A2H
Du haut de ses 25 ans, A2H s’apprête à sortir son premier album et a tout du parfait rookie. Sauf qu’il n’en est plus tout à fait un, lui, le rappeur originaire de Melun qui a déjà dix ans de concerts derrière lui. Rencontre avec le meilleur copain du rap français.
Abcdr du Son : Comment es-tu venu au rap ?
A2H : J’avais treize ans en 2000 et je me suis vraiment mangé le style de Snoop avec la sortie de Tha Last Meal qui m’avait détruit le cerveau. Toute cette époque m’a beaucoup marqué, avec Snoop, Xzibit… Les premiers trucs que j’ai écoutés étaient west. En rap français, j’écoutais surtout NTM. Je suis tombé sur le live VHS d’un concert de 1993 et c’est à ce moment-là que je me suis dit que je voulais faire ça [sourire].
Ensuite, il y a eu 2001… Et là, c’était sûr et certain. On voulait faire du rap ! [rire] Ensuite, il y a plein de trucs que j’ai écoutés et qui ont pu m’influencer : Dipset, Method Man, Redman… En tout cas, il faut reconnaître que je ne suis pas de l’école Wu-Tang, Sages Po, X-Men puisque j’ai découvert ces groupes bien après. À cette période, j’écoutais IV My People, pas les X-Men. Au début, Ludacris et Busta Rhymes m’ont énormément influencé également parce qu’ils avaient le sourire. J’ai grandi en banlieue mais je n’ai jamais été dans le délire caillera. Je me retrouvais plus dans Ludacris que dans Mobb Deep.
A : A l’écoute de l’album, on sent que tu as baigné dans une tonne d’influences. Quels sont tes albums références en dehors de ceux déjà cités ?
A2H : En dehors de Tha Last Meal et Chronic 2001, il y a eu Suprême NTM… Qu’est-ce qu’il était lourd ce disque ! Je crois que c’est l’album qui m’a le plus mis dans le rap. Ensuite, il y a eu KLR du Saïan avec une vraie ouverture musicale qui me plaisait à l’époque. Il y a aussi eu le vinyle Kaya de Bob Marley qui appartenait à ma mère et ça fait partie des choses qui m’ont vraiment traumatisé. Ce qui est fou dans le reggae, c’est que personne n’a réussi à faire mieux que les Wailers ! [rire] C’est le seul genre musical où le puriste et la meuf de quatorze ans qui n’y connaît rien te donneront la même référence. J’ai aussi écouté beaucoup de blues. Des artistes comme Robert Johnson, Etta James ou Muddy Watters m’ont bercé. D’ailleurs, quand je joue de la gratte, je joue de la soul ou du blues, pas vraiment de rock.
A : Est-ce que tu penses que tu aurais pu percer au début des années 2000 lorsque le rap était un peu plus dur qu’aujourd’hui ?
A2H : Je ne sais pas parce que je me suis rapidement orienté vers des groupes comme La Caution ou le Saïan. Même lorsque j’ai découvert les X-Men par la suite, il y avait quelque chose de funky. Après, c’est vrai que je n’étais pas trop fan de la Mafia K’1 Fry et de tout ce que ça a engendré mais, par contre, Lunatic mettait tout le monde d’accord. Il y avait quelque chose de vrai et de très imagé : la nuit tombe sur la banlieue et tu rentres dans une autre ambiance. Moi qui étais dans les délires pilon, vadrouilles à droite et à gauche, ça me parlait beaucoup. C’est le seul truc sombre que je validais complètement.
Je ne sais pas si j’aurais pu percer à cette époque mais, en tout cas, je n’aurais jamais fait ça. D’ailleurs, je n’écoute pas que du rap à la base. C’est ma mère qui m’a mis dans le son et elle écoutait Nina Simone, Peter Tosh, Bob Marley, les Parliament… J’ai bouffé énormément de soul, de funk et de reggae. Un groupe comme les Red Hot Chili Peppers m’a vraiment marqué aussi.
« J’ai joué de la basse, de la gratte, on a joué dans des festivals… J’ai même eu un groupe de reprises de Sting ! »
A : Tu disais que tu étais tombé dans le rap en 2000. Tu as directement commencé à rapper ?
