L’oeil d’Armen Djerrahian
Une vie de hip-hop derrière lui, un CV long comme le bras dans la photographie et le clip, Armen aurait pu continuer tranquillement sa carrière en shootant les pontes du rap français. A la place, il a choisi l’expatriation, direction les États-Unis. Explications et premier bilan.
Abcdr du Son : Si on fait le bilan aujourd’hui, quasiment toute ta vie tourne autour du hip-hop…
Armen : Ouais… J’ai quarante ans, et tout a commencé à l’âge de 13 ans. Mes parents étaient en voyage à New York. Là-bas, ils ont filmé des mecs dans la rue qui faisaient la quête en faisant les robots. C’était les prémices du smurf. Cette image-là est restée dans ma tête. A 14 ans, un pote de mon quartier m’a amené à La Grange Aux Belles qui à l’époque s’appelait le Bataclan. Il y avait Afrika Bambaataa, Futura 2000, le Rock Steady Crew et Ramel Zee. En voyant le Rock Steady, j’ai compris ce qu’était ce film que mes parents m’avaient montré un an plus tôt. Le hip-hop est arrivé en France peu de temps après, avec tous les films comme « Beat Street », « Breakin' »… Tout ça, ça m’a parlé très vite.
A : A tes débuts, comment tes origines arméniennes étaient perçues ?
Armen : A mon époque personne ne savait ce que c’était d’être arménien. Même Aznavour n’en parlait pas. Pour les autres, j’étais ou reubeu, ou portugais, ou espagnol. On ne m’a jamais appelé Armen quand j’étais petit. J’allais à l’école, c’était « Ahmed », ils pensaient qu’il y avait des fautes d’orthographe sur mon nom. J’ai été habitué à un mélange culturel depuis très petit et le hip-hop correspondait exactement à ma vision : un mélange de races sans racisme où le seul truc sur lequel t’es jugé, c’est ta performance. Il faut savoir qu’en 84/85, le hip-hop était un microcosme. La majorité des mecs étaient danseurs, graffiti artists, rappeurs, beatboxeurs… Il fallait tout faire. Moi, j’ai choisi le breakdance. Après, ça a dévié vers le graffiti… Mais en grandissant, la Zulu Nation et compagnie, ça m’a un peu gavé…
A : Pourquoi ?
A : Parce qu’en France, la personne qui s’occupait de la Zulu Nation – Queen Candy à l’époque – a fait de ça une secte. Elle est arrivée avec des délires qui n’existaient pas aux Etats-Unis : faut pas fumer, faut pas boire, faut pas baiser, faut danser à gauche, pas à droite… J’exagère, mais c’était une doctrine. Quand t’es jeune, c’est marrant, mais quand t’arrives à 16 ans et que t’as envie de faire tes premières conneries, tu te rends compte que ça ne correspond à rien. Un homme qui grandit a besoin de se prouver qu’il est un homme. Les mecs avec qui je traînais faisaient partie des bandes les plus dangereuses de Paris. Je les ai connu à travers la danse, pas au travers de leurs activités diverses et variées. Grandissant là-dedans, avec des mecs que tout Paris craint, il y a un moment où je me suis dit que la Zulu Nation ne voulait plus rien dire. Moi, ce que j’aimais, c’était les battles de danse, le reste, j’m’en foutais.
A : Il n’y avait pas d’idéologie derrière…
Armen : Il y en a eu, mais après je me suis rendu compte que la vie, c’est pas ça. Aujourd’hui, quand tu vois la Zulu Nation, c’est loin du « Peace Unity Love » que ça promettait dans les années 80. La chance que j’ai eu, c’est qu’en parallèle, j’ai commencé à faire du BMX. Je traînais beaucoup au Trocadéro où je dansais avec mon groupe de l’époque, les TMS – j’ai d’abord été dans les TKS dans lequel il y avait des mecs comme Sully Sefil, Lone… On s’entraînait au Val de Fontenay, là où j’allais à l’école. Ensuite, mon pote Téo (R.I.P) m’a emmené au Terrain vague de la Chapelle. J’ai rencontré Nikki qui faisait également du BMX puis Muck, breaker et taggeur mythique de cet époque (lui et Boxer ont retourné Paris fin des années 80). On faisait BMX/hip-hop, on était dans tous les trucs de cette mouvance un peu urbaine des années 80 : l’après-midi je faisais du vélo, le soir je rentrais chez moi, je prenais une douche et de 8 heures à 2 heures du mat c’était hip-hop. Je me tuais le dos à breaker alors que je m’étais déjà tué tous les tibias à faire du BMX.
« Le hip-hop correspondait exactement à ma vision : un mélange de races sans racisme, où le seul truc sur lequel t’es jugé, c’est ta performance. »
A : A quel moment la photographie s’est imposée à toi ?
Armen : Au début des années 90, le hip-hop a changé. Le Globo m’a gavé, j’y allais tous les vendredis. Plus ça allait, plus ça partait en couilles. Bagarres, mises à l’amende, dépouilles… La majorité du temps, c’était mes potes qui faisaient ça, en plus. Moi, je ne me sentais pas là-dedans, je n’avais pas eu cette éducation-là. Mon père a grandi au Liban, mon grand père était militaire. Pour moi, la violence de la rue, c’était de la merde. La violence que je connaissais, c’était recevoir une lettre où on te disait que ton petit cousin avait sauté sur une mine ou qu’un autre s’était fait dessoudé par un sniper. Ça, c’est de la violence. Dépouiller un mec pour ses baskets, mes potes le faisaient, mais moi je trouvais ça ridicule. La majorité de mes potes tombaient en prison, j’avais peur moi aussi de tomber et décevoir ma famille. En plus, mes potes m’avaient dit clairement : « Va pas te foutre dans les emmerdes vers lesquelles on va, car nous on va dans les vraies choses ». Ça n’a pas loupé. Quelques années plus tard, ces gens… ils ont fait leur vie, quoi. J’ai donc décidé de mettre mes activités dans le hip-hop de côté, sans jamais laisser tomber la musique car c’était mon influence principale. Je me suis concentré sur le BMX, et c’est là que j’ai commencé à faire de la photo.
