Casey : « J’aspire à faire mes propres trucs, avec mes proches »
En délivrant au compte-goutte des couplets toujours tranchants, Casey aura su créer une véritable attente autour de ses projets. Attente aujourd’hui concrétisée sous la forme d’un maxi intitulé Ennemi de l’ordre. La parole est sienne.
Abcdr : Comment es-tu venue au rap ?
Casey : En fait c’est un de mes cousins, chez qui j’ai vécu pendant un bout de temps, qui m’a amenée au rap. C’est devenu progressivement et naturellement une activité qui occupait mon temps, mes journées et me sortait de l’ennui…vu que je quand je n’étais pas à l’école je me faisais bien chier au quartier.
A : Quels sont les groupes et rappeurs qui t’ont donné envie, toi aussi, de prendre le micro ?
C : Les premiers groupes de rap français, y’en avait pas légion, NTM, Assassin…
A : Donc plutôt rap français au départ ?
C : Au début je connaissais pas le rap français, j’habitais en province à Rouen. Un de mes cousins m’en a fait écouter et là j’ai pris une claque. A partir de là, le processus d’identification s’est fait tout directement. Tu vois des gens qui te ressemblent, des immigrés avec un mode de communication tout à fait nouveau, des militants, des frondeurs qui ne font pas dans la supplication. Obligatoirement ça m’a parlé. Par extension, j’ai découvert le rap américain via ce même cousin, Public Enemy et tout le reste.
A : Une partie du public t’a découverte lors des émissions de Clyde et tes apparitions avec Polo (et les autres membres du Black Taga) sur les ondes de Radio Nova. Avec le recul quel regard portes-tu sur cette époque ?
C : Tout ça c’est pas mal de bons souvenirs. Les premières fois que tu vas à Paris dans une radio avec tout ton groupe, où on apprécie à peu près ce que tu peux faire…
A : Comme on parle de Clyde et du Hypnotik DJ Show, peux-tu me confirmer que la production de ‘Chacun son raccourci’ est de DJ Max? Qui s’occupait de celle de ‘Décor bâclé’ ?
C : ‘Chacun son raccourci’ c’était bien Max, un mec que Maurice de Dooeen’ Damage avait connu par une tierce personne. Il nous avait fait écouter des sons et avec Ekoué on avait accroché sur celui-là, donc voilà, on l’a pris. Après je peux pas te dire que c’est quelqu’un que j’ai énormément fréquenté et j’sais pas ce qu’il est devenu. ‘Décor bâclé’ c’était mon DJ de l’époque, Aziz.
A : Comment as-tu atterri sur la compilation L432, où tu avais un morceau avec Ekoué (déjà) ‘3’30 pour un freestyle’ ?
C : L432, je sais plus très bien comment c’était venu. Je crois que c’est Maurice qui m’avait dit qu’une compilation se faisait et m’avait proposé de mettre un morceau dessus. On s’est connu plus ou moins à cette période avec Ekoué et on a fait, naturellement, le morceau ensemble.
« Tu vois des gens qui te ressemblent, des immigrés avec un mode de communication tout à fait nouveau, des militants, des frondeurs qui ne font pas dans la supplication. »
A : Il s’agissait de tes premiers pas discographiques ?
C : Ouais. C’était la première fois que j’allais dans un studio, que j’enregistrais. C’était une période d’apprentissage, l’envers du décor dans l’enregistrement d’un disque.
A : Bon, profitons de cette interview pour éclaircir certains points un peu obscurs : apparemment tu as reçu il y a quelques années maintenant une proposition de IV My People, pour rejoindre leur label. Vrai ?
C : Faux. Ils ne m’ont jamais proposé de rejoindre leur label. Le seul contact que j’ai pu avoir avec NTM remonte à un certain nombre d’années maintenant. Ils m’avaient proposé de faire un morceau sur leur album, le dernier album qu’ils ont fait ensemble. Finalement c’est Jahyze qui a fait le morceau [NDLR : ‘C’est arrivé près d’chez toi’ sur le dernier album, éponyme, de NTM] et c’est tout. Kool Shen, IV My People, j’suis pas au courant.
A : Pourquoi avoir refusé de faire ce morceau ?
