Frankenstein
UV
Il est des hommes qui, sans y aspirer, passent leur carrière éloignés des projecteurs. Et il en est parmi eux des besogneux, qui, non sans être talentueux, demeurent dans l’ombre de congénères dont l’adresse se résume à savoir capter la lumière. Frankenstein incarne ce créateur maudit désigné par son blaze.
Car Frank Fallico, petit blanc de Toronto fan de basketball, est au rap ce que peuvent être Mark Price ou Dan Majerle à ce sport. Des valeurs sûres, conservant la reconnaissance des puristes à travers l’histoire, mais en aucun cas ces top players autour desquels on bâtit une équipe ou une célébrité. Soldats dévoués faisant avancer leur art, mais dont l’emprunte ne se traduira jamais en titres de MVP ou au classement au billboard. Soldats voués tout juste à un album ou à un All-Star Game.
Rappeur racé et beatmaker inspiré (par l’école Havoc surtout), le Dr. Frankenstein sortira de son labo-label Knowledge of self quelques premières expérimentations remarquées dès 1994. Des maxis essentiellement circonscrits à Toronto, ville à la fois si proche géographiquement de New York, et à jamais trop éloignée pour sa musique.
Le pont aurait toutefois pu se faire en 1997 pour Frankie Ano, lorsque ces premières autoproductions aboutissent au EP vinyle UV. Sept titres avec instrumentaux auxquels viendront s’ajouter les maxis Rain is gone et All hands (plus deux interludes) pour en former une version CD. Faisant ainsi ressembler l’EP initial à un mini album qui restera à ce jour la seule trace discographique d’envergure de Frankenstein.
Et, même si sa compilation de remixes Live from New York sortira en white label à cette même période, rien ne fera émerger le Canadien au-delà de l’underground. Se contentant seulement d’un succès d’estime auprès de certains grâce à ses qualités de producteur, et à une reconnaissance relative auprès d’autres quant à celles de MC. Les protectionnistes US le laissant à l’unisson à ses collaborations avec Grimace Love, Saukrates ou Choclair (avec pour résultat le non moins superbe « So I »).
Pourtant le Funkmaster Frankenstein fera son possible pour mettre en avant l’ensemble de qualités évidentes à l’oreille, s’évertuant à produire et à peaufiner jusqu’au mix chacune de ses sorties. UV de Frankenstein, c’est en quelque sorte la création du docteur acharné, élaborant méthodiquement sa créature dans son antre. Prenant des éléments de la musique du passé et les rafistolant pour créer quelque chose de nouveau, en y injectant son esprit. Car au-delà de productions aux boucles et breakbeats bien ficelés – où les pianos sont à la fête – les textes sont tous d’une authenticité et d’une qualité certaines. « Rain is gone » et « Agony and ecstasy », les deux premiers titres de l’album, avaient bien toutes les composantes pour être ajoutés aux playlists des mixtapes d’alors. Un brin trop mélancoliques peut-être pour ce genre d’ambition, mais des classiques en puissance, à côté desquels pourraient être rangés « Combine with Frankenstein » et « All hands », morceaux ostéopathiques sachant adroitement faire basculer les cervicales.
Avec treize années de recul, UV reste un onze titres massif et cohérent, sans faute de goût, avec des refrains et des scratches efficaces, un flow percutant, de la rime et un sens de la mélodie évident… Autant d’ingrédients qui concourent à faire de ce mini album le symbole d’une époque pleine d’effervescence. Là où justement son tort sera peut-être aussi d’être apparu à un moment où foisonnaient les bons enregistrements.
Reste cependant une interrogation : Et si Frank Fallico était né noir dans le Queens avec une attitude plus travaillée ? A cela une seule certitude : n’est vraiment pas Steve Nash qui veut.
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