Boots Riley
Interview

Boots Riley

Un nouvel album, Sorry to Bother You, et paradoxalement aucune envie d’arrêter de déranger. Rencontre avec le leader de The Coup, figure emblématique pour une certaine génération de rappeurs engagés qui, de Talib Kweli à The Roots ou Dead Prez, voit en lui un modèle de radicalité.

Boots Riley a la contestation dans le sang. Fils de Walter Riley, avocat des Black Panthers, il boit du concentré de révolte depuis le berceau. S’il rappe quelques freestyles agrémentés de punchlines de Schoolly D au lycée, il n’envisage la musique que comme un passe-temps et se voit plutôt poursuivre une carrière de révolutionnaire professionnel. « Fight The Power » de Public Enemy lui démontrera le pouvoir du rap comme vecteur de communication politique à grande échelle et l’incitera à considérer plus sérieusement la chose. Chez Boots Riley, la musique est un médium au service d’idées qu’il souhaite véhiculer, plus qu’une réelle fin en soi. Le message est extrême, sans concession, mais toujours accompagné d’une pointe d’humour potache qui désarçonne et désamorce la violence de ses propos. S’il s’écoule généralement plusieurs années entre deux albums, c’est qu’il retourne entre temps se consacrer à des luttes plus radicales qui lui importent : campagne pour la libération de Geronimo Pratt ou organisation du mouvement Occupy Oakland. À l’occasion de son récent passage à Paris, nous lui avons demandé de revenir sur son parcours au sein de The Coup, qui couvre plus de vingt ans de carrière, en six albums et un EP.

The EP 1991

J’avais vingt ans à peine. E-Roc et moi travaillions chez UPS à l’époque, tout comme Spice 1 ou encore G-Nut de 187 Fac. On avait l’habitude de traîner tous les quatre au boulot en rappant. On déchargeait les colis des avions puis on se cachait dans la soute après avoir fini pour ne plus bosser, et on restait là à rapper. Je ne sais pas à quel point ça a vraiment joué sur mon envie de me lancer, mais le DJ de Too $hort, Pizo The Beat Fixer, est venu me parler un jour à une manifestation à laquelle je participais à l’Université Berkeley. Il m’a dit « Hey mec, est-ce que tu rappes ? Parce que les gens kiffent les discours politiques en ce moment. Ça pourrait vendre… » Quand je lui ai répondu que oui, je rappais, il m’a dit qu’il cherchait des gens pour son label, que je devrais faire une démo et lui faire écouter. Pizo c’était vraiment la caricature du hustler. Ça ne m’intéressait pas forcément de m’associer sérieusement avec lui, mais ça m’a servi de déclencheur. C’était l’inspiration dont j’avais besoin. Peu après, la veille du jour de l’an 1991, je travaillais chez UPS et je me suis dit  « Putain, est-ce que c’est vraiment ça que je veux faire de ma vie ? » Je parlais de faire une démo depuis un long moment déjà, mais à cet instant précis, je me suis décidé. J’ai pris le téléphone tard ce soir-là et j’ai réservé le premier studio qui a bien voulu décrocher pour le lendemain. Et le premier jour de 1991, je me suis lancé. Le problème c’est que j’avais besoin qu’on me dépose, je n’avais pas de voiture à l’époque et c’était vraiment loin. J’ai appelé E-Roc parce que c’est lui qui m’amenait au travail le matin. Je lui ai demandé de me conduire au studio. Il a simplement dit « OK, je viens » et on s’est mis en route. Pendant l’enregistrement, ça ne collait pas vraiment avec ce que j’avais en tête, je sentais qu’il fallait une deuxième voix. J’ai proposé à E-Roc de poser avec moi. Il a accepté et de là, nous sommes devenu un groupe. A cause d’un trajet en caisse.

Au début, notre DJ était un gars qui ne croyait pas trop en nous. Il se faisait appeler DJ Oh. Nous avons découvert Pam the Funkstress à l’époque où elle était DJ d’un groupe dont C-Funk était membre. Ils s’appelaient les Funklab All Stars. Nous avions vu Pam participer à pas mal de battles de DJs. Elle était super forte. La première fois que je l’ai rencontrée, c’était à la soirée organisée pour la sortie du premier album de Tupac. C’est elle qui mixait. On s’était échangé nos numéros. Au moment où une maison de disques nous a proposé un contrat, nous nous sommes demandés si nous voulions continuer avec un DJ qui n’avait pas foi en ce que nous faisions. Alors on a appelé Pam en plein enregistrement et on lui a demandé si elle voulait faire les cuts. Elle a refait tous les cuts de Oh, et nous l’avons gardée. C’est comme ça que nous sommes réellement devenus The Coup.