A : Quel regard portaient tes parents sur toi, au moment où tu étais à fond dans le hip-hop ?
A : J’ai grandi avec mes grands parents car mes parents n’étaient pas souvent ici. Ils ne comprenaient rien. Un mec qui tourne sur le dos dans le salon, ça veut rien dire ! Déjà, ils ne comprenaient pas que mon père soit danseur. Quand tu viens du Moyen Orient, un danseur, c’est un homosexuel. Mon père était marié, il avait deux gosses, c’était donc complètement révolutionnaire. Moi, je n’étais pas du tout dans le délire de mes parents mais mes grands parents pensaient que je faisais comme mon père. Seulement ils ne comprenaient pas que je danse dans la rue, que je rentre tard… Ils ne comprenaient pas les hiéroglyphes sur mes cahiers. Et quand ils voyaient ces mêmes hiéroglyphes dans la rue, ils étaient persuadés que c’est moi qui les faisais. Je me suis heurté à beaucoup de choses.
Mes parents ont arrêté leur métier car ils ne nous voyaient plus. Ils sont venus vivre en France, le rêve s’est achevé, ils ont fait des jobs pas vraiment rigolos. Ça m’a forgé. Je me suis éduqué un peu tout seul. Que ce soit dans le hip-hop ou le BMX, j’étais toujours autodidacte. Je suis allé jusqu’au bac sans l’avoir, mais à côté de ça je faisais des piges dans des magazines, je gagnais de l’argent grâce à mes photos. J’avais aussi une société d’importation de vélos. J’ai toujours été investi dans ce que je faisais.
A : Tes premiers contacts avec le monde des médias, c’était quoi ?
A : C’était le bicross. Je n’étais pas assez bon en vélo, donc je suis devenu manager d’un team. J’étais tellement passionné que j’allais dans les librairies type Brentano’s pour choper les magazines en anglais. Je n’entravais rien du tout. Chez moi, on parlait quatre langues : arménien, arabe parce que ma famille a grandi au Liban, anglais et français. Moi, j’étais le seul qui en parlait à peine deux. En France, le seul magazine dédié au BMX, Bicross Magazine, avait besoin d’un mec capable de diffuser l’info ici. Moi, à force de lire les magazines, je savais tout ce qu’il se passait aux Etats-Unis. J’ai donc appris à faire des articles, mais ça m’a gavé. Moi, je regardais toujours les photos. J’étais obnubilé par celles de Spike Jonze. Comme j’avais la chance d’être dans la rédaction du magazine, ils m’ont filé des péloches. On m’a dit « Voilà, la photo, c’est comme ton œil : quand tu mets de la lumière dans la pupille, elle se rapetissit, quand t’as plus de lumière, la pupille s’écarte. La photo, c’est ça. Démerdes-toi. » J’avais de la chance : je ne payais ni les développements, ni les pellicules. Du film, j’en ai gâché, mais j’ai appris tout seul. Je n’ai jamais pris de cours, je n’ai jamais été assistant. Il a fallu que je rattrape beaucoup de temps perdu quand j’ai commencé à faire parler de moi. J’avais des lacunes. Il n’y avait pas le numérique comme aujourd’hui.
A : Comment as-tu compensé ces lacunes ?
A : En trichant, forcément. Au début, tu fais comme tout le monde dans le graffiti ou la danse, tu t’inspires des grands. Tu fais les pas du Rock Steady Crew jusqu’à ce qu’on reconnaisse ton style.
A : Comment es-tu revenu vers le hip-hop en tant que photographe ?
A : Le BMX a eu une période creuse. J’arrivais à un âge où il fallait que je prenne le relais dans ma famille, c’était à moi de faire vivre les autres, je n’avais plus le choix. Le rap français commençait à éclater, j’ai donc mis le vélo de côté et je suis revenu à mes premiers amours. Tous les mecs avec qui j’avais dansé ou fait du graffiti étaient tous devenus rappeurs. On s’est connecté. Mon premier boulot, ça a été pour les Sléo [NDLR : l’album « Ensemble pour une nouvelle aventure »], puis Alliance Ethnik, La Cliqua… Pour apprendre, je m’inspirais : The Source, URB, des mecs comme Jean-Baptiste Mondino, comprendre la lumière en studio… Puis j’ai intégré L’Affiche. J’ai pu me faire les dents mais le level était énorme. Ça allait très vite, les photos devaient être immédiatement publiables. Je faisais les pochettes de disque en même temps que le magazine alors que je n’avais pas de passé. J’ai commencé la photo en 91. En 94 j’avais ma première publication et en 95 ma première pochette de disque. Ce n’est pas beaucoup. J’ai eu de la chance. Ou du talent. Appelle ça comme tu veux.
A : A ton avis, où s’est situé le tournant ?
