D.Ego
Des mixtapes bricolées dans la cave jusqu’aux productions pour Grain 2 Caf ou Despo, retour avec D.Ego sur quinze années de hip-hop vécues à la sauce châtillonnaise.
Abcdr du Son : Tu es d’origine argentine ?
D.Ego : Mes parents sont chiliens. Ils ont dû partir à cause de la dictature militaire en 1973 et je suis né en Argentine un an plus tard. Comme le pays applique le droit du sol, je suis automatiquement devenu argentin. On a vécu trois ans là-bas et puis il s’est passé la même chose qu’au Chili : un coup d’État suivi d’une dictature. Ils ont de nouveau été forcés de quitter le pays. Finalement, on est arrivés en France, même si mes parents privilégiaient d’autres pays pour l’asile en tant que réfugiés politiques. Ils ont pris ce qu’on leur proposait vu l’urgence de la situation. Un an après notre arrivée, on s’installe à Châtillon dans une HLM.
A : La musique a occupé une place importante dans ta jeunesse ?
D : A la maison, il y avait de tout : Bob Marley, Santana, Michel Berger, Fats Domino, George Benson, Los Jaïvas, Michael Jackson, Supertramp, Bruce Springteen… Mon père kiffait les Pink Floyd, les Beatles, Francis Cabrel… Ma mère écoutait Balavoine, Abba, Klaus Nomi… Les premiers disques que j’ai fait acheter à mes parents étaient « Un Autre Monde » de Téléphone et « Miss Maggie » de Renaud, j’avais dix ans. Des 45 tours qui coûtaient vingt francs à l’époque. J’ai grandi avec le Top 50, Les Enfants Du Rock et Rapido. Je regardais ces émissions dès que je pouvais. C’était le seul moyen de voir des clips et des reportages musicaux. Et j’ai découvert plein de trucs différents comme Madonna, les Rita Mitsouko, Prince, Les Négresses Vertes, MARRS ou encore la Mano Negra.
Pour mes quinze ans, je me suis fait offrir une guitare électrique. J’apprenais seul, avec un petit carnet décrivant tous les accords. J’écoutais Jimi Hendrix et Santana à ce moment-là. Je refaisais les riffs et les solos à l’oreille, du moins j’essayais. Un bon ami était à fond dans le heavy metal : Metallica, Slayer, Sepultura… Lui avait une basse. On finit par monter un groupe avec un autre guitariste mais on n’avait pas de batteur. C’était pas un vrai groupe en fait ! [sourire] Au lycée, je me suis mis à la batterie. Un pote vendait la sienne pas chère et j’avais de nouveau convaincu mes parents de me l’acheter. Ça a été plus difficile. Pas pour la place, mais pour le bruit [sourire]. Par la suite, j’ai répondu à une annonce au lycée. Un guitariste et un bassiste cherchaient un batteur. Puis un gars de ma classe qui rappait nous a rejoints. On faisait de la fusion. On jouait des reprises et des compo’ à nous. J’étais batteur au sein du groupe mais je participais parfois à l’élaboration de titres en trouvant des mélodies de guitare. On était influencés par des groupes qui mélangeaient rock, funk et rap comme les Red Hot Chili Peppers, Urban Dance Squad ou les français de FFF. J’étais un gros fan de Rage Against The Machine. Je les avais vus plusieurs fois en concert, ils avaient une énergie de dingue ! Le côté rap militant, c’est ce qui m’a amené au rap « pur ». On est en 1993 et je découvre Cypress Hill sur MTV : « Insane in the Brain ». Là, j’ai un déclic. Je m’y suis intéressé et j’ai découvert Funkdoobiest, House Of Pain, Das EFX… Il y avait un clip où ils sortaient des égouts [ndlr : « They Want EFX »]… Petit à petit, j’écoutais de plus en plus de rap. Et puis il y a eu le raz-de-marée Wu-Tang, je me suis pris des baffes monumentales. Tant au niveau de la musique que de leur univers. J’écoutais uniquement du rap américain. Mon petit frère écoutait du rap français, donc j’entendais des noms mais ça ne m’intéressait pas plus que ça. IAM, Ministère Ämer, Expression Direkt… J’avais aussi écouté la compil’ Rapattitude, avec les New Generation MC qui étaient de chez nous. Je m’y suis intéressé petit à petit. La Cliqua, X.Men, ça ressemblait plus au rap américain déjà. Les années suivantes, j’ai écouté énormément de rap. Et encore plus quand je suis devenu DJ !
« Je refaisais les mix de DJ Clyde et Cut Killer qui passaient sur Radio Nova. J’enregistrais les émissions sur K7, je rembobinais, réécoutais… »
A : Comment devient-on DJ ?
