Dany Dan
Cinq disques avec les Sages Poètes de la Rue, un album solo, quatre mixtapes, une flopée de featurings : Dany Dan a écrit quelques unes des plus belles lignes de l’histoire du rap français. Pour présenter le légendaire MC boulonnais, il faudrait sûrement autant de superlatifs qu’il y a de pseudonymes prêtés à ce « tympan perceur », « tard le soir traîneur », « premier métro preneur »… Alors forcément, au moment de le rencontrer, il y a pas mal d’excitation. Et une bonne dose d’émotion.
Métro Marcel Sembat, Pont de Sèvres…Les lieux qui nous entourent en ce 18 octobre ne sont pas complètement anodins. Immortalisés par des rappeurs qui avaient une féroce envie de représenter une ville quelque peu isolée dans le paysage rapologique français (nous y reviendrons), ils sont chargés d’histoire pour quiconque a été bercé par les morceaux des Silisages, du Beat de Boul’ ou de Lunatic.
Avant de rencontrer Dan, il aurait été légitime d’émettre des doutes sur la ponctualité de celui qui a maintes et maintes fois repoussé la sortie de son tant attendu Poétiquement correct. Nous aurions été mauvaises langues. Dany est (presque) pile à l’heure. Le temps de se saluer, de remarquer qu’il avoisine effectivement les deux mètres et nous nous installons en bord de Seine, précisément là où a été tourné le clip de ‘Fais le vide remix’ (visible sur son Myspace).
« Ma parole », « A la régulière », « On roule »…Pas de doutes, Dan parle comme il rappe. Et inversement. Pour compléter l’impression de sincérité qui se dégage du bonhomme, son téléphone sonnera au rythme de ‘Steve Biko (Stir it up)’ quelques minutes après qu’il nous dise qu’il avait « vraiment trop écouté Midnight marauders« .
Mine de rien, il n’y a peut-être pas tant de rappeurs que ça dont on pense pouvoir réciter la quasi-totalité des couplets sans sourciller. Alors quand une rencontre avec l’un d’entre eux se transforme en une chaleureuse discussion d’une heure et demie autour du rap, on est content d’avoir appuyé sur « Play » au bon moment.
Abcdr du Son : On va commencer par le départ en te demandant comment tu as rencontré Zoxea et Melopheelo ?
Dany Dan : C’était dans le coin, à Boulogne. On était petit. Je devais avoir quatorze ans quand j’ai rencontré Zox’ et c’était l’époque du tag, de la danse etc. Chacun faisait ses premières armes. Je commençais dans le tag et je faisais parler de moi. Et j’entendais parler de lui aussi, par rapport à des soirées, ce genre de choses. Un jour c’est Guégué A.K.A Egosyst qui nous a mis en contact. J’étais en cinquième, il devait être en sixième et il habitait encore au Pont de Sèvres à l’époque.
Egosyst, en plus, c’est le cousin de Zox’. Il lui parlait de moi, il me parlait de lui. Un jour, j’allais acheter une baguette où un truc comme ça et je vois Guégué qui me dit « Tiens voilà Zox »… Ca s’est passé comme ça. « Ah il paraît que tu rappes ». « Ouais un petit peu ». C’est comme ça que nous nous sommes rencontrés.
A : Vous étiez dans le même collège à l‘époque ?
D : Pas avec Zox. J’étais dans le même collège que Egosyst et Kohndo par contre.
A : Rappeur au collège, ça donnait quoi ? Vous étiez les stars du coin ?
D : Pas du tout, nan ! L’époque dont je te parle, y a même pas de disque qui sort. Le rap était vraiment underground, c’est l’époque de Radio Nova où t’entends du rap que le dimanche soir à l’émission Deenastyle. On était petit et on n’avait même pas le droit de sortir. On le disait même pas qu’on rappait, c’était plus une connerie, un jeu qu’autre chose.
A : Les premiers disques que t’écoutes, tes premiers contacts avec le rap justement…
D : Hmmm [longue hésitation]…A l’époque, c’est mon grand frère qui me ramenait des trucs. Je me rappelle notamment qu’il m’avait ramené la bande originale de « Colors » à l’époque où le film venait de sortir. C’était l’époque du « Palace » et mon grand frère sortait beaucoup en boîte. Ils ont dû passer « Colors » une fois et mon frère arrive « Dany, écoute c’est mortel ! ». La semaine d’après il revient avec Eric B & Rakim, « Paid in full ». Il aimait bien mais il ne s’est pas rendu compte de l’effet que ça a eu sur moi. Ca m’a tué. C’est là que j’ai commencé à chercher davantage de disques et donc après il y a eu Public Enemy, LL Cool J, ‘I’m bad’…Cette époque là. On est en 88.
A : Et en rap français ? Il y a un freestyle que Moda avait fait chez Dee Nasty où il parlait de tag, du terrain vague de la Chapelle qui a marqué pas mal de rappeurs…Tu bosses avec lui aujourd’hui. Est-ce que toi aussi il a pu t’influencer ?
D : Bien sûr. Pour moi, Moda est l’un des premiers lyricistes, un des premiers gars qui faisait vraiment attention à son écriture. A l’époque, les mecs rappaient seulement pour le fun, racontaient des histoires mais Moda avait des phrases qui restaient. Le freestyle dont tu parles c’était « Je suis Moda alias le rappeur rebelle, je viens de Sarcelles »…
A : Tu t’en souviens encore…
D : Ah oui ! Il est légendaire ce rap là. Et cinq-six ans plus tard, au moment de la compilation « Cool Sessions », c’est là que nous avons rencontré Moda. On s’est directement bien entendu et depuis on est proche.
