Beat Assailant, le rappeur du No Man’s Land
Rappeur d’Atlanta installé à Paris, Beat Assailant mène depuis dix ans une carrière 100% française, d’albums en festivals. Rencontre avec un expatrié du rap au profil énigmatique.
La scène se passe un soir du printemps 2003, dans un gymnase à Paris, vers la place du Colonel-Fabien. Chaque jeudi, des basketteurs amateurs d’horizons différents se retrouvent pour s’entraîner. Il y a des étudiants, des journalistes de Radio France, des cadres alpha male, un pivot monolithique, et un jeune type taciturne qui débarque toujours avec un énorme casque sur les oreilles. Le type s’appelle Adam.
Quelques semaines après cet entraînement, la rédaction encore embryonnaire de l’Abcdr se réunit. Un fanzine rap traîne sur une table. A l’intérieur, je reconnais le visage d’Adam. Le mec est rappeur ! Il vient d’Atlanta et se fait appeler « B.A. » A l’entraînement qui suit, je lui en parle, il me fait écouter quelques uns de ses morceaux sur son casque énorme. C’est bien du rap.
Six ans ont passé, le jour où je tombe par hasard sur une vidéo YouTube de Beat Assailant. Le nom est à la fois familier et flou : chez les disquaires et sur les affiches de festival, je le repère souvent, sans savoir s’il s’agit d’un rappeur anglais ou d’un groupe électro sans visage. Gros choc : le type qui fait son playback dans une limousine, avec Cécile de France dans le rôle du chauffeur, c’est le type des matchs de basket.
Rappeur américain à la carrière française, Beat Assailant a donc sorti quatre albums en sept ans (le dernier, B, est sorti l’année dernière). B.A. a joué dans les plus gros festivals de France mais pourtant, il n’est presque pas identifié sur la scène rap. C’est un rappeur du no man’s land – ni vraiment d’ici, ni vraiment de là-bas.
Lorsque je le rencontre à nouveau, un soir de février 2013, Adam se marre quand je lui rappelle l’épisode des entraînements à « Colonel Fabien ». Désormais âgé de 36 ans – il en fait dix de moins – il parle spontanément en français, mais l’interview se fera en anglais. Première info : depuis qu’il a dû assurer une tournée avec une entorse à la cheville, Beat Assailant a arrêté le basket.
Abcdr du Son : Tu es originaire d’Atlanta mais tu es né en Floride.
Beat Assailant : Oui, mais j’ai très peu de souvenirs de cette époque. Quand on a déménagé, j’étais en CE1. Je devais avoir sept ou huit ans.
A : Il y avait beaucoup de musique autour de toi quand tu étais petit ?
B : Ouais, mes parents n’étaient pas musiciens, mais ils étaient tous les deux des amoureux de musique. Entre leur curiosité naturelle et le job de mon père, qui travaillait dans une station de radio, on s’est retrouvé avec des tas de disques à la maison. Mon père a travaillé avec des stations différentes – des radios rock, des radios pop, des radios urban – donc j’ai été exposé à plein de styles.
A : Il était animateur ?
B : Non, il était côté business. Il vendait des espaces publicitaires, mais il ne passait pas à l’antenne. On a quitté Miami quand il a décroché un job à Atlanta, sur Z-93.
A : Les premiers disques marquants pour toi, c’était quoi ?
B : J’aimais les Stones, Queen, puis tous les gros tubes. Tout ce qui passait sur MTV, en gros. C’est vraiment la culture dans laquelle j’ai grandi. Des trucs comme Van Halen, ou « I Can Drive 55 » de Sammy Haggar. Je me rappelle de tous ces clips. Et petit à petit, il y a eu le rap. Mes potes écoutaient Run–D.M.C., mais moi je suis vraiment tombé dedans avec les Beastie Boys. Je suis devenu dingue avec License to Ill. Je ne me rappelle pas l’âge que j’avais, mais je me rappelle de cette cassette que j’écoutais en boucle, et cette pochette avec l’avion écrasé. Ces mecs étaient tellement cool, ils avaient l’air de s’éclater dans leurs clips… Ils avaient l’air libres, et ça m’attirait énormément. Comme mon père voyait énormément d’artistes passer à la radio, il m’avait permis de les rencontrer. J’ai encore un numéro de Spin Magazine dédicacé par le groupe.