D : J’ai eu ce passif de mec qui consommait des disques. Ado, j’allais à des conventions, à Quai d’Austerlitz puis à la salle Wagram. C’était entre 1988 et 1990. Je m’y procurais, entre autres, des disques de Cure, dont j’étais fan. J’avais déjà ce côté collectionneur, je prenais le 45 tours et les deux maxi d’un même titre, le rouge et le vert. Je claquais mon argent de poche en vinyles. Parfois, je n’avais pas assez pour repartir avec le disque que je voulais. Mais voir autant de disques dans un seul et même endroit me fascinait. C’était comme un temple quand tu rentrais là-dedans ! J’ai découvert le DJ’ing en 1997. Je faisais une formation de stylisme. Là-bas, je sympathise avec un gars, DJ Blaker. Un jour, je me retrouve à passer chez lui, dans le XVIIIe. Je vois deux platines MK2 et une mixette, sans doute une Gemini. C’était la première fois que j’en voyais en vrai. Il s’en servait pour mixer en soirées. Je lui demande si je peux toucher et ça a de nouveau été le déclic. Je venais de découvrir qu’on pouvait « gratter » des disques [sourire] ! Je suis reparti de chez lui en me disant : « Il me faut le même truc ». Je me suis mis à économiser. Entre temps, je laisse tomber mes aller-retour habituels dans les magasins comme Jussieu Music ou OCD où j’achetais du rap en CD pour me remettre à prendre du vinyle. Je me souviens que je scratchais en cachette sur le tourne-disque des parents en évitant de le casser. Quelques mois plus tard, DJ Saïdou, un pote à lui avec qui il faisait des soirées, décide de vendre ses platines. Il les faisait à moitié prix, environ trois milles francs pour les deux. C’était une bonne occase mais quand même beaucoup d’argent. J’ai dû emprunter à mes parents. Après, je me suis démerdé à trouver une mixette Gemini. Et voilà, c’était parti. J’ai installé tout ça dans ma chambre qui était dans la cave de la maison.
A : Tu as un mentor, quelqu’un pour te conseiller ?
D : Hormis Blaker qui ne pouvait me donner que des conseils en terme de mix, je ne connaissais personne qui avait des platines dans mon entourage. J’ai appris tout seul. Au début, je refaisais les mix de DJ Clyde et Cut Killer qui passaient sur Radio Nova. J’enregistrais les émissions sur K7, je rembobinais, réécoutais… Après, j’ai rencontré DJ Fader Beaz, originaire de Fontenay-aux-Roses, on a bossé ensemble, échangé des conseils. Lui était très fort en beat-juggling, chose que j’étais incapable de faire. Entre le moment où j’ai voulu avoir des platines et celui où je les ai eues, je faisais des cassettes avec les morceaux que je kiffais. J’avais même trouvé une combine pour faire des mix avec un double radiocassette. En appuyant à moitié sur le bouton « enregistrer », ça enregistrait sur la cassette sans effacer ce qu’il y avait déjà dessus. Donc j’arrivais à mixer des titres, sans platines [sourire] ! Après avoir eu mes platines, j’ai très vite fait des cassettes pour moi et mes potes. Et puis je me suis dit : « Pourquoi je ne les sortirais pas ? » Je sors donc ma première mixtape en juin 1998 : Dope Blends, avec une sélection rap US. Mes premières tapes, je les faisais à la main, pas en usine. J’avais pris un meilleur double-cassette, un Technics, pour les dupliquer. J’allais acheter des cassettes vierges, transparentes, dans un magasin qui s’appelait Videlec, vers Montparnasse. Je découpais de petits autocollants pour mettre le nom. Je les faisais à cinquante exemplaires. Je les vendais de la main à la main et j’allais aussi voir les magasins spécialisés aux Halles, mais la plupart me rembarraient [sourire]. J’étais personne. A l’époque, tu avais des noms installés comme Cut Killer, Poska, des mecs qui avaient des émissions de radio. Les gars me disaient de revenir la semaine suivante à chaque fois [sourire]. Mais j’ai continué, volume 1, 2, 3… J’avais un 4 pistes cassette Tascam 414 MkII. Il y avait déjà du numérique mais je n’avais pas les moyens. J’étais obligé de tout faire en live. Quand ça ne me plaisait pas, je devais recommencer. Je n’avais pas le droit à l’erreur, donc j’ai progressé. En 99, pour la numéro 5, j’ai acheté un multipiste numérique à Juan Marco [ndlr : membre de New Generation MC puis de Too Leust], un Roland VS 880. J’avais déjà fait des freestyles sur les mixtapes précédentes mais le son était vraiment crade. Sur la 5, le son était meilleur et, avec le recul, je me suis rendu compte que c’était la meilleure tape que j’avais faite. La sélection des titres était bonne, elle reflétait la forte créativité du rap français de cette époque. Des années après, quand je me présentais, on me disait : « C’est toi qui as fait la cassette avec la jaquette bleue ? » J’en ai entendu parler longtemps de celle-ci. C’est la première que j’ai fait dupliquer en usine. 300 exemplaires, c’était le minimum. On allait tous au même endroit, dans le XIIIe, ils faisaient ça au black vu qu’on n’avait pas d’autorisations SDRM.
A : Tu fais de nouvelles rencontres par le biais de tes mixtapes ?
D : Oui, surtout quand je décide d’intégrer des freestyles de rappeurs. J’ai commencé à partir de la tape numéro 4 avec les gars de ma ville et des alentours. Si tu invitais un groupe à poser un freestyle, il pouvait t’en ramener un autre et ainsi de suite. Sur la 5, pas mal de groupes avaient posé. Notamment le collectif Get le Crew, dont je faisais partie et dont la plupart des membres venaient de Châtillon. Le bouche à oreille fonctionnait bien. Il y avait aussi une rubrique underground dans le magazine RER, où tu avais les coordonnées des gens. Du coup, les gens se contactaient aussi comme ça. J’ai très vite envoyé mes mixtapes aux magazines avec une bio, une présentation de la tape et mon contact. Dès la deuxième, j’ai commencé à être chroniqué. Je me souviens d’une très belle chronique dans L’Affiche pour celle-ci qui était plutôt encourageante. Et il arrivait que des groupes ou des artistes m’appellent via le contact dans le magazine. Je me suis rendu compte avec le temps que ce n’était pas rien d’avoir une chronique de sa mixtape. Les rappeurs eux-mêmes m’en parlaient. Même si tu faisais tes mixtapes dans ta cave et que tu les vendais de main à main, tu existais. J’ai fait une mixtape hors-série avec DJ Vinz début 2000. On a entendu dire que le vendeur du rayon rap de la Fnac de Boulevards des Italiens prenait les mixtapes. On n’avait pas accès à ces réseaux vu qu’on ne déclarait rien, c’était illégal. C’était une belle époque. Il nous en a pris pas mal. Le mec en prenait d’abord une dizaine, ça partait vite donc il nous disait d’en ramener davantage. Un jour où on allait en déposer, on rencontre Logan d’Octobre Rouge qui déposait le premier maxi du groupe. On connaissait son visage grâce aux magazines. On l’a attendu à la sortie pour discuter. Le feeling est bien passé, on a gardé contact et il est venu poser sur la mixtape suivante avec son groupe. C’était l’une des premières rencontres dues au hasard et on a collaboré plusieurs fois par la suite.
