Quasimoto
The Further Adventures of Lord Quas
Le retour de Quasimoto le cinglé : Another Madlib Invasion.
Six années se sont écoulées depuis Hittin Hooks, la première galette entièrement consacrée aux frasques sonores de l’irréel Quasimoto, un être hybride échappé de l’univers de Madlib le schizophrène. Personnage fictif, toujours invisible, mais devenu incontournable depuis l’improbable mais génial The Unseen, le petit lutin malicieux n’est désormais plus une simple curiosité ni une plaisanterie dépassant brusquement le cadre confidentiel d’un groupe d’initiés. Le traumatisme causé par cette première échappée associé à quelques apparitions remarquées (‘Don’t trip’ sur Andsoitissaid, ‘Strip club’ avec Dilla sur Jaylib ou l’addictif ‘Shadows of Tomorrow’ sur Madvillainy), l’ont imposé comme un artiste à part entière, véhiculant les fantasmes les plus sombres d’un Madlib introverti et dont la musique constitue le meilleur moyen d’expression. Toujours possédé par cette obsession maladive des boucles, le protégé de Peanut Butter Wolf évacue donc, une nouvelle fois, ses frustrations dans une psychanalyse sonore digne du thérapeutique premier album solo du majestueux Prince Paul (Psychoanalysis: What is it ?). Welcome to Dr. Madlib et Mr. Quas.
Le cerveau en fusion, poussé par une surproduction maladive et une inspiration toujours renouvelée, Madlib propose donc un nouvel épisode des folles aventures de cet incontrôlable MC imaginaire. Jamais aussi à l’aise que dans le rôle de l’architecte sonore, le producteur d’Oxnard compose un nouvel univers atypique, piochant dans une multitude de genres musicaux, passant du rock psychédélique, au jazz, à la musique traditionnelle indonésienne, tout en recyclant quelques vieux classiques rap (‘Fatbacks’ détourne non sans humour le ‘Fatpockets’ de Showbiz & A.G., puisque Quas y évoque sa fascination pour les postérieurs féminins joliment rebondis). Cet étonnant patchwork d’influences et sonorités éparses, empilées avec plus ou moins de réussite, prend par instant des allures de périple surréaliste, oscillant entre brutales descentes d’acide et soudaines montées fiévreuses d’absinthe. Le supra-minimaliste ‘Life is…’ côtoie ainsi les riffs de guitare enflammés de ‘Raw addict Pt.2’ et le synthétique (mais hautement chargé en THC) ‘Greenery’. La cervelle anesthésiée, le modeste auditeur se retrouve comme pris en otage d’une aventure sonore particulièrement fragmentée, entrecoupée de multiples interludes, parodies de publicité, extraits de séries télévisés et autres interventions de Melvin Van Peebles, entremêlées à des bouts de boucles inachevés donnant à l’ensemble une dimension particulièrement imagée mais aussi sérieusement bordélique.
Placé au centre de ces rythmiques à l’éclectisme constant, parfois envoûtantes et intrigantes, Quasimoto expose ses visions psychédéliques et déjantées. Toujours investi dans une quête intergalactique du breakbeat ultime (‘Raw Addict Pt. 2’), il entonne un authentique hommage au Hip-Hop de la fin des années 1980-90 sur un ‘Rappcats Pt.3’ répondant au ‘Jazz Cats pt.1’ de « The Unseen », fracassant le crâne des bien pensants d’un bon coup de brique tout en descendant toutes les bouteilles du bar (‘Bartender say’) et en prêchant pour une consommation complètement excessive d’herbes éclaircissant son horizon. Rajoutez quelques histoires légères avec la gente féminine, plusieurs allusions à Sun Ra, beaucoup d’addictions et une multitude de références musicales et vous aurez fait le tour de l’univers de Quasimoto, comprenant au passage que celui-ci n’a pas franchement évolué depuis The Unseen.
Loin d’être hautement philosophiques, dépourvus de toute hargne moralisatrice, les récits de Lord Quas ne manqueront assurément pas de frustrer les quelques égarés écoutant de la musique, et plus encore du rap, comme on s’épanche sur la philosophie analytique. Mais l’intérêt d’un tel album est bien entendu ailleurs et ce The Further Adventures of Lord Quas a plutôt pour vocation d’offrir une sérieuse trêve syndicale à nos neurones déjà sérieusement sollicités par la consommation diverse et variée, mais toujours religieusement excessive, de drogues.
A la fois génialement barrée et bigarrée, musicalement plus diversifiée que The Unseen, cette nouvelle échappée de l’insaisissable Quasimoto saura, une nouvelle fois, ne pas laisser indifférent tout en réussissant l’exploit de s’inscrire complètement en dehors de son temps. Et si le découpage abrupt et parfois trop rapide des subtiles compositions de Madlib s’avère parfois frustrant, difficile de ne pas s’enthousiasmer pour les nombreux moments de purs plaisirs (‘Privacy’, ‘Bus ride’, ‘Fatbacks’, ‘The exclusive’, ‘Raw Addict Pt.2’) disséminés tout au long de cet album. Another Madlib Invasion.
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