Captain Café, la piste aux étoiles montantes
Dans le cadre d’une collaboration avec l’INA, l’Abcdr revient avec Ambre Foulquier sur l’histoire de Captain Café, émission des années 1990 qui a permis à de nombreux groupes de rap français de faire leur première apparition à la télévision.
Au milieu des années 1990, il est encore très rare de voir des rappeurs français à la télévision. Quelques clips tournent tard le soir sur M6, mais les artistes pouvant shooter une vidéo afin de défendre un disque sont peu nombreux. Parfois, il est possible de tomber sur un morceau joué en live sur le plateau de Nulle Part Ailleurs ; quelques chanceux ont accès à MCM et à Blah Blah Rap. Mais pour la majorité du public, il peut se passer des plombes sans apercevoir l’ombre d’un rappeur du cru à l’écran. Les choses vont changer avec Captain Café, à partir du printemps 1996 sur France 3. Pas de manière radicale, non : l’émission animée par Jean-Louis Foulquier se veut généraliste, s’y produisent Bernard Lavilliers et Michel Fugain tout comme Natacha Atlas ou Papifredo. Mais le programme, diffusé tous les vendredis en fin de soirée, offre l’opportunité de voir pour la première fois de jeunes artistes qui font vivre de très belles heures au rap français : citons Fonky Family, X.Men, Rocca, Lunatic ou 2 Bal 2 Neg’. Ambre Foulquier, fille de Jean-Louis, y est pour beaucoup : elle évolue alors dans le milieu du hip-hop français depuis une dizaine d’années, a vu tout ce petit monde grandir et entend bien l’amener sur le devant de la scène. C’est elle qui s’occupe de programmer les rappeurs ; elle coanime également l’émission, qui sera diffusée jusqu’en 1998. Près de trente ans plus tard, elle nous raconte l’histoire de Captain Café et, surtout, cette période pleine d’effervescence.
Abcdr du Son : Comment est née Captain Café ? Est-ce que c’est vous qui aviez fait cette proposition là, de faire une émission avec ce format ? Ou est-ce qu’on est venu vous voir avec cette proposition ?
Ambre Foulquier : Non, c’est Jean-Louis Foulquier qui a toujours proposé ses formats d’émission. Vu qu’on travaillait déjà ensemble sur Timal à France Inter, c’est une histoire de compagnonnage en fait. Il se trouve que c’est père et fille, mais ç’aurait pu être quelqu’un d’autre. J’ai été au bon endroit au bon moment, mais ça aurait pu être SP1 [futur DJ Spank] qui avait eu en tout premier une chronique sur France Inter. Je les avais mis en lien mon père et lui, Spank et moi faisions partie de la même bande, DCM. J’ai fait un an aux États-Unis, j’étais à la source du hip-hop, de ma passion. Quand je reviens, le père me propose d’avoir quelques minutes à l’antenne, de remplacer Spank qui allait faire autre chose. Et donc, ça commence comme ça : une minute autour d’un artiste, puis l’un de ses titres. Ensuite, c’est devenu un peu plus long. Ça c’était Timal sur France Inter, première émission hip-hop sur le service public. Et, quelques années après, arrive Captain Café, à minuit sur France 3. Donc à ce moment-là, la vie a fait que sur le service public, le vendredi soir il y avait Timal pendant une heure et ensuite Captain Café. Et là, je fais des liens, les gens que je passe à la radio on les retrouve souvent aussi sur France 3. Et ils sont également en programmation hip-hop aux Francofolies de la Rochelle. C’est un roulement, je dirais, avec le recul. On va appuyer Expression Direkt, par exemple. Ils vont passer régulièrement sur Timal, ils vont être sur France 3. Si ce n’est pas par un live, c’est avec une chronique, avec un sujet sur eux. On trouve toujours une pirouette pour leur donner de la visibilité. Et on les retrouve à La Rochelle en juillet, en petit passage. Et puis l’année d’après, selon leur actualité et leur évolution, ils vont peut-être passer sur une scène plus conséquente. Et parallèlement il y a d’autres groupes qui arrivent. Donc tout ça fait partie d’une logique de programmation globale d’artistes, dans laquelle j’ai trois leviers : radio, télé et live. La programmation de Captain Café rentre dans cette mécanique.