A : Tu as fait combien de mixtapes ?
D : J’en ai fait dix plus une hors-série avec Dj Vinz. La dernière, Le Grand Tournoi, est sortie en 2002. C’était une spéciale rap français avec que des freestyles et titres inédits, entièrement enregistrée au studio Mouvement Authentique. Je voulais marquer le coup. La dixième, ça se fêtait [sourire] ! Dessus, il y avait Octobre Rouge, Sterna, Iron Sy, Force Pure, X-Taz, Amara, Kazkami, Narcisse, Grems, Ul’Team Atom, Hype & Chrome… Hype était au bahut avec Farouche de La Cohorte, qui rappait à Châtillon. Donc il passait souvent au studio avec ses gars. C’est comme ça que je l’ai connu. Ça m’a un peu étonné quand j’ai lu dans une de vos interviews qu’il a appris à rapper avec Kohndo. Ce n’est pas vraiment le même style [sourire]. Il y a des écoles selon les départements et quand tu te dis qu’il vient de Bondy, tu ne t’imagines pas qu’il a appris à rapper avec Kohndo. Mais il était technique le gars à l’époque. Narcisse avait sorti un maxi en commun avec Kohndo. Il y avait le numéro des deux sur le vinyle. Truc incroyable que tu ne verrais plus maintenant. Je les ai appelés, un m’a dit qu’il ne faisait pas ça gratuitement – ce que je comprends très bien – et l’autre a accepté sans souci. Humainement, c’était un super gars, Narcisse. Bref, il y avait pas mal de monde de l’underground de l’époque. DJ Poska était une référence pour moi en terme de productivité et de visibilité. Au départ, je m’étais fixé son rythme : environ trois mixtapes par an. Mais au bout d’un moment, je le voyais à la K7 numéro 30 ou 40 et je me suis demandé si j’avais envie d’arriver jusque-là, si c’était vraiment ce que je voulais faire. Et en fait non. J’avais produit deux ou trois titres sur la dernière mixtape. C’est à cette époque que j’ai décidé de me consacrer à la production. Un des gars du crew m’avait vendu une MPC 2000 un peu cassée à moins de mille francs.
« Il faut toujours aller solliciter les artistes. Rien n’est jamais acquis. »
A : Quelles sont les premières prod’ que tu places ?
D : On est en 2000. Odger, ancien des New Generation MC, qui travaille au service jeunesse de Châtillon, monte un studio par le biais de l’association Mouvement Authentique. La mairie lui file un local. Au premier abord, c’était pourri mais on l’a aménagé. On avait le matos rudimentaire. Et dans ce studio, beaucoup de mecs de Châtillon venaient rapper : les gars de Get le Crew avec qui je bossais, des plus jeunes dont La Cohorte, et des plus petits encore, comme Croma et Radikal, qui devaient avoir treize ans à l’époque. Il y avait aussi Shaïe, une chanteuse dont s’occupaient Odger et JMB (ndlr : ex-New Generation MC). Mes premiers sons étaient pour Get le Crew mais je me suis retrouvé à bosser avec La Cohorte. Mon premier son sorti officiellement, c’était sur leur maxi La Tour. Dun-Khan avait fait un titre solo, j’aimais beaucoup son texte mais pas la musique. Je lui ai proposé de refaire l’instru’ sur son a cappella et le résultat lui a plu. J’ai fini de mixer le morceau le jour du mastering. Je me souviens que je m’étais mis une pression dans le sens où c’était un des premiers « vrais » titres, que je mixais qui allait être masterisé. Je passais de la K7 au vinyle ! Je n’étais pas sûr de moi en terme de mix pur, d’autant plus que j’apprenais tout seul, en écoutant au casque des CD de rap US et en analysant comment ils mettaient les éléments musicaux ou les voix dans l’espace… J’ai réécouté il y a quelque temps et il me semble que j’ai même pas mis de reverb sur la voix de Dun-Khan ! Odger avait obtenu des subventions pour sortir ce disque via l’association et il en avait fait presser mille. Mais quasiment personne n’a pris le disque en magasin. Donc ça n’a pas fait spécialement grand bruit. Même si on a eu une chronique dans L’Affiche et qu’on a placé le titre que j’ai fait dans un CD sampler de RER. Puis on a fait des scènes avec Get le Crew et on a sorti un maxi vinyle en 2003. J’ai produit un titre sur les trois. On a fait une cagnotte, chacun a participé. Chaque rappeur était présent sur au moins un titre, tout comme les trois beatmakers du crew, histoire de présenter tout le monde. Je me suis occupé de la direction artistique, du mix, des arrangements et de la finalisation du disque. J’ai fait en sorte que les trois titres soient dans des registres assez différents. On l’a sorti à cinq cents exemplaires et il a bien tourné. Surtout le son que j’ai produit : « Compétition ». L’instru, c’était un sample de flûte de pan avec une basse et un breakbeat. J’étais parti avec un des gars du crew pour le ramener à Urban Music. Le mardi, c’était le jour où ils recevaient les nouveautés. Donc tu pouvais croiser tous les DJ de Paris et même de province ce jour-là. On voit DJ Spank, qui avait à l’époque une émission le jeudi soir sur Skyrock avec BOSS. On lui a filé deux maxis. Le fait que ça vienne de Mouvement Authentique l’a interpellé. Il l’a kiffé et l’a martelé à la radio. D’autres DJ le passaient dans leurs émissions. Ce morceau a pas mal tourné dans l’underground. Même Dee Nasty l’avait mis dans un de ses mix pour le magazine Groove. Ça commençait à devenir carré. La même année, j’ai produit un titre pour Assos 2 Locos. Une prod’ que j’aime encore beaucoup. J’étais très influencé par DJ Premier à mes débuts.