A : Justement, quel regard tu portes sur cette époque là ? On a l’impression qu’il y avait une grosse émulation au moment des « Cool Sessions », Jimmy Jay, le possee 501, on avait le sentiment qu’il y avait vraiment un gros truc et particulièrement à Boulogne où une vraie scène rap se développait.
D : A cette époque là, les gens de 501 avaient un plan. Solaar avait réussi à signer, Jimmy Jay était l’un des premiers à monter vraiment une structure, il avait un studio où tout le monde passait. Mais faut pas croire, à Vitry, Sarcelles, etc, les gars étaient déjà la aussi. C’est juste qu’ils n’avaient pas encore de plan à cette époque là. A Boulogne, il n’y avait que nous, Sages Poètes de la rue, qui étions vraiment à fond dedans. Les autres étaient encore petits. L.I.M, par exemple, a dix ans à cette époque là. Booba n’était pas encore arrivé à Boulogne. Même moi, à l’époque de « Cool Sessions », j’avais dix-sept ans.
A : On a l’impression qu’il y avait une grande admiration pour Solaar. T’as le souvenir du moment où il explose en 91, quand arrive ‘Bouge de là’ ?
D : En fait, on le connaissait pas bien à l’époque. On l’a rencontré quand on a fait « Cool Sessions », il était déjà signé. Et comme c’était l’un des premiers rappeurs crossover, pas mal de gens cassaient du sucre sur son dos. Mais nous on n’avait pas oublié qu’il était là à l’époque de Radio Nova. Son premier disque a été un succès commercial mais il n’a pas retourné sa veste. Il a suivi sa route.
A : Est-ce que t’es toujours en contact avec Solaar ?
D : Non. Mais on n’a jamais vraiment été en contact avec lui. J’ai jamais eu son téléphone par exemple. On passait un peu de temps ensemble en studio et après chacun suivait son chemin. Récemment, j’étais avec Zox et on l’a croisé au Pizza Pino. Tiens, c’était le lendemain du concert qui m’a valu presque un oscar là [NDLR : Dany fait référence à ce billet]. Et Solaar vient et nous dit « Ah je vous vois vous embrouiller sur Internet et regardez-vous maintenant, je savais que c’était faux » [Rires]. On a passé deux bonnes heures, on s’est saoulé la gueule ensemble. On se voit.
A : Ca veut dire qu’il suit encore le mouvement rap français ?
D : Ah il suit. Il savait que j’avais fait ci, que j’allais sortir tel truc. Il est au courant. Au moment où je venais de faire ‘Sunshine’, il m’a dit qu’il avait aimé la chanson et le clip. Il connaissait. De toute façon, même s’il est un peu plus vieux que moi, on a tous les deux été vraiment happés par le rap. Toute cette génération aime vraiment ça. Jay-Z est encore là parce qu’il aime vraiment ça. C’est pour ça que les NTM reviennent. On aime ça.
A : « Trésors enfouis 2 » a eu un bel accueil, la Cliqua se reforme, la tournée de NTM représente quasiment l’événement musical de l’année…Ton sentiment par rapport à ce retour des anciens groupes ?
D : Franchement, c’est une bonne chose. Mais je t’avouerai que, plutôt que sortir un « Trésors enfouis », j’aurai préféré sortir un nouvel album. Zox et Melo ont préféré faire l’inverse et remettre l’enregistrement de l’album à 2009. Le dernier album qu’on a enregistré date de 2001…Ca fait sept ans ! C’est long.
A : C’était étonnant de voir qu’autant de morceaux avaient été enregistrés sans jamais avoir été placés quelque part ?
D : Quand on a fait « Jusqu’à l’amour », on était obligé d’en faire un double album et c’était un casse tête pour choisir les morceaux. A la fin, j’ai même laissé ça à Zox et Melo. Tellement de morceaux auraient pu y être…Sincèrement, on a encore de quoi faire au moins deux « Trésors enfouis ». Et je dis bien au moins. On était vraiment passionné et quand l’opportunité de faire notre premier album avec Jimmy Jay s’est présentée, toutes les thunes ont été réinvesties dans un studio.
Il faut vraiment se rendre compte du truc que c’était. On était encore en cours à l’époque de « Qu’est-ce qui fait marcher les Sages ? » et c’était seulement tous les mercredi qu’on allait jusqu’à Sarcelles pour enregistrer. Bram’s avait inventé une expression pour ça. On allait à Sarcelles en BMW : Bus-métro-walkman [Rires]. On allait loin ! Jusque Sarcelles avant de prendre un bus puis de marcher. Mais on faisait ça gaiement ! Sur le chemin, on écrivait, on était à fond dedans. Alors quand on a eu un studio à la maison…J’étais là-bas tous les jours. C’était 1 jour, 1 morceau. Ca a duré deux-trois ans.
En plus, c’était l’époque où les L.I.M, Cens Nino, Mala, Brams, Booba, Sir Doum’s venaient d’arriver et écrivaient leurs premiers textes. Sir Doum’s vient de Chaville mais c’est un boulonnais. Il était tout le temps ici. Il a fini par habiter ici un moment. Et tu vois la péniche qui est là ? [NDLR: L’interview est réalisée au Pont de Sèvres, sur les bords de la Seine] Avant cette péniche noire, il y avait une autre péniche qui nous était laissée par le propriétaire.
Tous les jours, on allait au studio. Tous ensemble, chacun aussi talentueux que tu les connais. Chacun écrit, le premier qui est chaud pose. Et le soir, on se retrouvait ici et c’était à nouveau la compétition. Donc il y avait une grosse émulation entre nous mais qui était complètement positive. Après, malheureusement, en grandissant, la vie a fait qu’on s’est tous séparé.
A : C’est ce qui explique que vous n’avez pas fait d’album depuis 2001 où vous arrivez encore à avoir une « vie familiale » au sein des Sages Po ?