A2H : Oui, immédiatement. Dès que le rap m’a happé, j’ai eu envie d’en faire. Au départ, je rappais même en anglais ! [rire] C’est marrant parce qu’on a commencé en 2000 mais on a eu le parcours classique du mec qui aurait commencé à rapper à la fin des années 80. On faisait des instrus en collant des bandes cassettes, on avait le Cubase LE… Il y avait déjà plein de trucs qui existaient mais on ne savait pas que ça existait. On faisait des prods sur Ejay, on avait un vinyle de KDD sur lequel on avait saigné la face B… Et, rapidement, on s’est mis à rapper en français [rire]. Comme je fumais et buvais beaucoup, j’ai directement accroché à tout ce qu’on a appelé le « rap alternatif » parce que ça parlait pas mal de la fonsdé. L’ambiance des Svinkels nous parlait bien parce qu’on cherchait juste à vendre un peu de shit et à serrer des meufs en soirée. J’ai été à fond dans le rap pendant quatre ans et j’ai complètement arrêté en 2004.
A : Tu ne t’amusais plus ?
A2H : Je voyais que la tendance était vraiment caillera alors qu’on était vraiment dans un esprit de rigolade. D’ailleurs, je ne m’appelais pas A2H à l’époque mais Neg’ Pie… On était dans un grand délire ! [rire] On ne se prenait vraiment pas la tête. Lorsqu’on a eu l’occasion de faire quelques scènes et de se confronter au milieu du rap, on a vu que tout le monde se regardait en chiens de faïence et l’univers ne nous correspondait pas du tout. J’ai fait une croix sur le rap et je me suis investi à fond dans le reggae. C’est comme ça que je me suis mis à jouer de la gratte.
A : L’envie t’est venue comme ça ?
A2H : En fait, je me suis mangé Blood Sugar Sex Magik des Red Hot qui est très funky et sur lequel il y a des passages qui ressemblent presque à du rap. J’adorais l’ambiance et ma mère m’a rappelé que j’avais un oncle bassiste qui pouvait me prêter du matos. J’ai commencé à jouer un peu de basse mais ça m’a saoulé et je me suis rapidement pris une gratte à vingt euros chez Cash Converters [rire]. J’ai appris hyper vite, puis j’ai croisé des mecs qui montaient un groupe et cherchaient un bassiste. « Je ne joue que depuis trois mois mais je suis l’homme de la situation. » C’était marrant parce que je venais d’une ambiance rap et je me retrouvais avec des babos de campagne, des rastas blancs qui montaient des assoces… Un autre monde ! [Éclat de rire] Je me suis retrouvé avec des espèces de punks à chiens, alternos, contre le McDo… Je ne peux plus les voir aujourd’hui ! En tout cas, j’étais à fond dans le reggae pendant cette période et, d’ailleurs, mes dreadlocks datent de cette époque. J’ai joué de la basse, de la gratte, on a monté un premier groupe, un deuxième, on a joué dans des festivals… J’ai même eu un groupe de reprises de Sting ! [rire] Ça me paraît improbable aujourd’hui mais c’était une bonne ambiance et ça m’a permis d’apprendre à jouer de plusieurs instruments.
A : Tu avais complètement arrêté le rap ?
A2H : J’ai toujours continué à rapper chez moi. Un groupe comme le Saïan m’a beaucoup aidé à ne pas déconnecter parce qu’il liait reggae et rap. À un moment, tout l’univers autour du reggae a commencé à me saouler. Le délire des petits bourgeois qui montent des assoces pour des causes dont ils n’ont rien à branler m’a autant gavé que celui des cailleras. « Il ne faut surtout pas manger au McDo« … À deux heures du matin quand il n’y a que le McDo qui est ouvert, ils sont tous en train d’attendre leurs cheeseburgers. Bande de mythos ! [rire] J’ai côtoyé ces gens et je sais à quel point certains sont faux genre « je suis un putain de gratteux, j’ai ma chemise semi-ouverte mais c’est étudié depuis huit heures du matin« . Si t’as les pieds sales, c’est ton style, ça ne signifie pas que t’es un mec proche du sol ! [rire]
Par contre, à chaque fois, j’ai rencontré deux ou trois têtes qui ont été importantes pour moi. Palace [NDLR : le label indépendant créé par A2H], par exemple, s’est créé en 2005 quand j’étais dans cet univers reggae. Je suis sorti de cet univers et j’avais envie de me remettre à rapper mais avec des musiciens. À l’époque, j’avais un groupe de reggae qui s’appelait Opak Zion et on a décidé que je n’allais plus toaster mais que j’allais plutôt rapper. Ça a rapidement pris puisqu’on a fait le Batofar, le Gibus, on est arrivé en demi-finale du festival Emergenza…
A : On est à quelle époque à ce moment-là ?
