Brodinski : « à mes yeux, Memphis est la capitale du rap »
Il est patron de label, DJ, a produit pour Shakira, traîne avec Drake ou Theophilus London et se trouve constamment quelque part entre Paris et Los Angeles. Tout ça, en ayant à peine dépassé les 25 ans. Rencontre avec Brodinski, un amateur de rap pas comme les autres.
Abcdrduson : Est-ce que tu peux te présenter rapidement pour les lecteurs qui ne te connaissent pas encore ?
Brodinski : Mon nom de DJ c’est Brodinski, mon prénom c’est Louis, j’ai vingt-cinq ans et je suis DJ et producteur de musique électronique…Ça va faire six ans que je vis de ça. J’ai créé mon label Bromance il y a un an et demi avec mon manager Manu Barron… Et j’ai énormément de projets mais on va s’arrêter là si on veut une présentation succincte [Sourire].
A : Ça fait six ans que tu fais de la musique. Comment es-tu rentré dedans ?
B : [Il réfléchit] J’ai toujours eu une attirance pour la musique et Internet a vraiment accéléré les choses. J’étais sur mon ordinateur en train de télécharger de la musique gratuitement et je me suis mis à amasser de plus en plus de choses, à découvrir de plus en plus de groupes… Jusqu’à digérer toutes ces influences et à avoir envie de l’exposer à d’autres personnes. C’est comme ça que le deejaying m’a intéressé et j’ai rapidement eu envie de partager la musique que j’aimais avec d’autres gens.
A : Comment est-ce que tu es passé du deejaying à la production musicale ?
B : Quand j’ai vraiment commencé en 2007-2008, les DJ’s ne tournaient pas s’ils n’avaient pas leurs propres morceaux. C’est comme ça que j’ai voulu essayer. A l’époque, j’étais très souvent avec Yuksek qui me proposait de passer au studio pour qu’on essaye de faire un truc. En une journée, on avait fini un morceau que je trouvais super et qui s’appelait « Bad runner ». Myspace rendait les choses extrêmement accessibles et je me mettais à parler avec des gens que je n’aurais jamais croisés dans la vraie vie. Du coup, j’ai envoyé le morceau à trois labels : Rekid, le label de Radio Slave, Ed Banger et Mental Groove. De son côté, Pedro Winter l’avait envoyé aux 2 Many Dj’s et ça avait permis au morceau de bien tourner. Finalement, Mental Groove décide de signer le morceau. A ce moment, c’était assez fréquent de signer un mec sur un seul titre.
Je pense que j’avais compris comment ça fonctionnait. L’histoire derrière cette signature est vraiment emblématique de la manière dont les choses se passaient à cette époque sur Internet. Tout était accessible parce que ça commençait. Par exemple, c’était le début des blogs un peu influents comme Fluokids à qui j’avais envoyé des mixs. C’était aussi un gros blog parce qu’il s’agissait de mecs extérieurs à Paris qui ont fait quelque chose de vraiment solide. Il devait y avoir dix blogs sur Internet qu’on regardait et lorsque tu en avais deux qui postaient le même titre, tu savais que tu devais l’écouter. Il y avait une sorte de communauté sur Internet qui faisait office de leader d’opinion. Cette communauté s’est un petit peu enfermée sur elle-même par la suite mais, à l’époque, ça avait été très important avec Myspace. Myspace, c’était presque trop simple : j’envoyais un message, j’avais une réponse. Personne n’envoyait de message à l’époque ! Au début de Myspace, la question était un peu la suivante : « à quoi ça sert d’avoir un compte Myspace si tu ne fais pas de musique ? » Tu créais facilement des connections avec des gens qui étaient partie intégrante de l’industrie du disque. Depuis, c’est complètement retombé parce que c’est Internet et que tout va très vite. Aujourd’hui, ça compte de savoir combien de vues a fait ta vidéo postée via ton Facebook officiel mais ça ne comptera peut-être plus dans deux ans… Et ça ne comptait absolument pas il y a quatre ans. Ça va très vite.
A : Dans ta présentation, il y a un élément que tu n’as pas mentionné mais qui me parait important. Tu viens de Reims qui n’est pas une grande ville mais qui, assez étonnamment, a produit plusieurs talents de la nouvelle scène électronique française. Est-ce que tu arrives à expliquer cela et est-ce qu’il existe une sorte de communauté rémoise ?
B : C’est compliqué à expliquer. Aucun observateur extérieur n’y est parvenu et, nous, on a la tête dans le guidon donc on a du mal à être objectif là-dessus. D’autant plus qu’on n’est pas tous de la même génération, on ne vient pas du même monde, on n’a pas les mêmes influences, on n’a pas les même goûts musicaux… Pourtant, il s’est créé quelque chose de dingue à Reims. Au départ, il y a eu Yuksek qui a créé un festival qui s’appelait Elektricity, il a ensuite organisé des soirées qui s’appelaient Bonheur Binaire à la Cartonnerie… Et c’est dans ces soirées que j’ai commencé à jouer. J’avais seize ans, je leur ai donné deux CD’s mixés sur Virtual DJ [Sourire] et je leur ai demandé ce qu’ils en pensaient… Ça les avait vachement fait marrer parce que, à cette époque, c’était moins commun de recevoir les démos d’un gamin qui y allait un peu au culot. Bon, ça date de neuf ans donc ça n’est pas si vieux que ça mais ça beaucoup évolué depuis. Pour ma première soirée, j’avais fait imprimé plus de 1000 flyers que j’allais jeter dans les bars de Reims. Une semaine avant, je m’étais trouvé mon nom de scène, Brodinski, et je n’aurais jamais pensé pouvoir faire ça à vingt-cinq ans.
A : Quand on s’intéresse un peu à toi, on a aussi l’impression que les choses se sont accélérées à une vitesse ahurissante. Est-ce que tu arrives à avoir un peu de recul là-dessus ?
B : Je pense qu’il y a eu une succession de coïncidences, de chance, d’un peu de talent… Dès le départ, j’ai été entouré de gens extrêmement talentueux et il y a clairement une part de réseau mais ça n’est pas un réseau que j’ai entretenu au jour le jour. C’est vraiment un réseau qui est venu à moi. Tout est arrivé en même temps et ça a vraiment été vingt-cinq belles rencontres d’un coup. Aujourd’hui, si je devais faire le compte, je devrais au moins te citer quatre cent magnifiques rencontres qui ont fait que les choses ont changé : DJ Mehdi, Pedro Winter, Manu Barron, Guillaume Berg, Gesaffelstein… Dès le début, ça a été une histoire de rencontres. Grâce à toute cette énergie positive, il s’est passé plein de choses.
