Dälek
Co-producteur au sein du trio le plus extrême qui soit en rap, Dälek nous éclaire un peu sur la noirceur de ses sons, entre influences métal violentes, sons métalliques stridents et Hip-Hop bien entendu, synonyme pour lui d’expérimentation…
Abcdr : Peux-tu te présenter, et nous en dire un peu plus sur le groupe…
Dälek : Dälek est composé de trois personnes. Moi-même, Dälek : MC/co-producteur, Oktopus : co-producteur et Still : DJ/co-producteur. Le groupe a été créé en 1997 avec un DJ différent. Still est arrivé dans le groupe en 2000. Le groupe existe donc depuis neuf ans.
A : Quel a été le premier son qui t’a marqué ?
D : Il y en a trop pour n’en choisir qu’un, mais l’album entier Criminal Minded de Boogy Down Production m’a marqué, tout comme It takes a nation of millions to hold us back de Public Enemy et Loveless de My Bloody Valentine.
A : Comment as-tu commencé à faire des beats ?
D : J’ai débuté comme DJ à l’âge de quatorze ans avant de devenir MC à quinze. J’ai commencé à faire des beats sur un Sp-12 quand j’avais à peine dix-huit ans. J’en ai vingt-neuf aujourd’hui, alors fais le calcul.
A : Quelles machines utilisais-tu à tes débuts ? Et maintenant ?
D : J’ai commencé à m’exercer sur des Technics 1200 puis je suis passé au EMU Sp-12, que j’ai complété par un Akai S900… J’avais à peu près vingt ans quand j’ai eu une MPC-3000. J’utilise toujours ces machines aujourd’hui, avec un Apple Powerbook plus Ableton Live et ProTools pour les logiciels.
A : Préfères-tu sampler ou composer ?
D : J’adore sampler mais uniquement ce que nous avons composé… alors je vais dire que je préfère composer. Enfin…on utilise des samples, des boucles et des morceaux issus d’autres disques pour composer de nouveaux morceaux. Je dirais donc un peu des deux.
A : Quelle est ta méthode de travail, par quoi commences-tu : beat, basse, sample ?
D : Il n’y a pas vraiment de méthodes ni de règles. On travaille au feeling. Quelque fois les textes inspirent un morceau, à d’autres moments un beat inspirera une mélodie, ou bien les mélodies inspirent des lignes de basse. Ça varie toujours.
A : Deux membres du groupe se partagent la production musicale, Oktopus et toi, comment vous répartissez-vous cette tâche ?
D : Pour l’essentiel, nous balançons chacun des idées et des titres, coupant et ajoutant des éléments jusqu’à ce qu’on soit chacun en phase avec le morceau. C’est notre process de ‘contrôle qualité’.
A : Quel est pour toi le lien entre la production et le deejaying ? et l’emceing ? Considères-tu que c’est un avantage d’avoir une approche du rap par deux biais différents ?
D : Je considère le Deejaying comme le coeur de la musique Hip-Hop. Le Hip-Hop va chercher son inspiration au plus profond des bacs à disques et a une oreille ouverte sur la musique. Cette ouverture d’esprit permet de créer des morceaux de folie. Le MCing est né quand un mec toastait pour un DJ, il est devenu une forme de poésie urbaine, et quand il est associé à des productions et des cuts de oufs, on peut avoir une musique extrêmement novatrice. Bien entendu, il est toujours intéressant de pouvoir envisager le rap de deux façons différentes, cela permet une plus grande compréhension de cette expression artistique que peut représenter le Hip-Hop.
A : Prêtes-tu attention des textes des MCs pour qui tu peux produire ?
D : Étant moi-même un MC, bien sûr que j’y prête attention. Oktopus te dirait qu’il n’écoute jamais ce que dit le MC, y compris mes propres textes [rires]. Mais j’estime qu’en touchant à la fois à l’écriture et à la musique, on fait forcément de meilleurs morceaux. Parfois la musique exprime des choses qu’on ne pourrait jamais exprimer avec des mots. Il est bon de savoir quand je devrais me la fermer.
A : C’est important pour toi d’appartenir à un groupe ?
D : Ce groupe fonctionne bien, et c’est déjà une chose rare. Oui, c’est important pour moi de faire partie d’un groupe. Ce sont mes frères. Je tuerais pour ces enfoirés. J’adore enregistrer avec eux, et on prend un plaisir fou à être sur scène ensemble. Ce groupe EST Dälek.
A : Quelle est ta définition de l’expérimentation ?
D : Le Hip-Hop.
« Je considère qu’on est clairement un groupe de Hip-Hop. »
A : Considères-tu que l’expression « rap industriel » constitue un bon qualificatif pour décrire ta musique ?
D : Si tu es à l’aise avec ce qualificatif très bien. J’accorde personnellement peu d’importance aux étiquettes.
A : Vos sons résonnent et fon très lo-fi comme peuvent l’être ceux des groupes de punk ou de rock (Melvins, My bloody valentine, The stooges…), considères-tu que l’étape du mix soit aussi importante que la production ?
D : A la base Oktopus est ingénieur du son. Je pense que chaque étape du processus d’enregistrement est importante. De la production au mastering. L’idée principale étant que les albums sonnent comme ils sonnaient dans ta tête.
A : Pourquoi êtes vous sous contrat avec un label comme Ipecac, un des plus expérimental tous styles confondus… pour lâcher des disques de rap expérimentaux ? Tu penses que les labels Hip-Hop ne sont pas intéressés, ou pas assez ouvert à votre approche du rap ?