Armen : A partir du moment où j’ai eu une photo publiée dans un mag avec mon nom derrière, je suis passé du clan de ceux qui doivent montrer leurs photos pour pouvoir travailler à ceux qui les publient. Les premiers sous gagnés dans la photo, ça m’a permis d’acheter du matériel et survivre. Cela dit, je n’ai pas gagné beaucoup d’argent au début. J’avais besoin de me faire un nom, donc je travaillais gratuit. De 1995 à 2000, j’ai fait tout le rap français gratos, à part les groupes signés en maison de disques. Ça représente une trentaine de pochettes, plus toutes les publications : L’Affiche, Get Busy, Authentik… J’avais 25 ans, et c’était dur pour ma famille d’accepter que je fasse un métier où je ne gagnais pas d’argent. C’était une manière très naïve d’exercer mon métier car j’étais passionné. Et quand t’as une passion, tu mets de côté tout ce qui est pécunier. Même si mes parents étaient conciliants, au bout d’un moment on m’a dit « Bon c’est bien sympa ta photographie, mais quand est-ce qu’on mange avec ? ».
A : Aujourd’hui, tu es un photographe installé en France. Pourquoi avoir décidé de partir aux Etats-Unis ?
Armen : Parce que la vie est faite de challenges, mon ami. Moi, ce qui me pousse dans la vie, c’est de rentrer dans le cercle. Quand j’étais petit, dans les battles de danse, j’étais blanc donc j’étais un peu jugé sur ma couleur. Mais quand t’arrives et que tu mets tout le monde à l’amende… C’est ça le hip-hop : tu dois être meilleur que les autres. Quand tu grandis dans ce contexte là, ça devient une philosophie de vie. J’ai 40 ans, je recommence à zéro. Beaucoup de gens vont me dire que je ne repars pas vraiment de zéro, que j’ai mon passé. La vérité, c’est que quand tu arrives dans un pays étranger, t’as beau avoir fait tout ce que tu veux, tu es beaucoup testé. Aux Etats-Unis, c’est comme ça. Je suis parti alors que ma carrière en France était en plein essor. Mais je suis parti parce que je sentais qu’il ne se passerait plus rien pour moi. Je ne sentais pas d’évolution.
A : Où se situait l’absence d’évolution ?
Armen : La mentalité française est très négative. En France, on a l’habitude de se plaindre. On est des révolutionnaires, on coupe la tête des rois. On vote pour un président mais au bout de deux mois, on dit que c’est un connard. Vous, par exemple, vous faites votre site internet, l’Abcdr du Son. Les mecs disent « Ouais les gars, c’est mortel, ça serait bien que vous commenciez à gagner de l’argent ». Mais dès que tu commences à gagner de l’argent : c’est mal, t’aurais jamais du faire ça comme ça, ta photo elle est pourrie… Mais fous-moi la paix gars. Ce n’est pas seulement dans le rap, c’est propre à la France qui, culturellement, a une mentalité très négative. C’est la culture du nivellement vers le bas. On aime Booba tant qu’il est dans Lunatic, mais le jour où il fait son label, qu’il devient disque d’or et qu’il touche un plus grand public, c’est un vendu.
« Tout français qu’ils sont, les rappeurs te disent « Je veux la pochette de 50 Cent », même s’ils sont habillés en jean serré, Lacoste et Stan Smith. »
A : C’est donc ce ras-le-bol qui t’a fait partir ?
Armen : Aussi ouais. Surtout, je voulais commencer à tâter la publicité. En général, t’es photographe, puis tu fais des vidéoclips, puis de la publicité, puis du cinéma. Moi, je n’ai jamais brûlé les étapes et j’aimerais bien faire de la pub car on y gagne vachement plus d’argent que dans le clip. Mais ce qu’on m’a dit, en gros, c’est : « Lumière magnifique, beau cadrage… mais y a que des blacks ». Donc pas vendeur en publicité. J’ai donc fait l’état des lieux : la musique que j’écoute est majoritairement américaine, la plupart des gens que j’ai pris en photo sont américains, avec JR Ewing on n’a jamais fait de mixtapes rap français… Je me suis dit « Bon, tu baignes dans cette culture là depuis que tu es tout petit, va tenter l’aventure là-bas ». J’ai toujours fait des allers-retours entre les Etats-Unis et la France, je n’y allais pas en aveugle. Mais entre y aller une semaine et y aller pour la vie, c’est pas la même. Tu ravales ta fierté et tu manges ton pain dur, comme un émigré.
A : C’est une grosse remise en question de ton travail ?
Armen : C’est une remise en question, car je dois arriver en proposant quelque chose de différent des autres. C’est vachement dur car je suis dans une culture qui est vachement basée sur les US. On a beau dire, mais tout français qu’ils sont, les rappeurs te disent jamais « Je veux la pochette comme celle des douze enculés de la cave ». Ils te disent « Je veux la pochette de 50 Cent », même s’ils sont habillés en jean serré, Lacoste et Stan Smith. Donc t’es un peu obligé de faire le style américain. Ma chance, c’est d’avoir pu développer mon style et mon nom. A un moment, on faisait appel à moi pour mon « trademark ». Mais quand t’arrives aux US, t’es juste un photographe.
A : Comment tu définis ton style, justement ?
Armen : Ha je ne sais pas. Je sais plus [rires]. J’ai fait beaucoup de portraits de reportage. Quand je prenais des photos de rappeurs américains, je me retrouvais dans une chambre d’hôtel. Mur blanc. Tu le fais une fois, deux fois… Quand t’as fait vingt photos avec un mur blanc, ça devient casse couilles. J’en ai eu marre. En 1998, j’ai monté un label avec un autre photographe, Xavier de Nauw. Ce label s’appelait Realeyez. On faisait toute la conception graphique autour d’un artiste. On était dans les bureaux de la société FKGB, qui faisait essentiellement des affiches de film. Chez eux, tout le traitement photographique ressemblait déjà à ce qu’on appelle l’hyper-réalisme : des ciels très prononcés, du grain sur l’image… En fait, ils se servaient des photos du tournage, mais le format photo n’étant pas adapté pour être agrandi en 4×3, ils étaient obligés de redessiner, rajouter du graphisme. Moi, ça m’avait toujours tenté, donc j’ai commencé à faire ça avant que le style américain de Jim Fiscus ou Sacha Waldman ne sorte.