C’est comme ces gamins qui naissent avec un parent anglais et un parent français et qui, à cinq ans, parlent déjà deux langues vivantes. Quand j’avais quinze ans et que je passais dix heures par jour sur Internet pendant trois ans, j’ai connu l’outil par cœur. Dès que la musique est devenue mon boulot, cet outil, qui sert à peu près à tout de la promotion jusqu’à la diffusion de la musique, n’avait plus trop de secret pour moi. C’était mon avantage. Par contre, je n’étais pas un très bon producteur et je ne le suis toujours pas mais je sais et j’aime travailler avec des gens talentueux. Les Club Cheval, par exemple, m’apportent énormément parce qu’ils sont quatre et qu’ils ont chacun leur vision des choses. Panteros [NDLR : Panteros666 est un membre du groupe Club Cheval] est dans le 12.0, j’ai l’impression d’avoir Internet en face de moi ! [Rire] De l’autre côté, il y a Manu Barron qui a quarante-trois ans, qui a ouvert trois clubs à Paris, qui a été le programmateur du festival de Dours et du Printemps de Bourges pendant des années… Le simple fait de se retrouver avec ces gens me fait constamment progresser.
A : Tu viens de dire que tu n’es pas un très bon producteur et c’est une posture qui peut surprendre. Qu’est-ce que tu entends par là ?
B : Déjà, on parle de musique électronique en faisant d’énormes amalgames. Mes parents, auditeurs lambdas de musique, rangent David Guetta dans la catégorie musique électronique. C’est la première image qu’ils vont avoir d’un DJ. C’est la figure la plus exposée, de la même manière que les gens vont assimiler l’intégralité des banquiers aux traders qui font la une des journaux. A l’intérieur de cette gigantesque catégorie, on est niché quelque part et, à l’intérieur de cette niche, les gens qui la comprennent ne font pas forcément la différence entre le live et le DJ set, entre le DJ et le producteur… Est-ce que t’es un producteur qui fait le DJ ou est-ce que tu es un DJ qui produit de la musique ? Ce sont deux choses différentes.
Je me situe en dehors de tout ça parce que je ne produis pas. C’est-à-dire que je ne sais pas me mettre derrière un ordinateur pour produire de la musique. Je n’ai jamais menti par rapport à ça et c’est pour ça que personne ne peut me le reprocher. Lorsqu’il y a des choses que je maîtrise moins, je préfère m’entourer de gens plus talentueux. Quand on travaille sur l’album de Theophilus London comme c’est le cas actuellement, je suis son contact parce qu’on est proche culturellement, j’ai fait le rapprochement avec les Club Cheval et, aujourd’hui, on travaille tous ensemble. J’ai fait ça avec Yuksek pendant un moment, j’ai fait ça avec Noob… J’ai également le projet G. Vump avec Guillaume Brière de The Shoes. Sur ce projet, on travaille avec beaucoup de personnes et il est notamment question de bosser avec Joke. On discute avec Joke depuis l’époque où il était signé chez Stunts. A cette époque, il avait rappé sur ma mixtape Best of everything Vol.2 sur laquelle on mélangeait rap et musique électronique. C’est un mec que j’adore et avec qui on a beaucoup de points communs.
J’aime passer du temps en studio, je me considère comme un producteur mais j’utilise les Club Cheval comme des outils de travail. Ils le savent et ça se passe très bien. C’est pour ça qu’il y a une telle différence entre mon son et le leur alors que c’est produit par les mêmes personnes. Ma position me permet d’être toujours objectif sur la musique. Je ne vais pas passer des heures en studio sur un morceau mais je vais plutôt avoir un rôle de directeur artistique… Et ça me va très bien.
A : J’imagine que ta compréhension d’Internet joue beaucoup dans ton rôle de patron de label. Comment définirais-tu ce rôle en 2013 ?
B : Je pense que, même en 2013, on peut être quelqu’un qui a envie de faire découvrir de la musique aux autres. Peut-être que des gens vont écouter quelque chose parce qu’il y aura mon nom dessus… Ça peut créer un cercle vertueux et c’est ce que j’ai toujours voulu faire. Quand j’avais seize ans, mes idoles étaient Andrew Weatherall, Ivan Smagghe, Erol Alkan, Damian Lazarus… Des gens qui étaient DJ’s, qui avaient des labels, qui sortaient de la musique qui tuait et qui avaient inventé leur propre style. En 2013, j’ai envie de décider et d’investir mon argent dans quelque chose que j’aime. Je suis toujours très étonné et extrêmement heureux de voir que les gens suivent.
A : C’est d’ailleurs ce que tu as fait avec Danny Brown puisque Bromance a sorti le morceau « Black Brad Pitt ». Comment est-ce que la rencontre s’est faite ?
B : On s’est rencontré sur un bateau de croisière, au Holy ship de l’année dernière. Alain [NDLR : A-Trak] avait ramené Danny Brown qui venait de signer sur son label, Fool’s Gold. Danny Brown a 33 ans, il aime bien le Jack Daniels et faire la fête donc on a passé un bon moment. Je suis un fan absolu de sa musique, depuis avant XXX. Je trouve que c’est vraiment un des meilleurs et j’avais trouvé le personnage assez marrant. Evil Nine, deux anglais, m’envoient souvent des trucs et, cette fois, ils avaient déjà fait un duo avec Danny Brown. J’étais chez moi avec Guillaume Berg et Gesaffelstein. Guillaume me dit « on le signe » et Gesaffelstein « je fais le remix ». C’était réglé en deux minutes. On a trouvé un format un peu différent parce que c’est une découverte pour les gens qui nous suivent. Même si c’est moins vrai aujourd’hui, il y avait un vrai trou entre le rap et l’électro. On l’a sorti et ça n’a pas pris tant que ça, notamment parce que Danny n’a pas trop relayé l’info. A ce moment, deux gars réalisateurs de clips et photographes, Julot et Julien, viennent au bureau. Ils m’expliquent qu’ils ont un projet et qu’ils aimeraient l’illustrer avec « Black Brad Pitt ». Je leur dis banco, on part sur le clip et ça a complètement reboosté le morceau. C’est un morceau qui existe, qu’on me demande à chaque fois, surtout en France d’ailleurs. On parle de plus en plus de rap au sein de Bromance et on travaille notamment avec DJ Kore qui sera sur le prochain maxi de Bromance avec Lil Mike des Birdy Nam Nam. DJ Kore travaille avec Maybach Music et est vraiment installé aux Etats-Unis aujourd’hui.