D : Nan, c’est plus vraiment comme ça. Depuis « Après l’orage », les choses sont différentes. Pendant une période, j’ai quitté Boulogne pour habiter à Fontenay puis Saint-Denis. J’étais déjà un peu moins présent, le gars de la péniche est parti, on n’a plus eu de studio…La vie a fait qu’on s’est tous un peu éparpillé. Et puis, tout en restant Sage Poète, j’avais envie de faire mes propres trucs, Zox a eu toute l’aventure IV My People…On s’est moins vu pour faire de la musique. Mais on s’est toujours dit qu’on maintiendrait Sages Poètes de la Rue, quoi qu’il arrive. Il peut y avoir des écarts de 5-6 ans mais on est toujours là, on peut faire un concert ici, une apparition là…
A : T’es encore en contact avec les membres de Beat de Boul ? Vous êtes encore en bons termes ?
D : Tout le monde est là. Je vais pas me lancer des fleurs et te dire que je suis super cool mais j’ai des soucis avec personne. Ca m’arrive souvent d’arriver et d’entendre qu’untel s’est embrouillé avec untel…Super. L’année d’après, ils sont copains comme cochons. Mais c’est des broutilles ça…Tout le monde est encore là.
A : C’est pas un peu paradoxal que L.I.M, qui a été révélé par les Sages Po’ quelque part, soit devenu une sorte de porte-flambeau du hardcore à la française ?
D : L.I.M a toujours été comme ça. Si quelqu’un n’a pas changé c’est bien lui. Au début c’était Zox qui écrivait ses textes. Dès que L.I.M, vers quatorze-quinze ans a commencé à écrire ses premiers textes, c’était « Marianne, Marianne » [Rires]. On ne peut rien lui dire là-dessus, il a toujours été comme ça
A : Tu donnes justement l’image d’un mec cool qu’on peut voir avec des mecs qui ont un univers très différent du tien, avec à la fois l’ancienne et la nouvelle génération. Dans la nouvelle génération, on t’a vu avec Smoker, Sefyu, dans le clip de ‘Patate de forain’, Brasco, Al Peco. Tu disais que « le rap n’a jamais été aussi plaisant » dans ‘Ne me pousse pas’, t’as l’air vachement à l’aise avec le rap actuel.
D : J’sais pas ce qu’ils ont les mecs, moi j’ai pas de soucis ! [Rires] Les mecs s’embrouillent pour rien ou sont à fleur de peau. Tu sais, je peux me détacher de pas mal de choses. C’est peut-être pour ça que j’ai moins d’embrouilles avec les gens. Et puis je pardonne souvent aussi, je suis pas rancunier.
A : Et dans ce que produit le rap français actuel, est-ce que tu t’y retrouves ?
D : Plus ou moins. Il y a de plus en plus de rap donc plus de qualité mais aussi plus de déchets. Pareil, les mecs sont toujours véner. J’sais pas pourquoi ils se prennent la tête ! Untel passe beaucoup à la radio, les mecs ont la rage. Et là notre ami Kop a raison, t’aimes pas alors stoppe la musique et on n’en parle plus.
A : La plus grosse illustration de ça c’était de voir les réactions et les passions déchainées autour de Booba et du concert Urban Peace.
D : De toute façon, Booba déchaine les passions depuis qu’il a fait son premier 16. Il lève le bras et les mecs commentent. Franchement, la première fois que je l’ai entendu rapper chez Zox j’ai dit « Oh Oh, on a un problème. » Quand je dis « on », je dis nous les rappeurs. Sincèrement. Ca m’avait fait un peu la même avec Doum’s. La première fois que je l’ai entendu j’ai dit « Dan t’as un problème là. »
A : Surtout que, Sir Doum’s, il y avait quelque chose qui le rapprochait vachement de toi.
D : Oui, au niveau de la voix…Et après on a travaillé ça pendant un moment. A l’époque de la péniche, on était très souvent ensemble.
A : On a l’impression que Boulogne est une des zones où l’importance du territoire est vraiment marquée. On l’a vu avec le Pape, le Duc, le King…
D : Non, ça c’est rien du tout. Zox a commencé en faisant ‘Le King de Boulogne’. Quand Booba a fait ‘le Duc de Boulogne’, je me suis dit « Là y a un truc ! Laisse moi aussi faire quelque chose » [Rires]. Pour rigoler, je me suis dit qu’on pouvait même faire une trinité : il y a le Père, Zox, le Fils, Booba et le Saint-Esprit…C’est pour ça que je dis le Pape [Rires].
Mais c’est vrai qu’il y a une envie de porter la ville. En fait, Boulogne est une ville riche. Le quartier du Pont de Sèvres est le seul quartier populaire. Tout le reste est très cossu. Ce qui fait qu’on a toujours eu ce côté « seul contre tout le monde ». A Bobigny, la ville entière est une cité, pareil à Vitry. Nous, on est peu et donc on a bossé quinze fois plus. C’est moi qui ai plus ou moins commencé ça. Je me rappelle que j’allais souvent à Tikaret et Boulogne n’était pas encore connue. C’était à l’époque de « Cool Sessions » et les mecs me demandaient si j’allais mentionner Boulogne dans mes textes. Je répondais « Quoi ?! ». Le soir même j’ai écris un texte où je criais « Boulogne ». Bien sûr qu’on va dire Boulogne !
A : Un ami de Boulogne me disait qu’ici le rap avait vraiment vrillé les esprits des plus jeunes qui ne se sentaient plus concernés quand un morceau ne parlait pas de du ter-ter, de guns, etc. Quel regard tu as par rapport à ça ? Ca te désole où tu te dis qu’il y a de l’espoir ?
