Benjamin Paulin est chanteur
Le Vrai Ben était rappeur, Benjamin Paulin est chanteur. Une première carrière derrière lui, l’ex-membre du groupe Puzzle a troqué les frustrations du rap contre une nouvelle voie, une nouvelle voix et un costume sur mesure. Il nous a expliqué les raisons de son étonnante transformation.
Abcdr Du Son : Jusqu’à présent, tu étais connu du public rap par ton appartenance au groupe Puzzle. Aujourd’hui, le groupe n’existe plus. Pourquoi ?
Benjamin Paulin : La raison du split de Puzzle, c’est juste qu’à un moment, on vieillit. Zedoo a deux enfants, Tony a une gamine, Resha vient d’avoir un enfant, je le félicite au passage… On espérait que le talent, le travail et l’acharnement qu’on avait mis dans la musique nous permettrait un jour de survivre. Malheureusement, les choses ne sont pas passées comme ça. On avait mis beaucoup d’énergie, d’amour et de bonne volonté dans ce qu’on faisait, sans jamais renier notre éthique. Pourtant, à l’époque, on avait eu des opportunités : on nous a invité à des grosses émissions type Vivement Dimanche, des premières parties importantes… On a tout refusé parce qu’on n’adhérait pas à ça. C’est ce qui nous paraissait être le rap : la sincérité, l’authenticité… En fait, on a voulu vivre un rêve, mais on était à mille lieux d’imaginer comment ça se passait dans les couloirs des maisons de disque. Quand notre deuxième album s’est vendu à 2000 exemplaires, les gens nous ont dit « C’est déjà très bien à notre époque ! » mais pour nous, c’était un énorme échec. Les concerts se passaient bien, les gens aimaient les clips, mais il n’y avait pas de label derrière qui soutenait vraiment. Le manque d’argent et de reconnaissance ont créé une lassitude énorme. La vulgarisation du rap aussi.
A : Comment ça ?
B : On était dans un truc très protéiforme et tout à coup, il a fallu devenir un cliché. Il fallait « ressembler à son public ». Avec Puzzle, on ne voulait pas faire de rap de blanc, on voulait faire du rap universel. Mais comme on était blanc, on était fiché : les journalistes nous comparaient soit à TTC, soit à Svinkels. Alors qu’il n’y avait aucun rapport ! On n’était ni dans l’électro, ni le rap paillard. On faisait du hip-hop mais il aurait fallu qu’on soit noir pour être un groupe de rap aux yeux des médias. On était un peu perdu car on avait toujours cru qu’il était possible d’être un mélange entre Wu-Tang Clan et MC Hammer, Beastie Boys et NWA. Pour nous c’était possible ! On pouvait être drôle, dur, violent, bête et intelligent à la fois. C’est ce qu’on a fait sur les deux albums et ce sont des disques dont je suis ultra-fier. Je suis déçu que ce soit fini comme ça – bon, la vie n’est pas fini, si ça se trouve un jour on en refera un. Je n’en suis pas sûr mais je ne me ferme aucune porte.
A : Le fait de devoir « ressembler à son public », c’est une chose qu’on vous a vraiment conseillé ?
B : J’ai pas envie de balancer… mais je vais quand même balancer un peu : à une époque, dans le rap français, il y avait des gens très célèbres qui faisaient des vidéos. Du moment que tu avais du budget, ils faisaient ton clip. Ces gens avaient entendu nos premiers maxis et ils étaient très intéressés. Ils avaient demandé à Obiwan, notre manager, de leur envoyer des photos du groupe pour qu’ils puissent faire un storyboard. Quand ils ont vu qu’on était blancs, ils ont dit « Finalement, laisse tomber ». Il s’est passé à peu près la même chose avec une maison de disque qui hésitait entre La Brigade et nous. On s’est fait recaler comme ça à plusieurs reprises car on ne correspondait pas au cliché que les maisons de disque voulaient vendre au public, c’est-à-dire faire croire aux gens que le rap ne touche que les gens de banlieue. Mais en banlieue, il n’y a pas que des noirs et des arabes. Mes potes du 92 et 93 ont eu la même vie que les autres et il n’y a aucune raison pour qu’ils ne soient pas représentés. C’est du racisme primaire.
A : C’est vrai que le groupe a explosé en pleine tournée ?