A : Quel était ton rôle dans l’émission ?
AF : C’était d’amener ces artistes, de les programmer. Sur les lives, c’était de les lancer, de les présenter. Et derrière, c’était soit Jean-Louis qui interviewait, soit moi toute seule, soit on était tous les deux. Tu vois, par exemple avec Lunatic, je suis toute seule. Et il y avait aussi des chroniques dans certaines émissions. Quand j’allais sur le terrain voir Desh, par exemple, à Sarcelles, directement au studio. C’étaient des petites investigations comme ça sur des sujets qui duraient trois minutes. Je proposais la programmation que le père n’a jamais contrecarrée et lui-même a fait des programmations. Tout ce qui était de rap africain, c’était plus le père. Daara-J, Djoloff… c’était lui qui les ramenait, mais je pouvais me retrouver à les interviewer. Ou quand IAM est venu, c’est eux qui avaient choisi d’amener X.Men parce que le principe c’était d’avoir un plateau ouvert.
A : Justement, Jean-Louis Foulquier, comment il voyait le rap ? On sentait quand il en parlait qu’il avait beaucoup de bienveillance. Mais est-ce qu’il appréciait le rap ? Est-ce qu’il en écoutait ?
AF : Oui, parce que c’est une question d’auteurs et de mecs qui paient comptant. L’aspect du texte lui importait beaucoup. Côté musical, parfois ça lui plaisait moins. Il appréciait surtout quand il y avait de la musicalité, comme c’était le cas pour IAM par exemple. Mais ce qui l’accrochait surtout, c’était le texte, ce qu’il disait, les jeux avec la langue : la faire évoluer, le côté gavroche de l’affaire. Le cri du cœur, la voix du peuple. Ce qui lui plaisait, c’était les bad boys : les artistes qui revendiquent, qui assument ce qu’ils sont. Qui assurent sur scène aussi, qui s’affirment, qui ont soif d’autonomie. Il a eu de très bons liens avec tous les artistes, parce qu’on était famille, parce qu’on se la pétait pas mais qu’en même temps on ne se démontait pas. Donc on fait notre travail, on le fait correctement, mais on n’est pas des baltringues. Par contre, ce qu’il ne supportait pas, c’était la médiocrité : celui qui joue à être. Il avait de la bienveillance pour les rappeurs parce que tout était lié, il y avait peu de séparation entre nos vies privées et nos vies professionnelles. Donc ça pouvait se croiser chez nous à la maison et il connaissait certains artistes personnellement. Ma sœur était dans la même classe que Gynéco par exemple. C’étaient nos vies. Moi j’étais sur le terrain, j’étais manager de 2 Bal 2 Neg’, de Bisso Na Bisso : ma vie privée, ma vie personnelle, ma vie professionnelle, tout était interrelié.
A : Il y avait qui autour de ton père et toi pour faire l’émission ?
AF : C’était l’équipe de France Inter et des Francofolies. C’est Pauline Chauvet, Maryse Bessaguet. Ce sont des gens du bureau de Morgane Productions, et Morgane c’est Gérard Pont, c’est lui aujourd’hui qui a repris les Francofolies. Donc tout ça, ce sont des gens qui se connaissent depuis longtemps, des pros du métier.
A : L’originalité de l’émission, c’est que vous voyagiez un peu dans toute la France pour tourner. Parfois, vous êtes à Strasbourg, parfois vous êtes à Paris, parfois vous êtes à Rennes. Comment se faisait le choix des lieux où vous tourniez ?
AF : Ça, c’étaient plus les décisions de l’équipe de prod, par leur connaissance du métier. C’étaient sûrement les villes où il y avait du mouvement, j’imagine.