C’était les prémices, donc je m’essayais à des choses encore peu abouties, ça ne ressemblait à rien. La pochette de l’album « Eclipse » pour Busta Flex, c’était complètement inspiré de ça. Je l’avais shooté sur un fond neutre, on avait fait le décor en 3D. Ayant fait le tour de la photo-reportage, j’avais envie de retoucher des photos. Je n’allais pas faire une photo d’un rappeur en plein milieu des Champs Elysées, ça n’aurait pas eu de sens. Je n’aurais jamais eu le budget pour bloquer une avenue comme ça toute la nuit. Donc j’ai commencé à rajouter des fonds, et puis voilà. Ma première photo dans ce registre, ça a été G-Unit pour Rap US. C’était avant que l’album sorte. Les gens ont cru que je m’étais inspiré de ce style là mais pas du tout, ça faisait longtemps que j’essayais de le faire. Je ne me revendique pas précurseur du style : aux Etats-Unis, t’as sept mecs qui en font. En France, j’ai été le premier à le faire. Aujourd’hui, t’as Koria et d’autres mecs qui le font aussi. Certains ont eu l’honnêteté de dire que c’est moi qui les ai influencés, d’autres non. Voilà, c’est la vie hein… Au final, moi je sais, d’autres le savent. Et comme on dit, être copié c’est un gage de qualité.
A : On a interviewé Koria sur l’Abcdr. Une interview qui a entraîné un débat sur les limites de l’imagerie hip-hop en matière de graphisme…
Armen : Ce n’est pas la faute des photographes ça, c’est la faute des rappeurs. Tu ne peux pas nous reprocher à nous de retranscrire en images ce que les gens dégagent. Si ça devient un cliché, c’est à eux de réfléchir ! On a 35 ans de hip-hop, si ce n’est pas plus. Qu’est-ce qui a été aussi fort culturellement que le hip-hop ? Que ça plaise ou pas aux français, le hip-hop a développé le streetwear, des mouvements d’influences… Si ça devient un cliché, c’est normal. Les mecs se moquent de la manière dont les rappeurs parlent, les wesh, tout ça… mais c’est le langage courant ! Tu ne peux pas pointer du doigt ce que tu es en vrai ! Si ça devient ridicule, c’est à toi de te poser des questions.
Moi j’estime qu’on a esthétisé le hip-hop en faisant ce style de photographie. Et de tous ceux qui ont fait ce truc-là, Koria est le seul qui a réussi à bien le faire. Les autres, je trouve ça gras, sans style. Je n’ai pas peur de le dire : ce sont des graphistes qui se sont prétendus photographes. Quand tu commences à faire de l’argent avec un truc que tu ne maîtrises pas, t’as pas besoin de te prendre la tête à être perfectionniste. Moi j’ai galéré avant de gagner de l’argent, c’est pas inné. Entre charger un film dans un appareil photo, prendre une photo bien exposée et prendre un appareil numérique, faire n’importe quoi avec et sauver le tout avec Photoshop, pour moi ce n’est plus de la photo. Même si je fais de la retouche, tu prends mes photos d’origine, elles sont cadrées et éclairées correctement avant d’être retouchées. Si je fais des retouches, c’est parce que je voulais fantasmer sur le cinéma, ses contrastes. Ma mère a fait les Arts déco, j’ai toujours été influencé par la peinture. Pour moi, la photo c’est la peinture moderne. Avant, un peintre peignait des scènes de vie, des gens qui jouaient dans des jardins. Ça partait un peu en couilles avec des anges. Quand je vais dans une banlieue ou quand je vais voir un rappeur, c’est la même chose : je peins une scène. Si tu mélanges un peu les deux, tu arrives à ce style très tendance aujourd’hui. Le rap se l’est approprié mais si tu vas aux Etats-Unis, tu regardes les pubs, tout le monde fait ce style là. Et personne ne dit « C’est un cliché du hip-hop ».
A : Tu fais beaucoup allusion au cinéma, c’est un objectif pour toi ?
Armen : Oui parce que je fais des clips. C’est un peu du mini-cinéma.
A : Tu te sens prêt ?
Armen : Non. Enfin si : je me pense prêt à réaliser, mais pas avec un de mes scénarios. Je sais qu’on va m’attendre au tournant en France. On a souvent critiqué mes clips en prétextant qu’ils étaient inspirés ou autre… Quand on m’a trouvé des influences supposées, ce n’était jamais les bonnes. Je peux te sortir mes références : la majorité du temps, c’est « Fight Club », « Seven »… Savoir réaliser et faire un film, c’est deux poids deux mesures. Faire un film, c’est écrire un scénario, et je ne sais pas si j’en ai le talent, sincèrement. Peut-être par la suite, avec la maturité. Réaliser, c’est pas très dur. Une fois que t’as compris le cheminement des choses, ça va. Après, y a le style, le cadrage… Mais est-ce que je suis capable de raconter une histoire ? Je ne sais pas. C’est pour ça que je n’ai jamais fait de court métrage. Mais quelque part, mes clips, ce sont des courts métrages. Y a toujours une histoire, un fond… quelque chose qu’il n’y a plus dans les clips d’aujourd’hui.