B : Oui. Ce sont des gens que je respecte beaucoup, on ne s’est jamais foutu sur la gueule mais il y a eu un moment où la situation n’était plus supportable. C’était très tendu entre nous. Chacun avait d’autres priorités que faire ses scènes. Chacun avait une femme qui ne comprenait pas pourquoi son mec partait sur la route sept jours sur sept pour aller faire des concerts qui ne rapportaient rien et faire une musique dont aucun média ne parlait. En fait, je crois que les médias nous ont eu à l’usure. Ils ne m’ont pas tué mais ils ont tué le groupe Puzzle. Mais j’ai bon espoir qu’un jour, les gens redécouvrent Puzzle et qu’ils se disent « Putain, il y avait ça aussi qui se faisait en rap à la fin des années 90. »
A : C’est d’ailleurs assez ironique que ta nouvelle carrière en chanson commence au moment où émerge cette nostalgie rap français des années 90, avec le concert Retour aux Sources, les reformations de Triptik et Tout Simplement Noir… Puzzle aurait presque pu en faire partie…
B : Je vais te dire, ce n’est pas pour insulter les gens qui participent à ça car j’adore ce qu’ils font, mais Puzzle n’a jamais fait partie d’aucun mouvement. Puzzle, c’est en aucun cas des vieux de trente ans qui veulent remettre le rap des vieux de trente ans à la mode. Si on revient un jour, ce sera à la rame, par nous-mêmes.
A : Quelles relations as-tu avec les anciens membres du groupe ?
B : Je vois beaucoup Tony. J’ai pas eu de nouvelles de Zedoo et Resha depuis deux ans. Aucune. J’ai des petites nouvelles à droite à gauche par des gens, on me dit qu’ils vont bien, ça me fait plaisir, et voilà. C’est comme un vieux couple, on avait une lassitude des uns et des autres. On ne pouvait plus se piffrer ! Resha, je le détestais, et je pense qu’il me détestait aussi ! Ce n’était même pas méchant, juste humain. On a tellement galéré ensemble, à prendre du temps, à rêver, à faire des plans sur la comète pour rien ! Au bout d’un moment, tu deviens le miroir de quelqu’un qui est fier mais aussi plein de regrets. C’est usant.
A : Ces regrets et cette frustration, on les ressent beaucoup dans ton album solo, Suicide commercial…
B : Ouais, j’ai voulu tout mettre là-dedans pour ne pas les avoir sur cet album « Benjamin Paulin ». Il fallait que je vide mon sac. Logilo m’a appelé en me demandant si je voulais faire un album solo. Je lui ai répondu « Non, j’en ai rien à battre, je vais signer chez AZ, je fais de la chanson, j’emmerde le rap. » Il m’a dit « C’est dommage, il y a des gens qui aiment ce que tu fais, et même s’ils ne sont que 500, c’est pas sympa de ne pas le faire. » J’ai réfléchi et je me suis dit que j’allais le faire sans aucune prise de tête. J’ai quasiment tout écrit sur place, à Toulouse, dans un studio qu’on nous avait prêté. Logilo a composé la plupart des beats avec moi. Ça a duré quinze jours, j’ai écrit « L’homme post-moderne » en une nuit, le lendemain on le posait, c’était fou…
A : Logilo partageait aussi ta lassitude du rap ?
B : Logilo, c’est un mec ultra-positif qui vit pour le plaisir de la musique. Mille fois, il aurait pu profiter de gens qui voulaient se servir de lui pour se refaire une image. Il a refusé car il a une éthique irréprochable. Il aime le hip-hop, le basse/batterie, le boom-bap. Il s’est fait très plaisir sur cet album car je lui ai laissé beaucoup de place en tant que DJ. C’est une frustration qu’il a, je pense, depuis l’époque des Sages Poètes : le DJ, c’est le babtou que tu mets derrière et tout le monde s’en fout. Je ne te raconte pas toutes les frustrations qu’il a pu connaître dans sa carrière, tous les sons qu’il a produits sans être crédité… Il est là depuis tellement longtemps, il a fait les premiers DMC avec Dee Nasty, il a même rappé ! Il n’a jamais voulu nous dire comment il s’appelait car il avait peur qu’on le retrouve [rires]. C’est un mec qui a la foi. Il était très heureux de faire ce disque.
« Avec Puzzle, on ne voulait pas faire de rap de blanc, on voulait faire du rap universel. Mais comme on était blanc, on était fiché : les journalistes nous comparaient soit à TTC, soit à Svinkels. »
A : Comment avez-vous collaboré sur ce projet ?
B : Moi, j’acceptais tous ses beats, sans chipoter. Il me disait « Ton refrain il est pété, je vais faire des scratchs à la place », je lui répondais « OK, vendu ». On a fait un album où il n’y a quasiment que des couplets et des refrains scratchés. En France, il n’y a jamais vraiment eu d’album aussi « hip-hop ». Après, chacun a sa vision du hip-hop, évidemment. Je ne prétends pas détenir LA réalité, je trouve que Lil Wayne rappe mieux que moi, pas de problème ! Mais on a juste fait ce disque en suivant notre vision du hip-hop, celle de vieux cons des années 90 [sourire].
