gros, les deux premiers tubes crunk étaient « Never scared » de Bone Crusher et « Get Low » de Lil Jon. Au départ, ces deux morceaux n’ont pas tournés à New York. Dès qu’ils ont rajouté Jadakiss sur le Bone Crusher et Busta Rhymes sur le Lil Jon, ça a cartonné à New York. En réalité, les mecs de New York étaient prêts pour cette musique, ils étaient simplement trop chauvins. Si on veut que le mouvement G-Funk prenne de l’ampleur, il faut aller chercher des rappeurs français qui n’ont pas l’habitude de rapper sur des instrus westcoast. De cette manière, les jeunes auditeurs se familiariseront plus tôt avec cette musique.
A : Quelqu’un comme Rohff par exemple a déjà fait des morceaux West Coast et pourrait poser sur ce genre de beats…
D : Ouais, d’autant plus que comme je vous le disais, il avait vraiment un look de Californien quand je l’ai rencontré en 1995.
Maintenant, je pense que les egos peuvent fausser un peu tout ça. Je connais Rohff et je sais que c’est un mec cool. Ceci dit, il dégage une image qui peut laisser penser qu’il est froid et qu’il refuserait des invitations. Peut-être que des gens ont peur d’aller vers lui à cause de ça. Mais il faut essayer ! Je sais que si on ramène un bon beat West Coast à Rohff, il va le kicker parce qu’il aime ça ! Rohff est accessible et on entend dans sa musique qu’il apprécie ça.
Quand je parle de rappeurs français, je parle plutôt de ceux qui font des choses complètement différentes. C’est eux qu’il faut aller chercher et faire rapper sur ces instrus. Je suis sûr que ça changerait beaucoup de choses. Si tu mets Booba, Rohff ou Soprano sur des beats westcoast, les petits trouveront ça normal.
A : L’Architecte sortira donc bien sur Allmade ?
D : Oui, tout à fait, et il bénéficiera d’une distribution classique : Fnac, Virgin etc. Il y a déjà eu deux clips, « Un mec cool » et « Le maire de la ville », et une nouvelle mixtape Spéciale Los Angeles devrait également arriver prochainement. Je vais sortir une mixtape tous les trois mois et ça me permettra de faire le tour des Etats-Unis. A la fin, j’aimerais même en faire une avec les beats des plus gros classiques français. Je prends vraiment du plaisir à faire ces mixtapes qui sont gratuites. C’est une démarche à l’américaine.
Sur L’Architecte, tout est produit par Aelpéacha et il y aura également Papillon, Damani du groupe Dubb Union produit par Snoop, Myssa… Tous les gens qui passaient chez Alpha à ce moment là se sont retrouvés sur l’album. D’ailleurs, Damani est plus ou moins devenu un proche et il m’appelle dès qu’il est sur Paris. Il nous avait fait rentrer au concert de Snoop en 2008 à l’Elysée Montmartre. C’est d’ailleurs ce jour là qu’on s’est retrouvé dans la rubrique de Yann Barthès pour le Grand Journal ! Quand je suis arrivé sur place, j’ai commencé à serrer la main à plusieurs personnes. Le cameraman était là et a dû se dire que je connaissais plein de gens. Il m’a donc demandé si je voulais répondre à des questions sur Snoop. Pas de problèmes. Sauf qu’il y avait Adams G de Bass Click complètement défoncé qui a commencé à dire quelques obscénités devant la caméra [rires]. Aelpéacha est arrivé derrière : « c’est pour mon négro Michel Denisot ! ». J’étais derrière et j’essayais de garder la face [rires]. Je suis allé voir le caméraman pour lui dire de ne pas mettre ça. Le lendemain, ma mère me dit qu’elle m’a vu à la télé [rires]. Heureusement qu’il y a eu l’autre mec avec son flop monumental qui nous a volé la vedette !
A : Toutes ces rencontres, ça a peut être quelque chose à voir avec ton karma…
D : Je pense que c’est plus une histoire de karma en effet… [Il réfléchit]. Oui mais si tu me parles de karma, on va y passer la nuit ! Je repense à une histoire de fou. J’étais à Los Angeles avec un pote qui y vit. On est dans un magasin de téléphones et, en attendant notre tour, on était en train de discuter en français. Il y a une dame qui vient me parler en anglais et qui me demande si je suis un rappeur français. Je suis totalement surpris. Je lui dis que oui et lui demande comment elle peut savoir ça. Elle m’explique que, quand elle était en France, elle a vu un de mes clips qui était tout en rouge et blanc. « Ah oui, « Aie Aie Aie », mais ça date de 1998″. Elle me dit qu’elle l’a vu plus tard sur MTV France. « Possible mais comment ça se fait ? Qu’est ce que vous faisiez en France ? » Elle me répond qu’elle est la coiffeuse de Mary J Blige et Beyonce, qu’elle était à Paris avec Beyonce et qu’elle m’a vu à ce moment là. « Beyonce a vu mon clip ? » [rires] La femme s’est souvenue de moi. J’étais choqué. Ce sont de belles histoires.
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