A : Les dernières gifles visuelles que tu t’es pris, c’est quoi ?
Armen : Alors moi je suis bon spectateur. Quand je vais voir « Avatar » puis « Tetro » de Coppola, je me prends une claque sur les deux. « Tetro », c’est du cinéma classique qui te met une gifle dans ta tête : le scénario est excellent, et c’est filmé fantastiquement bien. La dernière claque, pour moi, c’est « Un prophète ». Ce qui est rare, car je suis pas du tout inspiré par le cinéma français actuel, mais celui-là : mortel.
A : Et en photo ?
Armen : De plus en plus, la photo de mode. Des gens comme Steven Meisel, Steven Klein… D’ailleurs si tu regardes mes photos actuelles, la qualité de lumière tend à se rapprocher de ces trucs-là. Quand les photographes de mode ont commencé à photographier NTM, ils n’étaient pas issus de cette culture-là, ils bouleversaient trop le truc. Moi, j’ai toujours aimé ça car je comprenais ce qu’ils faisaient. Mais si jamais je m’inspire de la photo de mode aujourd’hui, je respecterai quand même les codes. Je ne voudrais pas tout effacer au prétexte de l’esthétisme.
« Malgré ton bagage, faut pas croire que parce que t’as fait les clips de Booba en France, tu seras une star aux US. Ils n’en ont rien à foutre. »
A : Tu as vu le dernier clip de Jay-Z ?
Armen : Lequel, ‘On to the next one’ ? J’adore. Sam Brown, un des meilleurs réalisateurs du moment. Tous ses clips sont incroyables. Il a fait ce clip de Foo Fighter où les mecs chantent devant un mur rouge, 100 CRS déboulent face à eux, ils chargent et soudain le mur explose, la peinture rouge éclabousse les CRS pour les faire reculer. Conceptuellement, c’est surbarré. Jamais t’auras ça dans le hip-hop, jamais. Le jour où dans le hip-hop, un mec sera prêt à faire ça, c’est bon, on sera arrivé quelque part.
A : Mais Jay-Z l’a fait !
Armen : Parce que Jay-Z est déjà au top. Des Jay-Z, des Kanye West, des Lady Gaga, ce sont des gens qui ont aussi les moyens de se payer des réalisateurs comme ça. Aujourd’hui, un clip en France, c’est 10 ou 20 000 euros. Aux Etats-Unis, quand tu t’appelles Jay-Z, c’est 300 000 dollars. Bien sûr, tu peux avoir une idée avec rien, mais elle sera toujours moins facilement exploitable qu’avec 300 000 dollars. A part le Jay-Z, mes derniers clips préférés, c’est ‘Russian Roulette’ de Rihanna qui n’a rien d’une histoire mais qui, conceptuellement, est super léché. A chaque tableau, toutes les influences sont respectées. Et l’autre clip de Rihanna avec Young Jeezy [NDLR : ‘Hard’]. En rap, plus rien ne m’influence. On a fait le tour de tout. Ce n’est pas une critique genre je me la raconte, mais si tu regardes un clip de rap aujourd’hui, c’est tout le temps pareil. Aux Etats-Unis, c’est : telle bagnole, telle pute, tel club avec tel boisson. En France, c’est : telle cité avec tous les gars derrière parce qu’il n’y a pas d’argent. Je pense qu’aujourd’hui, il faudrait quand même essayer de pondre des idées. C’est ce que j’ai toujours essayé de faire. Quand j’ai fait mon premier clip, ‘Les jeunes de l’univers’, il était en noir et blanc, on n’est pas venu me dire que j’avais pompé ’99 problems’. Quand je montre ‘Pitbull’ aux Etats-Unis, personne ne me dit que j’ai pompé ’99 problems’. On me dit « Nan, t’as tourné en Russie ?? ». Encore une fois, c’est la mentalité française. On préfère rabaisser les gens plutôt que regarder ce qu’ils font concrètement.
A : Tu vis à New York depuis combien de temps ?
Armen : Ça fait trois ans.
A : Quel bilan fais-tu ?
Armen : Quand t’arrives dans un pays qui n’est pas le tien, tu restes un émigré. Les gens te testent pour voir si tu vas rester. Il faut se faire des connexions parce que, comme en France, si t’es pas imposé par les artistes, les maisons de disques ne viennent pas te chercher. Tout est long. Malgré ton bagage, faut pas croire que parce que t’as fait les clips de Booba en France, tu seras une star aux US. Ils n’en ont rien à foutre. Tant que t’as pas fait Jay-Z, t’es le roi de la merde. Mais ça me dérange pas, je prends autant de plaisir à faire Styles P, Jim Jones ou un artiste plus connu.
A : Parmi tes collaborations récentes, il y a Ryan Leslie. Tu as travaillé sur ses deux albums, tu penses qu’il y a possibilité d’établir des relations à long terme avec un artiste comme lui ?
Armen : C’est compliqué car les Etats-Unis sont d’abord un pays de business et toutes les relations sont induites par « qu’est-ce que tu vas rapporter ». C’est très intéressé. Je devais faire un film avec Jim Jones. Quand il a vu le budget qu’il m’a donné et le résultat final, il a voulu que je fasse un film autour de l’album « Pray IV Reign » : chaque chanson aurait du être clippé. Mais l’album n’a pas vendu, donc je ne l’ai pas fait. Le seul mec qui m’a vraiment introduit dans le business, c’est Ryan. Je l’ai rencontré en France sur un photoshoot avec Booba et Cassie. On est resté en contact via des échanges de mail. Quand je suis arrivé aux Etats-Unis, on a tout de suite voulu travailler ensemble. Quand il est en studio avec Mary J Blige ou Busta Rhymes ou Rick Ross, il m’appelle et me présente aux gens : « Voilà, c’est mon nouveau director, il est français ». Ils prennent tous mon numéro de téléphone mais bon, en trois ans, j’ai fait ni Mary J Blige, ni Busta, ni Rick Ross. Je fais le parcours patiemment et j’en accepte les règles.