A : Cette éthique dont tu parles, qu’est-ce qu’il en reste finalement ? Avec le recul, ça avait vraiment un sens ?
B : Je ne pense pas que ça avait de sens. C’était inconscient mais c’était beau. Et je pense qu’on a eu raison de le faire juste pour ça. On a toujours eu des petits boulots. On bossait à mi-temps le matin, l’après-midi on se retrouvait chez Resha et on faisait de la musique toute la journée, toute la nuit, non-stop. Ça a permis à des gens comme Tony d’échapper à des histoires pas possibles. Il sortait de prison quand on a commencé, Zedoo et Resha avait aussi connu des histoires dures. Le rap, ça nous a permis de canaliser tout ça, ce truc presque Zulu Nation : transformer l’énergie négative en énergie positive. On était comme dans une secte, en fait, tout le temps ensemble. On se trouvait les meilleurs du monde. Les gens nous ignoraient mais on s’en foutait ! On était tellement en vase clos à kiffer ce qu’on faisait… On répétait comme des dingues. D’ailleurs, je dois dire que Resha avait un grand professionnalisme. Il fallait répéter de telle heure à telle heure, les backs devaient être en place, rien n’était laissé au hasard.
A : On a l’impression que la lassitude du rap chez les rappeurs intervient toujours aux alentours de 30 ans. C’est parce que le rap perd en qualité ou parce que les gens vieillissent ?
B : Je ne suis pas sûr que le rap perde en qualité. Moi, quand j’avais quatorze ans, j’adorais l’album 95 200 du Ministère Amer. J’en étais dingue. Dans ma tête, j’avais pas compris que j’étais pas noir et qu’ils me détestaient ! Mais j’adorais. « Cours plus vite que les balles », j’écoutais en boucle, ils me rendaient fous ces mecs… Récemment, j’ai réécouté et franchement, c’était cool à l’époque mais bon, les mecs rappaient quand même très mal. Et finalement, quand j’entends un Alpha 5.20 aujourd’hui, je me demande : si j’avais quinze ans, est-ce que je trouverais pas ça super cool ? Je ne juge pas les gens qui aiment le rap ultra-caillera parce qu’en fait, je demande au rap d’être ultra-caillera. Des gens vont peut-être s’arracher les cheveux en lisant ça, mais aujourd’hui, quand j’écoute du rap, j’écoute Sefyu Molotov, Booba, La Fouine… Ce qui me fait kiffer c’est les trucs les plus bourrins. Bourrins mais drôles. Il y a un humour dingue chez Booba et La Fouine. Ces mecs, ils ont compris un truc. Ils ont une espèce de maestria…
A : « On va t’faire comme ton père, on va t’niquer ta mère »…
B : Voilà, c’est génial ! Moi j’adore ça. Un rappeur qui arrive pour m’expliquer le sens de la vie, je m’en tape ! Le Vrai Ben qui arrive après La Fouine ? Je m’en bats les couilles ! Va prêcher ailleurs, on s’en branle ! Booba et La Fouine, en rap, ils me pètent en mille ! C’est aussi pour ça que j’ai voulu sortir de ce truc, j’ai bien compris qu’on est dans une époque de médiocrité. Les gens ne sont attirés que par la médiocrité. Pourquoi leur compliquer la tâche ? Les gens n’ont pas envie de lire des livres sans images, ils veulent lire Closer. Ils n’ont pas envie d’écouter KRS-One, ils ont envie d’écouter Booba. Et ouais ! Et ce n’est ni de la faute de Booba, ni de la faute de Closer. C’est le monde qui tourne comme ça.
A : Il y a une forme d’élitisme qui s’est développée chez les auditeurs de rap, à se demander si les gens n’ont pas perdu de vue ce qui les faisait kiffer au départ…
B : Ouais. Moi ce que je kiffe chez Booba, c’est sa spontanéité. T’as l’impression que chez lui, tout est naturel. Surement pas d’ailleurs, peut-être qu’il a un atelier de chinois qui lui écrivent des vannes ! Mais le mec a du talent, je respecte à mort. Ce que je trouve dommage chez lui, c’est son côté parodique. C’est pour ça que j’aime bien quand il fait une photo avec un chat. Il n’y a que lui qui peut faire ça ! Pour moi, Booba c’est Renaud. Ce qu’on achète chez Booba, comme ce qu’on achète chez Renaud, c’est une attitude, un bagout. Le mec, il arrive, il est pas content, il t’emmerde et il le fait bien. Booba, il est glamour comme Renaud l’était. Si tout d’un coup il décidait de faire un truc léché, ce serait… Je ne sais pas en fait, peut-être que ça casserait son mythe. Il n’y aurait plus l’équilibre du mauvais goût avec la qualité. Mais bon, parfois, j’aimerais que Booba prenne la place de Benjamin Biolay. J’aimerais qu’il laisse pousser sa calvitie, qu’il arrive avec un pull sale et fasse son truc en piano/voix. Il les déchirerait tous.