A : Si on te suit sur Instagram, on voit que tu fricotes pas mal avec Theophilus London. Comment est-ce que la rencontre s’est faite ?
B : On s’est rencontré via un ami commun à Paris et on a vite déconné ensemble, il est passé bouffer à la maison, on a écouté un peu de musique… On faisait ça à chaque fois qu’il revenait à Paris jusqu’à ce qu’il me demande de remixer « Last name London ». Il était à Cannes un soir pour chanter, la soirée ne décollait pas vraiment et il a demandé au DJ de mettre mon remix. Il l’a fait, ça a grave marché et ça l’a décidé à le jouer dans tous ses lives. Il s’est dit que ce serait intéressant de refaire des choses ensemble, d’autant qu’on s’entendait bien. Au final, il nous a demandé de travailler avec lui sur certains morceaux de son album. On bosse beaucoup dessus en ce moment et je suis super content parce que je pense qu’on l’emmène aussi sur des terrains qu’il ne connaissait pas. C’est quelqu’un de très ouvert et je suis heureux de travailler avec quelqu’un d’aussi talentueux.
A : On disait qu’il y avait de plus en plus de collaborations entre le milieu électronique et le milieu rap. C’est intéressant de noter que tu es au cœur de ça. C’est d’autant plus intéressant quand on retrace ton parcours : un nerd de Reims qui réussit à percer dans la musique électronique et qui collabore aujourd’hui avec des rappeurs de Detroit et de Brooklyn. Est-ce que tu penses que Brodinski aurait pu exister il y a dix ans ou tu te sens pleinement un produit de la génération Internet ?
B : Je pense clairement que non [Sourire]. Ça n’aurait pas été possible il y a dix ans parce que le système a complètement changé. Même si certains s’obstinent à penser que ce n’est qu’une passade, le système va changer tous les deux ans, quoi qu’il arrive. Il faut le comprendre. Toutefois, si j’avais été la même personne il y a dix ans, j’aurais eu le même appétit musical et j’y aurais été quoi qu’il arrive. Ceci dit, je pense que c’était l’époque parfaite pour quelqu’un qui a envie d’évoluer comme j’avais envie de le faire. Il y avait peut-être des choses mieux avant mais je me sens clairement bien dans mon époque.
A : Qu’est-ce qui était mieux avant ?
B : Le DJ a été mis sur un piédestal et, aujourd’hui, les gamins ne veulent plus être pompiers mais DJ’s. On est dans l’époque du DJ star, les gens nous regardent beaucoup, chose qu’ils ne faisaient pas du tout avant. Honnêtement, si je suis dans une cabine où personne ne me voit, tant mieux !
A : Pourtant, tu es quelqu’un qui, sur son seul nom, peut remplir le Social, club hype par excellence. Je sais qu’il y a parfois un décalage entre l’image qu’on va avoir de vous et ce que vous êtes réellement mais, de l’extérieur, on peut penser que tu es quelqu’un qui fait particulièrement attention à l’image que tu renvoies…
B : Je nous trouve assez clairs dans notre message : même s’il y a ce côté « branché », on le fait vraiment simplement et c’est juste le monde dans lequel on vit. On a énormément de chance de faire ce qu’on fait, on essaye de le faire au mieux et c’est génial si ça marche. Je trouve qu’on ne se prend pas trop la tête. On est loin de toutes ces considérations et on ne réfléchit pas vraiment à l’image qu’on va renvoyer. Pourtant, il y a des vrais nazis de la techno qui te regardent d’un mauvais œil dès que tu vas jouer du rap. Et il y a la même chose dans le rap ! J’ai récemment fait un article sur Canalstreet où je listais 10 morceaux de rap de Memphis et je n’ai eu que des remarques indiquant que je m’étais trompé ici et là… Je crois que Memphis est un sujet à prendre avec des pincettes [Rire]. Je savais en tout cas que j’allais me prendre des remarques.
Tout ça pour dire que l’image est trop compliquée à gérer parce que c’est devenu trop important pour les gens. On essaye de le faire comme on sait le faire mais, parfois, le message peut être dénaturé. On vit aussi dans un petit monde : il y a des gens qui écoutent notre musique et qui trouvent ça cool mais on ne fait pas La nouvelle star, on n’est pas à la télé… Il y a un vrai décalage.
A : Que tu regrettes ?
B : Pas du tout ! Si le décalage pouvait être encore plus grand, ce serait génial ! Ce que je veux dire c’est que, quand tu fais de la musique en 2013, tu es obligé d’avoir un logo, de développer une image, de montrer ta tête… C’est comme ça, on vit avec mais la musique reste le plus important.
A : Dans une autre interview, tu disais avoir découvert le rap à 20 ans, donc relativement tard. Aujourd’hui, si on te suit un peu, on voit que tu postes énormément de morceaux sur le rap, et pas des choses forcément très accessibles. Comment est-ce que tu t’es épris de rap ?
B : Memphis a été le choc. Je pense que Memphis a fait dans le rap ce que Detroit a fait dans l’électro. Par exemple, le seul lien entre Gesaffelstein et le rap, c’est Three 6 Mafia. Il les adore alors qu’il n’est pas spécialement touché par le rap à la base. Il a un panel d’influences moins large mais super intéressant, il sait précisément où il va… Son cercle, c’est l’électro. Quand je dis électro, je parle en plus de choses déjà bien ciblées. En gros, son cercle c’est Depeche Mode, Kraftwerk et Detroit. Je résume grossièrement mais c’est à peu près ça.
Three 6 Mafia est arrivé à moi via leurs tubes et, à partir de là, j’ai tout refait. J’ai mangé tout le Sud, un petit peu de New York, un petit peu de Los Angeles… Memphis est la capitale du rap à mes yeux. C’est un rap qui ne parle pas beaucoup ici, contrairement à d’autres rappeurs sudistes. Rick Ross vient du Sud et n’a pas de problèmes pour passer en radio en France. Le rap sudiste est loin d’être unique et indivisible et il y a énormément de choses qui viennent de là-bas. En ce moment, dans l’électro, on parle beaucoup de trap mais, à la base, ça vient du rap sudiste. Three 6 mafia faisait de la trap music en 1991 ! Il y a 22 ans de carrière derrière Juicy J. Mon amour du rap s’est construit autour de ça. Houston et DJ Screw, ça a été une grosse claque aussi. En découvrant DJ Screw, j’ai découvert tout ce qu’il y avait avec et ça a eu une signification particulière.