A : Cette période 1996-1998, c’est aussi l’avènement de la French Touch, de groupes électro comme Daft Punk, Air ou Cassius. Ces artistes ne sont pas passés dans Captain Café. Est-ce que c’est parce que c’est difficile à rendre télégénique comme performance ?
AF : Alors ça, je ne m’y suis même pas penchée parce qu’on était tellement dans le hip-hop… Et moi, j’étais en mission divine. [rires] Tu vois, c’était hip-hop forever, « on va imposer le hip-hop partout en France. » Ce n’est pas une mode, ce sera un style de vie et ce sera dans tous les foyers. Donc le reste, je ne m’en occupais pas du tout. Et puis musicalement, le père c’est plus un mec de chanson française, de texte, donc il avait plus d’affinité avec le rap. Il y a eu un peu d’électro par le biais de Didier Varrod, qui s’est plus branché sur toutes ces musiques là. Mais moi, je n’avais pas forcément d’avis. Il y a des trucs que j’aimais bien, d’autres que je n’aimais pas. Il y avait déjà beaucoup à faire pour programmer un rap qui ne soit pas un rap « vanille » qu’on voulait nous imposer doucement. Même le père cédait parfois : « Ouais mais c’est bien Alliance Ethnik, on pourrait les faire passer ! » Je répondais « OK on met Alliance Ethnik mais alors derrière on met Ministère A.M.E.R. ! » [rires] J’étais dans une bataille musicale et artistique un peu revendicative. J’étais obligée de pousser à fond ce rap hardcore talentueux, dont le métier ne voulait pas. Je n’aimais pas trop les gens qui prenaient la musique des autres. Tout était un peu trop facile. Donc, c’est vrai que j’étais un peu Malcolm X dans ma tête. Mais je savais quand même garder la ligne sur l’ensemble, parce qu’on est sur une programmation globale, tu dois pouvoir apprécier un mec du r’n’b même si ce n’est pas ce que tu écoutes, un rappeur, un artiste reggae français… Tu sais faire quand même la différence entre un bon, un mauvais, un médiocre, un Canada Dry. Mais ma sensibilité perso, elle était hardcore. C’était Ménage à 3, 2 Bal 2 Neg’, La Cliqua, Ärsenik, le Ministère, la Mafia K’1 Fry, tout ça. Et c’est sur ces gens-là que j’ai vraiment appuyé, parce qu’ils avaient le talent mais arriver à la télé, à la radio, c’était compliqué pour eux. Ils étaient vus comme des tribus, des bandes, des zoulous… On était dans cette époque de violences et compagnie. Donc quand on leur donnait la parole ça avait du poids, surtout quand c’était Jean-Louis Foulquier qui interviewait Stomy ou Expression Direkt. Les mecs deviennent doux, ils ne sont plus hardcore : tu les vois tranquilles, tu vois qu’ils ont un cerveau, qu’ils sont posés. C’était ça la logique, mais si elle n’était même pas exprimée : c’est ce que le père a toujours fait. Ça a été un mauvais garçon lui aussi, il connait cette affaire là. On remet l’église au milieu du village : tout le monde est correct, tout le monde est bien éduqué, on parle de musique et tout va bien. Après, l’environnement, c’est la vie : on en parle mais on ne diabolise rien. Nous, on a toujours privilégié l’art. Je n’ai rien contre K-Mel [d’Alliance Ethnik] et tous ces mecs-là, ils étaient très bien et il fallait des artistes comme ça. Mais ç’aurait été trop facile d’être sur la ligne que d’autres proposaient et de n’inviter que des gars comme eux. On a voulu imposer, bousculer, parce qu’on savait que derrière ça allait suivre. Ce public, cette jeunesse, cette France là, ne demandaient que ça. Et on ne s’est pas trompé. Parmi les grosses têtes sur lesquelles j’ai misées, certaines sont encore là. D’autres ne le sont plus, mais il y a eu de vrais parcours, longs parfois de plus de vingt ans. Voilà, la mission est accomplie. On ne s’est pas gouré.
A : Justement, est-ce qu’il y a des gens que tu aurais aimé inviter à l’émission, mais pour une raison X ou Y ça ne s’est pas fait ?