A : Il y a une forte critique du rap dans Suicide commercial, mais la critique du rap dans le rap, c’est presque un exercice de style à part entière. On a du mal à distinguer la limite entre le folkore et la réalité. Selon toi, quel est le problème du rap en France ?
B : Je sais pas si le rap a tant de problèmes que ça ou si moi j’ai un problème avec le rap parce que je n’y ai pas été accepté à hauteur de ce que j’espérais. Peut-être qu’Oxmo, peut-être que Fabe ont eu aussi un problème avec le rap. Le rap, lui, il n’a pas de problème avec nous, il continue à évoluer. C’est le propre du rap d’être un mouvement jeune qui doit se renouveler très vite. Alibi Montana, dans cinq ans, ce sera un vieux et il dira « Le rap c’était mieux avant ».
A : On a l’impression que beaucoup de rappeurs ont eu une révélation assez tardive avec la chanson française. C’est complètement absent de leurs références pendant très longtemps et d’un coup, ça arrive dans leur musique. Comment ça s’est passé pour toi ?
B : Ça va te paraître absurde, mais je suis toujours resté dans le rap. Quand j’ai commencé à enregistrer des trucs chantés, la personne qui m’inspirait, c’était 50 Cent. Sur le deuxième album de Puzzle, j’ai fait quelques refrains chantés, et ça m’a donné l’envie. Les gens qui m’ont inspiré pour cet album, c’est donc Alain Souchon et 50 Cent ! Par la suite, des gens m’ont comparé avec Jacques Dutronc. Ça me va parce que je l’adore, pour moi c’est le seul qui avait l’attitude et la nonchalance – un peu comme Booba. Ça me plaît d’être comparé à lui. J’aime ce côté du mec qui sait qu’il n’est pas entrain de faire une œuvre d’art. Les textes de Jacques Lanzman pour Dutronc, c’est le top. Tu sens que le mec a écrit le texte en cinq minutes sur une nappe de restaurant, mais il y a l’attitude, et tu y crois. Ils ne se sont pas pris la tête pendant dix ans à faire des enluminures, mais l’émotion fonctionne. C’est ça qui est important.
A : En te lançant dans la chanson, est-ce que tu as fait un travail de recherche sur des artistes que tu ne connaissais pas ? Ton « appétit » de chanson a-t-il augmenté ?
B : Malheureusement non, je suis quelqu’un d’assez basique, j’intellectualise peu ce que je fais. Ça sort comme des spasmes. Je pars instinctivement sans me poser de questions. Je déroule, je déroule, et au bout d’un moment je réalise que ça crée quelque chose et je me repositionne en fonction de ce que j’ai fait. J’ai pas du tout calculé ce que j’ai fait. Un mec a pris une photo de moi pour la pochette, je me suis dit « Tiens, ça va être ça mon image ». Tout s’est crée par la force des choses. Avez Puzzle, on a beaucoup travaillé sans aucun résultat. Cette fois-ci, j’avais envie de me laisser glisser. Résultat : je fais des maquettes et le lendemain je signe chez AZ. Un an et demi après l’album sort, j’ai trois clés dans Télérama, des trucs commencent à se passer, je vais partir en tournée… Les choses se font naturellement alors que dans le rap, tout était laborieux. Là, je décide de me laisser pousser la mèche, je mets une cravate, et tout d’un coup c’est logique. C’est logique car c’est ce que les gens attendent de moi depuis le début. Et tu sais quoi ? J’ai pas du tout l’impression de baisser mon froc. Je me sens libre. Je prends un plaisir dingue à faire ce que je fais. Je découvre ma voix, je chante de mieux en mieux, j’écris de mieux en mieux, j’évolue enfin. Et je suis content.
« Dans le rap, tout était laborieux. Là, je décide de me laisser pousser la mèche, je mets une cravate, et tout d’un coup c’est logique. »
A : Tu as été signé sur le label AZ par Valery Zeitoun, un personnage emblématique et controversé dans l’industrie du disque. Que peux-tu dire sur lui ?
