Count Bass D : « Je suis venu à la musique par l’église »
Entretien au-delà des frontières musicales avec Count Bass D, rappeur-producteur affranchi de toutes étiquettes, quelques jours avant la sortie de son nouvel album « Begborrowsteel ».
VO
Abcdr : Comment es-tu venu à la musique et au Hip-Hop ?
Count Bass D : Je suis venu à la musique par l’église. Pour ce qui est du Hip-Hop, je suis tombé dedans, en étant tout simplement un homme noir né dans les années soixante-dix.
A : Pourquoi avoir choisi ce nom Count Bass D ?
C : J’ai pour ambition de diriger un orchestre, comme il l’a fait [ndlr : Count Basie, le jazzman], sauf que ce sera pour le Hip-Hop. Je l’avais expliqué à quelqu’un en 1990, et c’est resté.
A : Peux-tu nous en dire plus sur Hoppoh Records et toute cette histoire avec Bobbito et Pete Nice ? Comment les choses se sont-elles présentées ?
C : J’ai signé un contrat avec eux en décembre 1993. Pete m’avait entendu sur des démos et il souhaitait me signer. Il le fit par la suite.
A : La première fois que j’ai vu ton nom, c’était sur le maxi Violatin’ avec Egon aux platines et un remix de V.I.C. Comment as-tu rencontré les Beatnuts ? (à un moment, on pensait même que tu avais intégré le crew). Envisages-tu toujours de travailler avec eux dans un futur proche ?
C : Non, j’étais et resterai toujours proche des Ghettos Pros. J’avais rencontré V.I.C. lorsqu’il était à Nashville et qu’il faisait quelques beats là-bas. Nous sommes toujours restés en contact depuis cette époque.
A : Comment as-tu rencontré Egon ? Vous aviez une émission radio à Nashville, 911 Emergency, où vous avez rencontré un certain nombre de légendes de Soul et de Funk, quels souvenirs gardes-tu de cette époque ?
C : J’ai rencontré Egon dans un magasin de disques ici à Nashville. Après avoir discuté quelques minutes, il s’est aperçu que je connaissais Chris Lowe et ça l’a fait halluciner car il était pote avec Dooley-O, et à partir de là nous avons essayé de transposer la symbiose que ces deux avaient lorsqu’ils étaient ensemble ici à Nashville. Cela fonctionnait parfaitement bien. C’est mon émission radio favorite.
A : Travailles-tu toujours avec Egon maintenant qu’il est pleinement impliqué dans ses rééditions et son rôle de directeur artistique chez Stones Throw ?
C : Oui, nous nous appelons assez souvent. Notre relation va au-delà du business. Si nous arrivons à pouvoir faire quelque chose ensemble, ça sera avec plaisir. Jusqu’à présent, nous n’avons jamais eu besoin de forcer quoi que ce soit.
« Je me suis rendu compte que mon originalité vient justement du fait que je travaille seul. Je peux ainsi définir mes propres règles. »
A : Considères-tu qu’être à Nashville constitue un obstacle pour ta carrière musicale (manque d’opportunités) ?
C : Je pensais cela aussi au début. Mais je me suis rendu compte que mon originalité vient justement du fait que je travaille seul. Je peux ainsi définir mes propres règles, mon code vestimentaire, … Cela me donne également un sentiment de sécurité faussé car je peux me faire peur dans mon miroir.
A : Je sais que tu joues de plusieurs instruments, lesquels ?
C : J’essaie tout simplement d’obtenir une certaine sonorité de mes instruments. Je ne suis pas vraiment capable de jouer quoi que ce soit.
A : J’imagine que ta connaissance des instruments a changé ton approche de la production…
C : J’essaie d’avoir un grain, la plupart du temps le même, que je tire des instruments que je sample. J’adore les samples. Je conçois les instruments comme des outils de propagation à travers l’air, tandis que les samplers permettent de communiquer dans l’espace. J’en ai marre des compagnies aériennes, je veux lancer ma propre version de la N.A.S.A.
A : Avec le développement de logiciels assistés par ordinateur, j’ai l’impression qu’il y a une vraie démocratisation de la production (tout le monde peut faire des beats.) La réussite de quelqu’un comme 9th Wonder qui utilise, entres autres, Fruity Loops, qui pourrait sampler des MP3 mais ne le fait pas, illustre à mon avis assez bien cette idée. Qu’en penses-tu ?
C : J’ai utilisé Vision 1.4, logiciel de séquençage numérique. J’emploie des samplers maintenant, et je continuerai. Je ne dis pas que je changerai pas d’avis un jour, mais je suis un grand défenseur des samplers. Je ne me sens pas à l’aise avec un ordinateur sur scène. Je préfère avoir mon sampler.
A : Tu sembles avoir adopté la position du « fais tout ce que tu peux avec tout ce que tu peux avoir à portée de main », dans le sens où tu veux essayer tirer le maximum de tout ce que tu peux trouver. Qu’as-tu utilisé pour ton premier EP ? Ton approche de la production a-t-elle évolué ?
C: Mon premier album s’appelait Pre-Life Crisis, et j’ai tout fait avec Sonar pour programmer les batteries, une basse Music Man Stingray, plusieurs claviers et un sampleur Akai S3000.
A : Tu as tout fait sur Dwight Spitz, de la production au emceeing en passant par le design de la pochette. Est-ce important pour toi de pouvoir tout faire sur un disque ?
C : Lorsque d’autres personnes arrivent avec de meilleures idées, je suis le premier à les mettre en oeuvre. Mais la plupart du temps, les gens avec qui je travaille veulent entendre la même chose que moi, et je finis par faire ce que j’ai demandé de faire.