Je suis passé à côté de quelques trucs comme le Wu-Tang qui ne m’intéressaient pas mais j’ai vraiment jonglé entre les époques. Aussi bien dans ma découverte du rap que de la musique électronique. Si je n’aimais pas l’école, c’est pour une raison bien précise : je ne supportais pas de suivre un programme défini à l’avance. Dans le rap américain, je suis parti de Memphis pour regarder ce qui s’est passé autour. Dans l’électro, je suis parti de Justice, Kompakt et Andrew Weatherhall et, à partir de ça, j’ai créé des liens avec d’autres artistes et je me suis fait ma propre toile. En tout cas, au départ, je ne suis pas parti des « bonnes bases ». J’ai fait exactement la même chose dans le rap et c’est pour ça que c’est intéressant : ce que j’en retiens, c’est vraiment ce que j’aime et c’est tout ce qui compte. Aujourd’hui, j’ai assez de maturité pour savoir ce qui me plaît vraiment dans le rap.
« J’ai ma base de musique électronique et j’aime y introduire la puissance du rap pour intégrer cette vibe dans le club. C’est comme ça que je vois le lien entre les deux musiques. »
A : Tu parlais de Juicy J et c’est intéressant d’observer sa renaissance depuis quelques années et la manière dont il s’est presque réinventé. Il est en train de prouver qu’il est possible de bien vieillir dans le rap…
B : Je suis un fan absolu mais ce que j’en comprends… c’est que c’est l’Amérique ! [Rire] On ne peut pas vraiment comprendre ça avec nos yeux de français mais ce sont des fous. Ils ont même fait une série sur eux, Adventure in Hollywood, après qu’ils aient gagné l’Oscar. C’est comme quand tu regardes la page facebook de Pimp C qui est gérée par son fils et sur laquelle il ne pose que des Meme, genre des chats qui parlent…Ce gars est le fils de Pimp C avec tout ce que ça peut représenter pour énormément de gens !
A un moment de ma vie, j’ai rencontré une fille à New York qui venait de Houston. C’est quelqu’un qui avait grandi avec tout ce que j’écoutais. Elle écoutait ça à la radio et Pimp C était son Stephan Eicher. Le problème vient aussi de là : on vit dans un pays où dès que je mets une radio, peu importe laquelle, j’ai envie de vomir. Récemment, j’étais en voiture, j’ai mis Skyrock et il y avait Macklemore et Ryan Lewis qui passait… C’est chaud quand même ! Je passe les radios et il y avait la même musique sur NRJ. A Houston, ils écoutent UGK à la radio.
A : L’avantage aussi là-bas c’est que tu as une dimension locale à prendre en compte. Des mecs vendaient des milliers de disques uniquement dans leurs régions…
B : C’est toujours le cas, il n’y a qu’à regarder Slim Thug. En vrai, il s’en fout de sortir du Texas. Il y a assez d’habitants là-bas pour qu’il vive de sa musique. Ce sont des mecs que je respecte énormément. C’est la même chose pour Z-Ro avec qui j’essaye d’entrer en contact, Bun B avec qui je suis déjà rentré en contact… Memphis, Houston, la Georgie, il y a tout un panel dans ces endroits qui continuent de me passionner. Je suis un fan absolu de Lil Boosie aussi !
La dernière fois que je suis tombé malade, je me suis refait toute la Nouvelle-Orléans de 2002 à 2008. Soulja Slim, C-Murder, Cash Money… J’ai pris chaque gars et j’ai tout réécouté et parfois redécouvert des trucs. Voilà comment je fonctionne.
A : Tu viens de parler de la Trap music. C’est quelque chose qui existe depuis des années dans le rap mais qui a été complètement modifié pour désigner un genre musical complètement différent aujourd’hui. Quel regard portes-tu là-dessus ?
B : Le trap, en réalité, c’est pas Bauuer et « Harlem Shake », c’est le mauvais mot. Donnez un nom à votre musique mais n’allez pas voler un terme qui existe déjà ! C’est comme si je déclarais que ma musique était de la musique classique. A la base, le trap, ça n’est pas ça, d’autant plus qu’ils en ont fait quelque chose qui ne ressemble plus du tout à du rap. Ceci dit, je trouve la fusion entre le rap et la musique électronique intéressante mais le style est encore trop jeune et trop pollué par des trucs merdiques. La liaison n’est pas encore maîtrisée.
A : Tu arriverais à me citer tes trois albums de rap favoris ?
B : C’est très compliqué mais je vais te donner les disques qui me viennent le plus spontanément et qui sont peut-être ceux que j’ai le plus écouté dernièrement. Par exemple, j’aime beaucoup Living Legends de Eightball & MJG. Ce n’est pas forcément le disque préféré des fans du groupe parce qu’il s’agissait de leur album le plus « commercial », que c’était le moment où ils ont signé avec Puff Daddy… mais c’est un album que j’adore. Il y avait en plus des productions de Bangladesh qui est un de mes producteurs préférés. C’est un album que j’ai découvert il y a deux ou trois ans donc assez récemment et c’était via le morceau « Forever » qu’ils avaient fait avec Lloyd. Il y avait un bon sample qui transpirait le sud, c’est vite devenu un de mes morceaux favoris. Ensuite j’ai écouté tout l’album et quand un album contient six ou sept morceaux que j’aime bien, je vais me renseigner dessus, aller sur la page Wikipédia pour récupérer des infos, regarder les producteurs… J’avais trouvé que Puff avait fait un très bon boulot sur cet album, aussi parce qu’il avait compris qu’il se passait plein de trucs dans le Sud à l’époque et qu’il était allé les chercher. Ils sont allés chercher ces deux gars aux flows incroyables pour les vendre à plus de gens que les habitués du Sud et j’ai trouvé ça mortel.
Ensuite, il y a Princes de la ville de 113. Pour Mehdi bien sûr. Aussi parce que c’était un classique instantané à l’époque et que ça l’est encore aujourd’hui. Je réécoutais « Ouais gros » cet après-midi et le beat défonce à un point… C’est un album qui a reçu beaucoup de compliments mais ils sont tous mérités. Le morceau “Princes de la ville” est un véritable chef d’oeuvre.
