Yelawolf
Trunk Muzik 0-60
Les blancs dans le rap, ça a toujours été un problème. Il faut toujours qu’ils se démarquent, qu’ils en fassent plus que les autres ou qu’ils inventent des univers déjantés à la limite de la folie. Même un groupe aussi important que les Beastie Boys a mis du temps à faire réellement partie des légendes reconnues du rap. Après avoir trouvé un héros invincible en la personne de Marshall Mathers, la donne a changée. Maintenant aucun artiste rap à la peau claire ne peut éviter la comparaison. Déjà lorsqu’Eminem explosa entre les mains du Docteur, Cage, Necro ou RA the Rugged Man faisaient la gueule de s’être fait souffler la place. Nous sommes maintenant dix années plus tard et un nouvel énergumène tout droit sorti de son Alabama poisseux vient remettre toute cette hiérarchie à l’envers. Il aime les gros moteurs, les tatouages, le skate et les coupes de cheveux improbables. En hommage au sang Cherokee qui coule dans ses veines, il se fait appeler Yelawolf.
Complètement inconnu il y a encore quelques mois, Yelawolf est désormais parmi les artistes rap les plus en vue. Deux apparitions en 2009 lui ont suffi pour faire monter ce buzz : le refrain du single de Slim Thug « I Run » et le très bon duo « Mixin up the medicine » avec le revenant Juelz Santana. Ces deux morceaux lui ont permis d’exposer une prédisposition aux refrains très mélodiques, catchy. Ils ouvrent aussi une fenêtre sur un univers plus dur et complet. Son style intrigue, le catalogue dans cette culture skate dans laquelle il évolue. En effet, à deux doigts de devenir professionnel, il abandonne sa planche à roulette suite à de multiples blessures et se tourne finalement vers la musique. En janvier 2010 sort Trunk Muzik, la mixtape, une démonstration affolante de maîtrise technique et de versatilité musicale. Peu de temps après, il décroche un contrat chez Interscope et réalise un duo avec Big Boi sur une prod d’Andre 3000, consécration ultime pour ce fan d’Outkast. Avec en plus une tournée réussie aux côtés de Wiz Khalifa, une invitation au mythique Rock The Bells et même une apparition dans le fameux BET rap cypher, la carrière de Yelawolf prend des amphétamines.
Trunk Muzik 0-60 est donc le premier album de Yelawolf et finalement, il s’agit plutôt d’une version améliorée de la mixtape sortie quelques mois plutôt. L’ajout du « 0-60 » dans le nom peut représenter ses accélérations assassines mais aussi le transit de cette année, le passage du point mort à la vitesse de pointe. De nombreux titres étaient déjà présent sur la première version mais se retrouvent ici améliorés au niveau du son, proposés dans de nouvelles versions. Ou pas. Mais vu qu’il s’agissait déjà de morceaux implacables comme le dangereux « Pop the trunk » ou le rebondissant « Box Chevy », on ne boude pas notre plaisir. Le style de Yelawolf est électrique, basé sur des changements de rythme à toute épreuve. Il n’est pas étonnant de voir Twista, Mystikal et Busta Rhymes cités parmi ses rappeurs préférés. En effet, il développe tout au long de l’album un fast flow d’une technique sans faille mais mise à disposition de la musicalité, jamais avec la performance comme but unique.
Chaque morceau propose une nouvelle interprétation, un nouveau pan de son talent. Quasiment entièrement produit par son pote Will Power, l’album forme un ensemble très cohérent aux multiples facettes, composé en grande partie de productions synthétiques, parfaites pour faire bondir sa bagnole dans les rues malfamées. Très influencé par la musique du Sud qui l’entoure, Yelawolf en présente une version moderne, préférant des ambiances plutôt dépouillées qui lui laissent beaucoup de place. A certain moment, comme sur « Billy Crystal » ou « Trunk Muzik », on a vraiment l’impression qu’il parle, qu’il nous raconte une histoire dans le creux de l’oreille avec une métrique parfaite.
Il nous parle de voitures, de soirées arrosées, d’ambiance crasseuse de la campagne, de vices cachés pas si éloignés de ceux de l’environnement urbain. Il explore les méandres de l’Amérique profonde, la jeunesse qui s’emmerde, les parents qui abandonnent, la pauvreté tapie loin des regards, les faces les plus sombres de la société. Il dilue toute cette réalité à travers sa culture musicale très large, du Wu-Tang à 8ball & MJG en passant par OutKast, mais aussi les Hieroglyphics, Lynyrd Skynyrd et Bon Jovi. Une diversité que l’on retrouve dans deux morceaux rap-rock, l’intro « Get The Fuck Up » et le bien nommé « Marijuana », reprenant l’énergie et le gimmick de Nirvana. Style casse gueule par excellence, le mélange est ici parfaitement dosé, brutal et maîtrisé. En évitant le piège de la fusion, ils trônent même parmi les meilleurs morceaux de l’album.
Les duos fonctionnent : bien avec Bun B, qui peine tout de même à suivre la dextérité de son hôte; moins avec Raekwon, dont la présence ressemble un peu à une caution « vrai hip hop » ; et parfaitement avec Gucci Mane, qui s’immerge complètement dans l’univers de Yela, biche empaillée, college girls finement bourrées et drogues psychédéliques. Mais c’est surtout avec son collègue Ritz The Rapper, et son style de géant écossais chevelu, que l’alchimie opère à merveille. A surveiller de près.
Bien sûr, les avertis seront un peu déçus du nombre peu fourni de nouveaux titres mais cette version définitive est beaucoup plus complète et cohérente. L’aptitude de Yelawolf à raconter les histoires, trouver des refrains fédérateurs et créer des ambiances avec une technique irréprochable le place parmi les nouvelles têtes les plus prometteuses du rap actuel. La tendance White Trash est bien présente mais avec plus de subtilité et un spectre plus large qui lui évite une simple comparaison aux débuts du blondinet de Detroit. Sa véritable force se trouve finalement dans sa facilité à mixer la culture indépendante skate et les traditions musicales sudistes. Cet hybride musclé donne naissance à un son unique, bien loin de toute étiquette. Et Trunk Musik 0-60 est la parfaite carte de visite pour présenter cet artiste hors norme qui devrait marquer son temps.
Pas de commentaire