Kill my Landlord 1993

Cet album, c’est une extension de l’EP. Au début, je faisais de la musique dans mon coin grâce à l’argent que je gagnais chez UPS, puis j’ai fini par avoir un morceau sur une compilation sortie par Pizo qui s’appelait Dope Like A Pound Or A Key. Dessus, il y avait moi, Spice 1 et Mocedes, le grand frère de Tupac qui depuis se fait appeler Mopreme. D’après le distributeur, ça a plutôt bien marché, on aurait vendu environ 20 000 copies. J’entendais des gens jouer la tape un peu partout pendant que je bossais sur notre album. Mon père n’avait aucune idée de ce que je faisais. Je ne voulais pas lui dire que j’avais arrêté l’école pour faire de la musique.

Un jour, nous étions en voiture et quelqu’un dans la bagnole d’à côté écoutait mon titre de la compil super fort, toutes fenêtres ouvertes. Mon père m’a regardé et m’a dit « C’est curieux, on dirait ta voix, dans ce morceau » et j’ai dû avouer que c’était bien le cas. Il a continué en me disant « Tu ne m’as pas dit que tu faisais de la musique ». Comme il était avocat et très à cheval sur ces questions, il m’a tout de suite demandé si nous étions au moins payés comme nous devrions l’être et plein de questions de ce genre. Quand il a appris que nous n’avions rien gagné du tout et que j’étais à court d’argent, il a investi dans du temps de studio et m’a aidé à créer un label qu’on a appelé Polemic Records. L’idée, c’était de tout faire nous-même. J’ai fait Kill My Landlord à 95% en pensant que nous allions le sortir par nos propres moyens. Et je n’avais aucune idée de ce que je faisais en studio. C’était vraiment le bordel. J’avais appris tout ce que je savais sur la musique en écoutant de vieux disques. Je ne savais même pas forcément ce que tel ou tel son était. Je savais juste que je voulais ces sons en particulier. J’amenais des musiciens en studio et j’essayais d’obtenir ce que j’avais entendu mais ça ne marchait pas vraiment et nous avions assez d’argent que pour de courtes sessions. Comme je n’avais aucun matériel de préproduction, je prenais un vieux disque avec par exemple une ligne de basse qui me plaisait et j’essayais d’écrire en l’écoutant. Mais ma platine n’était pas une platine de DJ, c’était une vieille platine à courroie donc je ne pouvais pas faire de boucles. Je devais recommencer le morceau encore et encore en essayant de me caler comme je pouvais. Je restais debout des nuits entières à écrire mes paroles comme ça et j’allais ensuite directement en studio. On avait alors quatre heures pour tout faire, chercher comment intégrer les sons, enregistrer la musique et poser les voix. Ce qui restait au bout de ces quatre heures en studio devenait le morceau définitif. En gros, Kill My Landlord se résume à ça.

Nous avions sorti l’EP et nous travaillions sur l’album lorsque Wild Pitch Records est passé par la Bay à l’occasion d’une convention. C’était l’époque où le son de la Bay explosait grâce à des mecs comme Digital Underground, Too $hort ou MC Hammer qui vendaient des millions d’albums. Tous les labels voulaient avoir leur groupe local et les gars de Wild Pitch sont simplement entrés dans le magasin de disques du coin et ont demandé ce qui marchait bien en indépendant en ce moment. On leur a dit que c’était E-40, Dangerous D et nous. E-40 se réservait pour un plus gros label et je ne sais pas trop ce qui s’est passé avec Dangerous D, mais c’est à nous qu’ils ont offert un contrat et comme nous étions sur le point de sortir l’album de toutes manières, nous avons accepté. C’est ce qui nous a permis de clipper « Not Yet Free » et « Dig it ».x