A : Ce qui revient souvent quand on parle de cet album c’est que c’est une rare fois dans le rap français où on n’a pas copié les tendances américaines mais où un son DJ Mehdi/Vitry s’est vraiment imposé…
B : C’est marrant parce qu’il y a toujours le même kit, toujours les mêmes drums mais ça débordait d’idées. C’est le seul producteur de rap que je connais qui a réussi à faire la même chose dans l’électro. Ses albums sont toujours extrêmement bien produits et avaient leur propre vibe. On ne pourra jamais lui enlever ça.
Enfin, je donnerais It’s dark and hell is hot de DMX. J’ai eu ma petite période Ruff Ryders et, venant d’une famille de motards, leur délire m’a toujours fait marrer. C’est d’ailleurs un délire qui revient un peu avec les gars de A$AP qui piochent un peu partout et qui, pour le coup, sont de très bons directeurs artistiques. A$AP Rocky est typiquement un rappeur de 2013 et d’Internet. C’est toujours maîtrisé parce qu’il rappe et il ne déconne pas. Ce que j’aime dans l’électro, c’est complètement différent de ce que j’aime dans le rap mais j’essaye à chaque fois de faire le lien entre les deux parce qu’il existe. Aujourd’hui, dans toute la musique que je connais, c’est dans le rap américain qu’ils prennent le plus de risques. Si une meuf comme Rihanna peut sortir un single comme « Cockiness » avec cette prod et que ça marche derrière, je me dis que tout va bien.
A : La plupart de tes morceaux que j’ai écoutés sont généralement assez violents et étouffés. Quels liens vois-tu entre tes productions et le rap ?
B : Déjà, le rap est une inspiration constante. Si tu prends « Nobody rules the street », il y a un break rap au bout de trois minutes. Voilà comment j’intègre mes influences rap dans ma musique électronique. J’utilise le rap pour en faire de la musique de club.
Sur la dernière mixtape de Future, FBG the movie, il y a un morceau magnifique avec Rocko qui s’appelle « Chosen One » et qui est produit par 808 Mafia. Ce morceau est la preuve qu’à force d’enchaîner les beats dans la même veine, les gars de 808 Mafia ont eu envie de mettre un peu de mélodie. Moi, c’est le contraire. J’ai ma base de musique électronique et j’aime y introduire la puissance du rap pour intégrer cette vibe dans le club. C’est comme ça que je vois le lien entre les deux musiques.
La musique que je fais en club correspond aussi à ce que je sais faire. Je ne peux pas arriver dans un studio aux États-Unis pour proposer des productions classiques de rap… Ils auront toujours quelqu’un de meilleur, ce sont des Américains ! [Rire] Il faut que j’arrive avec quelque chose de différent, d’original.
A : Dans ton discours, on sent aussi une certaine fascination pour l’Amérique.
B : Sûrement, j’y ai en plus vécu huit mois, j’ai rencontré énormément de gens…La seule idée qu’un morceau de rap cartonne dans les strips clubs aux Etats-Unis me rend fou. Je ne parle même pas des filles là mais uniquement du côté leader d’opinion que peut avoir un strip club là-bas. A Atlanta, si ça marche dans les strips clubs, c’est que le morceau est un tube. C’est d’ailleurs pour que les filles puissent danser sur les morceaux qu’ils avaient baissé les BPM des morceaux de rap et c’est comme ça qu’on est passé d’un rap à 140 BPM à un rap à 70 BPM. C’est quelque chose qu’on avait beaucoup moins et qui a complètement pris le dessus aujourd’hui… Et tant mieux parce que ça défonce ! Le rap est différent de la musique électronique qui est un tout petit cycle et qui réutilise toujours des choses déjà existantes.
A : Il y a également un côté cyclique dans le rap.
B : Il y a un côté cyclique mais quand ils ont fait « B.M.F », ils font « Beez in a trap » derrière. Ca n’a aucun rapport et pourtant ça défonce à chaque fois.
Pour revenir à ta question initiale sur la notion de fantasme, c’est toutes les spécificités locales qu’on n’a pas ici qui vont me passionner. Par exemple, la manière dont les mecs se prenaient tous pour les rois de Memphis avant que Three 6 Mafia sorte le clip de « Who Run it ». En vrai, être le roi de Memphis, ça ne veut rien dire, c’est une ville au fin fond du Tennesse, peuplée de Rednecks… Mais ça produit du rap de dingue. C’est assez fou à observer. Le choc culturel que tu vas avoir la première fois en Chine est le même aux États-Unis sauf que tu t’en rends compte deux mois après. Tu as l’impression que les gens sont comme toi alors que la différence culturelle est énorme. C’est pour ça que le rap américain m’intéresse énormément : je n’ai pas la même culture qu’eux, j’adore ça, eux aussi mais je le prends avec un angle complètement différent.
A : En soirée, tu n’hésites pas à jouer du rap, tout en précisant dans certaines interviews que tu ne voulais pas être estampillé « DJ rap »…
B : [Il coupe] Parce que c’est compliqué de ne jouer que du rap. Ceci dit, j’ai ma soirée rap avec les Mardi McFly, que je faisais avec Mehdi et que je fais aujourd’hui avec DJ James. Je connais très bien Kore, Animalsons, les gars de la Caution… D’ailleurs, je pense vraiment que Nikkfurie est un producteur incroyable, souvent oublié quand on parle des gros producteurs français. Aujourd’hui, ça m’attriste un peu d’écouter les instrus de rap français.
A : Tu écoutes du rap français ?
B : En 2013, à part Rohff sur lequel je compte toujours, Kaaris ou Joke, je n’en écoute pas. Ecouter du rap français quand tu vois ce que le rap américain propose aujourd’hui, c’est comme aller faire tes courses à Lidl alors que tu as Carrefour juste à côté. Est-ce que tu préfères manger des trucs bons au même prix ou bouffer de la merde et boire du vin dans des verres en plastique ? Aujourd’hui, c’est dégueulasse ce que peut faire un groupe comme la Sexion d’Assaut, la Mafia Trece était des génies à côté !
Je ne suis pas un spécialiste de rap français mais quand j’entends « I’m different » de 2 Chainz, avec un beat aussi simple et un clip aussi génial, je suis soufflé. Je n’ai pas la même sensation avec le rap français. A côté de ça, je suis plusieurs artistes depuis longtemps et j’adore Booba par exemple.
A : Booba est assez intéressant parce qu’il réussit à parler à plusieurs publics différents : les purs fans de rap, les fans d’électro, ceux qui ne connaissent rien au rap… Est-ce que tu arrives à décrypter un peu ce phénomène ?