A : Quel serait ton meilleur et ton pire souvenir ?
Armen : Y a jamais de pire souvenir.
A : Y a jamais de vrais connards ?
Armen : Si, des vrais connards de maison de disque ! Ils le sont pas, tous heureusement [rires]. Notamment un, pendant un photoshoot avec Jay-Z, qui m’a tellement pressé, à me taper sur l’épaule toutes les deux minutes qu’à la fin, j’en ai oublié de mettre un film dans mon appareil. Ce qui ne serait pas arrivé avec le numérique ! Je ne voulais pas me griller donc je n’ai rien dit, mais j’aurais bien mis une droite dans sa bouche à l’attaché de presse.
A : Et des bons souvenirs ?
Armen : Y en a tellement… Quand Eminem est venu pour la première fois en France, on était à l’Holiday Inn place de la République. Je suis arrivé avec des glocks en baby-gun à air comprimé. J’ai fait une photo avec le glock, il m’a dit « Ça tue, où est-ce que je peux acheter ça ? ». Deux rues plus loin, il y avait le magasin. Il a acheté pour 1500 francs de réplica de uzis et baby-guns. On s’est retrouvé à faire un battle dans les couloirs de l’hôtel. Les gens devenaient fous. Tu te prends à un mètre les boules en plastoque, ça fait mal. Après, ce con est arrivé avec toutes les armes en Angleterre – la pire douane du monde. Tu sors un glock réplica, tu fais une banque avec ! Il a eu des ennuis, je crois même qu’il a été interdit d’aller à Londres… à cause de moi !
A : J’ai appris que tu as aussi fait la pochette de ‘Wishing on a star » pour Jay-Z…
Armen : Ouais. A l’époque, il était dans un label appelé Chrysalis. Le label m’avait contacté via l’Angleterre en me disant « Jay-Z a vu ta photo, il l’aime, il voudrait l’utiliser ». Je déboule dans les bureaux de Def Jam, tout d’un coup les gardes du corps disent « C’est lui ! C’est lui ! ». Tout le monde m’entoure, je ne sais pas ce qu’il se passe. Et là Jay-Z arrive et me dit « J’ai vu tes photos, c’est mortel, je les achète toutes ». A la fin, il entre dans son 4×4, il baisse la vitre et me dit « T’es très bon ». Et il se barre. OK, qu’est-ce qu’il s’est passé ? [rires] T’imagines, dans ta carrière de photographe, t’as une pochette pour Jay-Z, tu te la racontes. Mais bon, ça n’a pas fait de moi un millionnaire et j’ai pas fait toutes ses pochettes derrière. Surtout que c’est mon artiste préféré à l’heure actuelle. C’est un mec qui me déçoit rarement, même si le dernier album ne me plaît pas entièrement, t’inquiètes pas que je trouverai toujours mon compte.
On a eu également de bonnes expériences avec le Wu-Tang, qui était notre groupe phare de l’époque. On a pu les suivre en tournée, aller les voir en studio pour l’enregistrement de l’album. Avec Xavier, on a fait un 52 minutes sur le Wu-Tang à l’époque avec des caméras VHS. Aucune télé n’a voulu le diffuser. Canal Plus devait l’acheter, mais quand ils ont fait la nuit IAM, y a eu tellement peu d’audience qu’ils ont finalement refusé. Ensuite, MCM a voulu le diffuser mais ils ne nous proposaient que 7000 francs. On leur a dit « Vous savez quoi ? Personne ne le verra ce doc ». On l’a, en bandes, avec RZA qui fait des beats, des interviews dans les appartements des mecs… Ce qu’on a, c’est de l’or.
« Avec Xavier de Nauw, on a fait un 52 minutes sur le Wu-Tang. On a pu les suivre en tournée, aller les voir en studio pour l’enregistrement de l’album. Aucune télé n’a voulu le diffuser. »
A : Quand on a interviewé JR Ewing l’année dernière, il avait résumé l’époque où vous travailliez ensemble par « On se drogue, on se bourre la gueule, on voit les potes et on met du son »…
Armen : Sauf moi [rires]. J’ai de bons et de mauvais souvenirs de cette époque. Ça ne va pas être très humble mais on a été avant-gardiste sur beaucoup de choses : y compris sur le concept d’avoir un animateur qui gueulait sur les morceaux. Y en a que ça énervait, et y en a beaucoup qui ont copié par la suite. Les bons souvenirs, c’était ça : les potes qui passaient, qui kiffaient. C’était nos premiers témoins. Les moins bons souvenirs, c’est fatalement la baston qu’on a eu avec Générations. Ça s’est très très mal passé à la fin. On en a eu marre de se faire exploiter et on a été les seuls à le dire. Forcément, ça a clashé. Je ne veux pas trop rentrer dans les détails parce qu’aujourd’hui, ça n’a plus lieu d’être, mais en gros… Quand ils nous ont vu sortir les grenades, ils ont pas trop compris. On a montré qu’on n’était pas que des DJ. Mon aventure avec Générations remonte à loin. Leur premier slogan, « Quand la rue s’exprime », c’est moi qui l’ai trouvé. Ils étaient venus nous consulter à l’époque de Realeyez pour faire l’image de la radio. C’était Marc de Générations qui avait demandé aux gens de la radio de venir. On leur avait trouvé le slogan, et ils se sont servis allégrement sans nous demander l’autorisation. Le clash est parti de là. Après, ils sont venus chercher Brian, ils ont été un peu surpris que je sois l’animateur – ils pensaient pas du tout qu’un photographe serait animateur radio. Et quand, bien sûr, grande gueule qu’on est, à un moment on a dit qu’on aimerait bien être payé…
A : Vous n’étiez pas payés ?