A2H : En 2007 et je me dis qu’il y a quelque chose à faire. Comme je commençais à avoir un bon niveau de basse, j’allais de temps en temps jouer pour des groupes. Je m’étais d’ailleurs inscrit à l’Atla qui est une école de musique à Pigalle où j’ai, entre autres, appris le solfège et ce genre de choses. J’y ai rencontré plusieurs musiciens et j’ai été amené à jouer au Casino de Deauville devant des politiciens cap-verdiens… C’était cool ! C’est comme ça que j’ai pu tourner avec Desko qui est un rappeur du 77 qui a sorti deux albums chez Label Rouge. Je jouais de la basse pour lui et c’est là que j’ai rencontré Jobe, un claviériste [NDLR : également beatmaker entendu Monsieur Nov et Joke] qui habitait juste à côté de chez moi. On était dans le même délire et il nous a rapidement rejoint dans Opak Zion. Le clavier nous a permis de récupérer une touche beaucoup plus rap et, comme on s’entendait très bien avec Jobe, on a monté un truc à deux qui s’appelait Coconut Sunshine. À la base, on ne faisait que des instrus. Un pote à nous est parti à Londres et a fait écouter notre maquette à des mecs qui organisaient une soirée London Vs Paris au Cargo. Sans qu’on ne demande rien, ils nous ont appelé en nous disant « vous avez un concert au Cargo« . Frais, on y va direct ! On a donc fait le concert et balancé nos prods qui étaient un mélange de morceaux joués et de sonorités plus électro. Les gens dansaient et, à un moment, je me suis senti frustré de simplement balancer du son… Fuck, j’ai pris le micro et je me suis mis à rapper. Ça a vraiment pris et c’est là que j’ai décidé de faire une tape Coconut Sunshine. Aucun des membres du groupe ne voulait rouler avec nous parce que les prods étaient beaucoup plus crades et londoniennes que ce qu’on faisait avant. « C’est nul, vous voulez faire du TTC« . C’était pas du tout le cas même s’il faut reconnaître que Bâtards sensibles est une tuerie.
« Je ne remercierai jamais assez Gérard Baste parce que c’est lui qui m’a présenté toutes les personnes avec lesquelles je travaille aujourd’hui. »
A : C’est là que tu sors ton premier projet ?
A2H : Tout à fait puisqu’on a fait un huit titres qu’on a vendu à trente cinq exemplaires sur PayPal [rire] mais qui nous a permis de démarcher Gérard Baste, les gars d’ATK, la Caution, les Yo Majesty… Tout le monde a kiffé et a accepté de bosser avec nous sauf Grems et Greg Frite à l’époque. Grems ne trouvait pas ça assez abouti… mais c’est lui qui m’a rappelé plus tard [rire]. Greg, il n’avait juste pas le temps. Le truc commençait à prendre. Sauf qu’à l’époque, on avait un manager, Nicolas, qui venait de rentrer chez Sony et à qui on avait bien spécifié de ne pas utiliser ses plans professionnels pour des trucs persos. On s’est donc retrouvé sans manager, tout a stagné et la tape, qui avait été finalisée fin 2008, n’est sortie que fin 2010 ! On était dans un grand flou et, la chance qu’on a eue, c’est que les Yo Majesty sont venus en concert en France et on a enfin eu l’occasion de se rencontrer. Comme on a bien accroché, on s’est retrouvé à faire leur première partie sur toute la tournée. On a fait des salles blindées et, quand on a joué au Nouveau Casino, Gérard Baste était là et a bien kiffé ma présence sur scène. Il avait une tournée de quarante dates à faire et il m’a proposé un deal : faire ses backs tout en ayant l’occasion de faire sa première partie et de jouer quelques titres persos pendant le set. J’étais un peu perplexe parce que je ne savais pas si je voulais être immédiatement identifié aux Svinkels. Finalement j’accepte… et j’ai bien fait [rire]. On a fait un million de trucs, on a joué avec IAM, Rockin’ Squat, on a fait la première partie d’Israël Vibration, j’ai rencontré DJ Duke, les Birdy Nam Nam… Je ne remercierai jamais assez Gérard Baste parce que c’est lui qui m’a présenté toutes les personnes avec lesquelles je travaille aujourd’hui. C’est grâce à ça que je suis sponsorisé par Qhuit aujourd’hui, que j’ai rencontré Drixxxé, Gero qui m’a présenté à des personnes de chez Reebok avec qui je bosse un peu… Même si Gérard Baste a été étiqueté comme rappeur alternatif, il connaît tout le monde ! C’est d’ailleurs en faisant cette tournée que je me suis mangé l’ambiance Svinkels… et que j’ai pris du poids [rire]. Je ne regrette rien et c’était une super expérience. Même si parfois Gégé était trop bourré pour assurer le concert et qu’il se passait des choses que tu n’es pas censé assumer en tant que rappeur… Quand Gérard se pointait en slip sur scène par exemple [rire]. En tout cas, c’est un vrai performer et il m’a beaucoup appris.