AF : J’aurais aimé avoir plus d’artistes internationaux, mais en même temps ce n’était pas forcément la ligne de l’émission. J’en ai eu plus dans Timal, à la radio. J’ai eu plus de facilité que par rapport à Captain Café. Parce que c’étaient des histoires d’organisation avec les maisons de disques, de plannings, de déplacements qui se goupillent bien. Et puis, il y avait beaucoup à faire sur le rap français. Non, globalement, j’ai fait tout ce que je voulais.
A : Tu ne penses pas à un nom en particulier ?
AF : Non… Je n’ai pas un nom qui me vient directement à l’esprit, donc c’est qu’il n’a pas dû y avoir d’absence très importante. Même de manière générale dans ma carrière. Médine, on l’a reçu au tout début avec Din Records. Ensuite, il venait à Timal et il m’a invité sur son album 11 septembre. Ce sont mes derniers moments dans ce milieu. Et il est toujours là. Je l’ai vu évoluer, faire carrière. Pareil pour Abd-Al-Malik. On sait très bien qu’il y en a plein qui auraient mérité la réussite, mais il y a aussi toutes les inconnues : facteur chance, facteur mektoub, facteur travail, etc. Côté chanson française, la période Captain Café, c’est la période M et compagnie. Et c’est pareil : beaucoup d’entre eux ont eu de beaux parcours. De toute façon, avec Foulquier, c’était ça. C’était son génie et j’en ai hérité à certains endroits pour le rap : sur tout ce qu’on faisait, on avait deux ou trois ans d’avance. C’est pour ça que si certains disent « le hip-hop, c’est moi« , à ce moment-là, on aurait pu dire « la chanson c’est nous. » Parce que tout ce qui arrivait à nous, on savait que quelques temps après ça connaitrait le succès. Et on n’est pas que nous deux, je précise : il y avait des équipes, des compétences, des gens qui se parlaient, c’était un tout. On voyait ce qui arrivait dans nos bases, et au bout d’un moment on décidait sur qui on allait commencer à miser. Voilà, la machine de guerre allait s’enclencher. Le plaisir, là-dedans, c’est de prendre le gars avec sa petite gratte, et puis de se dire que lui, quelques années plus tard il serait devant 10 000 personnes, il serait en maison de disques, il ne mâcherait plus de chewing gum sur scène. [rires] C’est le plaisir d’être faiseur. Moi, c’est ça qu’on m’a transmis. Découvreur, défricheur, faiseur. Après, quand l’artiste est parti, c’est lui, son talent et son histoire. Elle ne nous appartient pas, elle ne nous appartient plus. On a permis, on a été une étape. On se retrouve dans les grands succès, pour se donner des nouvelles. Mais nous, on était sur ceux qui arrivaient, qui n’avaient pas encore connu la lumière.
A : Effectivement, ça doit être particulier de voir quelqu’un faire sa première puis monter en puissance petit à petit.
AF : Voilà. Et même parfois, j’avais des temps d’avance sur certains artistes qui étaient un peu en mode tunnel, « je suis rappeur, je suis ci, je suis ça, blablabla. » Et quelques années je les vois où je leur avais dit qu’ils seraient, alors qu’ils m’avaient dit « mais non, je ferai jamais ça ! » « Mais si, t’es sur un vélo, dans Paris. Tu vas faire des pièces de théâtre. Eh oui, voilà. Je te l’avais dit ! » [rires] Et c’est bien. Et c’est normal ! L’artiste est humain, il évolue. Après on peut aimer, ne pas aimer. Mais je te dis honnêtement, entre ce que j’ai fait comme travail et ce que je pouvais écouter personnellement, il y avait un écart. C’était surtout le rap cainri qui me faisait vibrer. Ma révolution était là. Mais par procuration et par logique, j’étais complètement dans le rap français, dans la sonorité, la sensibilité.
A : En même temps, dans 2 Bal 2 Neg’, La Cliqua ou Time Bomb, les mecs avaient des influences cainris très fortes. Tu retrouvais ça dans leur musique.