A : Tu peux nous expliquer cette histoire de coproductions sur l’album d’Octobre Rouge ?
D : Mon frère était devenu pote avec Logan et un jour il me dit qu’ils ont une galère. Il y avait trois instru’ où les beatmakers étaient incapables de retrouver les sessions pour exporter les pistes séparées nécessaires pour le mix. Ils voulaient exactement la même chose. C’était pas super gratifiant artistiquement mais je l’ai pris comme un défi. Donc je l’ai fait. Pour « DS », j’ai proposé une version assez électronique tout en gardant la même rythmique mais ça ne leur a pas plu. Je suis revenu à la version originale. Le seul instru’ où j’ai un peu réussi à mettre ma patte, c’est « Colekt’Or ». Rythmiquement, c’était à peu près la même chose mais je l’ai rendu plus dur. Dans l’esprit, il était un peu plus « foutage de gueule » à la base.
A : Comment en viens-tu à travailler avec Cassidy des X.Men ?
D : Toujours grâce à mon frère. Il me manageait à partir de 2006/2007. C’est comme ça que j’ai pu proposer des prod’ à Cass et qu’il en a retenu cinq. Je l’avais déjà rencontré en studio pour un titre avec Octobre Rouge. « Pourquoi » de Cassidy et Jeap 12 de Less du 9 avait été fait à la base pour Tracklist. C’était un CD avec des inédits qui fêtait les cinq ans d’existence du magazine. Sur Menilcity, je n’étais pas satisfait de tous les mix des morceaux. L’ingé’ son, Raheem, à qui je passe le bonjour, avait une vision sonore différente de la mienne. La première version de « Pourquoi » sur Tracklist était complètement flinguée. Pour moi, le mix avait niqué le morceau. On m’avait dit : « T’inquiètes, ça va être mixé par Jeff Dominguez ! » Finalement, je crois que ça a été mixé dans l’urgence par un des gars de l’équipe d’Octobre. J’ai remis le morceau sur Affaire de Famille en 2009, avec un mix qui me convenait.
A : Tu prends un cachet pour ce type de collaborations ?
D : Non, du tout ! Octobre, je les connaissais depuis un moment donc je n’y ai même pas pensé et Cassidy, c’était une opportunité. En tant que gars qui a kiffé les X.Men, c’était un plaisir de travailler avec lui. En vérité, à ce moment-là, je fais ça avec le cœur avec les gens que j’apprécie humainement ou artistiquement. Et d’ailleurs, j’ai toujours fonctionné comme ça.
A : Ça t’a ouvert des portes ?
D : Pas vraiment. Ce n’est pas aussi simple que ça. Il faut toujours aller solliciter les artistes. Rien n’est jamais acquis. Même Cass’, avec qui je suis en très bons termes, ne m’a pas appelé alors que je savais qu’il préparait à un moment plusieurs projets solos. Quand j’ai su qu’il commençait l’album des X.Men, il y a plus d’un an, je l’ai appelé pour organiser une écoute en studio avec Willi Beatz, un beatmaker signé sur mon label. Mais ça a traîné et ça ne s’est finalement pas fait… J’ai eu Cass’ au téléphone récemment, on devrait se caler ça prochainement. Par contre, ce ne seront pas les miennes mais celles de Willi Beatz ou d’autres gars avec qui je bosse. Je préfère les mettre eux en avant et faire mon taf de vrai producteur, qui gère les projets. Aujourd’hui, rien que de faire les pistes séparées, ça me saoule. L’envie reviendra peut-être… Puis je n’ai plus forcément le temps aussi. Au fur et à mesure, j’ai avancé. DJ, beatmaker… J’ai besoin de nouveaux défis, de progresser, d’apprendre de nouvelles choses. Faire de la musique ne doit surtout pas devenir ennuyant, je me l’interdis.