A : Ceci dit, cela a probablement contribué à te marginaliser pendant un moment, non ?
A2H : Voilà. Le seul point négatif, c’est qu’après les collaborations avec La Caution et les morceaux électro, la tournée avec Gérard Baste m’a définitivement mis dans la case « alternatif« . Ça a été le chemin de croix pour que les réseaux rap traditionnels en arrivent à écouter mon son. Générations commence à poster mes clips alors qu’on leur a toujours envoyés nos vidéos, pareil pour Rap2france… Je n’existais pas ! C’était con parce que c’était juste un délire d’aller jouer des morceaux à Londres ou de tourner avec Gérard Baste. C’est là que j’ai rencontré Kevin El Amrani [NDLR : réalisateur notamment des clips « Titanic » de Sidi Sid et « Chiens » d’Al K Pote] et on a décidé de balancer toutes les semaines une vidéo de freestyle. Ces freestyles se sont retrouvés sur ma première tape gratuite, Freestyle Stories. C’est à ce moment qu’on a commencé un petit peu à me regarder autrement. Ensuite, j’ai fait une autre tape dans laquelle j’ai invité tous mes potes du 77 avec qui je n’avais pas rappé depuis des lustres, Greg Frite, Micronologie que j’avais rencontré à Rennes et Nekfeu. À ce moment-là, je l’avais juste vu dans le clip de « A la trappe » et je l’avais trouvé super fort. J’ai réussi à le capter, il est venu à Melun et je me souviens que tout le monde le regardait bizarrement. Je leur avais dit que ce gars-là allait tout déchirer et le clip de notre morceau, « Doux », est sorti quelques jours seulement avant la mise en ligne de « Dans ta réssoi ». Je peux prouver que je n’ai pas cherché à profiter du buzz de 1995 [rire] ! Ceci dit, c’est vrai que j’ai énormément bénéficié de la mise en avant de Nekfeu et c’est grâce à ce clip qu’on a fait 15 000 téléchargements de la Downtown StreetTape. On a commencé à parler de moi et le fait que j’ai balancé énormément de clips a clairement aidé. On a acheté un 5D à quatre et on a tout fait pour le rentabiliser ! [rire] C’est aussi à ce moment-là que Palace Prod a commencé à s’agrandir.
A : Il y a ensuite eu la Summer stories kush tape avec le morceau « Flying High » qui a beaucoup tourné…
A2H : Summer stories kush tape est le projet qui a le plus buzzé. Tout s’est vraiment déclenché en 2011. Il faut savoir que je suis intermittent du spectacle et donc je passe ma vie à faire du son. C’est pour ça que j’ai pu bombarder les gens de musique comme ça. Je pense que j’ai pu conserver le public alternatif avec des morceaux comme « Fonsdar » et j’ai fait quelques exercices de style qui m’ont permis de rencontrer un nouveau public. Je me suis aussi essayé à des morceaux plus sérieux, plus rap français et j’ai été content de voir que ça plaisait. À un moment, j’avais peur de m’être trop enfermé dans des morceaux festifs et je ne savais pas si j’étais capable de réussir autre chose. C’est pour ça qu’un titre comme « Confessions d’un homme dérangé » est très important pour moi. Le dernier projet en date c’était la Christmas tape qui était très travaillée musicalement mais qui a un peu moins bien pris.