D : C’est pas terrible du tout mais il y a toujours de l’espoir. C’est pas que le rap, c’est tout le monde qui a fait ça en même temps. Les gens l’ont cherché ça aussi. Avant, le rap était majoritairement positif. Après, il y a eu tout une nouvelle vague à laquelle moi aussi j’ai pu prendre part. Prendre le point de vue du mec ter-ter, c’est ce que je faisais dans ‘Bons baisers du poste’. Et puis les gens ont aimé et porté ça. Après, c’est aussi la société qui veut ça. C’est-à-dire, que tout ce qui est sulfureux, la violence et le sexe font vendre. Ca se retrouve dans le rap.
Je parlais aussi de l’évolution du rap avec Unité Mag. A l’époque, il y avait les suckers MCs. C’est-à-dire qu’il ne fallait absolument pas ressembler à quelqu’un d’autre. Chacun avait sa personnalité. Regarde comme je suis différent de Zox’ et de Melo. L.I.M est différent de Cens Nino ou de Booba. Regarde la Cliqua avec Rocca qui était différent d’Egosyst qui était différent de Kohndo qui n’était pas pareil que Daddy Lord C. Là c’est bon ! Maintenant, tout le monde se ressemble. Dès que quelqu’un fait quelque chose, tout le monde essaie de pomper.
A : Je me souviens d’un interlude dans votre premier album où t’étais au téléphone avec Zox’ et tu lui disais que t’avais choppé le dernier son de Redman…Tu te souviens de quel son il s’agissait ? Est-ce qu’il s’agissait d’une vraie conversation téléphonique ou d’une mise en scène ?
D : J’écoutais tout ce qui sortait. C’était l’époque où la seule façon d’avoir des nouveautés c’était d’aller à Urban, aux Halles. J’étais à fond dedans et j’avais tous les maxis de Redman, tous les albums. Concernant l’interlude, regarde, même par rapport à la mise en scène que Zox’ a avoué récemment, on est comme ça dans la vraie vie. Ca aurait très bien pu être vrai. L’interlude a dû être mis en scène mais c’est la vérité. On est des fêtards.
Avant même de prendre le micro, on avait cette vie là. Quand j’allais dans tel ou tel quartier, j’étais pas le mec planqué dans son coin qui disait rien. On va en soirée, je pars avec toutes les meufs [Rires]. Zox est pareil, la plupart des autres sont pareils. On n’est pas des suiveurs. Avant, on était les seuls à prendre le micro. C’est dommage que maintenant, très fréquemment, le cafard prenne le micro et mente au micro. Enfin bref…J’ai jamais raconté ça au mic, après tout, je peux m’en foutre.
A : Justement, tu penses que la création de personnages comme ça fait partie de l’évolution du rap de ces dernières années ?
D : C’est le marché qui a fait ça. Créer un personnage c’est l’emballage, c’est du marketing. Les gens font plus attention au personnage qu’à la musique.
A : Pour rebondir, on commence à parler de « swagger » dans le rap français. C’est tendance d’avoir de la swagger comme Lil Wayne ou Kanye West. Toi, qui a eu de la swagger avant même que le mot existe, quel regarde tu portes sur cette « coolitude » très étudiée qui arrive maintenant ?
D : De toute façon, ceux qui n’ont pas de style n’ont pas de style. Après, il peut mettre tout la mise en scène qu’il veut, oublie, je vais attraper ta meuf mec [Rires]. Nan je dis ça mais je suis sorti du circuit là [Rires].
A : Justement, on t’as pas vu sur le volume 3 de Beat de Boul alors que t’étais un des fers de lance du collectif. Est-ce qu’il y a une explication à cela ?
D : Non, c’est plus la vie qui a fait ça. A l’époque où ils ont fait Beat de Boul 3, je devais être en train de bosser sur mon album. J’ai même proposé un morceau ou deux mais ça n’a pas été retenu. De toute façon, ils essayaient de monter un nouveau collectif. J’étais simplement ailleurs. Et je connaissais pas toutes les nouvelles têtes, Zox’ et Melo bougeaient souvent avec eux…J’étais un peu sur le côté en fait. Mais tout va bien. D’autres auraient sûrement été fâchés. Pas moi.
A : Toujours pour reprendre une de tes phases, sur ‘On a’, tu disais « Voir les autres frères bouffer me rendait plus que frustré ». C’est par frustration et par envie de s’autogérer que t’as monté Disques Durs ?
D : Un peu d’agacement peut, par ci par là, s’entendre dans ce que je rappe mais j’ai du écrire ça un soir où j’étais fauché, c’est tout. Mais effectivement, j’ai fait Disques Durs pour vraiment contrôler mon destin et être mon propre patron. Même si je garde de bons souvenirs de l’époque où on était chez BMG pour « Après l’orage », même si on a eu de bons contacts avec les D.A, j’ai vraiment senti qu’on était leur produit et que la décision finale leur revenait. Ca, je l’ai mal vécu. C’est moi qui ai écrit ça, c’est moi qui décide, tu vois ce que je veux dire ?
Ca m’a conforté dans l’idée que, tôt ou tard, il fallait que je fasse mon propre truc. Même par rapport aux Sages Poètes où on est trois, il faut prendre des décisions démocratiques. Mais ils sont frères ! [Rires] Donc, il fallait qu’à un moment je puisse faire exactement ce que je voulais.
A : Est-ce qu’il y a des choses que, rétrospectivement, tu aurais voulu changer par rapport à cette expérience en major ?
D : Pas mal de choses mais…Tu peux rien faire. C’est-à-dire que tu passes l’après-midi à écrire, à chanter, tu montres ce que t’as fait au D.A et le D.A te dit « Le refrain là ? Nan ça passe pas. Qui est en tête du Music Info hebdo ? C’est untelle donc c’est elle qui va chanter le refrain. » Alors que, sincèrement, j’aime pas du tout la meuf en question.