C : A l’époque je commençais, ma position était fragile…[marquant une pause] et dans le rap il faut choisir. Choisir soit d’être autonome, soit de subir un parrainage qui peut être lourd et au final peut te plomber. Soit tu fais preuve d’un certain opportunisme qui pourra t’aider sur l’instant mais être lourd sur le plus long terme, soit tu décides d’avancer par toi-même. Je me suis dit qu’une proposition pareille c’était un truc pour se faire enterrer vivant. Tu sais, quand tu te fais parrainer tu deviens le cerbère d’un gros groupe et après c’est fini. On s’est aperçu après que souvent dans les collectifs de ces mecs là, Kool Shen ou B.O.S.S., les mecs au demeurant talentueux disparaissaient très rapidement. Ces mecs là ce sont juste des espèces de soleils qui sont là et font un peu d’ombre.
Moi j’aspire à faire mes propres trucs, avec mes proches. Pas à servir la soupe à d’autres. Voilà, donc j’ai refusé et je le regrette pas.
A : Ouais au final t’as préféré prendre ton temps…
C : Je venais d’arriver, je n’étais rien, j’avais rien installé. J’aurais été à vie la petite chose, la petite découverte de NTM. Pis bon, moi j’ai un putain d’orgueil. J’avais pas envie qu’on me dise demain qu’on m’a fabriquée et créée.
A : On t’a souvent vue fonctionner en binôme (Polo, Acto, Sheryo et dans une autre mesure Ekoué) c’est quelque chose de voulu ou c’est juste une histoire de circonstances ?
C : Ce sont des rencontres et c’est également un choix. Dans le rap, c’est vraiment un plaisir d’échanger, de confronter ton rap, tes points de vues et de jouer sur l’émulation. T’as aucun baromètre si tu rappes seul et écrit seul. Pis bon le rap c’est aussi le coté tribal, être entouré de gens. Donc ouais j’ai plus de plaisir à être entourée qu’à rester seule.
A : Pourtant aujourd’hui tu vas davantage évoluer seule…
C : Ouais, le maxi je l’ai fait seule, mais je fréquente toujours La Rumeur. Et dans Anfalsh il y a Prodige, B.James donc il y a toujours du monde autour de moi.
A : Pour revenir un peu sur le passé, depuis ce premier morceau et compte tenu du temps écoulé tes apparitions sont finalement relativement comptées, comment expliques-tu cela ? Exigence dans le choix des gens avec lesquels tu travailles ? Exigence dans l’écriture de tes textes ?
C : Difficile à dire, en fait il y avait un peu de tout, certains trucs étaient volontaires, d’autres non. Moi, je calcule pas en terme de temps et je vois pas le temps passer. Je considère que tout ça c’était une forme d’apprentissage, une expérience, apprendre ce qu’est le milieu de la musique.
Après, c’est aussi une question de personnalité. Je suis quelqu’un d’un peu sauvage et timide. Je fonce pas toujours tête baissée.
A : Ta conception du rap, c’est forcement et uniquement celle que vous avez défini comme du rap de fils d’immigrés ?
C : A un moment donné c’est important de résumer les choses par un mot ou un titre. Le rap de fils d’immigrés c’est la conclusion de plusieurs personnes qui se sont rassemblées. Une façon de résumer notre ambiguïté, celle de fils d’immigrés qui se sentent pas particulièrement français et se sentent pas vus comme tels. Parler de rap de fils d’immigrés c’était une façon de définir notre position et nos points de vues tout en paraphrasant l’expression rap français. Après, ce rap là il est pas codé ou charté…
A : Mais tu préfères évoluer dans certains thèmes que d’autres…
C : Ouais bien sûr. Obligatoirement les thèmes sont inhérents à ce que tu es, ce que tu vis et vois. Tout tourne autour de ton vécu et si dans ton quotidien tu te sens exclu et à part, tout ça va forcement se refléter dans tes textes.
A : Le clip de ‘Dans nos histoires’ reprend, notamment, un panel d’images autour de la colonisation et de l’esclavage. Quel regard portes-tu sur la loi du 23 février 2005 indiquant, entres autres, que « La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’oeuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d’Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française… »
C : Ah ben le regard il était plutôt sombre. J’ai pris ça comme une ultime insolence, la claque dans la gueule. L’esclavage est un crime contre l’humanité, mais qu’il faudrait applaudir ? Alors comment tu veux que je prenne ça ?
A : Quand t’as appris ça, c’était encore plus de haine et d’incompréhension ?