Genocide & Juice 1994

Alors que j’étais sur le point de commencer à plancher sur le deuxième album, un gars de TVT Records est venu me voir. Ils étaient en train de travailler sur Spirit, l’album de Gil Scott-Heron mais Gil n’était pas content des résultats obtenus en collaboration avec son producteur habituel, Brian Jackson. Ils m’ont donc demandé si je pensais pouvoir le remplacer. J’ai accepté et je leur ai créé plein de sketches sonores. Gil Scott-Heron habitait à San Francisco à l’époque, mais il ne s’est jamais présenté au studio. Je n’ai eu aucun retour. Au bout d’un moment, je me suis dit que puisque j’avais tous ces sons prêts pour Genocide & Juice et que j’avais du temps de studio devant moi, autant en profiter. Le premier morceau que nous avons enregistré était « Pimps ». Il devait à la base figurer sur la bande originale de Menace II Society, mais nous avions pas mal de problèmes de management et ça ne s’est pas fait non plus. « Genocide and juice » était une des expressions que devait utiliser Rockafella dans le morceau et c’est comme ça que m’est venu l’idée d’en faire le titre de l’album. C’était aussi un peu l’idée que l’album était une sorte de concoction qui parlait des choses terribles qui se passent dans le monde et du système et de comment le changer, mais mélangé à la douceur, le nectar que peut être la musique. Plus tard, on a souvent cru à tort qu’il y avait un lien à « Gin & Juice » de Snoop Dogg. En fait, le gin and juice était une boisson très populaire dans la Bay à l’époque et tous les rades en servaient. C’est donc plutôt normal que ça revienne chez plusieurs d’entre nous. Puis Snoop était un grand fan de Spice 1 qui parlait beaucoup de gin and juice. Je pense que c’est simplement pour ça qu’il a fait ce morceau.

E-Roc a quitté le groupe peu après l’enregistrement de l’album. Principalement parce que nous ne faisions toujours pas d’argent. Il a pris un travail régulier de docker. A la sortie de Genocide & Juice, le morceau « Fat Cats & Bigga Fish » est devenu très populaire. Ça passait à la radio à Los Angeles, alors que le label n’avait même pas payé pour sa diffusion. Une radio à Chicago le jouait aussi régulièrement. Et il grimpait dans les charts. Mais Wild Pitch ne vendait pas très bien et EMI cherchait à se débarrasser du label tout en conservant tout ce qui pouvait potentiellement être rentable, pour éviter que ce soit revendu ailleurs par la suite. Ils ont donc racheté Genocide & Juice à Wild Pitch et l’ont mis au placard. Immédiatement. Ils m’ont prévenu qu’ils n’en feraient plus rien, alors même que ça marchait plutôt bien. J’étais dégoûté. Je me suis dit que je m’étais mis à la musique pour être un organisateur, un contestataire. J’avais à peine vingt-quatre ans et j’avais l’impression de faire une crise de la quarantaine précoce. J’avais passé toute ma vie d’adulte à faire de la musique alors que je ne voyais même pas ça comme une fin en soi et je n’avais aucun contrôle sur ce qui arrivait à mon travail. J’ai tout arrêté et j’ai fondé les Young Comrades. Mais juste avant d’arrêter, nous avons trouvé un arrangement avec un autre label et nous avons pu enregistrer un dernier titre, « Breathing Apparatus« , qui se trouve sur Steal this Album. C’est ce qui explique qu’E-Roc soit encore présent sur ce morceau. En l’enregistrant je pensais sans arrêt au fait que quoi que je fasse, je ne pourrais pas contrôler ce qu’il adviendrait de ma musique. Ça se ressent dans le morceau. Il est plutôt anxiogène. J’ai tout laissé tomber. J’ai fondé les Young Comrades et m’y suis consacré quelques années. Après un temps, ça a évolué de l’organisation contestataire telle que je l’avais conçue pour se transformer en groupe d’étude. Je me suis dit que quitte à sortir uniquement des idées, je pouvais finalement le faire avec beaucoup plus d’impact à travers la musique. J’ai commencé Steal This Album.