A : En 2009, il y a ce virage important : création de ton label, Triomphe Records, et sortie dans la foulée de la compilation Affaire de Famille…
D : Moi, gamin, mon rêve était soit d’ouvrir un magasin de disques, soit un label pour sortir les disques que j’aime. Ça a été le label. Je l’ai monté avec mon frère avec qui je bossais depuis presque quatre ans. On l’ouvre en 2009 et on sort le projet Affaire de Famille qu’on avait travaillé en amont, assez vite, en trois mois, avec les gens qui étaient plus ou moins proches de nous : Grödash, Cassidy, Specta, Radikal MC, Less du 9, D’En Bas Fondation… Le but était de me mettre en avant en tant que beatmaker et de confirmer mon statut de DJ. J’ai produit les vingt titres du projet que j’ai mixés comme sur mes anciennes tapes. Avant de le commencer, on avait déjà des titres en stock jamais sortis et puis j’avais remixé des titres dont on avait les sessions voix. On a fait réaliser le clip de « Où sont les MC’s ? » de Radikal MC et S-Pi, qui a bien tourné sur MTV et dans le Hit 2 Rue de Trace TV. On a monté une petite tournée radio en voiture. On est parti faire deux radios à Lille avec Grodäsh, Radikal MC et Sofiane du Remède. C’était la première fois qu’on fédérait du monde pour aller défendre un projet. On s’était tapé une barre de rire dans un « Kebab » : ils faisaient des menus avec des barres chocolatées « glacées » en dessert. Le truc, c’est que ça n’en était pas : elles étaient justes mises au frais dans un frigo. On a trouvé ça très étrange, ça nous a marqués [rires]. A Paris, on a fait des émissions comme Marché Noir et Wicked Vibes sur FPP, Parlez-Vous Français ? sur Générations… Chez Pascal Cefran, pas mal de monde était venu : Aketo, Grodäsh, Cassidy, Radikal MC, Loréa, Sierra Oscar Fox (Le Remède), Fenomen 10’Gla et Negus du crew D’En Bas Fondation. Avec mon frère, on était heureux de rassembler des gens différents, de faire des freestyles comme à la bonne époque. On était fiers de les ramener à la radio et que ça rappe.
A : Vous avez pressé le projet à combien d’exemplaires ?
D : On en a fait 1 000 et il y a dû avoir une mise en place de 400 CD. On a eu des problèmes avec la distrib’, Addictive Music. Je ne sais pas combien on en a vendu réellement. Ce n’était pas très clair. On a juste pris un premier chèque sur environ 150 exemplaires. On avait du mal à les joindre. Ils ont fermé du jour au lendemain. Il y a eu des retours mais il restait un peu plus de 150 CD à récupérer. On ne les a jamais revus. Je ne sais pas s’ils ont été vendus ou pas. Quoi qu’il en soit, on n’a récupéré ni la marchandise ni l’argent. Pour le digital, j’ai même dû faire intervenir mon avocat auprès de Believe pour qu’ils retirent le projet des plate-formes !
A : Elle prenait combien la distrib’ sur un disque ?
D : 40 % sur le prix de gros hors taxe. Le label touchait quelque chose comme cinq euros par CD vendu.
A : A combien se mesure l’investissement financier pour un tel projet ?
D : On n’a rien eu à dépenser pour le studio et l’ingé’ son puisqu’on a quasiment tout réalisé au studio Mouvement Authentique. On a juste payé le pressage, la SDRM et le mastering, environ 2 500 euros. On n’a payé aucun artiste, les gens venaient de bon cœur.
A : Comment te retrouves-tu à placer une prod’ sur l’album de Despo Rutti, Convictions Suicidaires ?
D : Pablo démarchait constamment pour placer des prod’ sur des artistes qu’on appréciait. C’est lui qui m’avait fait découvrir Despo sur la compil’ Hostile 2006. Au début, j’avais du mal parce que Despo, c’est quand même particulier. Mais « Arrêtez », ça déglingue tellement que j’ai fini par kiffer. Le mec ramène un truc. Il est donc entré en contact avec Despo. On a proposé une palette de cinq instru’ sélectionnés parmi ce que j’avais : il ne se passe rien. J’en fais trois autres exprès pour lui et là il retient ce qui deviendra « The Score ». Contrairement aux prod’ que j’ai pu faire précédemment, c’était vraiment du sur-mesure. Il a maquetté dessus et me l’a envoyée. Quand quelqu’un pose sur une de mes prod’, j’ai toujours une période où je ne te dis rien, je me contente d’analyser, j’essaie de comprendre ce qu’a voulu faire l’artiste. Je ne suis pas là à l’écouter comme un simple auditeur, à me dire « ça déchire » ou « j’aime pas trop ». Au bout d’un moment, j’arrive à capter et je peux me permettre d’émettre un jugement. J’ai mis un peu de temps à digérer ce morceau en maquette. Après, je suis rentré dedans, je l’écoutais, je connaissais les paroles et je le rappais [sourire]. Le processus, quand tu balances une prod’ à un artiste, c’est : 1/il valide ta prod’ ; 2/il pose ; 3/il continue de faire des maquettes et tu attends de voir s’il garde la maquette qu’il a faite avec ton instru’. Lui disait que le morceau était bon et qu’il allait le garder, tout en continuant d’enregistrer. Mais tant que la tracklist n’est pas définie, on est toujours sur un fil. Jusqu’au jour où il dit : « C’est bon, on le garde, on a besoin des pistes séparées ». Je me souviens que j’ai essayé de pousser encore un peu plus la prod’, j’ai rajouté quelques éléments pour la rendre plus orchestrale et gonflé la rythmique. J’étais vraiment content du mix de la prod’. Jérémie Tuil, l’ingé’ son, avait fait de petits breaks, de petits arrangements. On avait juste rebossé un truc bancal à deux. La seule chose dont je ne suis pas satisfait, c’est la reverb’ qu’il a mis sur la voix de Despo. Il y en a trop. Je lui en avais fait part, il en avait enlevé un peu mais pas assez à mon goût.