Armen : On avait accepté que Brian reçoive tant d’argent chaque semaine pour acheter les disques. Mais bon, nous, les disques, on les achetait pas, on recevait tout des Etats-Unis avant tout le monde. Et puis avec 1000 francs de l’époque, tu achetais 10 albums. Au final, on dépensait plus d’argent pour Générations que nous en apportait. Mais on a accepté ça, donc je ne le reproche pas à Générations. J’ai rien contre eux aujourd’hui, heureusement qu’ils sont là. Le seul truc que je leur reproche, c’est de vouloir faire les Skyrock, mais pas ouvertement. Ils n’aident pas autant les indépendants qu’ils le disent. C’est devenu un business, ce qui est normal, mais un business, ça marche dans les deux sens. Tu ne peux pas te dire supporter d’une mouvance sans soutenir les indépendants qui ont fait de toi la radio que tu es. Libre à eux de donner leur version. Je n’ai aucune animosité. Malgré tout, ils aident beaucoup de gens. Mais ce ne sont pas des acteurs de cette culture, donc forcément…
A : Comment as-tu travaillé avec Booba ?
Armen : Déjà, Booba, je l’ai connu avant qu’il rappe. Quand je l’ai rencontré, il commençait à rapper et faisait les backs de Daddy Lord C. Il connaît mon parcours, je connais le sien. Quand je suis arrivé pour faire les photos de la Cliqua, je débutais moi-même. Ensuite, j’ai fait les photos de « Temps Mort ». On est resté en contact d’abord comme des amis. Quand est arrivé « Ouest Side », il m’a invité en studio pour me faire écouter tout l’album. Il m’a demandé ce que j’en pensais. Quand je lui ai fait part de mes idées, il a vu que j’avais compris où il en était dans sa vie et dans sa carrière. J’ai commencé par faire la direction artistique de la pochette. Je n’avais pas encore la cote à cette époque là en clip : j’en faisais un par an, à l’époque j’étais chez Secteur Ä, j’avais fait Singuila, Ärsenik… Ce qu’il restait vraiment comme image forte de moi, c’était ‘Les jeunes de l’univers’ et ‘Hardcore’.
Booba m’a donné les prémices de ‘Boulbi’ : il voulait quelque chose qui sorte un peu de l’ordinaire, un clip de « mise à l’amende ». On a commencé à écrire le traitement à deux. C’était fluide, on rigolait de nos conneries. Sur ‘Au bout des rêves’, par contre, c’est mon idée de A à Z. C’était au moment du rapt de sa maman et son frère. Je lui ai dit « Aux Etats-Unis, si la même chose était arrivé à Eminem, il aurait communiqué autour de ça. Aujourd’hui, il faut bousculer les gens. Montre-leur que t’en as rien à foutre, parles-en ouvertement ». Il m’a dit « OK, go ». Il voulait juste qu’il y ait du soleil. On a choisi le Brésil. Bon, c’est sûr qu’on s’est fait le plaisir, on a pris le mec de la Cité de Dieu, ça s’est super bien passé. Je n’ai pas pu aller dans la Cité de Dieu car j’avais un autre clip à tourner mais Booba y est allé. Il était plus qu’honoré, il a donné son album à tout le monde, il a donné des fringues. Les mecs ont vu qu’on les respectait.
A : Et sur ‘Pitbull’ ?
Armen : A la base, on devait faire un film à la « Sin City », entièrement post-produit. Ça trainait un peu. C’était le quatrième clip de cet album et plus ça va, moins les budgets sont gros. Un jour, Booba est allé faire un concert en Suisse. Il avait été invité par un gros ponte russe qui lui a proposé de tourner en Russie. Booba m’a appelé de Suisse et m’a dit « On fait ‘Pitbull’ à Moscou ». J’ai dit « Wow, c’est un sacré risque ». Personne n’avait tourné là-bas. Il m’a dit « Raison de plus ». Ce que j’aime avec lui : on ne se censure jamais. C’est aussi propre à sa musique : ne jamais donner de limites. Pour un réalisateur, c’est du pain béni.
A : Booba, c’est l’exception ?
Armen : C’est plaisant de travailler avec tous, mais il y en a avec qui c’est plus plaisant que d’autres. Avec certains, c’est du business. Je ne peux pas être ami avec tout le hip-hop français. Par contre, je n’ai jamais pris partie. Je considère Booba comme un ami, preuve en est on ne travaille plus ensemble mais on reste en très bon terme. Mais je me suis retrouvé à bosser avec des gens qui ne l’aimaient pas. Je ne vais pas prendre partie, ça m’est arrivé et ça s’est retourné contre moi. Je suis professionnel. Si je dois travailler avec son concurrent direct, je le ferai. Et Booba ne me dira pas que j’ai déconné. Ce n’est pas parce que Jordan est en concurrence avec Kobe Bryant qu’il va quitter Nike le jour où Bryant se fait sponsoriser par la marque. Ça n’aurait aucun sens.
« Faire des playbacks devant un mur, ça ne m’intéresse pas. Moi, ce que je cherche, c’est taper Jay-Z, Nas, Lil Wayne. »
A : Il y a des nouvelles têtes avec qui tu aurais envie de bosser ?