Et c’est vraiment comme ça que ça marche. Et je pense que des Mc’s, avec peut-être moins de caractère, ont du être amenés à changer des lyrics sous pression de la maison de disques. Mais quand j’ai vu des mes propres yeux le D.A prendre le nom en tête du Music Info hebdo…C’est pas ça qui m’intéresse.
A : On a le sentiment que cet album était un virage un peu particulier dans la carrière des Sages Po. Troisième album, signature en major…Et finalement, on a l’impression que le virage a été un peu raté…J’imagine qu’il y a pas mal de regrets en tant que groupe par rapport à ça.
D : Pourtant c’est l’un de ceux qui nous a ramené le plus de thunes, on partait faire des clips aux Antilles, des chauffeurs m’attendaient en bas de chez moi…Je crois qu’on a quand même fait 60 000. Je touche encore des chèques pour cet album. Mais moi, j’étais triste comme un singe en hiver, ma parole.
A : Ca fait quasiment deux ans jour pour jour que « Poétiquement correct » est sorti. Quel bilan tu en fais aujourd’hui ?
D :Bilan très positif. C’était mon tout premier album et j’en suis content. C’est beaucoup de boulot. Et, franchement, les gens te mettent des bâtons dans les roues, ne veulent pas que t’existes. Je suis très fier d’avoir pu faire ça tout seul avec mes petits bras. Après, quand je réécoute aujourd’hui, je me dis que je le referai peut-être un peu plus court, je changerai deux-trois choses…Mais j’en suis bien satisfait. Ca m’a permis de tourner et d’exister en tant que Dany Dan. Je suis né avec cet album.
A : Y a un reproche qu’on a souvent entendu par rapport à « Poétiquement correct »…
D : [Il coupe] La musique.
A : D’autant qu’il y a plein de producteurs confirmés qui disent vouloir bosser avec toi : Madizm, 20syl, Drixxxé…
D : J’ai mis du temps à sortir « Poétiquement correct » mais « Flashback mixtape » contient des morceaux que je faisais pour mon album à la base. Dessus y a des morceaux de Drixxxé, Madizm m’avait donné des prods…Mais, le temps passant, on se perd de vue et c’est ce qui a fait que des gens comme Drixxxé ou Madizm ne sont pas sur l’album.
A : Et B Wax ?
D : B Wax, c’est plus une histoire de thunes. Quand on a fait le projet avec Ol’ Kainry, il nous avait passé des sons gratuit. Je m’étais promis que, dans le cas où je l’invitais, il fallait que je le mette bien. Par rapport aux invités, c’est pareil. J’aurais bien aimé avoir Oxmo mais, quand il m’a invité, il m’a bien payé. Si je l’invite, il faut que, moi aussi, je le paye bien. Mais j’y viens, je vais être en mesure de bien payer les gens. Si tu m’invites au resto, je vais pas t’amener manger un sandwich par terre.
Mais je sais que les mecs seraient venus gratuit. C’est moi qui ai pris cette décision. D’ailleurs, des gens de mon équipe me le reprochent un peu. Oxmo, Wallen, ce sont des gens qui m’ont mis super bien, je vais pas arriver et leur proposer un plan gratuit. Quand je serai en mesure de te payer un bon 1500 euro, je viendrai vers toi. Ce moment arrive.
A : Sur « Poétiquement correct », Melodius était le producteur principal, tu avais monté la structure Nègres Maigres avec lui…Tu travailles toujours avec lui ?
D : En fait, Melodius est aussi infographiste et, actuellement, il bosse beaucoup avec Sully Sefil sur une marque de sapes qui s’appelle Dumpyfresh. Ca commence à prendre de l’essor donc il a moins le temps de taffer sur ses prods. Mais ma porte lui reste grande ouverte.
Pour revenir sur ta question précédente, il faut savoir que j’ai toujours aimé construire des relations. Toute mon histoire a été comme ça. Avec Sages Poètes, on a inventé un son. C’est ce que je voulais faire avec Melodius. Alors évidemment, au début, on tâtonne un peu mais en bossant ça finit par payer.
A : Tu parlais de Sully Sefil et de sa marque de sapes, de B Wax qui est devenu un gros producteur pop. On a l’impression que tu es toujours resté fidèle à l’art du emceeing. Est-ce que tu as lancé d’autres initiatives histoire de mettre du beurre dans les épinards ?
D : Non, ça va très bien comme ça. Je ne fais que ce que j’aime. Avec tout ce qu’il y à faire en étant seulement MC, je vis très bien, j’ai pas besoin de plus. J’aimerai avoir plus bien sûr mais tout va bien.
A : Concrètement, aujourd’hui, tu vis de la musique ?
D : Mais ça fait longtemps ! C’est après « Jusqu’à l’amour » qu’on a mis de côté les études.
A : Ca se passe comment la vie d’un MC trentenaire ?
D : La vie d’un MC trentenaire est compliquée. Il faut bosser. Tu l’as dis toi-même, des gens de la nouvelle comme de l’ancienne génération bossent avec moi. Pourquoi ? Parce que je continue à bosser sur mon truc. Sans compter qu’il y a toujours des jeunes qui arrivent avec de nouvelles choses, de nouveaux argots…On m’invite très souvent et je fais aussi des choses qui restent confidentielles. Genre, je pars à Toulouse faire un truc avec un petit groupe. C’est plus comme dix ans auparavant où le moindre truc était entendu par tous. Là ça peut rester à Toulouse sans jamais arriver dans tes oreilles. Ou juste deux ans plus tard quand je sortirai ma « Speciale Dany Dan ». Ca arrive très souvent.