« Les vrais artistes sont un peu fous, dérangés. Sans manquer de respect à Despo, je pense qu’il est comme ça. »
A : Comment s’est passée la promotion de l’album ? D’un œil extérieur, on a eu l’impression que c’était assez compliqué…
D : Mon frère a revu Despo récemment et une anecdote a resurgi. Quand il a fait son Planète Rap, il a invité les beatmakers. Chose rare que je salue. Moi, je n’ai pas spécialement l’habitude de parler en public. En direct, à la radio, avec plein de monde autour, je n’étais pas super à l’aise. Fred m’a posé une question sur le processus, j’ai dû dire ce que je viens de te dire par rapport à la digestion du morceau, mais de façon moins claire [sourire]. J’ai dit que j’ai trouvé ça un peu bizarre au début. C’est la vérité. Quoi qu’on en dise, Despo a un flow, un grain particuliers, c’est pas quelque chose que tu assimiles direct. D’ailleurs, son album m’a un peu fait penser à Tical de Method Man. La première écoute, je ne comprenais pas. C’est très obscur, les deux sont assez proches. Il faut un temps de digestion. Surtout que Despo a tenté des trucs, il a à moitié chanté sur le refrain… C’est déroutant. C’est ce que j’ai dit à l’antenne. Sûrement que ce jour-là, ce n’était pas aussi clair que la façon dont je l’exprime aujourd’hui. Despo m’a fait la remarque en sortant de Skyrock : « Putain, on est à l’antenne, on est censés vendre l’album et toi tu dis que c’est chelou ! » Quand l’album est sorti, j’ai osé partager un lien du morceau sur YouTube, il m’a appelé en me disant : « Non, faut pas partager ! J’ai même dit à Therapy qu’il faut que rien ne déborde ! » Il voulait vraiment contrôler son truc au maximum. Les vrais artistes sont un peu fous, dérangés. Sans manquer de respect à Despo, je pense qu’il est comme ça. Les génies sont obligés d’avoir une certaine folie. En plus, il avait déjà plein de soucis avec sa distrib’, donc je peux comprendre qu’il l’ait mal pris, c’était un peu maladroit. Ce n’est pas rien de sortir un album, c’est du boulot. Il n’y a pas du tout d’animosité entre nous. Mais, comme d’autres, il ne m’a pas rappelé alors que je sais qu’il préparait un nouveau projet. C’est toujours aux beatmakers de revenir à la charge. Ça me fait chier de dire ça mais c’est comme s’il y avait une hiérarchie. Je ne trouve pas ça normal. Il ne faut pas oublier qu’on parle de musique. Et sans musique, que fait un rappeur ? Du slam ou des poèmes pour les plus doués [sourire] ! Regarde, Keor Meteor, un beatmaker avec qui je bosse, a sorti douze EP en digital en deux ans. Sans rappeurs ! Je comprends qu’il y en ait qui se lassent. Le primordial, c’est l’échange humain. Donc soit tu le fais pour le biz et tu t’en bas les reins, soit tu le fais avec le cœur, pour l’amour de la musique. Je n’ai pas pris d’argent sur ce beat, on voulait juste que les papiers soient en règle.
A : Pour un morceau comme celui-là, tu touches combien de Sacem ?
D : Quelque chose comme 70€ pour moi en tant que compositeur et 250€ en éditions pour le label.
A : Mais tu en vis de la musique ?
D : J’en vis, oui, mais pas grâce à mon label. En tout cas, pas encore. Je bosse au studio Mouvement Authentique à Châtillon en tant qu’ingé’ son. Je suis aussi censé faire des prod’ pour les adhérents qui en ont besoin. Je fais essentiellement des prises de voix et du mix, parfois de la compo’ ainsi que des arrangements. J’y avais déjà bossé de 2000 jusqu’à 2005 puis j’ai repris fin 2011. J’ai vu presque toutes les générations de rappeurs de Châtillon y passer. Aujourd’hui, j’ai pris de la bouteille : les petits jeunes qui viennent rapper des quatre mesures puis improvisent, je les remets en place. Soit tu as taffé ton texte, soit tu rentres chez toi. Surtout au vu de l’histoire de Mouvement Authentique. Quand Odger me raconte les anecdotes de l’époque… Pour rentrer au Mouvement Authentique, tu avais des auditions avec Sulee B.Wax dans une salle qui s’appelle Le Chat à Châtillon, et qui existe encore d’ailleurs. Il fallait être bon. Tu rappais devant plein d’inconnus en live, sans micro, pas en faisant des drops toutes les deux ou quatre mesures en studio. Pendant un moment, le collectif a rassemblé pas mal de gens. C’était quelque chose d’important dans les débuts du rap en France. Au Globo, quand tu montais sur scène et que tu n’étais pas bon, on te balançait des chaises ! Quand quelqu’un n’est pas bon, ou qu’il n’a pas le bon esprit, il faut lui dire. Le rap est un art et, comme pour tout art, il faut travailler sans cesse pour se perfectionner. Heureusement, il y a des gens qui s’appliquent [sourire]. J’ai la chance de vivre en ne faisant pratiquement que de la musique. J’ai juste un petit boulot à côté qui me prend quelques heures par semaine mais me permet de compléter mes revenus. Le label a fait rentrer un peu d’argent grâce aux ventes de CD et à la diffusion de clips. Les premiers mois, on pensait que le clip de Grain 2 Caf et Oxmo allait faire rentrer beaucoup d’argent mais en fait c’est le single « J’Kiffe » de Radikal MC qui a davantage tourné. Comme quoi…
A : Justement, ce morceau avec Grain et Oxmo…