C : Non, j’suis pas tombée de haut. La France n’en est pas à sa première insolence. Le paternalisme et le colonialisme sous-jacents sont bien présents. Tu te dis quand même qu’ils ont des couilles d’essayer de les présenter comme ça aux yeux de tout le monde et de l’imposer comme quelque chose de banal. Après que ce soit pensé et même fortement pensé ça m’étonne pas plus que ça. L’écrire noir sur blanc et le cristalliser dans une loi, oui, c’est l’ultime insolence.
A : Quel regard portes-tu sur la création du CRAN ? (Conseil Représentatif des Associations Noires, créé fin 2005 fédérant une soixantaine d’associations avec pour objectif de lutter contre les discriminations ethniques et raciales tout en participant à la création d’une cohésion sociale.)
C : Il existe maintenant des collectifs communautaires, qui se rassemblent autour d’une religion, d’une culture ou d’une couleur. A mon avis on peut pas y échapper dans la mesure où la république n’est qu’une vitrine pas respectée. Nous, on doit en faire les frais et rester dociles. Alors que les gens se rassemblent ça me semble un réflexe normal, après j’peux pas te dire ce que ça va donner sur le court et long terme. On verra bien.
Mais si certains ont le sentiment d’être exclus et considèrent que la couleur de peau peut être un vecteur d’unification pour se rassembler et réfléchir à leurs conditions et faire du lobbying, ben pourquoi pas. Aux États-Unis, ils passent par là.
« Pour moi, le communautarisme est lié à cet ultralibéralisme. »
A : Tu as l’impression que l’on se rapproche de plus en plus du modèle américain ?
C : Si on vire de plus en plus vers une politique ultra-libérale comme aux États-Unis, on va avoir exactement les mêmes conséquences. Pour moi, le communautarisme est lié à cet ultralibéralisme. Quand certaines franges de population se retrouvent être les plus précaires, tu as un repli sur ta propre culture. En plus on te demande d’être un outil pour le patronat, en même temps d’être docile et de rejeter ta culture…alors c’est très compliqué. Il faut bien se raccrocher à quelque chose. Pour moi cette situation est la conséquence presque inévitable de l’ultralibéralisme.
Pour faire poids face à une économie de marché il faut presque fonctionner en lobbying. Aujourd’hui il existe le Medef, demain il existera des communautés économiques noires, chinoises…
Certains jeunes de banlieue voient que le vote aussi c’est du lobbying et que pour faire valoir sa parole il faut être un grand mouvement de masse qui vote ensemble. Quand tu regardes l’Assemblée et le gouvernement, tu vois que ses représentants, par leur âge, leur couleur et leur provenance sociale ne sont pas à l’image de ce qu’il y a dans la rue. Alors les gens d’en bas font du lobbying. C’est la seule possibilité qui leur reste.
A : Pour revenir un peu plus sur tes écrits…au-delà de ton quotidien, où puises-tu ton inspiration pour l’écriture ?
C : Je sais pas….[long silence]…ça peut être un son qui m’inspire, un livre, un film, une discussion. L’envie d’écrire peut venir de plein de façons très différentes. En fait y’a pas de règles, l’envie d’écrire peut se déclencher n’importe quand…
A : Je te pose cette question parce que tu as une écriture très travaillée et assez atypique, avec un vrai jeu sur les assonances. C’est un aspect que tu travailles particulièrement ?
C : Ouais, pour moi c’est normal. Tu peux pas t’empêcher de vouloir faire beau, propre, audible et y mettre du style. Tu as le processus qui t’amène à écrire…et après t’as l’inspiration, on voudrait qu’elle descende du ciel mais c’est rarement le cas. L’écriture, c’est un jeu. Tu t’amuses avec des sonorités, des mots. J’sais pas comment ça vient mais quand c’est là, ben c’est de l’artisanat.
A : Avant de faire cette interview, j’ai réécouté pas mal de tes morceaux et en le faisant je me disais qu’on sentait que tu prenais ton temps dans l’écriture. J’ai entendu finalement peu de trucs enregistrés où on se disait que c’était vite torché…
C : Ouais…enfin ça dépend, y’a certains morceaux qui ont été écrits en une demi-heure. A partir du moment où t’as une méthodologie, une technique que tu maîtrises un peu, t’arrives à appliquer des trucs. Après, tout dépend de l’exigence que tu peux avoir envers ce que tu fais…Et bon…j’ai pas tout le temps super confiance en moi donc écouter un truc où j’ai l’impression que je l’ai fait à la va-vite ça m’emmerde aussi. Si j’écoute une rime et j’sens qu’elle est un peu faiblarde, ben j’trouve ça relou. Alors j’essaie de me prendre un peu la tête, mais je trouve que c’est le minimum. Ecrire et faire de la musique c’est un vrai travail, ça prend du temps et c’est la maîtrise de la technique qui fait la différence.