B : Plein de gens disent du mal de Valery Zeitoun. On n’est pas obligé de partager ses goûts musicaux, mais c’est l’un des derniers mecs qui a des couilles. Personne ne m’aurait signé à part lui. Ces gens-là osent des trucs alors que les autres sont très frileux. Signer Grand Corps Malade, c’était quand même un sacré pari, ça aurait pu ne pas marcher du tout ! C’est vrai qu’il a ce côté un peu show off, mais quoiqu’on dise sur lui, c’est un mec qui est passionné par ce qu’il fait. Il ne vit que pour ça. Je pense qu’il est bien moins pourri que la plupart des artistes qui prétendent que les maisons de disque sont pourries.
A : Qu’est-ce que ça fait de débuter dans la musique une deuxième fois ?
B : C’est très humiliant. Ça a été très dur d’apprendre à chanter parce que j’étais particulièrement mauvais au début. Sur le disque, j’ai commencé à m’améliorer et maintenant je suis vraiment meilleur. Ça fait partie de mon évolution. Le prochain album sera autre. Si ça se trouve, je vais gagner un nouveau public que je vais perdre dès le prochain album. Je n’arrive pas à garder un costume trop longtemps. Dans Puzzle, ils m’encadraient un max parce que je passais d’un truc à un autre. Ce n’est pas de la schizophrénie mais pourquoi s’enfermer à tout prix ? Quand on peut faire les choses, pourquoi en faire une seule ?
A : Donc tu n’as pas de regrets à avoir connu dix ans de rap pour arriver aujourd’hui à la chanson…
B : Non, ça fait partie de mon chemin et je l’assume complètement. Au début, je m’étais dit que je n’allais pas en parler. Stop, fuck le rap, j’en parle pas. Mais c’était ridicule, je n’ai pas à en rougir. Puzzle, c’était super. Il faut que j’assume tout ce que je suis, tout ce que je fais, toutes mes contradictions. J’ai envie de faire quelque chose de tout ça. Les gens sentent les influences hip-hop dans Benjamin Paulin et j’en suis content. Au début j’en avais honte car je voulais vraiment faire le chanteur mais finalement j’en suis super content – tant qu’on ne dit pas que je fais du slam [rires].
A : Pourquoi ?
B : Aujourd’hui, dès que tu parles sur de la musique, c’est du slam. Alors Gainsbourg a quasiment fait du slam toute sa vie ? Et « L’été indien » de Joe Dassin, c’est du slam ? Il y a un refrain Rn’B et un couplet slam ! [rires] Ceci dit, je n’ai rien contre les slammeurs. Grand Corps Malade a fait un carton, bravo à lui. Il le mérite ne serait-ce que pour son humanité, mais c’est pas mon truc. Je ne suis pas un fan de poésie. J’aime les choses nettes, tranchées, germaniques [rires].
A : Tu parles beaucoup des relations amoureuses dans ton album. C’est un sujet plus facile à évoquer en chantant qu’en rappant ?
B : Ouais, beaucoup plus. Ça m’est venu plus naturellement. En fait, la chanson m’a permis d’être plus moi-même que le rap. Dans le rap, j’avais cette espèce de voix qui n’était pas la mienne, cette voix en gorge. Tout le monde n’est pas comme ça. Zedoo, par exemple, il était dans sa voix. Il avait un organe énorme quand il se mettait à rapper. Moi, il y avait un filtre sur la voix. Et ce filtre, finalement, il m’empêchait d’être vrai à 100%. Je suis passé de « Ben » à « Le Vrai Ben » à « Benjamin Paulin », parce que je ne pouvais pas être plus vrai que Le Vrai Ben, à part en étant Benjamin Paulin. A chaque fois, c’est une recherche de vérité. Je ne crois pas qu’il y ait d’autres rappeurs qui soient autant allés du côté chanson, mais les gens qui écouteront mes textes ne seront pas choqués. Les influences musicales et les textes sont à peu près les mêmes. Ce qui change, c’est que ça chante un peu plus.
A : Quand on écoute Suicide commercial puis L’homme moderne, on a l’impression d’avoir d’un côté un homme très colère, et de l’autre quelqu’un de très résigné. Ça correspond à une évolution personnelle de ta part ?
B : Complètement. Au moment où j’ai fait L’homme moderne, j’avais craché toute ma bile, j’étais un peu blasé, mais blasé d’une manière agréable. J’avais juste envie de montrer mon attitude et dire qui j’étais. Un peu de cynisme, un peu d’ironie… J’avais juste envie de kiffer et libérer ma voix. J’avais plus envie de ce truc du rap : le bonnet, le micro et la main crispée. Ce n’était pas moi. J’avais envie de me mettre à poil.
A : Est-ce qu’il y a eu un déclic particulier dans ce changement ?