Toute cette période m’a permis de m’installer un peu et de rencontrer plusieurs personnes. Je pense à quelqu’un comme Driver qui était déjà sur mon EP avec Xanax et que j’ai invité sur mon album. Il a souvent dit du bien de moi dans ses interviews ou sur les réseaux sociaux et ça a sûrement encouragé des gens à m’appeler. Les portes du rap classique ont commencé à s’ouvrir.
A : Pendant longtemps tu as œuvré à côté du rap français et aujourd’hui tu fais partie de la Fronce et on te voit aux soirées « Can I kick it ». Comment est-ce que tu as vécu ce changement ?
A2H : C’est venu naturellement et je pense que je suis un des rares rappeurs qui sera à l’aise aussi bien avec les Svinkels, Noir Fluo ou Nekfeu. Heureusement que j’ai fait toutes ces choses, ça me permet d’avoir une place de rêve dans le rap français puisque je n’ai d’embrouille avec personne [rire]. Même si je ne suis pas dans les ambiances caillera, je n’ai aucun problème avec les rappeurs qui sont là-dedans. De la même manière, même si je n’ai pas la même vie que les gars de Noir Fluo, je connais leur ambiance et je suis à l’aise là-dedans. En fait, en dehors de la musique, j’ai côtoyé différentes ambiances et c’est ce qui m’a construit. Quand je suis avec Deen et Nemir, c’est encore différent mais ça se passe super bien. Ils sont à fond dans les sapes et me sortent des marques improbables alors que je m’en bas les reins moi ! [rire] En tout cas, au sein de toutes ces sensibilités, j’ai l’impression d’avoir ma place et mon steak à défendre. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai fait le morceau « Middle class ». Je n’ai jamais été une caillera, jamais été un bourgeois, j’étais juste au milieu. Je défends vraiment ça parce que je pense que beaucoup de personnes sont dans cette situation et n’ont pas de porte-parole. Quand tu écoutes le rap français, tu as l’impression qu’il n’y a que deux catégories de personnes : les cailleras qui bicravent et les bobos parisiens. Il y a un million de gens au milieu ! Hormis le Saïan ou Oxmo, je ne crois pas qu’il y ait eu beaucoup de gens qui ont tenu ce discours.
A : Ça fait plusieurs fois que tu parles du Saïan et tu as invité Vicelow sur ton album. C’est une collaboration dont tu es fier ?
A2H : C’est sûr que, quand j’écoutais KLR à quatorze piges, je ne m’imaginais pas faire des morceaux avec eux. J’ai posé pour un remix d’un morceau avec Vicelow, Zoxea et Busta Flex et je n’aurais jamais pu imaginer à l’époque que ce genre de choses arriverait ! Ce qui est important c’est que je m’entends bien avec ces personnes et je sais pourquoi je les écoutais à l’époque. Je suis content que mon travail plaise à des mecs que j’écoutais.
« Je n’ai jamais été une caillera, jamais été un bourgeois, j’étais juste au milieu. »
A : Tu as 25 ans et tu as aussi été un fan de rap français avant d’en être un acteur. Deen et Alpha Wann m’avaient avoué qu’ils avaient pu être déçus lorsqu’ils avaient été amenés à rencontrer des rappeurs dont ils étaient fans par le passé. Ça n’a pas l’air d’être ton cas.
A2H : Je n’en ai jamais discuté avec eux mais peut-être qu’ils fantasmaient trop. Quand j’étais plus jeune, je voyais les grands qui étaient dans la défonce, dans l’alcool… D’ailleurs, on avait un délire à l’époque qui était de faire des t-shirts « mon daron est dans la tise » [rire]. Les rappeurs français ne sont pas des américains et ils ont des vraies « lifes » de trimard, personne ne fait de l’oseille. Tu t’imagines ton rappeur préféré frais, stylé et pimpant alors que, lorsque tu le rencontres, il est en galère avec sa 8.6, comme tout le monde ! Je n’ai jamais trop fantasmé sur le rap français. C’est plus la performance qui m’impressionnait et, quand j’ai vu Vicelow en cabine, je peux te dire que je n’ai pas été déçu. J’ai vu Driver poser en one shot des textes qu’il venait à peine d’écrire. Pareil pour Nikkfurie ou Gérard Baste qui ne m’ont jamais déçu, au contraire. Après, je n’ai peut-être pas croisé ceux qui sont décevants [sourire].