Maintenant, n’importe qui vient rapper…[soufflant, comme désabusée]…et y’a des mecs qui débarquent et au bout de six mois ils ont l’impression qu’ils sont carrés. Mais pour maîtriser un beat, un texte, ça prend beaucoup de temps. Le rap a cette image d’accessibilité parce qu’il faut pas grand-chose pour se lancer, t’as pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour écrire un texte. Du coup tu as l’impression que tout le monde a envie de se jeter dedans, mais tu vois qui sort du lot. Et cette différence c’est le taf’.
A : Grave. Et dire que le rap est facilement accessible c’est une connerie parce qu’au contraire pour le faire très bien ça prend des années…
C : Ouais, quand tu commences un peu à réfléchir au truc tu te dis que c’est super dur de rapper. Mais bon voilà…c’est un taf. C’est dur. C’est comme maîtriser un sport. T’as les footeux du dimanche et ceux qui sont en Ligue 1. Ce sont pas les mêmes footballeurs.
A : Tu as réussi à susciter une très forte attente depuis plusieurs années et régulièrement tes projets solos sont annoncés, pour finalement ne jamais voir le jour. J’imagine que cette accumulation de retards s’avère particulièrement frustrante pour toi, comme elle peut frustrer le public…
C : Oui mais en même temps ces retards ils sont pas de mon fait. Souvent j’apprenais que j’allais sortir un truc dans des chroniques de magazines. Là, c’est la première fois que j’ai dit que j’allais sortir un truc. Je m’étais jamais avancée avant à annoncer un truc qui n’était pas terminé.
A : Ils viennent d’où alors ces effets d’annonce ?
C : Je sais pas…Tu sais le rap c’est aussi un milieu avec des commères, y’a un petit coté people avec des gens qui se gargarisent avec des « à ce qu’il parait, il a dit que« . Donc je peux pas te dire…
A : Tu as participé à pas mal de concerts, que ce soit avec La Rumeur ou plus récemment quelques prestations où tu occupais la tête d’affiche…
C : …ouais c’est normal, l’exposition, les concerts, tout vient quand tu as une actualité. Sans actualité ça me semble pas particulièrement justifié.
A : Devenir progressivement une tête d’affiche pour certains concerts, ça fait partie de ton évolution ?
C : Non, plus simplement, j’suis pas quelqu’un qui prend un grand plaisir à se mettre en avant. Je le fais aujourd’hui parce que j’ai une actualité, un disque que j’ai envie de défendre. Alors là oui du coup je fais des concerts, je donne des interviews…
Mais se brosser l’ego quand on a aucune actualité derrière, rien à proposer, j’vois même pas l’intérêt.
A : Que s’est-il passé avec Sheryo ? Pourquoi ne fait-il plus partie d’Anfalsh ?
C : Il est plus avec nous parce que, sans rentrer dans les détails, quand tu rappes dans un certain milieu il y a des trucs que tu dois assumer. Il ne les a pas assumés et notre collectif a dû le faire à sa place. On a donc préféré séparer nos routes.
A : Tu n’as pas le sentiment que le rap est aujourd’hui finalement très accepté, jusqu’à être intégré dans le paysage musical français, perdant du coup une partie de son caractère alternatif. En étant aussi accepté, on a également l’impression que, paradoxalement, le rap perd de son sens…
C : Bien sur, la quantité n’a pas joué sur la qualité. C’est beaucoup plus difficile aujourd’hui de sortir du lot et de se démarquer. En même temps, il faut beaucoup plus de boulot et c’est peut-être pas plus mal. Après c’est devenu un immense business, tout le monde l’a compris, et je pense pas que ça serve les intérêts de la qualité et de la créativité de cette musique.
« J’suis pas quelqu’un qui prend un grand plaisir à se mettre en avant. »
A : N’est-il pas finalement assez consensuel de faire du rap au 21ème siècle ?