B : Je suis parti au Japon pendant quelques mois. De là-bas, tout m’a semblé tellement ridicule : cet album de Puzzle qui sortait, le rap… Je me suis dit « Putain, qu’est-ce que je fais ? C’est n’importe quoi… » J’ai eu tout d’un coup une haine du rap. Je me suis dit qu’on était vraiment les yéyés : on essayait de faire les Américains avec nos bonnets, nos baskets et nos stupides baggys… Je nous ai trouvé ridicules. En revenant à Paris, j’ai quand même fait les concerts, mais il y avait cette idée qui restait en moi. Je me sentais dans une parodie. Pourtant, j’estime que Puzzle était l’un des groupes le moins parodique mais il y avait quand même ce truc qui me dérangeait. « Ouais on fait des sons à la Primo ! On fait des machins à la machin ! » Toujours faire à la, à la, à la… Putain, on est un pays de culture, on a des gens qui ont inventé tellement de choses, pourquoi être comme ces chanteurs indiens qui imitent Elvis ? Stop ! Je n’avais plus envie d’être ça. Je voulais que ça soit plus français. Et en ça, j’ai réalisé une chose : je me suis dit que finalement, MC Solaar était peut-être le seul rappeur français à avoir fait un vrai album de rap français. Lui et Oxmo dans son dernier album. Tout le reste, c’est de la parodie. NTM, c’est super, OK, mais bon, c’est une parodie où il faut se déguiser comme Redman. Alors que Solaar, il avait une identité française – un peu inspiré des États-Unis avec la Native Tongue, soit – mais avec le recul, je me dis que c’est lui le plus classe. Il mériterait d’être récompensé rétrospectivement pour ce qu’il a fait. Et Oxmo devrait avoir plus de représentativité que ce qu’il a, car il le mérite.
A : Pourtant, aujourd’hui, le public rap lui reproche presque d’être opportuniste…
B : Alors que pas du tout. Oxmo, je l’avais rencontré sur la tournée Opération Freestyle de Cut Killer. A l’époque, j’étais quelqu’un de très renfermé, je n’avais même pas parlé avec lui. De le voir, j’étais fasciné, il avait énormément d’humour, il avait un vrai charisme. Donc ça ne m’étonne pas qu’il sorte du cadre. C’est pas un p’tit mec.
« J’ai eu tout d’un coup une haine du rap. Je me suis dit qu’on était vraiment les yéyés : on essayait de faire les Américains avec nos bonnets, nos baskets et nos stupides baggys… Je nous ai trouvé ridicules. »
A : Quel auditeur de musique es-tu aujourd’hui ?
B : J’ai beaucoup changé. Avant, je n’écoutais que du rap et j’entendais le reste. Mais j’ai toujours eu des goûts très bizarres : je suis capable d’aimer le dernier single de dance pourrie et Leonard Cohen. Je crois que je n’ai pas de goût, musicalement. Je m’en fous un peu. Quand quelque chose me touche, ça me touche, que ce soit un truc d’adolescent prépubère ou un truc de connaisseur jazzman. Je suis malheureusement ouvert à tout. J’adore Wham! C’est peut-être le groupe que j’ai le plus aimé dans ma vie alors que c’est vraiment un truc de péquenot ! J’étais fan, je connais presque toutes les chansons par cœur, je faisais des chorégraphies à mes parents quand j’étais petit ! Ma mère écoutait Jean-Sébastien Bach et mon père écoutait du jazz. Finalement, j’ai été baigné entre la culture la plus merdique et les trucs les plus pointus. J’ai cette culture un peu hybride et rien ne me fait peur. Je ne méprise personne et je n’adule personne non plus.
A : Tu es le fils d’un célèbre designer français, Pierre Paulin, qui est décédé l’année dernière. Quelle relation avais-tu avec lui ?
B : Ça a été difficile quand j’ai dit à mes parents que j’arrêtais l’école à 16 ans. Pour mon père, le rap, c’était vraiment une blague. Il n’avait jamais compris, mais il a accepté. On a toujours eu un rapport très conflictuel, mais quelque part, je crois qu’il me faisait confiance. Il devait se dire qu’il y avait peut-être une raison qui lui échappait parce qu’il était trop vieux, mais après tout je devais savoir ce que je faisais. Un jour, avec Puzzle, on a gagné un prix et on a eu la page Culture dans Le Monde. Il y avait une grosse photo de nous. Là il était super fier, j’étais dans le journal de papa !
A : Il a écouté tes chansons ?
