Jungle Brothers
V.I.P.
Nombreux sont les groupes qui, ayant mis la barre très haut avec leur(s) premier(s) album(s), voire réussi à acquérir le statut envié de légendes vivantes, galèrent ensuite beaucoup pour maintenir le standing. Sur ce plan, les Jungle Brothers connaissent un destin bien spécifique. Parmi les possibilités, il y a d’abord les noms qui ont fait événement jadis, et dont on salue avec respect les nouvelles productions, même si on sait qu’elles n’auront plus jamais l’éclat d’antan, même si elles déçoivent un peu (De La Soul, d’ailleurs collègues au sein de la Native Tongue). On reste à jamais reconnaissant, en sachant qu’on qualifie trop vite d’album raté des œuvres qui, victime d’un étalon inaccessible, valent largement celles de célébrités plus récentes. Il y a ensuite ceux dont on se dit pour la énième fois que là, c’est plus que limite, que c’est vraiment l’album de trop, mais dont on ne peut décrocher sans douleur (disons Ice Cube). Enfin les déchus, les bannis, les irrécupérables, ceux qui ont définitivement sombré, sortant des daubes si redoutables qu’auprès des novices, on est presque obligé de faire semblant de ne jamais les avoir écouté (Naughty By Nature, ou LL Cool J). Les Jungle, c’est encore autre chose : on croit juste qu’ils sont morts. Or le cadavre est encore chaud, comme en témoigne ce LP de 1999, sorti dans l’indifférence générale. Etant donné qu’à l’Abcdr on ne rechigne pas devant les cas tragiques, voire les exhumations de rappeurs en chemises à fleurs (la couverture de V.I.P. n‘est pas tout à fait une réussite esthétique), on s’est dit qu’on allait tenter un petit diagnostic.
Ca commence avec le morceau-titre du LP, qui comme son nom l’indique, est clairement dancefloor, rythme speedé et refrain en avant. Pas fascinant, et selon l’humeur, plutôt sympa ou un peu pénible. ‘I Remember’, revisitant un thème classique (par exemple recyclé par The Alkaholics et Coolio), relève le niveau : une petite balade tranquille, qui se laisse écouter. Puis vient le tour du surprenant, et indigeste, ‘Get Down’ : une invitation à bouger son corps beaucoup trop épaisse pour être honnête. On se croirait à l’alternative »dance » sur M6 – pas le summum. Une fois remis de sa migraine, on accueille avec une franche et amicale tape dans le dos le bienvenu ‘Early Morning’. Un morceau réussi et sautillant, efficace au lever, avec une prod’ plus que potable : un peu de cordes, un peu de cuivre, des variations de style, deux flows bien agencés. L’espoir renaît.
Arrivée du gros steak : ‘Down With The JBeez’ est l’occasion d’inviter les Black Eyed Peas, Sense Live et Alex G. (qui produit en outre l’ensemble du LP, épaulé ponctuellement par quelques autres) sur un morceau de 8’43 posé sur un sample de guitare. Voilà qui remplit bien son office ; on note ainsi une courte perf’ appréciable d’un des MC’s des BEP sur un break/scratch, et surtout un a cappella croisé du meilleur effet en fin de banquet. Sans atteindre des sommets, loin s’en faut, son successeur ‘The Brothers’ est un morceau convenable, avec une ambiance de cathédrale un peu lourde. Les frangins ont une tendance fâcheuse à s’appesantir sur les refrains. Ca part complètement en sucette sur ‘Party Goin’ On’, délire syncopé avec voix enchevêtrées, qui a dû fâcher pas mal d’oreilles. Puis vient le temps du bouillant ‘Sexy Body’, toujours pas ni d’une originalité ni d’une subtilité aériennes (Refrain : »The way you move, your sexy body, It makes me want to get to know you a little bit better… »), mais dont la basse graisseuse s’avère en fin de compte assez stimulante (ne m’interrogez pas sur cette association d’idées qui me rend moi-même assez perplexe).
‘Playing For Keeps’ s’annonce comme un blues sombre et plutôt lent, une petite poussée de flow et puis s’en va – place au chant. En tant que tel, pas de quoi se lever la nuit, mais le track est assez accrocheur, le genre idéal en arrière-fond sonore d’une soirée PES3, si vous voyez ce que je veux dire (je suis sûr que vous voyez). ‘JBeez Rock The Dancehall’ renoue avec un beat ultra-speed, un peu jungle, un peu dance. Vraiment curieux, il faut s’habituer. La prestation en termes de emceeing est stupéfiante sur le plan technique, mais je serai malhonnête en disant que j’accroche sans réserves, malgré quelques scratchs bien troussés. Dans une veine que le lecteur a maintenant bien saisie (super la teuf’, eh toi viens par là que je t’attrape), ‘Freakin’ You’ est un morceau dancefloor, plus chanté que rappé, qui ne dépareille pas avec le reste. Disons qu’il faut être dans l’ambiance. Pendant 6’13.
N’y a-t-il donc rien à sauver sur ce putain de LP ?, t’écries-tu énervé, cher lecteur, et je te comprends. Eh bien si, les frères ne sont pas indignes, figure-toi. Ils sauvent le coup in extremis ; qui reste jusqu’à la fin est récompensé. ‘Strictly Dedicated’ se distingue haut la main, frais et mobilisateur sans être putassier, avec même d’excellentes transitions dans la composition, un son qui se transforme au fur et à mesure avec pas mal de classe, à quoi s’ajoutent pertinemment scratchs et clavier. On ne crachera pas dans la soupe pour les 9’07, et on laissera couler l’instru.
En somme, c’est certain, on ne tient pas là de quoi casser la gueule à un de ses potes pour lui piquer l’ouvrage. Loin de nous l’idée d’affirmer qu’il est mauvais ; on conserve même comme une forme d’indulgence. Afrika et Mike G sont loin de rapper comme des manches, il y a quelques phases bien menées et le son, qui s’aide d’arrangements instrumentaux, est fouillé. En soirée, V.I.P. est en mesure de produire son petit effet. Bien. Certes, les Jungle Bros ont toujours été positifs et funky. Mais on ne s’attendait pas à ce qu’ils versent totalement dans le rap pour bagnole. A l’écoute d’une œuvre exclusivement dédiée aux cotillons, on peine à imaginer que les Jungle furent des fers de lance du mouvement afro (cf. ‘Black Is Black’ sur »Straight Out The Jungle » ou ‘Acknowledge Your Own History’ sur »Done By The Forces Of Nature »), et on trouve que tout ça sent fort l’air du temps, et pas du meilleur. Alors on fait comme souvent : on hausse les épaules, et on retourne aux bases.
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