Steal this Album 1998

Je ne sais pas trop quoi dire de cet album. J’étais dans une sorte de vide intérieur profond. Je ne sais pas pourquoi il sonne si différemment des précédents. Je me pose encore parfois la question. Ça s’explique probablement en partie par le mix, mais je n’en suis pas sûr… Je voulais faire plus, plus vite. Toujours cette idée qu’au début, sur la côte ouest, la musique s’écoutait en voiture. On est constamment en voiture ici. Nous faisions donc à nos débuts des sons adaptés aux grosses enceintes de dix-huit pouces qu’on trouvait à l’époque. Mais de moins en moins de gens ont eu les moyens d’avoir ces gros systèmes de son dans leurs bagnoles. Il a donc fallu s’adapter, adapter son son. Puis avec le départ d’E-Roc, j’ai eu besoin de varier un peu mes routines et la façon de poser ma voix. Je pense que cela demandait de nouveaux arrangements et j’ai expérimenté pleins de trucs dans mon coin sans les faire écouter à qui que ce soit. C’est probablement pour ça aussi qu’il y a des morceaux comme « Me & Jesus the Pimp in a ’79 Granada Last Night » qui est quand même très long et très sombre sur ce disque. Peut être que si j’avais d’abord joué ce que je faisais à des gens de mon entourage, j’aurais eu des retours négatifs, mais je ne les aurais probablement pas écouté de toute façon. A chaque album on nous accusait d’avoir trahi l’esprit des précédents. Déjà lorsque Genocide & Juice est sorti, certaines personnes s’étaient mises en colère en nous demandant pourquoi nous jouions désormais aux gangsters, pourquoi nous trahissions notre style.

Je me posais encore plein de questions sur le milieu, l’argent, ce qu’il advient de sa musique, une fois produite. Nous étions bien avant l’ère internet et pourtant, partout où j’allais à travers le pays, on me reconnaissait et on me disait adorer mon travail. Mais la plupart de ces mecs étaient complètement fauchés. Ils n’achetaient jamais de disques. Ils se passaient juste des cassettes qu’ils enregistraient eux-mêmes. Je m’interrogeais beaucoup sur la différence qui existe entre avoir des millions de fans mais qui n’ont pas d’argent pour acheter ce que tu fais et inversement n’en avoir que 500 000 mais qui sont tous capables de se payer tous tes disques. On fini forcément par mettre en avant celui qui est moins populaire, s’il représente un plus gros pécule. Finalement, j’ai voulu être pragmatique. Je me suis dit que si les gens volaient l’album en boutique, les magasins devraient tout de même me payer. Nommer l’album comme ça, c’était juste une façon comme une autre pour moi de remettre les choses à plat.

Après la sortie du disque, la question de la diffusion de la musique et du rôle que cela pouvait avoir dans la société a continué de me travailler. Entre Steal This Album et Party Music, j’ai animé un atelier sur les rapports entre Art et organisation politique au Pena Cultural Center d’Oakland. L’un des projets que nous y avons mené, autour du concept de « Newspaper on tape » était lié aux protestations contre le vote de la Proposition 21, dont le but était de durcir le ton envers les jeunes. Des rappeurs se rencontraient pour discuter de Prop’ 21 durant l’atelier et chacun revenait la semaine suivante avec des textes. Je m’étais arrangé pour avoir un groupe sur place prêt à jouer. Chacun parlait aux musiciens du genre de beat qu’il voulait, répétait une ou deux fois et se lançait. En huit heures nous enregistrions en moyenne seize morceaux, en prise unique. A l’époque les gens écoutaient encore assez de cassettes pour que ce soit facile de s’en faire donner et j’allais à l’Université de Berkeley les faire effacer grâce aux gros aimants du laboratoire avant d’y mettre nos morceaux. Nous donnions ensuite ces cassettes gratuitement afin d’informer le public. Nous n’avons reconduit l’exercice quelques semaines consécutives puis ça c’est arrêté. Cette idée m’intéresse toujours et je pense revenir à quelque chose de similaire bientôt. L’important, c’est la régularité. Que les gens soient informés de manière cyclique sur une campagne particulière, au travers d’un objet distribuable et avec la force qu’apporte au message la musique. C’est un peu comme si nous venions te dire en personne ce qu’on scande dans nos morceaux. C’est ce que j’ai toujours cherché à faire, finalement.

Party Music 2001

Party Music était dans la continuité de ces recherches. C’est un album qui parle de la nécessité de s’organiser politiquement, de partis politiques et de contestation. Dan the Automator avait trompé plein de gens afin qu’ils investissent des millions de dollars dans son groupe Deltron 3030 et le label qu’il dirigait, 75 Ark. Ils ont dépensé quelque chose comme un million et demi de dollars sur l’album de Deltron. Après ça, les gars du label sont venus me voir pour que je fasse un disque chez eux. Les négociations ont pris beaucoup de temps mais j’ai fini par trouver comment m’arranger de la situation. Je cherchais une maison et ma femme de l’époque, qui était professeur, avait pu en trouver une pour $40,000 au travers d’un programme qui s’appelait « The teacher next door ». Le problème, c’est qu’il était absolument impensable qu’on m’accorde le moindre crédit. Je suis donc allé voir le label et leur ai dit que je signerais leur deal dans l’heure contre une avance de 40,000 dollars en cash. Ils ont tout de suite accepté. A l’époque ils disaient avoir plein d’argent pour des radios partout à travers le pays. Et je les croyais. Je veux dire, Deltron 3030 avait des affiches sur les bus de la ville qu’on voyait passer. Mais faire l’album m’a pris trop de temps et le krach internet est arrivé. Au moment où l’album a enfin été prêt, le label me devait pas mal d’argent et mes amis et moi avons dû nous payer en embarquant des ordinateurs et du matériel venant des bureaux.