B : Je n’ai malheureusement pas eu l’occasion de lui faire écouter. J’avais un peu honte et c’est quelqu’un qui avait un jugement très dur sur les choses. J’avais peur de le décevoir. Mais je sais qu’il était très fier. Il savait que j’avais signé à Universal, il était persuadé de mon talent – à juste titre ou pas – et il croyait en moi. J’ai été très proche de lui pendant les dernières années de sa vie. Avant, on a eu des rapports très tendus, j’ai toujours été turbulent, je pense qu’il avait du mal à me suivre. C’était un peu le combat de coq mais ma mère recollait toujours les morceaux. Elle m’a toujours épaulé, confiante ou pas. Aujourd’hui elle m’aide beaucoup. Elle aurait préféré que je fasse des études comme les enfants de ses copines mais elle l’a assumé. Finalement, elle est très contente que je ne sois pas un petit comptable poussiéreux. Au moins, je suis mon rêve, même si je ne gagne pas de thunes.
A : Pour faire ce disque, qu’est-ce que tu as du apprendre, et peut-être désapprendre ?
B : Ce qui est très dur pour moi, c’est de me détendre. Je suis un peu un maniaque du contrôle. Je me regarde beaucoup, du coup je m’empêche beaucoup d’excentricité et de lâcher-prise. Ça, ça a été un gros travail. Quand je suis entré en studio, je n’étais pas encore prêt. J’ai commencé à poser des voix, mais ça ne sortait pas. J’ai dit « Stop ». J’ai arrêté le studio pendant quatre mois et j’ai pris des cours de chant intensif avec Raymonde Viret, une professeur qui enseigne le chant depuis cinquante ans. Elle m’a ouvert à moi-même. Quand j’ai commencé à prendre des cours avec elle, j’étais quelqu’un d’autre. J’enfermais une partie de moi-même.
A : C’est presque une psychanalyse…
B : Pour moi, ça a été mieux qu’une psychanalyse. Aller chercher sa voix au fond de soi, c’est se mettre à nu. Quand tu sors ta vraie voix, les larmes te montent aux yeux. Tu vocalises, tu montes, tu montes et tout d’un coup, tu sens que ta voix monte de tes entrailles. Là, tu touches à une vérité. C’est comme si, en psychanalyse, tu dénouais un truc enfoui en toi depuis longtemps. C’est fou. C’est un plaisir qu’on ne peut pas expliquer. Pourtant, au début, je n’y croyais pas du tout. Je me suis dit « C’est quoi cette vieille avec son collier à perles et son vieux piano blanc pourri ? Elle me parle de chanteur mort que je connais même pas ! ». Je la prenais pour une ringarde mais j’avais envie d’apprendre. Ça s’est passé en plusieurs étapes : d’abord, elle m’a dit que ce que je faisais, c’était de la merde. Elle avait entendu mes maquettes et d’après elle, j’étais nul. Aucun charisme, aucune voix. Elle a fait un travail de cassage sur moi, j’avais envie de mourir ! Mais je me suis accroché : les mois ont passé, ça a commencé à sortir, il y avait une lumière au bout du tunnel. Plus ça avance, plus la lumière est là, plus je progresse. Et plus je progresse, plus je vois qu’il y a encore à faire. C’est super. Je ne serai jamais Patrick Fiori, mais le but, c’est de trouver cette liberté. Là, j’apprends à jouer de la guitare et du piano, ce sont d’autres plaisirs que je veux atteindre aussi. Finalement, j’ai l’impression d’avoir attendu trente ans pour commencer à m’intéresser à autre chose qu’à mon nombril. Ma crise d’adolescence a duré jusqu’à trente ans.
A : Devoir interrompre l’enregistrement de l’album pour apprendre à chanter, ça t’a fait perdre confiance en toi ?
B : Je n’ai pas eu de perte de confiance, mais je n’étais pas habitué à fonctionner de cette manière. Chanter et rapper, ce sont deux choses très différentes. Il y a peu, j’ai fait ma première scène en chanson à l’Alhambra. Quand tu arrives sur scène pour rapper, tu peux serrer le ventre, te mettre en dedans et boum, ça sort. Tu es dans une espèce de violence. Alors que pour chanter, tout doit être ouvert. Tu es à poil. Si ta voix ne sort pas, t’es mort. Le chant, c’est sincère. Le rap, ça l’est moins, sauf pour certains rappeurs. J’imagine qu’un Joeystarr a cette sincérité, car c’est un animal de scène. Mais pour beaucoup, rapper c’est avancer masqué. Tu peux te cacher derrière des belles phrases alors que dans le chant… Tu vois, je n’aime pas Pascal Obispo mais quand il fait ses trucs, crois-moi, il y croit. Car s’il n’y croyait pas, ça s’entendrait. Il y a des mecs qui font de la merde par pragmatisme pour la ménagère, mais ça ne marche jamais. Les mecs qui marchent, ils y croient. Johnny Halliday, Obispo, Joeystarr, ils aiment ce qu’ils font, ils sont en adéquation. Moi, dans le rap, je n’étais plus en adéquation : tout passait par le cerveau et plus rien par le ventre. Il fallait que je laisse parler l’animal.