C : Consensuel, je sais pas. Qu’une certaine industrie veuille le rendre consensuel, l’édulcorer et arrondir les angles, oui, sans aucun doute. On sent qu’il y a une volonté de pas laisser passer des trucs trop agressifs ou trop revendicatifs. Mais je pense pas qu’aujourd’hui tous ceux qui arrivent au rap veuillent faire dans le consensuel. Il y a une vraie envie de faire du peu-ra, après c’est comme tout, il faut apprendre ses gammes.
A : L’image du rap elle est aussi donnée au très grand public via des évènements comme Les victoires de la musique, avec une catégorie fourre-tout qui donne une représentation du rap.
C : Mais Les victoires de la musique c’est quelle industrie ? Des gens qui n’y connaissent rien en rap, et dont les revendications véhiculées par le rap fatiguent. Ce ne sont pas des gens issus de notre milieu.
Après, on a assisté aux victoires de la musique, au trio, à la sainte trinité des rappeurs les plus sucrés et édulcorés qu’on ait jamais vu. La vérité, un ramassis de merde. Un ramassis de bonbons à la menthe.
A : Quel est ton sentiment sur les émeutes de novembre dernier ?
C : Un peu comme tout le monde. Ça a pété, c’était normal et ça devait péter. Même si ça a fait beaucoup de mal à des infrastructures internes à certaines banlieues, ça a fait vraiment du bien que ça fasse peur. Ça a fait très peur. Pendant deux mois, ils ont fait très attention aux mots qu’ils utilisaient, aux amalgames. Alors que depuis les évènements de septembre 2001 il y en avait des tonnes d’amalgames. Pendant les campagnes présidentielles même chose.
Là, ils ont eu tous peur. Ils ont vu que le pauvre, l’immigré, quand il s’énerve, c’est pas avec des discussions et des débats.
A : C’était étonnant de voir que, quand ça chauffait vraiment, on invitait des rappeurs sur les plateaux TV pour parler de ces évènements. Alors qu’il y a un certain nombre d’associations de terrain dont la présence m’aurait semblé bien plus légitime…
C : Oui, ils ont très peu laissé parler le collectif des familles de Ziad et Bouna, Mort pour rien. Il aurait fallu puisque tout est parti de cette bavure. Et puis c’est tombé en plein pendant la promo de Disiz la peste qui, lui, s’est fait le chantre des banlieues.
A : Oui, enfin Disiz était pas le seul rappeur représentant les banlieues sur les plateaux. Des gens beaucoup plus crédibles comme Tandem, avaient aussi été invités. Mais je pense surtout qu’il aurait fallu laisser parler davantage les associations qui sont sur le terrain.
C : Oui, mais là tu parles d’émissions télévisées de gens qui n’en ont rien à foutre. Si ces émissions étaient faites par des jeunes de banlieue, ils seraient peut-être plus allés sur place, à demander l’avis des parents, de travailleurs, de chômeurs, de jeunes mais pas des rappeurs. On prend des rappeurs parce qu’ils sont à peu près reconnaissables par le grand public. Donc bon, banlieue, rap, casquette, et voilà. Je m’attendais pas à autre chose.
A : Autre chose qui à fait pas mal du bruit, c’est Grosdidier, député UMP qui déclarait, entre autres, que le rap était un pousse au crime et qu’un certain nombre de morceaux étaient des incitations au racisme et à la haine.
C : Oui et il a lancé ça juste après les émeutes, histoire de rajouter un peu d’huile sur le feu. Finalement c’est tombé un peu à l’eau vu que les gens mouillaient un peu. Une certaine intelligentsia faisait passer des consignes pour calmer le jeu et du coup très peu de gens l’ont soutenu dans cette polémique. En plus lui c’est un ancien facho [NDLR : Grosdidier est un ancien militant du parti des forces nouvelles, parti plus à droite que l’extrême.]. Après, je sais pas comment ça se passe dans les couloirs de l’Assemblée mais je pense que c’est un peu comme dans le rap, tu veux t’illustrer avec un flow, un texte, un discours. Lui il a choisi de mener la guerre aux rappeurs.
A : Ton maxi sort le 27 mars. Il comporte finalement six titres c’est ça ?
C : Oui, au départ c’était quatre titres. A la base le maxi devait sortir le 10 janvier, encore une fois un coup pour rien, une sortie de route. Les gens ont l’impression que je suis habituée aux sorties de routes, donc je me suis dit que la moindre des choses c’était de fournir un format un peu plus long.
A : Qui produit les morceaux de ce maxi ?