Party Music c’est aussi l’album sur lequel il y a le titre « Get up » que j’ai enregistré avec Dead Prez. Entre eux et moi, ça remonte a super loin. A l’époque de l’EP et du premier album, j’avais fondé le Mau Mau Rythm Collective dont le but était d’organiser des concerts de soutien à des campagnes communautaires. La fille qui gérait ça avec moi, Nico, a déménagé en Floride par la suite et me disait régulièrement vouloir fonder un Mau Mau là-bas. Je trouvais l’idée plutôt cool. Tous les samedis, certains de ses potes m’appelaient et me parlaient pendant des heures et des heures de l’industrie du disque et du business. Je ne comprenais pas trop pourquoi ils me posaient toutes ces questions, mais je leur parlais de beats et de comment sortir de la musique et la faire exister, ce genre de trucs. Plusieurs années plus tard, en 1999, j’ai découvert « Food, Clothes and Shelter » de Dead Prez. Je ne faisais plus de musique à ce moment-là et ce morceau m’a permis d’envisager plus sereinement ce choix. Ça m’inspirait. Je me disais que la relève était enfin là, que quelqu’un faisait bien les choses. Cette même année, un membre des Young Comrades qui venait de réussir le barreau a emménagé sur la Côte Est et est devenu leur avocat. Il m’a suggéré que nous collaborions. Même si je ne faisais plus grand-chose, nous nous sommes rencontrés et avons enregistré un morceau. C’est par hasard, en studio, que j’ai compris que c’était eux que j’avais eu au bout du fil toutes ces semaines, des années plus tôt. Le titre était vraiment bon mais mais nous n’avons jamais pu obtenir les droits sur le sample. Le morceau n’est donc jamais sorti mais nous sommes devenus amis et sommes encore proches aujourd’hui.

Party Music devait sortir en 2001, mais il y a aussi eu l’histoire de la pochette. La pochette originale nous représentait devant le World Trade Center en train d’exploser. Forcément, après le 11 septembre, il n’était plus possible de sortir l’album avec ce visuel là et il a fallu tout refaire, ce qui a beaucoup reculé le lancement. L’album n’est finalement sorti qu’en 2002, avec une distribution minable. Nous avons pris la route et avons tourné pendant des mois à travers tout le pays pour essayer de faire exister l’album et de faire en sorte que le public le découvre.

Pick a Bigger Weapon 2006

J’ai signé chez Epitaph en 2004 après les avoir rencontrés sur la tournée « Tell Us the Truth » que j’avais fait avec entre autre Tom Morello, Billy Bragg et Steve Earle l’année précédente. J’étais prêt pour un nouveau disque, sauf que je suis tombé amoureux et ça m’a pris un temps fou pour le réaliser. C’est pour ça que « IJustWannaLayAroundAllDayInBedWithYou » est le premier titre de l’album que j’ai écrit. Le patron d’Epitaph, Andy Kauklin, m’appelait et me demandait si j’avais avancé et je lui mentais en disant que j’y bossais alors qu’en réalité, pas du tout. J’étais occupé à bien autre chose.

Pour m’y mettre et commencer à travailler plus sérieusement, j’ai décidé d’emménager dans une maison appelée « The House of Music ». Il y avait un grand studio à l’intérieur et beaucoup d’artistes y étaient passés. Tony! Toni! Toné! y avait enregistré un disque, Alicia Keys y avait travaillé quelques sons et c’est là que Destiny’s Child avait enregistré leur premier album par exemple. J’ai tout simplement loué la maison entière, m’y suis installé avec ma copine pour deux ans et y ai enregistré tout l’album.