Pour répondre concrètement à ta question. Comment je vis ? Sur les invitations des autres MCs, sur les ventes même si elles sont pas grosses et sur les concerts. C’est pour ça qu’il faut bosser tous les jours, chercher des plans etc.
A : T’as une équipe autour de toi où tu fais tout en solo ?
D : Je la construis. Pour l’instant, je n’ai pas de manager mais je vais passer au stade où j’aurai plus le temps, à la sortie de studio, d’aller à Générations avec mes derniers sons, mes dernières photos, mon CD…Maintenant, il me faut absolument quelqu’un. J’ai pris des nouveaux locaux récemment à Porte des Lilas. J’ai une première stagiaire. Maintenant, il me faut un manager. J’avais rendez-vous avec deux mecs la semaine dernière, on s’est plus ou moins entendu…Ca va grossir.
A : Pour nous, tu es une légende vivante. Vis-à-vis des médias Hip-Hop, est-ce qu’ils sont conquis d’avance ou tout est à refaire à chaque fois ?
D : A chaque projet, il faut tout recommencer. Sans compter que les radios changent, qu’elles aussi doivent faire du chiffre…A chaque fois que tu prends le micro, tu remets tout en jeu.
Mais c’est ça aussi qui est bien. J’aime me donner du mal, je dois avoir un côté maso ou va savoir [Rires]…Ca te force à te dépasser. Parfois, je réécoute ce que je faisais avant, j’ai différentes voix, différents styles selon les époques. C’est du taff à chaque fois.
A : Si Melopheelo s’est plus concentré sur le boulot de producteur, Zoxea a aussi eu une carrière solo très riche. Quels échanges avez-vous par rapport à ça ?
D : C’est très normal. On se téléphone histoire de se mettre au courant sur notre actualité. On se donne des petits conseils. Et puis, avec Zox, ça dépasse le côté artiste. C’est pour ça que je te disais que la vidéo aurait pu être vraie. C’est comme avec ton frère, il y a des embrouilles mais on est toujours là.
A : Des gens se sont même demandés si Zox ne parlait pas de toi dans ‘Pierre tombale’…
D : Je sais même pas comment mon nom a pu arriver. Je me rappelle du passage de Shadow à Générations et des auditeurs qui donnaient mon nom. Je me disais « Mais ils sont fous ceux-là ! » [Rires]. Mais peut-être que c’était dû au ‘Pape de Boulogne’, les gens ont pu croire que c’était une réponse au King. J’ai même dû préciser à la fin du morceau que c’était ni pour le King ni pour le Duc parce que je savais très bien que les gens auraient pu mal interpréter tout ça. Mais je suis pas là-dedans. Ce qui m’intéresse c’est juste sortir la meilleure rime, c’est tout.
A : Avant l’interview, on se disait que tu étais un peu un rappeur intemporel sur qui le temps n’a aucune emprise. Dans le même temps, pas mal de rappeurs parlent de retraite. Il y a eu Jay-Z, Kool Shen, Sinik en parlait, The Game…Tu te vois plutôt rapper jusqu’à soixante piges comme Zoxea ?
D : Tant que j’aimerai ça, je serai là. Jay-Z, il savait très bien qu’il reviendrait 3 ans après et prendre un gros chèque. Après Sinik, je sais pas, je ne le connais pas bien. Mais, quant à moi, j’arrêterai quand j’en aurai marre.
A : Justement, le rap est une musique qui change beaucoup mais ça peut arriver de lâcher prise en vieillissant. On a l’impression que tu restes au-dessus de ça. Je t’ai appelé MC trentenaire mais dans ma tête j’ai du mal à y croire…
D : Moi, je suis content d’être trentenaire. J’ai jamais été aussi heureux que maintenant. Quand j’avais 26-27 ans, j’étais encore un enfant. Aujourd’hui, je suis grand. J’ai ma boîte, je fais absolument ce que je veux. J’ai jamais aussi bien contrôlé mon truc, sincèrement. J’ai jamais été aussi heureux musicalement. Mais il faut le vouloir, il faut aimer ça. Et j’aime toujours ça. Tu lâches prises quand tu le veux bien, quand tu n’aime plus la musique. C’est toujours en moi. Quand t’écoutes les interviews de Jay-Z, il dit avoir toujours l’amour du rap en lui. C’est pareil.
A : On sait que, quand Nakk était chez BMG, tu bossais avec lui sur son album. La collaboration avait donné quelque chose de fructueux ?
D : Je crois que son album n’est pas sorti parce que, quand Nakk a fini son album, la direction de BMG a changé. Ca arrive souvent : une nouvelle équipe arrive et met tous les anciens projets au placard. C’est exactement ce qui m’est arrivé aussi. J’enregistrais à l’époque mon album pour BMG et les morceaux que je faisais se sont retrouvés dans la « Flashback mixtape » étant donné que la nouvelle direction voulait faire autre chose.
A : On parlait aussi d’un projet « Modan » avec Moda…
D : Non, non. Quand Dan, l’original de Tikaret, a arrêté le rap pour se consacrer au deejaying il y a quelques années, on a plus ou moins suggéré de reprendre le délire Moda et Dan si on en avait l’occasion. On en a parlé un peu mais c’est tout. C’est bizarre parce que, très souvent, des discussions très privées se retrouvent sur Internet sans que je sache comment [Rires].
A : On sait que le graffiti est très important pour toi. Et il y avait une fresque qui était sur ton myspace où on te voyait avec un t-shirt « A la régulière » dans un terrain vague qui a été présentée au Centre National des Arts plastiques…
D : En fait, c’est pas un graff ça, c’est une peinture. C’est Julien Beneyton qui est venu à l’endroit où je peins et qui m’a pris en photo. Il a fait du bon boulot et, apparemment, la toile a plu.