A : Tu leur avais parlé ?
B : Je me souviens juste qu’il y avait beaucoup de monde, mon père a du dire « Voilà mon fils, il adore ce que vous faites, est-ce que vous pouvez lui signer un autographe ? » Je suis sûr que j’ai du rester prostré devant eux sans décrocher un mot. [rires]
A : Tu écris tes premières rimes à quel moment ?
B : Je devais avoir treize ou quatorze ans. Presque tous mes amis avaient commencé à écrire des textes. Ils avaient formé un petit collectif dont j’ai oublié le nom. Ils faisaient leurs propres cassettes à partir de faces B, et ça, pour moi, c’était le truc le plus cool du monde. On peut faire nos propres cassettes, comme celles qu’on écoute ! Pour moi, enregistrer de la musique, c’était un vrai mystère.
A : Tu te faisais déjà appelé Beat Assailant ?
B : Non. Le premier nom qu’on m’a donné – parce qu’en ce temps-là on te donnait un nom – c’est MC Geronimo. L’un des plus anciens dans le groupe, qui s’appelait Jason Jones, m’avait dit que je ressemblais à un genre d’Indien bizarre, alors ils m’ont appelé Geronimo. Mais ça n’a pas duré longtemps.
A : Tu vivais dans quel coin à Atlanta ?
B : J’ai grandi dans le district de Buckhead, juste à côté d’un quartier appelé Chastain Park. C’est situé dans le nord de la ville. A l’époque où j’ai grandi, Atlanta était une ville divisée. En gros, il y avait les Blancs au nord et les Noirs au sud. Il n’y avait pas beaucoup de mélanges. Mes parents voulaient que j’aille à l’école au meilleur endroit possible, alors on s’est installé à Chastain, où il n’y avait que des blancs. Tous mes amis de l’école primaire, qui était noirs, étaient à trente minutes de distance. Chastain, c’était cool, il y avait plein de terrains de sport, et il y avait aussi un amphithéâtre en plein air. Chaque été, plein de groupes mortels venaient y jouer. Je me rappelle avoir vu des concerts de James Brown, Sade ou Blind Melon, un groupe de rock alternatif de cette époque. Je me faufilais dès l’après-midi, et je regardais les sound check à travers le grillage. Par la suite, je suis devenu un peu malin : je laissais les gens se garer dans notre rue, et je prenais un peu d’argent en retour. A 5 dollars la place de parking, je me faisais 20 dollars chaque week-end. Pour le gosse que j’étais, c’était énorme !
A : Niveau rap, à cette période-là, avais-tu des influences d’artistes locaux à Atlanta ?
B : Carrément. Le plus gros truc à cette époque, c’était Kris Kross. Ces gosses étaient comme nous, ils s’habillaient comme nous, ils parlaient comme nous. Quand « Jump » est devenu numéro un des ventes, ça a vraiment été quelque chose d’énorme. Grâce à ça, on a pu se dire « Mais nous aussi on peut y arriver ! »
A : Je suis obligé de te poser une question : à l’époque de Kris Kross, vous mettiez vraiment vos fringues à l’envers ?
B : Mais bien sûr que oui, tout le monde le faisait ! Ça a pas duré longtemps, mais le temps que ça a duré, ça a été un raz-de-marée. C’était Totally Krossed Out. « Jump » a marqué le début de l’émergence de toute cette scène d’Atlanta – les Jermaine Dupri, LaFace Records, Dallas Austin… Tout le monde s’est mis à chercher des groupes d’Atlanta.
En ce temps-là, on rappait depuis un an ou deux, ça devait être notre première année de lycée. Mon pote Devin et moi, on était les plus jeunes du collectif, alors on a décidé de monter un groupe ensemble – on se fait appeler The Kreed. Il avait des dreads pas possibles moi j’avais une afro géante. Un après-midi, on traînait au centre commercial, quand deux producteurs de LaFace Records, Tim & Ted, nous ont repérés. Ils se sont approchés et nous ont dit « Vous, vu votre dégaine, vous devez rapper. » On leur a répondu « Ouais, et on peut vous montrer ce qu’on sait faire. » On est allé dans leur voiture – qui était dingue – ils ont mis une instru et on s’est mis à rapper, comme ça, dans le parking de l’hypermarché. Ils ont kiffé, et ils nous ont pris sous leur aile. C’est là qu’on a commencé à se dire que la musique pourrait nous emmener quelque part. On s’est retrouvé dans des vrais studios, avec des vrais producteurs, à enregistrer des maquettes. Tim & Ted travaillaient avec Usher à l’époque. TLC commençait à cartonner, OutKast allait sortir son premier album…
A : Il y avait Arrested Development aussi.