AF : Oui, il fallait qu’il y ait de la basse, il fallait que ce soit sale. J’écoutais Heltah Skeltah, Boot Camp Clik, Kool G Rap. Le Wu-Tang bien sûr, et d’autres groupes plus connus. Mais le rap underground de l’époque c’était vénère ! Et effectivement, ça se traduisait dans le rap français. Ärsenik, leur premier album, c’était violent. Je ne cherche pas à dire qu’on a vécu la meilleure époque, mais quand même, tout était neuf. Dans les séances de studio, les artistes avaient leur dico. Ils n’avaient pas tout le savoir, alors ils allaient prendre les bouquins qu’il fallait. Et ça réfléchissait, ça débattait de politique, de la vie, du blanc, du noir. Il y avait de l’intelligence, de la recherche, de la créativité. Ça se défonçait, ça fumait, ça buvait, ça écrivait, ça prenait les dicos, ça faisait des rimes, ça rentrait dans la cabine. Ça posait en one-shot et le truc qui sortait c’était une tuerie. Tu vois, il y avait cette légèreté. Mais pour te dire, ça transpirait dans le studio. C’était vraiment une époque de challenge, de compétition. T’as beau être gang, t’as beau être le rappeur le plus pervers, tout ce que tu veux, à un moment tu prends le mic. Quand tu prends le mic, c’est toi. Et sur ça que ça se décide. C’est cette époque là qu’on a vécu. Des moments où tu vas chez l’un, puis il y a l’autre qui est là, il y a lui qui déboule, et puis boom, ça part en freestyle dans tous les sens. À cet instant là, personne n’est encore connu. Mais quand tu repenses à ce moment dix ans après, tous sont devenus des grosses têtes. Tu as vu Validé ? Moi je suis la petite rebeue, la manager. Bon, elle est un peu soft, c’est mignon son bonnet là. C’était quand même plus hardcore en vrai. Mais c’était ma vie : tu coordonnes les artistes, tu es en contact avec les maisons de disques, tu bouges à droite, à gauche. C’était la belle époque, c’était un nouveau monde. On en était tous au même point. Il n’y avait pas de question d’écart d’âge. Je parlais la même langue que les 2 Bal qui avaient huit ou neuf ans de moins que moi et la même langue que NTM, qui étaient plus âgés. Et Dee Nasty parlait avec tout le monde, il n’y avait pas de cloisonnement, on était tous reliés au même bordel. Nous étions tous investis 100%. Tout le monde voulait en être, comprendre. Moi, j’ai adoré ça. Le marketing, monter des labels, créer une boîte d’édition. En dix ans, tout le monde s’était équipé. On a amené le street marketing, quand même. Ils s’en sont tous emparés. Toutes les formules, elles viennent de la street, du hip-hop, de ce qu’on a semé. On copiait les States, on n’a rien inventé. Mais on était sur le coup. Et après, c’étaient les grandes marques qui reprenaient nos stratégies de street flyers. J’ai appris mon métier comme ça : il faut savoir tout gérer. C’est pareil pour la presse spé : au départ, L’Affiche était un prospectus, puis c’est devenu un magazine. En même temps, tu avais des fanzines qui arrivaient de partout, les plus malins ont compris qu’il fallait faire Radikal… Et ça y est, on avait notre presse. Il y avait tout à construire. Après tout ça s’est professionnalisé, forcément. Les outils ont changé, c’était moins street.
A : Tu identifies le moment où ça a changé ?