La majeure partie de ce disque ne parle que de cette fille que j’aimais alors. Un soir nous étions elle et moi en train de boire des coups dans un rade quelque part avec la poète Jessica Care Moore. Ma copine devenait vraiment très saoule. Je ne sais pas trop ce qui se passait dans sa tête, ce n’était pas très clair, mais elle devenait tout à coup très émotive et a recommandé un énième martini. Jessica lui a simplement dit « You should pick a bigger weapon » et j’ai pensé « C’est ça, c’est le titre de l’album, celui qui résume tout ». L’idée de cette balance ténue entre ce qui est dit, ou non et comment les mots peuvent avoir plusieurs sens, plusieurs échelles et amener différents niveaux de compréhension.

Après la sortie du disque je me suis intéressé à d’autres genres musicaux. C’est alors que j’ai fondé le Street Sweeper Social Club avec Tom Morello. J’étais devenu ami avec Tom en 2003 pendant la tournée avec Billy Ragan. Ça avait été une véritable école pour moi d’être en présence d’incroyables chanteurs et musiciens tels que Billy Bragg ou Steve Earle. Nous parlions d’écriture musicale tout le temps. Mais ce dont je me souviens le plus et que j’ai surtout gardé de cette expérience, c’est qu’il est possible d’être en tournée sans que ce soit la guerre. Personne ne se disputait, ne criait ou ne se battait. C’était quelque chose de tout à fait nouveau pour moi. Tom et moi nous sommes vraiment rapprochés à cette période. D’ailleurs l’un des morceaux chanté par Silky sur Sorry to Bother You avait été composé pour Chris Cornell et Audioslave à la base, parce que Tom me l’avait demandé. Ils ne l’ont pas gardé en définitive et je l’ai repris. C’est quand Audioslave s’est arrêté que Tom m’a proposé de monter un groupe ensemble et comme je cherche toujours de nouveaux modes d’expression, j’ai accepté. Sa façon de jouer et ses riffs se rapprochent beaucoup de lignes de basse. Ça se prête parfaitement à mon timbre de voix. Ça a été une phase très productive pour moi. Nous avons beaucoup tourné et avons sorti trois disques en moins de deux ans.

Sorry to Bother You 2012

Ce nouvel album, c’est en fait la BO d’un film qui va être shooté l’année prochaine d’après un scénario que j’ai écrit. Il y aura Ted Hope à la production et Alex Riviera à la réalisation. Le projet a pris un peu de retard parce que je viens de virer mon manager et je suis censé rendre une nouvelle version du scénario, ce que je ne pourrai jamais faire avant décembre, lorsque la tournée américaine autour de l’album sera finie. J’espère commencer le tournage au printemps. Je m’attends à ce que ça sorte l’été prochain. Le film parle de l’époque où je faisais du télémarketing. Le titre vient de là. Je ne me suis jamais autant excusé de déranger qu’en exerçant ce métier. Nous y mettrons en lumière la violence de ce type de milieu à travers un prisme un peu fantastique. Je décris toujours l’ambiance du projet en parlant de « réalisme magique », un peu comme dans un bon Terry Gilliam. Je ne veux pas en dire tellement plus. Vous verrez. Durant la majeure partie du film, ma voix est doublée d’une seconde, interprétée David Cross d’Arrested Development. C’est assez particulier. Les morceaux de l’album sont dans le film. Ils capturent différentes ambiances qu’on y trouve. J’espère sincèrement que l’album donnera envie de voir le film aux gens qui l’écoutent. Une seule chanson illustre directement une scène précise, « We’ve Got a Lot to Teach You, Cassius Green ». Cassius Green est l’un des personnages principaux. Les autres morceaux, comme « The Guillotine » » reflètent plutôt divers états d’un genre de rêve qu’il fait en permanence. C’est ma propre société, ShoYoAss Words, Sounds, & Pictures qui produit le film. Nous voulons en profiter pour bâtir un studio de cinéma indépendant et collectif ici à Oakland où différents réalisateurs alternatifs pourrons venir concevoir leurs projets en collaborant les uns avec les autres. Le genre de lieu où tout le monde s’entraide, où tu peux être perchman un jour et réaliser ton projet le lendemain. L’idée, c’est d’acheter un immeuble pour faire cohabiter tout ça. Il y aura évidemment aussi une salle de concert. La musique fait déjà partie de tout ce que je fais. Nous travaillons également à un roman graphique en parallèle. Nous avons beaucoup d’idées et plein de gens sont intéressés et pourraient apporter une brique à l’édifice mais il faut donner un premier à-coup, comme dans la fable de la Soupe aux cailloux.

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