C : Pour le maxi, c’est toujours la même équipe de producteurs. Hery et Laloo, qui font tous les deux partie d’Anfalsh et sont aussi de ma ville Blanc-Mesnil. Pour ce qui est des invités, c’est aussi du Anfalsh, vu qu’on retrouve B.James et Prodige. On a tout fait en famille.
A : Il sortira sous quels format ce maxi ?
C : Vinyle et CD. Le vinyle sortira sûrement avec un peu de retard, genre une semaine.
A : Si j’ai tout bien compris, tu vas faire partie d’un nouveau label que vous avez monté avec La Rumeur…
C : Non, là on est en pleine construction. Quand ce sera fait on l’annoncera. Ça risque d’être un très gros truc qui rassemblerait La Rumeur, Gab’1, Anfalsh. On rassemble toutes les forces en présence sur un même label, ça risque d’être une grenade dans la gueule de tout le rap français. Pour l’instant on est en train de bosser dessus. Mais, Ennemi de l’ordre sort sur Anfalsh.
A : Quel rôle as-tu joué dans la réalisation de ton clip ‘Dans nos histoires’ ?
C : J’ai choisi les images et la thématique en général. Je savais que j’allais faire apparaître des images qui me sont chères et ont du sens.
A : On a attendu un moment la sortie du maxi Ennemi de l’ordre, mais on a déjà envie de te demander pour quand est prévue la sortie de l’album, Tragédie d’une trajectoire…
C : Septembre. Je suis actuellement en plein dans l’écriture des morceaux de l’album.
« J’attends plus des retours positifs du public et la possibilité de pouvoir défendre ma musique sur scène. »
A : Est-ce qu’on aura l’occasion de te voir (seule ou accompagnée) en live cette année ?
C : J’espère bien. Franchement, pour moi un disque ça se défend sur scène, face aux gens.
A : Quels sont tes attentes et objectifs autour de ce maxi et de l’album à venir ? La satisfaction elle viendra du nombre d’albums vendus, des échos positifs que tu pourras recevoir ?
C : Je préfère rien attendre. Niveau ventes on est dans un marché où y’a pas de formule magique si ce n’est bombarder de promo’, mais c’est pas une science exacte. J’attends plus des retours positifs du public et la possibilité de pouvoir défendre ma musique sur scène. Je veux faire un bon disque et pas un disque de pute comme beaucoup de trucs qui sortent en ce moment. Je veux que les gens sentent que c’est un disque en rupture avec ce qu’on essaie de nous vendre.
A : Peux-tu nous parler un peu de ta collaboration avec l’autre groupe phare de Blanc Mesnil, Bunzen ?
C : On se voit de temps en temps, quand ils ont participé à la compilation Juste Nous ils m’ont demandé de faire un morceau avec eux et je l’ai fait avec plaisir. Ils ont leur style et ils sont dans leur délire, j’aime bien. Et au-delà de ça, humainement, ce sont des mecs que j’apprécie.
A : Dernier truc, très simplement, est-ce que tu écoutes beaucoup de musique ? Qu’est-ce que tu écoutes ?
C : Sans surprise du rap. En ce moment les dernières sorties m’intéressent pas trop, alors je réécoute des vieux albums. Le premier Redman, le premier Method Man, je kiffe toujours les sons du D.I.T.C. Tu sens que c’est crasseux, ça sent les méandres des rues de New-York. Là, tu sais où t’es. J’ai une prédilection pour New-York dans la condensation, le coté urbain, la grisaille… En ce moment aux US, c’est G-Unit ou le sud donc ça laisse pas beaucoup de possibilités.
A : Çà t’intéresse pas du tout ça ?
C : Si, mais c’est vite consommé, ça me traverse pas la chair et ça me soulève pas l’épiderme. Sinon, j’écoute pas mal de Rock, Reggae, Soul, Dance-Hall. Mais les deux trucs que j’écoute le plus c’est le rock et le peu-ra.
A : Tiens, pure curiosité, que penses-tu du succès rencontré par Booba ?
C : Son succès est loin d’être immérité, il rappe bien. Après, c’est pas trop ma came mais voilà, il est à sa place, ce mec là c’est pas une imposture.
A : Je te laisse conclure, apporter le mot de la fin et ajouter ce que tu souhaites.
C : Guettez les prochaines sorties, l’album, Anfalsh, La Rumeur et Dooeen’ Damage. Ca arrive comme une grenade dans les burnes et ça va faire mal.
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