D : Ipecac, c’est chez nous. On apprécie le fait d’être sur un label avec des groupes qui aiment autant la musique que nous. Les gens qui sont sur ce label partagent comme nous l’intégrité que nous défendons. Ipecac nous donne la possibilité de nous exprimer librement et veille à ce qu’on se sente bien. Je n’imagine pas être signé ailleurs. Qu’est-ce qu’un autre label pourrait nous apporter de plus que ce qu’Ipecac nous apporte aujourd’hui ?
A : Les gens qui écoutent vos sons ne font souvent pas partie du « public rap », est-ce que c’est un compliment à tes yeux? Que penses-tu de ça ?
D : C’est toujours positif d’avoir dans ton public des gens qui n’écoutent pas spécialement de Hip-Hop…après que ça te plaise ou pas, s’ils écoutent Dälek, ils en écoutent désormais du Hip-Hop.
A : D’ailleurs, considères-tu ta musique comme du Hip-Hop ?
D : Je considère qu’on est clairement un groupe de Hip-Hop.
A : Penses-tu que le public rap est trop borné et pas assez ouvert à d’autres styles ?
D : Les gens qui écoutent de la pop sont trop bornés.
A : Tes productions semblent être pas mal inspirées par le métal et le rock, quelles sont tes influences?
D : Public Enemy, BDP, Eric B & Rakim, Faust, Velvet Underground, My Bloody Valentine, les Stooges, Bad Brains, Black Flag, Scientist, Slayer, les premiers Wu Tang, De La Soul, John Coltrane, Melvins… pour ne citer qu’eux.
A : Quelles différences y’a-t-il entre vos albums et vos concerts ?
D : Nos concerts sont de véritables agressions sonores. On veut que le public quitte nos concerts soit en nous adorant, soit en nous haïssant. On essaie de faire en sorte que nos morceaux sonnent un peu différemment, que la musique soit plus vivante, en ajoutant des parties improvisées etc…
A : Cela semble être important pour vous de jouer live en concert, pour quelle raison ?
D : Pour un groupe underground comme le nôtre avec peu de passage sur les radios et les chaînes télévisées, faire des concerts constitue notre façon de prouver au public que l’on existe. Faire des concerts te permet aussi d’avoir un retour immédiat de ton public, tout en te permettant d’exposer ta musique différemment. Tout cela contribue et influence ce que tu feras en studio plus tard.
A : Still fait plus de scratches sur cet album que sur les précédents. Ce dernier est aussi plus sombre tout en paraissant plus Hip-Hop. C’est important de laisser de la place aux platines dans vos prods ?
D : La platine est un élément essentiel du Hip-Hop, et ce même si on a tendance à repousser certaines limites. J’ai souhaité qu' »Absence » ait une base « traditionnelle » très forte. Cuts, beats, basses et paroles.
A : Absence est plus sombre que vos deux premiers albums. Les chansons se terminent par des sons noirs et lourds. Est-ce que la situation actuelle aux États-Unis et la politique actuellement menée par le gouvernement américain a inspiré d’une certaine manière cela (comme pas mal d’albums rap sortis depuis le 11 septembre 2001) ?
D : Absence est une BO de ces temps sombres dans lesquels nous vivons.
A : L’album donne l’impression d’être plus structuré que From Filthy Tongue. Avez-vous changé votre manière de produire entre ces deux LPs?
D : On a vraiment voulu faire un album plus cadré. Un album avec un certain son et une humeur que l’on peut retrouver tout au long des morceaux. Ce n’était donc pas un changement dans notre approche de la production… on va dire que pour cet album, on s’est concentré sur un style.
A : Es-tu intéressé par les remixes ? Avec qui ?
D : Ce qui m’intéresse, c’est de travailler avec de bons musiciens. Mais je préfèrerais plutôt produire que remixer. J’aimerais collaborer avec Immortal technique, MF Doom, Bjork, Kevin Shields, et j’ai toujours rêvé de produire un disque pour quelqu’un comme Rakim, Chuck D ou KRS-One.
A : Que penses-tu des albums instrumentaux ?
D : Les albums instrumentaux peuvent être fabuleux… quand ils sont bien faits.
A : Que t’ont apporté toutes les collaborations que vous avez pu mener, tous styles confondus, à toi et à ta musique ?
D : Ces morceaux m’ont apporté de nouvelles idées, de la nouvelle musique, et de nouveaux contacts avec d’autres gens qui aiment la musique et qui sont ouverts d’esprits.
A : Oktopus a fait un remix pour Isis, un groupe de rock dont le dernier album, Panopticon, est aussi hard que mélodique. C’est la même façon de voir que vous avez au sein de Dälek ?
D: On adore Isis. Isis are the ‘Nisis. Notre tournée aux Etats-Unis avec eux (Dälek assurait la première partie du groupe) était de loin mon expérience préférée en matière de tournée. Je suis ravi d’être sur le même label qu’eux et de les avoir comme amis.
A : Te sens-tu plus proche de groupes de rock que de rappeurs, de plus en plus mainstream et guidé par la « culture du dollar » ?
D : Je me sens proche de musiciens qui font cela pour l’amour de la musique, peu importe le genre musical dans lequel ils s’expriment. Mais gardez bien tête l’idée qu’il y a toujours de vrais groupes et de vrais artistes Hip-Hop. Il faut simplement regarder plus loin pour les trouver.
A : Quelles seront tes prochaines sorties ?
D : Soit la collaboration dälekZu soit le prochain album de Dälek.
A : Tes producteurs fétiches ?
D : DJ Premier, le Bomb Squad et RZA.
A : Ta période fétiche dans l’histoire de la musique?
D : Le Hip-Hop de la fin des années 80/début des années 90. La scène Punk/hardcore des années 80 et le jazz des années 60.
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