B : Je n’ai même pas envie de le citer mais j’ai forcément entendu parler de Cardet et de son bouquin puant sur le rap. C’est un peu comme Paco Rabanne qui annonce la fin du monde, le gars ne va rien nous apprendre. Quand j’entends Gunplay sur « Cartoons & Cereal », le message que le mec m’envoie à moi, petit gars de Saint-Brice-Courcelles, ville de 5000 habitants, est beaucoup plus fort que n’importe quel truc engagé. Ce que j’aime chez Booba, c’est quand le premier extrait de son album commence par « Fuck la France ». Il n’est pas médiatisé, il vend des albums, respect. Après, à mes yeux, il souffre parfois de la langue française. C’est à dire qu’il y a des choses qui sont mille fois mieux dites en anglais. Même si le morceau avec 2 Chainz défonce, c’est un peu bizarre d’entendre « Euro, Euro » à répétition [Rire].
A : On vit dans une époque de fusion des genres assez incroyable et il y a un moment où le rap et le R&B américain se sont quasiment faits vampirisés par l’électro de David Guetta…
B : [Il coupe] A un moment, tout le monde s’est dit qu’il lui fallait un morceau de David Guetta sur son album. C’est là où, à mes yeux, les rappeurs américains ont perdu énormément de points parce qu’ils vont vendre autant de disques en faisant un « Mercy ». « Mercy » est devenu un tube mais, à la base, il n’était pas destiné à en être un. C’était la même chose avec « B.M.F » qui n’avait pas la gueule d’un tube à la base. C’est là où je me suis dit que Lex Luger était beaucoup trop fort et que j’ai compris qu’il avait vraiment inventé le renouveau de la trap. Je pense que Lex Luger doit bien se marrer quand il entend ce qui est désigné par le terme trap music aujourd’hui. La mixtape de 808 mafia est meilleure que tout ce que tu peux écouter en trap aujourd’hui.
A : A un moment donné, les rappeurs français sont aussi rentrés là-dedans et on se souvient notamment du morceau « Ha! Ha! Ha! » de MacTyer. On était beaucoup à trouver dramatique le fait que les rappeurs français fassent de pâles copies de Guetta plutôt que de se tourner vers les producteurs français d’électro qui sont souvent fans de rap.
B : Ils sont tous fans de rap mais c’est une obligation aujourd’hui. Nos enfants vont grandir avec le rap. Au cours des cinq dernières années, où j’ai énormément voyagé, c’est le rap qui a partagé ces tranches de vie avec moi. J’aime beaucoup parler de rap. C’est d’ailleurs marrant parce qu’avec Sam Tiba [NDLR : Membre du groupe Club Cheval, signé sur Bromance], on écoute tout ce qui sort. Enfin, on pense écouter tout ce qui sort parce que quand on débriefe, on n’a jamais les mêmes morceaux à s’échanger ! Aujourd’hui, je suis à fond sur Mystikal qui ressort des trucs mortels. Memphis et Houston continuent de sortir des trucs mortels. Trae défonce, Z-Ro défonce, Lil’ Keke continue à sortir des trucs mortels… Je me renseigne toujours sur ce que j’aime vraiment.
A : Je sais que tu es un gros fan de Drake qui est un artiste qui divise beaucoup dans le rap.
B : En dehors des considérations liées à la street-credibility dont on est un peu sorti, il y a un truc de fou et c’est le fait que le mec soit Canadien. Les Américains passent leur temps à se foutre de la gueule des Canadiens et lui fait des vidéos à Toronto, est super fier de sa ville… Et ça défonce, c’est une ville qui tue et il a vraiment créé un truc autour de lui. Son premier extrait, « Started from the bottom », est hallucinant, la prod déboîte… C’est d’ailleurs Mike Zombie, qui est un rappeur de Toronto à la base, qui produit ce titre.
Au départ, je n’aimais vraiment pas du tout Drake. A-Trak le défendait mais je me disais que c’était parce qu’ils étaient Canadiens tous les deux [Rire]. En fait, c’est Memed [NDLR : surnom de DJ Mehdi] qui m’a convaincu. Il était complètement fan, connaissait toutes les paroles. D’ailleurs, après le décès de Mehdi, on s’est rencontré avec Drake et depuis on se voit pas mal, on s’échange de la musique, le mec est super cool et on discute beaucoup. C’est un gars très fort qui sait parfaitement s’entourer. Il m’a mis cinq ou six claques dont « Look What You’ve done » avec le sample incroyable de Static Major. Une fois, on parlait de Mehdi, j’avais les larmes aux yeux et je lui ai dit la chose suivante : « tu sais toujours rendre hommage de manières élégantes aux bonnes personnes. » « The Motto », c’est de la balle, c’est un titre de la Bay Area et, en plus, E-40 est dans le clip. C’est deux gars de Toronto qui ont décidé de faire du son de San Francisco et ça défonce ! C’est aussi simple que ça.
A : JB, autre membre de l’Abcdrduson, nous disait qu’il voyait presque Drake évoluer comme Sade dont il est un grand fan. C’est à dire que, derrière le nom Drake, il y a toute une équipe et une vraie identité musicale très marquée.
B : Je comprends ce qu’il veut dire mais, pour moi, c’est moins vrai qu’avec Sade. Pourquoi ? Parce que je pense que Noah Shebib n’est pas si talentueux que ça. Pourquoi ? Parce qu’il fait toujours le même morceau. Pour moi, c’est Drake qui habite littéralement ses morceaux, comme Kanye habite les siens.