B : Exact. Ils cartonnaient aussi, mais ça n’avait pas le même impact sur nous. On ne s’identifiait pas à eux comme on avait pu s’identifier à Kris Kross. C’était une époque incroyable en tout cas. La scène des open mics se développait, il y avait des rappeurs, du breakdance, du graffiti. Ça partait dans tous les sens. Un ami à nous avait ouvert une boutique appelée Rowdy Records. C’était un concept store avant l’heure, entre musique et lifestyle. Il y avait tout le monde là-bas. Le soir, après la fermeture, il faisait venir des rappeurs et des DJ, et ça rappait. On y passait nos journées et nos nuits. C’est là qu’on a rencontré DJ Sol Messiah de la Zulu Nation. Tous ces gens nous ont apporté beaucoup de connaissances sur le hip-hop. Nous, on avait de l’énergie à revendre et de la bonne volonté, mais on n’avait aucune idée de ce qu’on faisait. On écrivait des rimes, et dès qu’on était fatigué d’écrire, le morceau était fini. Eux nous ont appris à écrire à la mesure, à ne pas bégayer pendant les cyphers… C’était une immersion culturelle complète. On est arrivé au bon moment, avec les bonnes personnes.
Il y avait aussi à Atlanta une grosse conférence appelé Jack The Rapper. Toute l’industrie de disque se déplaçait. Comme mon père bossait à la radio, et comme le père de Devin était chez Motown, on s’arrangeait toujours pour choper des places. Il y avait des concerts, des conférences, mais le truc le plus mortel, c’était les sessions freestyle dans les halls des hôtels. Tu pouvais voir le mec d’Arrested Development au piano, avec Slimkid des Pharcyde entrain de rapper à côté de lui. Je me rappelle aussi d’une fois où 2Pac est venu, et ça a causé une véritable émeute. Mais le truc le plus cool, ça a été un cypher avec Q-Tip. C’était tout simplement incroyable. Nous, des cyphers, on en avait fait, mais de voir la façon dont il contrôlait sa performance, l’énergie qu’il y mettait… On s’est retrouvé face à un niveau de maîtrise hyper élevé, et ça nous a montré le chemin qu’il restait à parcourir.
« Je n’ai jamais envisagé de faire une carrière dans la musique avant d’arriver en France. »
A : Jusqu’à quel degré de professionnalisation es-tu allé pendant cette période ? Est-ce qu’il a été question de sortir un album ?
B : Oui, on a essayé. Pendant un temps, on a vraiment cru que ça pourrait arriver. Et puis non. Avec le recul, je pense que tu ne peux pas faire de la musique à 50 ou 60%. Si tu veux vraiment y arriver, il faut t’investir à 100%. Nos parents nous soutenaient, c’était cool, mais personne ne nous poussait vraiment à nous concentrer sur la musique. C’était quelque chose qu’on faisait après l’école, après les potes, après le sport… On savait qu’on était bons, mais on n’envisageait pas ça comme une carrière. Si on avait été plus déterminés, je pense qu’on serait allé beaucoup plus loin. Mais ça restait uniquement de l’amusement. On n’avait pas cette mentalité « Ride or Die ». On n’avait pas de détermination.
A : Tu arrives en France en 2002. Dans les années qui précèdent, tu fais encore du rap ?
B : Oui, bien sûr. Je suis allé à la fac à l’Université de Géorgie. Il y avait 30 000 étudiants, donc c’était cool. J’ai rencontré plein de gens qui étaient originaires de tout le pays. Il y avait aussi beaucoup d’artistes, comme Danger Mouse. Là aussi, on rappait presque tous les soirs, mais encore une fois, c’était du temps libre. Je voulais faire une école d’avocat, et j’étudiais la psychologie.
A : On entend souvent des histoires sur les artistes qui quittent l’école pour faire de la musique, mais ce n’est pas vraiment ton cas, en fait…
B : Pas du tout, moi c’était l’école en priorité. Je n’ai jamais envisagé de faire une carrière dans la musique avant d’arriver en France.