D : Mon frère m’avait dit que Grain et Ox’ préparaient un morceau. Ils avaient déjà le thème. Pas mal de monde avait proposé des prod’ mais ça ne convenait pas. J’en bossais une justement et on s’est dit avec Pablo que ça pouvait coller. On n’a proposé que celle-là. Bingo, c’était exactement ce qu’il fallait. J’étais là quand ils ont enregistré. Première rencontre avec monsieur Puccino, j’étais assez impressionné. Je me suis dit : « Ils savent ce qu’ils font, je ne vais pas trop intervenir. » Oxmo n’est pas resté longtemps, il a posé en premier. Grain avait déjà écrit. Grain était sidéré de voir comment Oxmo travaillait. Il avait une base écrite, une sorte de brouillon. Mais pendant qu’il posait, il trouvait de nouvelles idées, changeait des mots. Il a posé sa lead, sans back. C’est ce qui a frappé Grain : « Mais, tu fais pas de back !? » « Bah non, est-ce que Brel ou Aznavour ont besoin de back quand ils enregistrent un disque ou sont sur scène ? » Ox’ était dans une autre dimension déjà. Grain était emmerdé. C’est vrai que les back peuvent parfois rattraper une lead qui n’est pas optimale. Ox’ est parti et j’ai dit à Grain qu’il n’avait pas le choix, qu’il était obligé de relever le défi [sourire]. Et il me semble qu’il l’a fait. Chacun a appris. Ce qu’a dit Ox’ m’a marqué. On en parlait indirectement avec Radikal MC. On s’est dit que c’était quand même pas con. Et, là, sur son album à venir, il y a volontairement très peu de back. A part sur un ou deux titres, c’est juste une voix lead. Sur scène, il faut dépasser le stade du rap, se comporter comme un artiste, donc si à chaque fois tu comptes sur tes back… C’est d’ailleurs ce que Youssoupha a fait sur son dernier album.
A : Concernant Youssoupha, tu as signé la prod’ de « Clashes », morceau le plus plébiscité de sa mixtape En Noir & Blanc…
D : J’ai découvert Youssoupha avec le titre « Éternel Recommencement » en 2005. Je m’étais pris une claque ! Le gars rappait bien et ne racontait pas de conneries. J’avais acheté son street CD, j’aimais vraiment ce qu’il faisait. Après avoir bossé avec S-Pi sur Affaire de Famille en 2009, on s’est bien entendus et on a gardé contact. Du coup, j’ai eu l’occasion de croiser Youss’ en studio ou en concert. J’avais déjà proposé des prod’ pour son album précédent mais ça n’avait rien donné. Je me suis dit qu’il fallait que je lui en renvoie, car c’est un des rares que j’apprécie artistiquement. J’avais son numéro. Il m’a donné son mail et je lui ai envoyé des prod’. Il bossait sur sa mixtape En Noir & Blanc. Il n’y avait pas vraiment de direction artistique. Il en a retenu une, toute fraîche mais dont je n’étais pas super satisfait. Il a écrit dessus mais, entre-temps, je lui ai renvoyé 2/3 prod’, parmi lesquelles l’instru’ de « Clashes ». Celle-là, je l’aimais beaucoup : « Elle est bien mieux que l’autre, c’est obligé qu’il la prenne. » C’était du sur-mesure également. J’avais écouté son album précédent en essayant d’emmagasiner et de recréer une prod’ qui pourrait lui convenir. J’avais vu juste puisqu’il a kiffé et abandonné le premier titre sur lequel il avait posé. J’ai découvert le morceau au studio Blaxound. Je dépose les pistes séparées, on fait des break, on réarrange le morceau, avec toujours ce moment de retrait avec l’instru’, mon « bébé ». Je ne suis pas là à me dire que c’est un morceau de dingue ou quoi, je garde du recul. Je reviens le lendemain pour finir le mix. C’était difficile parce que j’avais gonflé entre-temps les pieds et les caisses de la batterie. Ce que je lui avais envoyé n’était qu’une maquette. Involontairement, j’avais donné une dimension film à la rythmique, elle n’était pas devant comme un truc de rap normal. Au début, l’ingé’ son est parti dans le mix basique, rap, pied en avant, caisse, faut que ça cogne. Pour Youss’, ça n’allait pas. On a réécouté la maquette que j’avais envoyée et on est reparti dessus. On a finalement réussi à faire un mix qui convenait à tout le monde.
Je ne suis pas intervenu dans le processus de création. J’ai juste émis une remarque sur les back et dédicaces qui se chevauchent à la fin. J’aurais enlevé un truc pour que ce soit plus clair. Mais non, pas de négociations [sourire]. Il sait ce qu’il veut, tant mieux. Mais d’un autre côté, c’est quand même censé être un échange. Ce que je retrouve avec Radikal. Pour s’épanouir en tant que beatmaker, il faut bosser avec un rappeur. Il ne faut rien attendre des collab’ à droite/à gauche. Je n’ai pas demandé de cachet non plus. Juste à ce que le titre soit déclaré à la SACEM avec le contrat de cession et d’édition. J’avais envie de bosser avec lui. Mais jusqu’à aujourd’hui, toujours pas de contrat… C’est le morceau de la tape qui a le plus tourné mais ça ne m’a pas apporté grand-chose. Quand les gars font la promo, ils ne citent pas forcément le nom du beatmaker… Même des gens proches de Châtillon ne savaient pas que c’était moi qui avais réalisé le beat. Même S-Pi ne savait pas ! On avait invité Youssoupha pour l’album de Radikal à venir – c’est aussi pour ça que je n’ai pas demandé de cachet – mais Lassana, son manager, n’a pas fait son boulot…
« Pour s’épanouir en tant que beatmaker, il faut bosser avec un rappeur. »
A : Comment as-tu été amené à travailler avec Radikal MC ?
