Chronique

Willie Isz
Georgiavania

Lex Records - 2009

Plusieurs hypothèses ont entouré la naissance du duo Willie Isz. On a d’abord cru à un ersatz de Gnarls Barkley. Dans la peau du maestro aventureux : Jneiro Jarel, chantre de l’équilibrisme hip-hop, cerveau du groupe Shape of Broad Minds. A la place de Cee-Lo Green : le vétéran Khujo Goodie, son ex-partenaire au sein du quatuor Goodie Mob. Les premiers extraits ont rapidement mis fin aux spéculations : avec ses guitares traînantes, ‘In the red’ n’avait rien un ‘Crazy 2’, mais semblait plutôt encapsulé dans une parenthèse temporelle, quelque part entre le premier album d’OutKast et Soul Food, le classique de Goodie Mob. Admirateur des productions Organized Noize, Jneiro Jarel avait confié son envie de rendre hommage à cette époque charnière du rap d’Atlanta en invitant Khujo à le suivre. Voyage imaginaire vers une contrée mystérieuse où Georgie et Pennsylvanie seraient siamoises, Georgiavania ne serait donc pas être un exercice en retro-rock costumé, mais une relecture appliquée et un brin nostalgique de l’esthétique Dungeon Family, matrice du rap ATLien.

D’une certaine façon, la mission est accomplie. Emmené par la locomotive OutKast, la Dungeon Family fait partie de ces entités pour qui le rap était non seulement un confluent de la culture noire-américaine, mais aussi un vaste terrain d’expérimentation. A sa manière, Jneiro fait honneur à cette philosophie. Réputé pour ses influences hétéroclites – il revendique pêle-mêle les comic books, David Bowie ou J-Dilla parmi ses références – le producteur prend un malin plaisir à emprunter systématiquement les chemins de traverse. Pour le suivre dans ses compositions cryptées, limite schizophrènes, il fallait un esprit ouvert doublé d’un technicien hors-pair. Khujo Goodie relève le défi. Bluffant par sa capacité d’adaptation à un environnement sonore en perpétuelle mutation, le rappeur attrape au vol toutes les idées jetées en sa direction par son producteur. Même si Khujo n’est pas le rejeton le plus excentrique de la Dungeon Family, sa prestation fait figure de témoignage sur la créativité sans bornes du collectif aujourd’hui en sommeil. Peu importe le format, pop démantibulée ou funk spatial, il montre les crocs. Mais paradoxalement, c’est lorsque le duo adopte un classicisme quasi-scolaire – le fameux ‘In the red’ – qu’il livre le meilleur moment du disque. Insaisissables, les titres qui précèdent rendent ce petit bijou presque hors-sujet. Un comble.

Dans l’arbre généalogique de la « DF », Witchdoctor avait apporté au collectif un fragment de magie noire à l’époque de son premier album. Jneiro, lui, semble fasciné par l’image du donjon, nom donné au studio mythique dans lequel ont été enregistrés les premiers albums d’OutKast et Goodie Mob. A l’image de la pochette d’Even in Darkness, album-chant du cygne sorti en 2001 où chaque membre du collectif posait en habits moyen-âgeux, Georgiavania semble échappé de l’imaginaire médiéval. Prenez ‘The Grussle’ : Khujo s’y repaît d’un sample de violons irlandais croisé avec une rythmique de snap music. C’est le moment du disque où les deux artistes semblent vraiment trouver leur diapason. Georgiavania pourrait être une expérimentation de rap en armure, où un ménestrel survolté se tirerait la bourre avec un ogre réclamant son plat de résistance. Mais cette image curieuse est immédiatement floutée par de nouveaux virages, d’autres happenings, d’autres pistes à brouiller. Entre shoe-gaze rock, lambeaux de soul et rap distordu, Jneiro Jarel a tellement d’idées à faire copuler qu’il ne peut pas figer la silhouette définitive de l’entité Willie Isz. Simple co-pilote, Khujo Goodie passe à l’arrière-plan, éclipsé par le numéro de jonglage de son complice.

Les deux affirment pourtant avoir pris leur pied pendant l’expérience mais ni les médias, ni le public ne semblent les avoir suivis dans leur partie de cache-cache. Sorti dans la confidentialité la plus complète – et ce malgré le cachet Lex Records, label toujours prisé par la presse – l’album est passé à la trappe. La tournée européenne du groupe a été annulée et, depuis, Khujo a retrouvé Cee-Lo, T-Mo et Big Gipp pour officialiser la renaissance de Goodie Mob et arpenter le circuit de la nostalgie rap. Georgiavania s’enfonce donc dans l’opacité mais laisse derrière lui un petit je-ne-sais-quoi qui fascine, même si son rendu final n’est pas toujours à la hauteur de ses ambitions initiales. Pendant un temps, il a été question que cette aventure étrange ait une suite. S’il est vraiment exploré, ce prochain territoire pourrait être un peu plus accueillant, maintenant que Khujo et Jneiro Jarel ont griffonné, au prix de quelques ratures, les latitudes et longitudes de leur Terre du Milieu.

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*