A : Je voulais justement te demander si tu avais déjà imaginé quelle aurait été ta carrière si tu n’étais pas venu ici…
B : Je sais quelle vie j’aurais eu, pour ça il me suffit d’observer mes potes de l’époque. Je peux voir ma réalité alternative. J’habite à Atlanta. Je suis un avocat dans le sport ou dans l’industrie du spectacle. Je négocie des contrats pour des artistes ou des joueurs de basket. Je visualise ça complètement.
A : Qu’est-ce qui provoque ton départ vers la France ?
B : J’ai fini l’école, j’ai passé des examens pour entrer en école d’avocat. Puis j’ai eu une année de battement. L’une de mes cousines habitait à Paris, et elle fêtait son anniversaire de mariage. Elle m’a invité. Moi, je n’avais jamais vraiment quitté les États-Unis, donc j’ai dit OK, on verra bien ce que ça donne. Et ça a été un truc de dingue. J’ai été tellement impressionné par Paris que je n’ai plus voulu rentrer à la maison. C’était tellement excitant d’être là, je voulais toujours en découvrir davantage. J’ai donc décidé de rester quelques semaines. C’était mortel, je me suis éclaté comme jamais, alors les quelques semaines se sont transformées en quelques mois. J’ai trouvé un petit studio rue de Courcelles. Mon pote Devin m’a rejoint. Une fois qu’il a été là, on a recommencé à faire ce qu’on a toujours fait : de la musique, tout le temps, et faire la fête, et refaire de la musique, un peu de sport par ci, par-là, puis encore de la musique. C’est comme ça que j’ai commencé à faire des rencontres. A cette époque, je sortais chaque soir de la semaine.
A : Tu avais un boulot ?
B : Mmmh, non. Non… Comme dirait Rick Ross, « Everyday we’re hustlin' » !
A : Est-ce que je te dois te poser une question sur le « hustle » ?
B : Non ! Enfin bref, on s’amusait. L’un des premiers types qu’on a rencontré avait un studio à Bagnolet. Il faisait partie de ce crew appelé Démocrates D.
A : Black Jack. Tu as participé à son album solo d’ailleurs.
B : Oui, voilà. On a fait la connaissance de Black Jack, et par son intermédiaire on a rencontré Jimmy Jay. Il a produit notre première démo. Le seul rappeur français que je connaissais avant d’arriver en France, c’était MC Solaar. Et au bout de quelques mois ici, je me retrouve à co-produire un titre avec lui pour l’album de Black Jack. Je me suis dit, merde, il y a moyen de faire des trucs ici. Il y a des bons producteurs, des instrus mortels, des musiciens qui défoncent… Pourquoi ne pas tenter le coup ?
« A Paris, j’avais l’impression que chaque jour était une nouvelle aventure. »
A : En tant qu’Américain, tu as été surpris par ta découverte du rap d’ici ?
B : La culture du hip-hop en France est la raison pour laquelle je suis resté en France. Aux États-Unis, tu es isolé. America is the only way, America is the best… Mais en arrivant ici, je me suis senti immédiatement à l’aise. Si je fermais les yeux, je pouvais me sentir chez moi. Il y avait des gens qui avaient bien plus de culture hip-hop que la plupart de mes potes américains. Ils connaissaient toute l’histoire de A à Z. C’est peut-être lié à la distance : comme la source est éloignée, ça renforce l’envie de tout connaître. Quand j’ai vu la passion et la culture des gens en matière de hip-hop, je me suis dit que j’avais aussi quelque chose à offrir. Je ne pouvais pas partir !
A : A quel moment as-tu commencé à travailler sur ton premier album ?
B : Devin et moi, on avait rencontré un duo de producteurs électro appelés Red Room. On les a rencontrés à une soirée chez eux. Ils faisaient du son, alors on est allé dans leur cave, là où ils avaient leur studio, et on a rappé, comme au lycée. On a fait un premier morceau juste avant les vacances de Noël. Devin et moi, on est retourné ensuite aux États-Unis, mais Devin n’a pas pu revenir à la rentrée. De son côté, Max, la moitié de Red Room, avait arrêté le groupe avec son pote. Et moi je me retrouvais sans Devin. On s’est revu, Max m’a fait écouté le mix du morceau fait au mois de décembre, on a discuté de nos potes respectifs qui nous avaient lâchés, et on a décidé de faire une démo tous les deux. Il avait les instrus, j’avais les raps… Ça a été le départ du premier album.