D : La première fois que j’ai vu Radikal MC, c’était en 2000. Il avait treize ans. Il venait enregistrer avec la Falt, son groupe de l’époque, au studio qui venait d’ouvrir à Châtillon. Ils posaient des freestyles sur des faces B. Mais je me suis vraiment intéressé à lui plus tard, vers 2006-2007, quand il se met à rapper en solo. C’est après avoir entendu un titre qui s’appelait « Plates Bandes », jamais sorti, que je me suis dit qu’il était doué. L’instru’ était rapide et mélancolique et lui kickait dessus avec un texte très personnel. Le mélange était intéressant. Du fait que je bossais au studio, il m’arrivait de l’enregistrer et de voir sa progression. Mais je ne me mêlais pas de sa musique. C’est plus tard que je lui ai proposé de l’accompagner dans son projet. Je lui ai dit que je comptais ouvrir un label et que je souhaitais qu’il soit le premier artiste à l’intégrer. Une fois mis au clair tout l’aspect artistique et business, il accepte. Je lui ai présenté Tchicos Pablo, un beatmaker que j’avais connu grâce à Ortega Dogo pour choisir des instru’. On avait également demandé des prods à Keor Meteor, avec qui Radikal avait déjà collaboré sur une compil’. On choisissait les prod’ ensemble et, en général, on est sur la même longueur d’onde. Je lui en fournissais également. On a commencé à bosser des titres qui deviendront par la suite Maturité. Le but était de faire neuf titres tenant la route pour en faire un EP. C’était un format idéal comme « carte de visite », entre le maxi et l’album. Et ce n’était pas à la mode comme aujourd’hui ! C’était plutôt celle des « street albums ». On avait aussi pris une direction musicale « chaleureuse » avec beaucoup de samples, alors que la tendance était aux beats froids et synthétiques. C’est un positionnement qui s’est fait naturellement, et ça me convenait. Ne surtout pas faire comme la masse, se démarquer. Quitte à prendre un gros risque. Maturité sort en janvier 2010 nationalement grâce à Satellite Distribution, avec une mise en place en bacs d’environ 500 CD. Avec Pablo, on avait fourni un gros travail en terme d’image. On était conscient que la musique seule ne suffisait plus. Il y a eu deux clips officiels, deux mini-clips et une série de huit webisodes dans lesquels on présentait l’univers de l’artiste, ses influences… Les retours ont été positifs, que ce soit sur le EP, l’artiste ou le travail fourni par le label. Ce projet lui a permis de se produire sur scène au Nouveau Casino pour le plateau Être indépendant est un must 2 organisé par Hip-Hop Résistance. Puis d’avoir sa propre date dans une petite salle parisienne avec des invités tels que Kamnouze, Specta, S-Pi & Rapodrome. C’est bien pour un artiste qui sortait de nulle part.
A : Quelle est la suite du programme ?
D : On a mis en téléchargement gratuit la #Kicktape 2 début octobre et on finalise son premier album, Lever L’Encre, qui sortira début 2014. Le premier extrait « Allez Leur Dire », que j’ai produit avec Willi Beatz, ne devrait plus tarder. La démarche dans le travail est différente. On est dans une véritable construction, ce ne sont pas seulement des titres mis les uns derrière les autres comme avec Maturité. On se prend la tête pour faire un album de qualité. On n’a pas le choix, la concurrence est de plus en plus dure. On le travaille comme si c’était notre dernier projet. D’ailleurs, c’est peut-être le cas… Musicalement, c’est la continuité de Maturité et de la #KickTape. Avec de nouvelles choses, évidemment. Il n’y a qu’à voir les invités : Kamnouze, REDK, K-Reen, Gage, Rachel Claudio et Jamin’ Dell. Deux rappeurs et quatre chanteurs. Côté beatmakers, pour l’instant, il y a Willi Beatz, Keor Meteor, Stanza, MeanStrict, Mess 24th, CasaOne et moi-même. Lever l’Encre sera plus musical que Maturité et, en même temps, il y aura plus de rap aussi. Radikal MC a pris en assurance depuis la sortie du EP, grâce aux scènes qu’il a pu faire et ça se sent dans sa manière de rapper et d’écrire. Sur cet album, je fournis un gros travail d’arrangement des titres, que ce soit des batteries ou des éléments supplémentaires sur un refrain par exemple. On a aussi fait appel à Mauricio Santana pour rejouer des basses et des guitares.
Entre Radikal et moi, c’est toujours le même fonctionnement. Généralement, on choisit les instru’ à deux. Avant d’écrire, il me fait part de ce qu’il voit niveau texte sur l’instru’. Non pas qu’il n’ait pas confiance en lui, mais c’est un véritable travail en collaboration. Je lui donne des conseils, parfois des idées de thèmes, qu’il garde ou pas. Parfois, on croit que c’est le bon texte et on se plante, mais c’est rare. Il prend du temps pour être sûr que ce soit le bon thème pour l’instru’. Sachant que plus tu avances dans l’album, plus tu dois faire attention à ne pas trop te répéter. Je fais aussi toutes ses prises de voix, je suis présent au niveau de la réalisation. Mais c’est quelqu’un de très rigoureux et même si on a un studio à disposition, il évite de perdre du temps et de m’en faire perdre quand il vient poser un titre. Et bien qu’on le travaille sérieusement, on s’est vraiment amusés à faire cet album. Il y aura d’ailleurs une nouvelle série de webisodes dans lesquels on voit la construction de certains titres et il y a de beaux moments de conneries ! [sourire].
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