Chronique

Young Jeezy
The Recession

Def Jam Recordings - 2008

Jeezy est un homme de son temps. Débarqué en 2005 comme révélation du rap game version cocaïne, il en devient le VRP principal, invité sur tous les albums et remixes qui comptent. Avec cette musique de dealer délivrée par kilos dans les rues d’Atlanta, ralentie à l’extrême, compensée d’adlibs à gogo et de refrains scandés comme des slogans, Jeezy se place presque plus comme un énorme marketing qu’un rappeur dans la forme classique qu’on pouvait connaitre jusqu’ici. Une forme nouvelle pleine de talent.

Alors que certains le voyaient uniquement comme un produit d’appel ou un énième porte-drapeau de la scène d’Atlanta à l’heure où T.I. explose, Young Jeezy montre justement dans la continuité de ses trois albums qu’il a une patte très personnelle, une évolution et une démarche le rendant quasi indispensable au rap moderne. Son premier opus, Thug Motivation 101, a fait de lui le représentant musical des dealers de coke à travers le monde. Sous le nom de Snowman, il est devenu le fer de lance de la Trap Muzik, un dealer qui se défie de faire du rap mais plutôt une description fidèle de la rue. Un reporter froid et implacable, relatant son univers sans fioritures. Une excuse pour ne pas être vraiment extraordinaire derrière le micro et se cacher derrière son expérience de la rue ? Ce doute est vraiment éclairci sur le deuxième album de Jeezy, The Inspiration, petit bijou noir qui n’aura pas le même succès que le premier malgré un univers plus poussé et plus large et un son marchant subtilement sur un fil entre la rue et le mainstream. Une véritable réussite. Mais le monde veut la Trap Muzik de Jeezy, ce discours qui te prend aux tripes, martelé sur des rythmiques sombres de Shawty Redd ou Midnight Black, le son qu’il a inventé, ou tout simplement démocratisé. Que le monde soit heureux, The Recession marque ce retour Trap.

Quand on écoute The Recession, on a l’impression d’être au milieu d’un champ de bataille avec Conan le Barbare ou survolant une jungle luxuriante en hélicoptère avec la chevauchée des Walkyries à fond dans le ghetto blaster. C’est épique, grandiose, tout dans le fracassant, rien dans la retenue. La voix de Jeezy se fait plus rauque, encore plus envahissante quand ses « yeaaaaaaaaaah » de plusieurs secondes s’immiscent dans nos conduits auditifs. Il a clairement le sens de la formule, simple, efficace, le refrain qu’on retient toute la journée parce qu’il n’a que trois mots et une mélodie accrocheuse. En fait, Jeezy a trouvé sa signature et la développe tout en expérimentant. Loin de reproduire le même morceau à l’infini, il propose des nuances et des interprétations qui lui sont propres. Un style vraiment intuitif sur une bande sonore presque tribale, le résultat est quasi animal tout en étant réfléchi. Une symbiose vraiment étrange qui touche au but seulement si on en accepte les règles.

The Recession est fait d’un seul bloc, l’ambiance générale est assez monolithique. Pourtant Young Jeezy trouve toujours l’interprétation qu’il faut, sans que ce soit compliqué ou vraiment inattendu. Rien n’est surprenant mais au fil des morceaux se dégage un véritable ensemble, un album à l’ancienne. C’est assez étonnant finalement qu’un des piliers de ce rap plutôt consommé sans être commercial soit un des derniers à réaliser des albums au sens classique du terme et non des compilations ou suites de morceaux sans âme. Les productions et le nombre limité d’invités y sont pour beaucoup. Grande année pour Drmma Boy : entendu sur les albums de T.I., Rocko ou Rick Ross, le producteur assure un véritable tour de force en produisant trois des meilleurs tracks. Suivi de peu par Midnight Black, ils réalisent à eux deux la colonne vertébrale de l’album. Un balancement intéressant s’opère à partir du très bon ‘Circulate’, beat semi-gogo collant à l’original de Billy Paul, produit par un Don Cannon actuellement très en forme. Le son se fait alors moins synthétique, dans un esprit Blaxploitation 2008. Les thèmes deviennent plus légers sans être putassiers. Peu de déchets, peut être sur la fin mais l’utilisation de Trey Songz et Anthony Hamilton à si bon escient ainsi que les très bonnes apparitions de Kanye West et Lil Boosie effacent vite quelques longueurs.

Finalement la véritable essence de cet album est dans son thème : The Recession. Ouvrant sur une introduction titanesque de Dj Toomp, Jeezy brosse un portrait de l’Amérique au bord du gouffre comme un véritable reporter de guerre. Une Amérique ruinée, « everybody’s broke », une photo de quelques cents dans le creux d’une main derrière le CD, un artwork qui fait un peu penser au drapeau serré d’Ideal J, un constat amer mais tout de même plein d’espoir. Cet album aurait pu être le fil rouge de la campagne d’Obama, au pas de charge, éloquent et juste. Terminant par ‘My president is black’ au côté de Nas, le contenu en devient tellement réel, presque prophétique. The Recession est un morceau de vie musicale et sociale contemporain, sans être moralisateur ou réellement politique. L’écoute de The Recession dans quelques années rappellera ce témoin, cette époque faite de désillusions et d’espoirs. Un constat réel mis en musique, la bande son de notre temps.

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