Mais sinon, à la base, je suis dans le graffiti. Dès que j’ai du temps, je vais peindre.
A : On a pu lire que tu dansais aussi…
D : Ouais, quand je vais en soirée [Rires]. Je sais que les rappeurs ne dansent pas [NDLR : Surtout Oxmo !] mais, en boîte, tu me trouves sur la piste de danse. Mais je suis pas un breaker.
A : Qu’est-ce qui nourrit ton écriture ? Est-ce qu’on pourrait construire un pont entre le graffiti et ton rap ?
D : C’est deux façons différentes mais je construis mes chansons un peu comme je graffe. Si tu regardes un mec en train de dessiner, tu ne vas pas comprendre tout de suite ce qu’il fait. C’est seulement à la fin, quand il fait ses outlines, que tu comprends. C’est un peu comme ça que je fonctionne, j’y vais par touches. C’est à la fin que tu vois mon tableau. C’est le seul parallèle que je peux faire.
A : T’as une méthode particulière pour écrire ? Ca te vient comment ? Où tu fais partie de ces rappeurs qui n’écrivent rien ?
D : A une époque, j’ai fait ça, à l’époque de « Après l’orage » mais je préfère le papier.
Sinon, j’écris tout le temps. C’est devenu mon travail mais à la base c’est une passion. Dès que j’ai une idée, je note, je lis un bouquin, je note, je regarde la télé, je note. Mais je ne me force pas du tout, j’aime vraiment ça. Après, je peux très bien passer deux semaines sans rien écrire ou rester deux autres semaines à écrire comme un fou, matin midi et soir. Je ne force rien.
Et comme j’écris beaucoup, j’ai souvent de l’avance. C’est-à-dire que, souvent, quand t’es invité pour une compilation, tu dois écrire en studio un peu à l’arrache, tu découvres le thème le jour même…C’est très fast-food comme musique. D’ailleurs, t’entends plus parler après de ces sons là. Généralement, j’arrive avec mon cahier plein de couplets déjà écrits et j’en pose un pour l’occasion.
A : Toujours concernant l’écriture, on retrouvait beaucoup d’égotrip dans tes textes. Sur « Poétiquement correct », c’est plutôt les morceaux à thèmes qui reviennent avec la trilogie, la suite…C’est une volonté ou une évolution logique ?
D : Les deux. Là encore, c’est sans forcer. Je viens de l’époque d’Eric B. & Rakim, EPMD…T’écoutes les deux classiques d’EMPD, c’est que de l’egotrip. Y a dix morceaux : « J’suis le plus beau, j’suis le meilleur, j’suis le plus fort ». J’ai toujours aimé ça, le côté LL Cool J ‘I’m bad’, le style…C’est ce qui faisait briller mes yeux. J’ai été très influencé par ça mais, en évoluant, d’autres sujets sont venus. Et puis, comme tu l’as dis, j’avais fait pas mal d’egotrip donc envie de faire autre chose aussi.
A : Au niveau thématiques, c’est vrai qu’il y avait pas mal d’egotrips mais il y avait aussi une grande humilité dans vos textes. Dans le morceau ‘Victoire’, tu racontes une défaite au basket, que tu souffres sur le terrain. Vous avez rendu hommage à un SDF dans le métro…
D : C’est aussi histoire de faire une balance. On n’est pas des super héros. Il faut savoir tout raconter.
A : Est-ce qu’il y avait une grosse discussion en amont dans le groupe ? Parce que les morceaux avaient toujours un angle super intéressant. Par exemple, c’est mortel quand tu dis, dans ‘J’aurai bien aimé leur dire au revoir’, que t’es dans ta chambre d’hôtel et que, même les mecs du quartier que tu kiffais pas forcément te manquent. On y croît à ce moment là.
D : Parce que c’est vrai. Ces têtes de cafards me manquaient [Rires]. Tu vois ce que je veux dire ? . »Ca fait plaisir de te voir sale enfoiré ! » Tu connais ce sentiment et c’est ce que j’ai essayé de décrire. Quelque chose de très humain.
A : Tu parlais d’EPMD. Si tu devais donner trois classiques, ce serait lesquels ?
D : C’est dur…Bon, je commencerai par « Illmatic » de Nas en tout cas. Après « Midnight marauders » d’A Tribe Called Quest. « Midnight marauders », je l’ai vraiment trop écouté. Après c’est compliqué hein…
A : Et dans le rap plus contemporain ?
D : Je suis plus dans les mixtapes. Sur les quatre-cinq dernières années, rares sont les albums qui tiennent la route sur toute le durée. A part les grands noms, les Jay-Z, les Kanye West…J’ai beaucoup aimé Lupe Fiasco aussi. Il y a un nouveau qui semble prometteur et que j’ai découvert il y a peu, Charles Hamilton. Il est vraiment pas mal. Ca fait un an que je vois son nom mais je me disais que c’était du R&B avec un nom pareil. Récemment, j’ai vu un son Charles Hamilton feat. Joe Budden. « Qu’est-ce qu’il fout Joe Budden avec Charles Hamilton ? » J’ai regardé et j’ai été bluffé. J’ai l’impression que ça va me plaire comme Lupe Fiasco. Hormis ça, j’écoute que des mixtapes…
A : Est- ce que t’es influencé par des nouveaux schémas de rimes ou des nouvelles thématiques ? Ca t’arrive d’écouter un truc et de te dire que tu aurais dû le faire avant ?