Armen : Bien sûr. Là, j’ai fait James Izmad. J’aime beaucoup Sefyu, Nessbeal, McTyer… J’ai d’ailleurs fait les premières photos de Tandem. Je devais faire l’album « Aller/retour » de La Fouine, mais ça ne s’est pas fait pour des raisons politiques en maison de disques. On a estimé que j’avais fait un putsch économique, que j’étais trop cher. Ça, c’est leur problème. J’aime beaucoup Despo Rutti. J’ai été très surpris du couplet de Lalcko dans le morceau avec Despo et Escobar Macson. Un peu de rap, ça fait plaisir. J’ai toujours un problème avec le rap français. Pour moi, il refuse de s’assumer. Toujours cette même façon de rapper… C’est rare que des mecs arrivent avec un peu de technique de flow. Y a un mec de Sexion d’Assaut qui déchire aussi, Maître Gims je crois. Après, le reste, j’te cache pas que c’est un peu tout pareil. Du misérabilisme à deux balles, on représente le quartier, wesh la famille…
A : Tu suis encore ça de très près…
Armen : Je suis obligé moi ! Je ne crache pas dans la soupe, je me suis fait avec le rap français. Pareil aux US. Avec les mixtapes qu’on faisait avec Brian, on était toujours en avance sur tout le monde, je peux ne pas renier ce qui a fait mon nom. Je n’aime pas tout, les noms que je cite sont les plus cités en général, y a peut-être une raison. J’aime beaucoup Salif aussi. Sa carrière ne correspond pas forcément à son parcours, mais c’est un mec qui écrit bien. En général, Boulogne, c’est un bon cru, un peu comme Queensbridge à New York.
A : Avec le web, on a assisté à l’éclosion de toute une génération de réalisateurs – Ric Codero, Dan The Man… – et l’arrivée d’une sous économie du clip, directement adaptée à Internet…
Armen : La raison est très simple, c’est qu’aux Etats-Unis il n’y a plus de chaîne de télé. MTV ne diffuse plus de clips. Les maisons de disque ne voient plus l’intérêt de mettre 150 000 dollars dans un clip. Ça a créé l’économie du web. Est née avec ça toute une génération de réalisateurs qui va faire un clip avec 4000 euros. Pour moi, c’est du clip facile : une majorité de playback, peu d’histoires… Moi, faire des playbacks devant un mur, ça ne m’intéresse pas. J’ai quarante piges. Mon bagage dans les clips, ce n’est pas des clips à 4000 euros. C’est pas ça que je cherche. Moi, ce que je cherche, c’est taper Jay-Z, Nas, Lil Wayne. Le clip, c’est comme tout : il y a une starification des noms. Et pour l’instant, je ne fais pas partie de ce gotha [rires]. Heureusement qu’il y a des réalisateurs comme Rik Codero ou Dan the Man, ils permettent à des gens sans moyen d’avoir pignon sur rue sur Internet. Seul problème, c’est que la qualité de ces clips là en télé, tu rigoles. Sur un écran d’ordinateur, ça passe, mais en télévision, c’est tout pourri.
A : T’as complètement abandonné le journalisme ?
Armen : Je ne sais pas. Si demain j’ai un bon sujet, je le ferai volontiers. Je ne mets rien de côté. Le problème, c’est qu’on te met dans des cases : quand t’es plus reporter, t’es portraitiste. J’ai un agent aux Etats-Unis qui me voit plus aller au cinéma que de faire la musique.
A : Quelle est votre stratégie ?
Armen : Aujourd’hui, un photographe de renom ne doit plus être catégorisé. Il doit tout faire. Quand elle regarde un portrait de Booba dans mon book, mon agent dit « Tu fous Bruce Willis dans le même décor, ça déchire ». Elle est un peu plus visionnaire.
A : Les magazines papier ont-ils encore un avenir, selon toi ?
Armen : Les magazines ont besoin de renouveler leur formule. Il faut qu’ils aillent chercher ce que tu ne trouveras pas forcément sur le net. Je pense que la photo jouera une part important là-dedans. Sur le net, tu as les photos du moment, les photos de presse, mais tu n’as pas les photos inédites. Le concept de l’image dans un magazine a une influence sur les annonceurs : qu’est-ce que tu veux placer comme produit sur l’artiste/acteur qui va faire augmenter les ventes. Aujourd’hui, la majorité des gens téléchargent, donc on est plus dans ce cadre là. Avec iTunes, tout le monde se fout du support. Plus besoin de pochette. Moi, je suis persuadé que tout reviendra quand on pourra télécharger les clips et les photos sur iTunes en même temps que la musique. T’as besoin d’un repère visuel. Pour l’instant, c’est perdu. En France, je vous raconte même pas, c’est l’hécatombe. C’est pour ça qu’on voit moins mon nom sur les pochettes. Quand t’es jeune photographe, tu courbes l’échine et acceptes ce qu’on te donne. Moi, je l’ai fait, il n’y a plus de raison que je le fasse. Quand t’achètes une paire de basket, t’as pas d’argent, tu vas chez Bata. C’est pas intelligent parce qu’elle va durer deux fois moins longtemps qu’une paire de Nike achetée 80 euros. Moi j’estime que la photo, c’est pas du rabais.
A : C’est quoi tes projets à court terme ?
Armen : La sortie du clip de Styles P, et puis normalement si tout va bien, le prochain clip de Melanie Fiona. Je finis un clip pour Ryan Leslie. Et puis après… Jay-Z, Lil Wayne, Nas ? L’idée, c’est de démarcher un maximum et faire parler de soi. On verra ce qui se présentera.
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