Kanye est quand même le producteur de « Be R Right » de Trina qui a un beat qu’on n’avait absolument jamais entendu avant. Kanye est un producteur qui est devenu un des plus grands rappeurs au monde et tout ce qui sort avec l’étiquette G.O.O.D Music sort de sa tête. Même s’il y a un autre gars que lui derrière l’ordi, ça vient de Kanye. Je veux bien qu’on parle de Waka et de Southside, de Zaytoven et de Gucci quand on liste les tandems actuels. Drake a un talent extrême mais j’ai du mal à considérer Noah au même niveau. « Fuckin’ Problems » a beau être produit par Noah, c’est un track de Drake. D’ailleurs, j’ai un souci avec ce morceau parce que j’adore voir du Drake sur du Drake mais ça me dérange quand d’autres gars viennent sur ce terrain. A chaque fois que Drake fait le refrain sur le morceau, il prend le dessus sans qu’on sache vraiment pourquoi d’ailleurs. Aujourd’hui, c’est une star mais il a autant de charisme que si c’était moi qui rappais. Il est tellement intelligent et il fait si peu d’erreurs qu’on s’en fout. Pour moi, il a fait une erreur que je ne pourrais pas pardonner c’est le morceau avec Aaliyah que j’avais trouvé horrible. Je suis un fan absolu d’Aaliyah et je vais forcément être très attentif quand un de mes artistes préférés va y toucher. C’était Noah derrière et il n’a rien fait qui m’ait convaincu. Ceci dit, j’ai adoré Noah “40” Shebib sur sur le remix de « The moon and the Sky » de Sade et sur « Unthinkable » d’Alicia Keys. D’ailleurs, même si Swizz Beats est son mari, ce serait bien qu’il arrête de lui produire de la dance avec des djembés [Rire]. Le problème c’est que le kit de Swizz Beats est sur Internet, tout le monde les a fait ses beats ! D’ailleurs, le morceau « Street Knock » avec A$AP, tu sais que c’est un vieux beat qu’il avait fait pour Drag-On ? Et là il te sort que le morceau a été rejoué par Araab Muzik. Je pense que c’est un mec qui a un peu de talent, beaucoup de connections mais qu’il a vingt instrus depuis quinze ans qu’il ressort à chaque fois.
A : Il avait quand même réussi à se réinventer avec « It’s me bitches ».
B : Le morceau défonçait mais le mec est tellement peu un rappeur qu’il a quand même rappé deux fois le même couplet dessus… Personne n’a fait ça depuis ! [Rire] Ceci dit, c’était un des premiers morceaux de rap que je jouais dans mes sets techno.
« Je réfléchissais au rap français il y a quelques jours et je me demandais pourquoi on n’avait plus tous ces trucs qu’on avait il y a encore quelques années. »
A : Quels sont les morceaux de rap que tu préfères jouer en soirée ?
B : Dans mes sets, je suis à 130 BPM en techno et, pour faire la transition, j’aime bien enchaîner avec de gros morceaux crunk type « Knuck if you buck ». Même les gens qui ne connaissent pas les morceaux sont réceptifs parce qu’il y a un côté fête dans ces morceaux qui fait en sorte qu’il se passe quelque chose. En soirée, dans 80% de mes sets techno, je ne joue pas de rap, dans 20% de mes sets techno je mélange techno et rap. C’est exactement ce que j’ai fait avec ma mixtape Late Night Alternative qui commence en techno et qui finit en rap. Je me rends compte qu’aujourd’hui j’arrive à faire vraiment le lien entre tout ça et les gens captent. Même si c’est encore niché, je suis convaincu que ça va devenir de moins en moins choquant pour les gens de passer de la techno à Danny Brown. A côté de ces soirées techno, je fais des sets rap.
J’avoue que, si t’es un fan, le message que j’envoie peut paraître compliqué à comprendre. Je suis quelqu’un qui joue de la techno mais qui écoute du rap, je poste du rap tout en faisant de la musique électronique, j’ai produit des morceaux de rap sans être Guetta ou Diplo non plus… Malgré tout, j’essaye de faire en sorte que le message soit le plus simple possible mais c’est pas évident.
Ce que les gens comprennent moins parfois c’est que c’est mon rôle de DJ de partager les différents coups de coeur que je peux avoir. C’est compliqué et j’avoue que je me pose aussi beaucoup de questions à moi-même dans cette interview [sourire] mais je connais votre site et je n’ai pas envie de vous donner des réponses types un peu bateau.
A : Est-ce que tu as déjà été confronté à des situations où des personnes t’ont reproché de jouer trop de rap ou, à l’inverse, trop d’électro ?
B : Plus en bien qu’en mal. D’autant que j’ai particulièrement pris du temps pour apprendre à mixer du rap et je sais que je ne le fais pas trop mal aujourd’hui et que je peux suivre une soirée rap. Dans mes premières soirées rap, je ne jouais que les derniers trucs et c’est Mehdi qui m’a fait évoluer sur ce point. Mehdi me répétait sans cesse que « le rap était une histoire« . C’est lui qui me disait de prendre tel vieux morceau de Snoop Dogg et de l’enchaîner avec le dernier Drake. Je ne comprenais pas bien ce qu’il voulait dire au départ et je me suis forcé à comprendre. Aujourd’hui, je peux jouer un Mobb Deep à 95 BPM, enchaîner sur « Monster » de Kanye West et revenir sur un Lloyd Banks. Je maîtrise toutes ces influences et je n’ai pas eu trop de mauvaises remarques. Par exemple, Clément d’Animalsons me dit que je suis son DJ rap préféré, ce qui ne l’empêche pas de venir aux soirées techno d’ailleurs. Pour les cinq ans du Social Club, il y avait Joey Starr, qui est venu chanter sur mon set, et il n’a pas compris tout ce qui se passait. C’était génial parce qu’on fêtait les cinq ans d’un club, c’était une soirée rap et il y avait Joey Starr et Lucien Papalu.
A : Comme quoi ?
B : Il y avait le 113, la Mafia k’1 Fry, un groupe de gens qui envoyaient un message. Aujourd’hui, j’ai l’impression que le rap français est une vaste blague, à part deux ou trois. Quand je parle du rap français, je parle de l’image grand public renvoyée par le rap français, je parle de ce qu’on considère comme une radio de rap français en 2013… Après, je ne veux pas épiloguer sur le rap français parce que j’en suis un fan mais pas un connaisseur.
A : Tu as cité plusieurs fois le nom de Mehdi qui est une figure extrêmement importante du rap français. Qu’est-ce que cette rencontre t’a apportée ?
B : On s’est rencontré quand il était déjà chez Ed Banger, on s’est tout de suite entendu et je dirais qu’on a été très proche pendant ces derniers trois ans et demi. Très clairement, c’est devenu mon mentor et il a énormément compté pour moi. C’est marrant parce qu’on ne parlait pas du tout de rap français, aussi parce que ça renvoyait à une autre époque pour lui et qu’il était passé à autre chose. En revanche, on parlait beaucoup de rap américain, Jay-Z était son idole et on en discutait pas mal parce que c’est quelqu’un qui ne m’a jamais vraiment parlé. Ceci dit, pour faire un aparté sur Jay-Z, je pense que c’est un artiste hors du commun, un gars qui traîne avec le maire de New York alors qu’il vendait de l’héroïne il y a 25 ans. Tant mieux, ça défonce et c’est ça le rêve américain ! Dans la musique mainstream d’aujourd’hui, c’est lui qui fait ça le mieux. Rihanna, c’est quand même loin d’être mauvais comparé à ce qui peut se faire à côté.