AF : Je dirais à partir de MySpace. À partir du moment où tu as des mecs qui font « salut, je veux passer aux Francos, tiens, je t’envoie mon MP3, tu as intérêt à me faire passer » « Attends, mais t’es qui toi ? » Là, j’ai compris qu’il y avait un truc qui switchait. Avant, on s’auto-contrôlait. Ça se dégommait déjà dans le souterrain. C’était Mario, quoi. Il y a ceux qui arrivaient au second sous-sol, puis au premier. Et quand tu étais validé par la street, tu commençais à arriver à la station de métro. Il restait les marches pour aller à la surface. Moi j’ai fait partie des gens qui ont permis à certains d’accéder à la surface. Avec Timal, Captain Café et les Francofolies : avec une exposition nationale, tout simplement. Mais tu vois, le mec qui arrive à la surface, ce n’est pas un nouveau. Ça fait dix ans qu’il est là, il a fait deux albums. Parfois même tu entends « il est corrompu ça y est, il a fait un single et tout le monde l’écoute ! Il est commercial ! » Mais laisse-le vivre sa vie d’artiste s’il te plait ! Moi, je faisais partie des gens qui regardaient ce qui se passait dans les sous-sols, pour le ramener ensuite à la surface. Et c’était du solide, les mecs étaient chargés à bloc et prêts à tout affronter : les plateaux de télé, les radios. Ils savaient qui ils étaient. C’était cohérent, ça découlait d’une évolution. Et donc avec ce Myspace… Ou même ensuite : « Bonjour, j’ai un groupe » « Oui, il a combien de vues ? » « Bah il a pas de vues » « Ah bah c’est pas normal. » Là on avait basculé dans autre chose.
A : Captain Café dure deux ans, de 1996 à 1998, pour 70 émissions. Tu te souviens comment et pourquoi ça se finit ?
AF : 70 numéros, tant que ça ! Non, je ne sais plus vraiment comment ça se finit. Ça devait être un changement de direction il me semble. Ça a été rediffusé ensuite sur d’autres chaines, au début des années 2000.
A : Quels sont les meilleurs souvenirs que tu gardes de l’émission ?
AF : Il y a eu beaucoup de bons moments. Notamment l’émission à la Friche de la Belle de Mai, avec tous les gars de Marseille. Les sujets où je partais à l’international aussi. Je confonds un peu avec Timal de ce côté-là, mais c’étaient toujours de belles rencontres. Mais dans Captain Café, c’était toujours la même mécanique avec les rappeurs français : on se connaissait presque tous et on était très contents de se retrouver. Et lorsque des artistes ne se connaissaient pas entre eux, l’émission leur permettait de créer du lien. Une ambiance colonie de vacances, quoi. C’était une période bienveillante : tout le monde est hardcore, mais en fait on est tous des grands gosses et on se tape des barres de rires. Alors oui, tout le monde venait accompagné et parfois ça ramenait des embrouilles de quartier. Mais entre artistes, pas de souci.
A : Quelle est la place de Captain Café dans ton parcours ? Est-ce que tu vois ça comme une parenthèse ou est-ce qu’il y a eu un avant et un après ?
AF : Non, ce n’était pas du tout une parenthèse, plutôt un maillon de la chaîne je dirais. Il fallait plusieurs outils pour faire avancer le schmilblick. Les deux ans de Captain Café ont favorisé l’expansion de la culture hip-hop en France. C’était dans la continuité de tout ce qu’on avait fait. J’avais Timal et les Francofolies avant Captain Café, j’ai continué après. Captain Café a fait partie du chemin. Comme je t’ai dit, j’étais en mission, je savais ce que j’avais à faire. C’était la ligne Foulquier, son école même, parce que d’autres gens avaient été formés par lui. Tant que je suis avec lui, on fait ce qu’on a à faire. Quand il arrête ou passe à autre chose, je fais de même. Parce que c’est ma ligne, ma façon de voir les choses, je ne vais pas aller travailler pour un autre mec. De toute façon, dans le métier ça ne marche pas comme ça. Quand tu as ta marque de fabrique, que tu es associé à un nom, tu ne vas pas dans une autre équipe. Ils ne te prennent pas et tu ne vas pas leur demander. [rires] Donc tout est cohérent. Mais sur ce temps-là, on avait la maîtrise et on en a profité pour faire ce qu’on voulait faire.
L’INA a lancé la chaine YouTube INA HIP-HOP au printemps 2024 afin d’exploiter les riches archives de l’audiovisuel public portant sur la culture hip-hop. Toutes les vidéos sont à retrouver ici.
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