A : Quand j’ai entendu parler de ton disque de chansons, j’imaginais quelque chose de très français. Et finalement, le disque a quelque chose de très américain, avec des influences soul assez fortes. Comment s’est construite cette direction artistique ?
B : Toute la direction artistique a été faite avec Logilo. On a pioché dans ses disques, on a choisi des boucles, il a composé des beats… Ensuite, j’ai écrit mes chansons sur les boucles de Logilo. J’ai crée les parties mélodiques, les couplets, les refrains, les évolutions… J’ai fait écouter ces maquettes à Regis Cecarelli, qui a notamment co-réalisé l’album Chambre avec vue d’Henri Salvador, Entre deux de Patrick Bruel, le premier album d’Abd Al Malik… C’est un mec qui a une grande culture musicale, il aurait très bien pu me juger en disant que je chantais à moitié. Mais il a trouvé ça super frais et il a voulu le sublimer. Mes morceaux qui étaient des bouts de trucs sont devenus des chansons grâce à lui et tous les musiciens qui ont joué sur l’album : Laurent Vernerey, Julien Schulteis, Cyril Barbesol, Eric Chirolles aux cuivres… Je ne vais pas faire semblant : je ne comprenais rien à ce qui se passait. C’est Régis qui a tout géré musicalement. Ça allait tellement vite, les mecs étaient tellement pro…
A : Ça devait pas être évident, ce passage de flambeau entre les samples et les orchestrations…
B : Ça a été assez fluide parce que Régis a fait évoluer les morceaux, mais en gardant le côté hip-hop. Ce côté « boucle ». Il a volontairement bouclé les batteries pour garder cette récurrence, ce truc lancinant du hip-hop. Il voulait garder l’énergie de cet album. On a tout fait avec des bêtes de musiciens, et il a rajouté exprès des vieux sons de synthés pour garder une ambiance moderne. Il est très fort là-dessus.
A : Il reste des traces de samples sur l’album ?
B : Il en restait une sur le morceau « Tout va bien », on avait un sample des Tams. Finalement, les ayant-droits ont refusé de nous donner l’autorisation, ce qui est dommage. Du coup, on a du refaire le morceau. Malheureusement, le morceau me plaît beaucoup moins comme ça. Il était super dans la version avec le sample, mais maintenant… Il avait un groove incompréhensible, là il a perdu ce côté absurde et chaotique qui le rendait super fort.
A : L’un de tes points forts, c’est ce sens de la formule presque automatique. Il y a une méthode derrière ça ?
B : Je dis souvent que les Brassens, les Brel et les Ferré viennent d’une autre époque que la nôtre. Ça ne sert à rien de faire ce qu’ils faisaient. Ils avaient les influences qu’ils avaient. Moi, mes influences, c’est les séries américaines, la télé, les émissions de variété, le rap, la culture trash, Internet, la publicité ! C’est une telle influence la publicité, on a été bercé par ça. Comment ne pas être dans la formule ? Moi, je suis dans la formule parce tout n’est que formule. Je ne balance que des slogans, j’écris des bouts de phrase et tout d’un coup je crée le sable qui les relie entre elles. C’est comme ça que j’écris. Je prends tout plein de phrases, je me dis « C’est cool, elles s’emboîtent… comme un puzzle ! » Et puis j’ai un morceau.
A : Aujourd’hui, tu te sens à ta place dans la chanson française ?
B : Non, et je crois que malheureusement, c’est un problème qui me suivra toute ma vie. Je ne fais jamais partie des clans. J’étais comme ça petit, je suis comme ça maintenant. Dès que les gens sont d’accords avec moi, je commence à me dire que j’ai tort.
A : Est-ce qu’il y a des points communs entre le milieu de la chanson et le milieu rap ?
B : Je pense que l’hypocrisie est la même dans tous les milieux. Mais bon, globalement, ce sont des gens qui veulent y arriver et je n’ai pas envie de tirer sur l’ambulance. C’est dur pour tout le monde aujourd’hui, aussi bien pour les rappeurs que les chanteurs. C’est tellement dur que pour vouloir se lancer dans la musique, il faut vraiment être sûr de vouloir le faire. Si le but est de gagner de l’argent, mieux vaut aller travailler dans la banque ou vendre de l’héroïne, et arrêter tout de suite la musique.
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