D : Ca m’arrive encore très souvent d’avoir envie d’écrire après avoir écouté quelque chose. Comme à l’époque quand t’écoutais ‘Who got the props’ de Black Moon. Après, pendant deux jours, j’étais en train d’écrire comme un ouf. Je ne recherche que ce feeling là. Et je l’ai toujours. Tant que je l’aurai, je continuerai.
A : Musicalement, le rap reste ton influence principale ou d’autres courants musicaux peuvent te toucher ?
D : J’écoute principalement du rap. Après j’ai pas mal d’amis qui sont dans le reggae/ragga, un peu de soul mais disons 90 % de rap. Bidi, celui qui gère pas mal de choses dans Disques Durs, est un guadeloupéen et il n’écoute que du ragga. Il est là « Gwada Gwada » [Rires]. A fond dedans. D’ailleurs, Bidi est devenu fou quand j’avais fait un morceau avec Mr Vegas.
A : Justement, tu étais parti aux States pour faire ce morceau avec Mr Vegas, vous aviez fait un morceau avec des Allemands…Tu retires quoi de ces expériences ?
D : C’était mortel. A l’époque, on était en train d’enregistrer ‘Case départ’ au studio de BMG et Marc ou Clément m’avait déjà parlé d’un plan avec un américain. Un jour, il arrive et me dit « Si t’es chaud, on part samedi ». On y va ! On y va, on rencontre le mec, on fait le morceau, on est revenu. On a bien conceptualisé le morceau et on l’a sorti.
Quant aux allemands, c’était un peu la même chose. Y avait un truc à Francfort ou à Hambourg et on nous appelle. On est parti rencontrer Max de Max & Curse. Il était super cool. Au début, j’avais quelques a priori parce que je connaissais pas bien le rap allemand. Les rares trucs que j’avais écouté me laissaient penser qu’ils étaient en retard. Mais alors là, j’ai été bluffé par notre ami Max. Et c’est toujours une affaire d’équilibre : il est arrivé avec un flow super rapide et, pour équilibrer, j’y suis allé avec un flow super lent. Le noir n’existe pas sans le blanc.
A : Tout à l’heure, tu parlais de Black Moon, de Nas. Tous ces groupes là, qui paraissaient inaccessibles il y a quelques années, se retrouvent aujourd’hui à faire des concerts à Paris ou en province. Parfois c’est même pas plein d’ailleurs alors que Black Moon…
D : Alors qu’à l’époque, si jamais ils étaient venus…
A : Et maintenant que c’est accessible, on a l’impression que tout le monde s’en fout..
D : Ouais, c’est toujours comme ça. Tout le monde cherche le truc rare et puis quand c’est là devant ta face…Mais sinon c’est mortel que ces groupes viennent aujourd’hui ici. Le rap a beau avoir grossi, les groupes de cette époque là sont constamment en train de tourner en Suède, en Belgique etc. C’est cool.
A : Un groupe comme les Sages Poètes, ce serait pas typiquement le genre de groupes qui mériterait d’avoir un socle de fans très fidèle ?
D : C’est ce qui nous arrive. Très souvent, on va en Suisse, on va ici, on va là. Même moi en solo. Je viens, je fais un petit ‘Qu’est-ce qui fait marcher les Sages’, c’est cool [Rires]. En novembre on a un truc en Suisse, y a pas mal de choses en janvier, on va au Canada. Etant donné qu’on a eu la chance d’avoir fait un ou deux albums qui sont plus ou moins considérés comme des classiques, les mecs nous demandent au même titre que les Black Moon, les Gang Starr qui viennent refaire leurs bons vieux classiques.
A : Pour revenir à New-York, est-ce que comme Booba t’y passes beaucoup de temps ?
D : Nan mais j’aimerais bien. Après c’est une affaire de temps et d’opportunités. En tout, j’ai été trois fois à New-York mais j’aimerai bien y retourner faire un tour. C’est une affaire d’emploi du temps. Aussi, ces derniers temps, j’ai mis toutes les thunes que j’avais pour ma boîte et mes projets. Donc une fois que tout est investi, je passe l’été ici [Rires].
A : Les projets justement, c’est quoi aujourd’hui ?
D : Principalement, le nouvel album. En attendant de pouvoir retourner en studio avec Sages Poètes.
Maintenant que j’ai fait un premier album, je vais essayer de faire mieux, de progresser. Je suis en pleine construction. Déjà, je sais qu’il faut faire moins long. Je sais qu’il faut que j’invite un ou deux gars costauds et qu’on fasse un bon banquet….Aussi plus soigner les mix, etc. Après, c’est mon côté mixtapes où les sons que j’écoute sont toujours super crados. J’ai un côté un peu graffiti brouillon qui fait que, quand les prises de voix sont à peu près bonnes, je vais être content. On me l’a reproché, j’ai entendu et, donc, je vais essayer de faire mieux.
A : Oxmo disait que dans son classement des quatre meilleurs rappeurs français on pouvait te retrouver aux côtés d’AKH, Booba et Kery James. Est-ce que toi aussi tu as en tête un classement comme ça ? Ca pourrait nous donner des pistes pour les feats sur ton deuxième album…
D : J’avais vu ce classement d’Oxmo et ça m’avait fait très plaisir. Après, wow…C’est compliqué. Je sais pas mais big up à Oxmo et si je devais absolument faire un classement il serait dedans en tout cas.
A : Une dernière question : Est-ce que, parmi tous tes couplets, il y en a que tu affectionnes tout particulièrement ?
D : Impossible d’en citer un. Tout simplement parce que je ne me rappelle pas de tous les couplets. En ce moment, j’aime bien ce que j’ai écris dans ’20 mesures de poésie’. J’en suis content. Après ça dépend des périodes. Si tu veux savoir quel couplet est apprécié par un MC, tu regardes ce qu’il rappe en freestyle. C’est toujours les mêmes couplets qui reviennent.
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