Jay-Z était l’idole absolue de Mehdi qui avait vraiment le sentiment que Jay lui parlait directement. Il avait été pas mal déçu par le bouquin Decoded dans lequel il expliquait ses paroles mais il l’a toujours suivi. Avec Drake, il s’était passé exactement la même chose. Il se sentait particulièrement touché par Drake et je comprends parce que, sur certains morceaux, c’est vraiment notre vie. « J’ai rencontré des dizaines de milliers de gens cette année mais qui sont ces gens en fait ?« , son fameux « who the fuck are y’all ? » [il fredonne]. C’était vraiment son truc à Mehdi et je me souviens d’ailleurs qu’il n’avait pas compris le beat de « Over ». Justement parce qu’on aurait dit un beat de Mehdi, ça n’avait pas de sens ! C’était le rap que Mehdi aimait. C’est vraiment lui qui m’a mis dans Drake et depuis je me suis pris claque sur claque. Take Care est un album magnifique et j’adore son côté fan qui n’hésite pas à rendre des bêtes d’hommage comme c’était aussi le cas sur « Underground Kings ». Ca va gêner les ayatollahs de Houston que Drake vienne sur ce terrain mais personnellement j’adore et je suis un fan absolu de ce son là. Je l’ai tatoué sur ma peau d’ailleurs [Il nous montre un tatouage avec l’inscription « Southside »]. Quand je dis que je vis rap, je vis rap [Sourire]. Là, je suis en train de m’en faire un « Hypnotize Minds ». Je le fais aussi parce que ça me fait marrer et que je peux me le permettre. En tout cas, j’ai eu une grosse période Drake dans laquelle j’essayais de capter ce que Mehdi voyait en lui.
[Il réfléchit]. Tellement de choses me marquent musicalement, toutes mes émotions sont tellement liées à la musique… C’est fou. Je dois écouter au moins six ou sept heures de musique par jour. C’est ce qui me motive, c’est qui me donne envie de continuer à travailler, à faire de la musique et à en signer sur mon label. Tout ce que je veux, c’est partager les émotions musicales que j’ai avec d’autres personnes. Quand quelqu’un vient me voir pour me dire qu’un morceau qu’on a sorti est mortel, je suis le plus heureux du monde. Il n’y a que la musique qui peut m’apporter ça.
A : Tu as vécu huit mois à Los Angeles. Qu’est-ce que cette période t’a apporté ?
B : Même sans y habiter, c’est un pays dans lequel je vais régulièrement. En tout cas, cette période aux Etats-Unis m’a beaucoup plus affecté personnellement que professionnellement. J’ai fait énormément de choses là-bas qui m’ont donné une inspiration que je n’aurais pas pu avoir ici. Le simple fait de me dire qu’à 24 ans, j’avais l’occasion de bouger huit mois dans un pays où je pourrais faire le même boulot qu’à Paris avec le soleil en prime…C’était génial.
A : Récemment, on demandait à Pedro Winter dans quelle mesure Paris avait été une inspiration musicale pour lui. Dans ton cas, c’est plutôt les Etats-Unis et Los Angeles qui ont l’air d’avoir joué ce rôle.
B : Comme je n’ai pas l’impression d’avoir un pied à terre, qu’on ne peut pas vraiment me considérer comme un DJ français… Enfin, je suis Français hein et je suis super content de tout ce qui se passe à Paris. Entre ce qui se passe chez Marble, chez Get the Curse, chez Zone le label de Gesaffelstein, chez les Remote, Mint, Kitsuné, Ed Banger… Tout ça se passe à Paris ! Il y a des soirées techno qui s’appellent les Concrete qui réunissent 3000 à 4000 personnes sur Paris. Le Social, le Rex, le Carmen… Il y a énormément de clubs où il se passe des choses, c’est génial. Tout ça se passe à Paris, chez nous. A Los Angeles, il ne se passe rien de tout ça. C’est une très grande ville où les clubs ferment à deux heures du matin.
A : Je sais que tu as produit avec Guillaume Brière le morceau « Loca Loca » de Shakira qui est devenu un tube monumental. Comment est-ce que ce type de rencontre s’organise ?
B : Son équipe nous a approchés en nous suggérant de faire une session studio. On arrive en studio et elle nous explique qu’elle a un morceau sur lequel elle bloque et qu’elle a besoin de fraîcheur et de nouvelles idées. Elle a voulu nous mettre directement derrière un ordinateur mais on lui a expliqué qu’on avait besoin de réfléchir et d’échanger des idées. C’est difficile parce que c’est une star mondiale mais on a pas mal discuté et on a fini par faire la version finale du morceau.
A : Est-ce qu’il existe des différences lorsque tu te retrouves en studio avec Shakira ou Theophilus London ?
B : Il y a forcément des différences. Par exemple, avec Theophilus, on est rentré beaucoup plus dans le fond des choses. Avec Shakira, le morceau préexistait, elle avait déjà enregistré sa voix et on a aussi fait beaucoup de direction artistique dessus. En tout cas, ce sont plein de petites expériences et on se marrera bien quand je raconterai ça à mes enfants [Sourire].
A : C’est la deuxième fois que tu imagines avoir des enfants. Est-ce que tu penses à l’héritage que tu laisseras dans la musique ?
B : Le fait de laisser quelque chose ou pas dans la musique n’est pas du tout une question que je me pose. J’évolue et on fera les comptes à la fin. Je pense que c’est très vite compliqué si tu fais ça avec l’objectif de laisser quelque chose. Il faut avoir énormément d’ego aussi.
A : On parlait de Kanye West tout à l’heure mais je pense que c’est vraiment une chose à laquelle il pense par exemple.
B : Complètement mais il va laisser quelque chose le con [Sourire]. Clairement, il a raison de se poser la question. En ce qui me concerne, je ne me pose absolument pas la question, aussi parce qu’on évolue dans une musique qui a laissé énormément de choses et qui en laissera de plus en plus mais qui évolue de son côté. Même si on a des fans, la musique électronique n’est pas grand public.
A : Dans le rap, il est fréquent de voir des rappeurs se plaindre du manque de médiatisation. Ceci dit, la situation est encore plus compliqué pour l’électro…
B : Je n’ai jamais voulu être médiatisé donc ça ne me pose pas plus de problèmes que ça. Ma volonté n’est pas d’être connu, interpellé dans la rue ou de dîner avec des stars. Je veux simplement m’amuser en faisant de la musique et tant mieux si les gens kiffent. Je ne veux pas aller plus loin que ça.
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