« Je suis un grand défenseur des samplers. Je ne me sens pas à l’aise avec un ordinateur sur scène. »
A : Quelles sont tes relations aujourd’hui avec MF Doom et MF Grimm ?
C: Nous n’avons pas travaillé ensemble depuis un bon moment.
A : Madvillainy a été plébiscité par la critique, sachant que tu es un bon ami de Doom comment as-tu perçu cette reconnaissance (il était temps !) ?
C : Je ne pense pas qu’il ait eu le succès mérité. Je me suis dit qu’il y avait eu au moins 100 000 personnes avec un minimum de sens critique. Mais j’imagine qu’avec toutes les personnes qui l’ont téléchargé, l’album devrait probablement être disque d’or (500 000 disques vendus aux Etats-Unis). J’aurais voulu qu’ils puissent prendre leur retraite après cet album.
A : Quels sont tes influences musicales et tes disques de référence ?
C: Le Gospel. Les deux premiers albums de Take 6. Andrae Crouch, The Winans, Michael McDonald, Kenny Loggins et les producteurs. Les batteurs et joueurs d’orgues à l’église. J’aime la musique authentique. J’aime D’Angelo.
A : Parmi tous tes morceaux, quels sont ceux dont tu es le plus fier ? Pourquoi ?
C: Mon morceau préféré c’est ‘Worst Case Scenario’ parce que dans le Hip-Hop tu es censé jouer sur tes forces et arriver avec des styles que tu considères comme inimitable. Il faudra vraiment être quelqu’un de spécial pour pouvoir imiter ce style là.
A : Tu places sur ton site Internet, www.countbassd.com, des morceaux disponibles gratuitement en téléchargement, que penses-tu de la politique répressive actuelle autour du MP3 ?
C: Il y a les MP3 des autres et il y a MES MP3. Je donne certains de mes morceaux car les seules personnes qui me connaissent sont celles qui me soutiennent. Ceux qui ne me soutiennent pas ne me connaissent pas. Je donne des trucs aux gens que je connais et à ceux qui me soutiennent. Alors je pourrais moins me soucier des MP3 des autres. Personne ne paie mon loyer, sauf ceux qui me soutiennent.
A : Considères-tu que le crate digging fait partie de la production Hip-Hop ?
C: Si je n’avais jamais acheté d’autres disques, mes beats seraient tout aussi bons.
A : Arrives-tu à écouter des disques en entier sans y chercher de la matière à sampler ?
C: Souvent. J’aime comprendre comment les différents éléments composant la musique se répondent. Il y a de grands arrangeurs ici. Composer est une chose, mais il faut savoir rendre le côté « live » de la musique. Je remercie Dieu de m’avoir donné la capacité de savoir faire cela.
« Mon morceau préféré c’est « Worst Case Scenario » parce que dans le Hip-Hop tu es censé jouer sur tes forces et arriver avec des styles que tu considères comme inimitable. »
A : Et les machines ? Travailles-tu avec les mêmes machines qu’à tes débuts ? Dans le cas contraire, peux-tu nous dire pourquoi ?
C: J’ai changé deux fois de matériel. Aujourd’hui, j’utilise une MPC60 un SP1200, un S3000 (le même) et un Casio CZ101. Peu importe si quelqu’un sait ce que j’utilise. J’ai une approche de la musique qui m’est propre et je n’ai pas peur d’être copié. C’est impossible.
A : Je sais que tu es déjà venu en France, mais que connais-tu de la scène rap française ? Envisages-tu de revenir en Europe ?
C: Je ne connais pas grand chose de la scène rap française, mais je me rappelle de cette fille, Melaaz, elle avait un morceau, ‘Rud’ Boy’ en 1995 que je n’arrêtais pas de jouer, un peu partout. Je ne voulais pas que qui que ce soit sache ce que c’était car ça enflammait toujours la soirée et je ne voulais pas que les gars mettent la main dessus. Il y avait aussi cet autre gars de New-York, Junie, que j’avais rencontré là-bas. Il était vraiment tranquille.
A : Tu as sorti il y a quelques un EP sur JazzySport, un label japonais, qui avait le même nom que ton LP Begborrowsteel. 2006 (Some music pt.2) est aussi sorti au Japon, est-ce que la scène Japonaise t’intéresse ? Souhaiterais-tu travailler avec eux ? La reconnaissance des japonais (qui sont sûrement les personnes plus enthousiastes et les plus curieuses pour ce qui est de la musique, ils n’ont jamais peur d’écouter des disques avec des couvertures étranges pour en apprécier le contenu explosif) te touche-t-elle particulièrement ?
C: Le Japon constitue ma première source d’inspiration depuis que je suis revenu, en septembre, de ma tournée là-bas. J’étais si content de rencontrer de vrais amoureux de la musique. J’adore faire de la musique pour les vrais amoureux de la musique. J’espère qu’ils vont continuer ainsi, peu importe la direction prise par tout ceci.
A : Tu es sur le point de sortir un nouvel album intitulé Begborrowsteel, peux-tu nous présenter ce nouveau long format ?
C: J’ai fait ce disque quand j’étais au plus bas dans ma vie. J’espère ne jamais connaître des moments plus difficiles que ceux-là. L’ensemble des morceaux a été enregistré avant mon trentième anniversaire. J’ai du emprunter des batteries pour le faire. C’est un disque dense composé principalement d’un seul et long bloc.
A : Quels sont tes objectifs pour ce nouvel album ?
C: Avoir un peu plus de thunes pour m’aider dans mon business.
A : Quelque chose à ajouter, le mot de la fin ?
C: Je fais ce que je veux, les rappeurs font ce qu’on leur dit de faire et les produceurs ce qu’ils peuvent faire. Merci de m’avoir donné l’opportunité de m’adresser à votre lectorat.
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