A : Aujourd’hui, tu as quatre albums derrière toi. Tous sont sortis en France uniquement ?
B : Non. Le premier album est d’abord sorti aux États-Unis, à l’été 2004.
A : Comment a-t-il accueilli ? Je me suis toujours demandé ce qu’il se passait avec ta musique là-bas.
B : Pas grand-chose. Le truc, c’est que je n’ai jamais été sur place pour la défendre. Honnêtement, le premier single a vraiment bien marché. Nous, on était prêt à presser quelques CD et croiser les doigts, mais on a eu un partenaire aux États-Unis qui a cru au projet. Il nous a déniché un deal de distribution. On ne s’attendait à rien, mais il y a eu une très forte demande. On s’est retrouvé numéro 1 sur certaines radios universitaires, on a du faire trois pressages. Ça a tourné partout dans le monde, et d’ailleurs Paris est l’un des derniers endroits où le morceau a commencé à tourner grâce à Radio Nova. J’ai essayé de retourner aux États-Unis pour avancer là-bas, mais c’était compliqué. Après être parti pendant si longtemps, et après avoir tout fait à Paris, c’était une vraie prise de tête de gérer aussi le développement aux États-Unis. Les tournées, la promo, l’étendue du territoire… Tout était compliqué. En plus, Paris me manquait. J’étais rentré chez moi mais je n’étais pas heureux. Il me manquait cette excitation qui était à la base du projet.
A la fin 2004, je suis revenu en France. En novembre, le label m’a proposé de participer aux soirées Nuits Zébrées de Radio Nova. On a monté un groupe. Il y avait Max, Thibaut à la trompette, Vincent au trombone, Guy à la basse, Nico au clavier et Steve à la batterie. Il y avait aussi Jeffrey et Warren, deux saxophonistes, et deux choristes : Guy, un mec d’Atlanta que j’avais rencontré à Paris, et Perle Lama. Ça a été la formation pour le premier album.
A : Qu’est-ce que Paris avait de si attirant ?
B : Je ne sais pas. Quand tu restes dans l’endroit où tu as grandi, tu es dans la vie quotidien [en français dans le texte, NDLR], tu finis par ne plus apprécier la beauté de chaque jour, tous ces trucs là. Elle est là, devant toi, mais tu ne la vois pas. Mais à Paris, j’avais l’impression que chaque jour était une nouvelle aventure. Ici, chaque matin, tu vas découvrir quelque chose de totalement nouveau. Une rue, un quartier… Chaque putain de journée. C’était une inspiration incroyable, toutes ces nouvelles sensations, toutes ces nouvelles informations. Aucune autre ville ne m’a fait cet effet-là. Parfois, je prenais mon ballon de basket, je partais en balade, et je me perdais dans la ville.
A : Quand je pense à Beat Assailant, je ne pense pas à un rappeur américain, dans le sens où ta carrière n’est pas américaine. Mais je ne pense pas non plus à un rappeur français. Tu es entre les deux.
B : Oui, mon histoire est unique, donc c’est difficile de me catégoriser. Je ne suis pas exactement un rappeur US, même si je suis né et j’ai grandi là-bas, je ne suis pas sur ce marché là. Et même si je suis présent en France, je ne suis pas d’ici.
A : Tu te considères reconnu par tes pairs ici ?
B : Je ne sais pas. Il faudrait poser la question aux rappeurs français !
A : Tu as l’accent du Sud quand tu parles, mais ça ne s’entend pas nécessairement quand tu rappes. C’est volontaire ?
B : J’ai un accent, mais il n’est pas si prononcé que ça car je ne suis pas né à Atlanta. Et ma musique ne correspond pas forcément aux canons du rap à Atlanta. C’est un rap que j’apprécie, mais je ne cherche pas à mettre ça en avant.
A : Je vais essayer de te poser cette question sans être trop maladroit, mais es-tu métis ? On dirait que tu pourrais être originaire de plein de pays à la fois…
B : Beaucoup de gens me posent cette question, mais non, je ne suis pas métis. En gros, je pourrais venir d’à peu près n’importe quel pays où les gens ont la peau sombre. Certains me disent que je suis éthiopien, d’autres indien… On me demande toujours d’où je viens. Mais mes parents sont américains sur plusieurs générations.