J’ai vu Deen Burbigo rapper après Dany Dan à la Bellevilloise et, en repensant à ce genre de moments, je peux comprendre ce que veut dire Deen. Je trouve que Dany est un des tout meilleurs rappeurs français mais, ce soir-là, il s’était planté en live. Juste après, Deen a fait une prestation parfaite et je pense que ça le faisait presque chier de passer après quelqu’un qu’il a adoré et de lui mettre cher comme ça ! C’est une désillusion de voir ses idoles se planter. Personnellement, quand j’ai vu Vicelow sur scène, je me suis dit que j’en étais encore loin. Même bourré, j’ai vu Gérard Baste démonter des festivals de 60 000 personnes. Je n’ai jamais été déçu par les gens que j’ai rencontrés.
A : Avant l’album, tu étais connu pour des morceaux plutôt légers. On retrouve cette ambiance sur l’album mais il y a également toute une partie beaucoup plus sombre. C’était une volonté de montrer une autre facette et de ne pas se cantonner à un morceau « sérieux » de temps en temps ?
A2H : Tout est dans le titre de l’album, Bipolaire. Je peux me réveiller un jour et avoir le plus grand des sourires et, le lendemain, je n’aurai envie de voir personne. En fait, j’écris beaucoup plus de morceaux tristes que de morceaux joyeux mais, systématiquement, je vire les morceaux tristes parce que je pense constamment à la scène. Quand j’ai des morceaux plus tristes, je me demande toujours comment je vais les défendre sur scène. J’ai fait des sound systems de dancehall, des concerts de métal et c’est ça que je veux retrouver dans mes concerts !
A : On a le sentiment que la scène est vraiment le fil conducteur de ta carrière.
A2H : J’ai dû faire plus de 350 concerts alors que je m’apprête seulement à sortir mon premier album. Des gens comme Nemir ou moi faisons des concerts depuis dix ans et, sans nous lancer des fleurs, on a une longueur d’avance sur la nouvelle scène. J’ai joué aussi bien devant trois personnes dégoûtées qui m’ont balancé des trucs à la gueule que devant 60 000 personnes avec Baste. J’ai fait des salles, des festivals, des clubs, des bars, j’ai joué avec Afu-Ra dans le sud, avec Big Red, avec Jamalski… On en a fait des trucs ! Je me rends compte que, par rapport aux mecs de mon âge, j’ai déjà pas mal bourlingué [rire].
Parfois, c’est difficile de le défendre parce que ce parcours underground n’est pas vraiment reconnu. Aujourd’hui, j’essaye de trouver des dates de concert et c’est très compliqué alors que je sais vraiment le faire. En tout cas, j’aime le studio mais c’est vraiment la scène qui m’importe le plus. De toute façon, je suis intermittent du spectacle donc je ne mange pas si je ne fais pas de scènes [rire] ! Pour moi, c’est mon métier de faire des concerts. Le rap n’est pas une passion qui serait, par hasard, devenue un travail. C’était une volonté de ma part d’en faire mon métier. Je pense que ça n’est pas le cas de toute la nouvelle génération et notamment des personnes révélées par les Rap Contenders. J’ai vu une interview de Jazzy Bazz dans laquelle il disait qu’il n’avait pas prévu ce qui lui arrivait. En ce qui me concerne, j’ai choisi de faire ça et il ne s’agit pas d’un hasard.
« J’aurais pu appeler mon album Lunatique mais c’était déjà pris ! »
A : Tu as toujours su que tu appellerais ton album Bipolaire ?
A2H : Non, il y a des morceaux qui sont antérieurs au choix du titre comme « Middle class » que j’ai écrit il y a un an et demi et que je voulais garder au chaud. Ce sont des morceaux qui n’avaient pas la gueule à se retrouver sur une mixtape. Je n’avais pas encore le concept Bipolaire. Ceci dit, c’est quelque chose qui reflète mon état d’esprit et ce titre coulait de source. J’aurais pu appeler mon album Lunatique mais c’était déjà pris [rire] !
