Chronique

Army of the Pharaohs
The Unholy Terror

Babygrande Records - 2010

Finalement, ils reviennent toujours. The Torture Papers, premier album d’AOTP, était sorti de nulle part, après un hiatus de plus de cinq ans. Ritual of Battle avait suivi dix-huit mois plus tard, alors qu’on doutait encore de la pérennité du projet. Après avoir vu sa date de sortie maintes fois repoussée, The Unholy Terror a finalement trouvé le chemin des bacs. Et c’est tant mieux. Car les volontaires ne se bousculent pas au portillon pour perpétuer une tradition qui a pourtant donné de belles heures à la musique Hip-Hop : celle des super-groupes, des collectifs XXL, des légions de MCs avides de bouffer du mic et assoiffés de compétition. La plupart des grands crews des années 1990 sont aujourd’hui moribonds ou enterrés. Les Pharaons ne les ont pas remplacés, malgré beaucoup de bonne volonté. Toutefois, leurs disques ont toujours contenu leurs lots de grands moments, les érigeant en référence actuelle d’un rap hardcore, violent et sombre.

Dès Ritual of Battle, il paraissait d’ailleurs clair que la consistance d’un opus d’AOTP se jugerait au nombre et à l’efficacité de ces grands moments, et pas dans la qualité d’ensemble du produit. Le crew est complètement déstructuré et bordélique, c’est même ce qui fait son charme. A partir de là cependant, impossible d’imaginer une réelle direction artistique ou un son propre. Il faudra se contenter de compter les bangers, à défaut de pouvoir espérer un jour un album qui marquera son temps.

Et des bangers, The Unholy Terror en contient un nombre conséquent : ‘Godzilla’ et ses cuivres menaçants, le soulful ‘Suplex’ ou encore ‘Suicide Girl’, mélancolique et désabusé, dans un registre assez inattendu. ‘Bust’em In’ et ‘Spaz Out’, tout aussi efficaces, voient l’armée s’illustrer dans sa zone de confort : les couplets carnassiers s’enchaînent sur des breaks de batterie violents et des samples de musique classique. Toutefois, le joyau de l’album est ‘Cookin’ Keys’. La prod de DJ Kwestion est d’un tel niveau qu’on regrette un peu que le roster de MCs y posant ne soit pas plus fourni. La boucle du morceau, des cloches magnifiquement soutenues par une ligne de basse bien lourde, entre dans la tête pour ne plus en sortir. Le titre tient presque la comparaison avec ‘Seven’, perle du précédent opus du crew.

Mais paradoxalement, par ses qualités ‘Cookin’ Keys’ met en lumière le principal défaut de The Unholy Terror, à savoir un certain manque de musicalité. Dans leur sélection de beats, les pharaons ont plutôt privilégié les instrus violents aux structures rythmiques lourdes, au détriment de prods dont l’efficacité résiderait plus dans le choix des boucles. Certes, cette décision répond à une certaine tendance, dictée par les beatmakers qui montent dans le boom-bap, et ces supports seront probablement d’une efficacité redoutable en concert. Mais sur disque, cela donne au volet musical un côté cheap, et un manque de profondeur. Difficile de trouver ce qui distingue les instrus de ‘Ripped to Shreds’, ‘Drenched in Blood’, ’44 Magnum’, ‘Dead Shall Rise’ et ‘Hollow Points’ les unes des autres. La nébuleuse AOTP regorge pourtant de beatmakers de qualité : sans même évoquer Stoupe, citons DJ Kwestion, Celph Titled, Apathy, Esoteric, King Magnetic. Difficile de comprendre pourquoi ceux-là n’assurent pas une part plus importante de la conception sonore de l’album, au détriment d’intervenants extérieurs. L’attention portée à cette dimension devrait d’autant plus être jugée primordiale qu’avec AOTP, une bonne production est souvent synonyme de bon morceau.

En effet, pour peu que l’on ne soit pas rebuté par le style bourrin de la majorité des MCs, il n’y pas grand-chose à jeter niveau rapping sur The Unholy Terror. Le crew a développé une certaine complémentarité en son sein, et la gestion des apparitions de ses membres est plus intelligente. Les MCs secondaires (Demoz, Doap Nixon, King Syze) sont moins présents que par le passé, et des têtes d’affiche jadis discrètes (Reef the Lost Cauze, Crypt the Warchild, Apathy) s’illustrent plus souvent. De cette façon, l’émulation joue à plein : les moins connus sortent leurs couplets les plus rageurs pour rentabiliser au maximum leurs apparitions, et les figures majeures ne peuvent par conséquent pas se contenter d’y aller à l’économie. S’ensuit une course à la phase percutante et à la punchline la plus marquante, dont King Magnetic sort vainqueur : « I’m Magic before retirement, illest in the game ».

Au final, The Unholy Terror est à l’image de ses deux prédécesseurs : inégal, sans cohésion, mais fournissant un nombre de bangers assez important pour en faire un disque d’une qualité supérieure à la moyenne. On ne peut toutefois s’empêcher de nourrir des regrets quant à certaines productions, assez indignes de la qualité des MCs. La volonté d’apporter quelques innovations comme sur ‘Suicide Girl’ est par ailleurs louable, même si cela peut également tomber à plat, comme l’horrible refrain chanté et autotuné de ‘Burn You Alive’. Rendez-vous est donc pris pour un quatrième album. Gageons que celui-ci ne marquera pas son temps non plus, mais qu’il fournira encore un lot précieux de bons morceaux, appelés à tourner en boucle pendant quelques mois.

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