A : Tu as joué dans les plus gros festivals en France, des festivals auxquels certaines têtes d’affiche du rap français n’ont pas forcément accès. Tu as conscience de ça ?
B : Complètement. Être capable de se connecter avec les gens qui écoutent ta musique, c’est essentiel. Tant que tu peux offrir un show de qualité, tu auras une carrière. C’est ça, l’entertainment. Faire en sorte que les gens passent un bon moment, pendant une heure ou deux. Leur faire oublier leurs problèmes. C’est ça, le plus important.
A : Combien de concerts as-tu fait au cours des dernières années ?
B : Je n’en ai aucune idée… Quelque chose comme 300 ou 400.
A : Quels sont tes meilleurs souvenirs de scène ?
B : J’aurais du mal à faire un Top 10, tellement il y en a eu. On a joué dans la Cité Interdite à Pékin. Je ne sais même pas s’il y a eu un autre concert de rap là-bas. L’un des plus fous, récemment, ça a été la Love Life Parade à Paris. On a joué sur un char sur la place de la Bastille, avec des dizaines de milliers de personnes dans toutes les directions. Je n’aurais jamais pu imaginer un truc pareil. Arriver à Paris avec rien, et me retrouver là, c’était fou. On n’était pas là pour l’argent, c’était juste pour une bonne raison, pour la bonne cause [en français]. De manière générale, tous les concerts que j’ai pu faire à Paris ont un caractère particulier. Que ce soit dans des bars, au Bataclan, à Solidays…
A : En écoutant tes albums, j’ai essayé de capter quelques influences. Il y a des clins d’œil ici et là. Quelles sont-elles, au-delà de la dimension organique de ta musique ?
B : Je ne me fixe aucune limite. C’est comme le sampling : tu reprends ce que tu aimes. Moi, j’écoute du rock, le jazz, la soul, la trap music… J’aime beaucoup de choses et elles apparaissent dans ma musique. C’est excitant pour moi, cette recherche. Je ne veux pas répéter la même formule. Quand mon premier album est sorti, on lui a collé l’étiquette jazz-rap, et ça m’a énervé. Je comprends le raisonnement derrière ça, mais moi je me considère juste comme un MC.
A : Beaucoup d’articles à ton sujet font l’allusion classique sur le fait que tu t’éloignes des « clichés du rap »… Alors que tu as des morceaux où tu parles ouvertement d’argent, par exemple.
B : Je raconte juste ce que je ressens. Je ne veux pas être le rappeur politique, le rappeur militant ou le rappeur religieux. Moi, je fais juste de la musique. Si je suis en galère parce que j’ai des factures à payer, je vais le dire. Mais je ne veux surtout pas donner de leçons aux gens. En tout cas, je confirme, tout dans ma musique n’est pas gentillet, enfantin – « ooh, petit bonhomme » [en français] – rien à voir. Enfin je sais pas… De toute façon la plupart des journalistes ne connaissent rien au rap, donc bon…
A : Quel regard portent tes proches sur ta carrière ?
B : Mes proches me soutiennent beaucoup, ils sont fiers de moi. La plupart de mes amis viennent me voir quand j’ai un concert. En fait, je suis leur excuse pour pouvoir venir à Paris. Quand je dis que je veux rentrer à Atlanta, ils sont là, « Non non, reste ! »
A : Maintenant que tu as plus d’expérience, tu n’as pas envie de tenter à nouveau une carrière aux États-Unis ?
B : Mon rêve, c’est de parcourir le monde entier avec ma musique. Je veux aller partout. J’aime les voyages, j’aime la musique, et si je peux combiner les deux, c’est parfait. Le game a été très généreux avec moi. J’ai la chance d’avoir pu découvrir beaucoup d’endroits grâce à la musique, et je veux aller encore plus loin avec elle. Le jour où j’aurai l’impression que je n’irai pas plus loin, j’arrêterai. Mais j’ai appris à être heureux de ce que j’ai. J’essaie de faire de la bonne musique, sortir des disques de qualité, des shows qui tiennent la route, et aller de l’avant. Moi, tu sais, je suis dans ma bulle. Et je ne veux juste pas qu’elle éclate !
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