A : Ce qui est frappant sur l’album c’est que tu as vraiment cherché à soigner sa musicalité.
A2H : Je veux commencer à montrer, petit à petit, que je suis aussi un musicien. Si certains rêvent d’être Method Man ou Busta Rhymes, je rêve d’être Kanye West ou Pharrell. Je ne veux pas être uniquement reconnu comme rappeur. J’écris, je produis, je chante, je m’occupe des projets des autres gars du crew, je joue de la gratte, de la basse, un peu de batterie, il est possible que j’écrive pour le prochain album de Monsieur Nov… J’aspire à être un artiste complet.
A : Est-ce que le parcours de quelqu’un comme Oxmo, qui a commencé avec des projets purement rap et qui aujourd’hui rencontre un autre public, te parle ?
A2H : Je n’ai pas envie de faire ce qu’il fait parce que le côté chanson française ne me plait pas spécialement, mais son parcours me parle complètement. J’aimerais bien écrire pour des gens extérieurs au rap par exemple et je suis justement en train de travailler avec Xanax sur le EP de Soraya, une jeune chanteuse. Il n’y a pas un grain de rap dans le projet qui est complètement soul. J’ai toujours kiffé bosser sur les projets des autres et c’est quelque chose que Gérard Baste fait beaucoup puisqu’il bosse pour Renan Luce, les Kaïra, Fatal Bazooka…
C’est aussi très compliqué de vivre uniquement du rap. Quand je vois le buzz dont bénéficie Deen Burbigo et que je regarde ses ventes, je me dis que c’est difficile de vendre des disques. C’est aussi pour ça que c’est plus intéressant de se concentrer sur les scènes, de bosser pour d’autres artistes, de vendre des prods etc.
A : Tu appréhendes la sortie de ton premier album et tes premiers chiffres de vente ?
A2H : Je sais que je ne vendrai pas énormément de disques, mais on va essayer de marketer cet album comme un disque de musique et pas seulement comme un disque de rap. On a vraiment bossé l’aspect musical sur ce disque et je pense que les gens qui ne sont pas dans le rap pourront avoir envie d’y jeter une oreille. Un morceau comme « Dehors » peut plaire à des gens extérieurs au rap qui n’apprécieront peut-être pas un titre comme « Soda ». L’album est assez ouvert pour qu’on en vende un peu mais, à moins d’aller sur le terrain de la Sexion d’Assaut, ça me paraît compliqué de péter le score. Après, ça peut aussi se faire sur le long terme comme ça a été le cas avec Hocus Pocus ou Oxmo.
A : Tu es musicien et, sur l’album, tu chantes sur quelques titres. Est-ce qu’il pourrait te prendre l’envie de sortir un projet entièrement chanté ?
A2H : Peut-être ! Aujourd’hui, je chante avec parcimonie parce que, même si je chante mieux que plusieurs personnes qui devraient s’abstenir, je ne me sens pas encore accompli. Je ne suis pas aussi à l’aise dans le chant qu’avec mon rap où je peux me greffer sur tous types d’instrus. Je dois encore travailler et, dans l’album, je n’ai mis que des choses que je suis sûr d’assumer. Je pense que j’irai davantage dans cette direction sur le deuxième album parce que ce sera une évolution logique.
A : Une fois ton premier album sorti, tu comptes le défendre un moment sur scène ou tu penses retourner rapidement en studio ?
A2H : C’est sûr que je vais tout faire pour le défendre sur scène parce que je pense qu’il a un vrai potentiel en live. Avec les morceaux déjà sortis, il y a moyen de faire un bon concert d’une heure, une heure et demie. J’ai envie de défendre ce disque sur une année, voire une année et demie. Il ne s’agit pas de faire quelques concerts et de passer à autre chose. Ceci dit, en parallèle, je vais bosser sur le deuxième album et on va aussi sortir la tape du collectif Palace. Ce sont ces deux projets qui seront prioritaires. Après, avec toutes les chutes de studio que j’ai accumulées, je sortirai peut-être une petite tape quand même [sourire].
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