Chronique

The Game
The documentary

G-Unit Records / Aftermath Entertainment / Interscope Records - 2005

Il aura donc suffi de trois ans pour que The Game devienne la rap star qu’il rêvait d’être. En 2002, l’enfant de Compton fait ses premières armes aux côtés du débrouillard JT the Bigga Figga. L’année suivante, il signe chez Aftermath. En janvier 2005, son premier album, The documentary, s’écoule à 1 million d’exemplaires en trois semaines. The Game don’t wait. Le succès de The Game, c’est le succès d’Interscope, redoutable machine promotionnelle, celui de Dr Dre, directeur artistique de génie, et celui de G-Unit, le crew dominant qui n’en finit plus de coacher, développer et propulser des variantes de 50 Cent dans les charts. Soutenu par cette hydre à trois têtes, le jeune rappeur californien est confortablement installé dans l’ascenseur pour la gloire, mais il est injuste et hypocrite de réduire son premier album à un simple coup marketing. The documentary est un produit calibré, évidemment, mais également un projet d’une puissance assez ahurissante.

Les rappeurs disent souvent que le rap est la bande originale de leur vie. Chez The Game, l’expression prend tout son sens. « I’ve been rappin for one year, one month, 17 days, 13 hours, 28 minutes, then I met Dre, 30 minutes after I bought the new Em, That was November 18th, 3:09 PM, Around the same time, ‘Wanksta’ got it’s first spin« . Même si Game évoque de temps à autre des histoires presque touchantes, comme la naissance de son fils dans l’excellent ‘Like father like son’, son premier album parle essentiellement d’une chose : le rap. Comme d’autres avant lui, Game a fantasmé en feuilletant les magazines (« I had dreams of fuckin a R&B bitch like Mya when I saw that ass on the front of that King« ), il a étudié l’organigramme de l’industrie (« Sylvia Rome and Kevin Lyle slept cool, Jimmy Iovine was the best move« ) et a écouté en boucle ses classiques (« Same bloody t-shirt, same address, Same « Dogg Food » album bangin in my tape deck« ). Le LP est truffé de références au monde du rap, peut-être trop, mais derrière chaque clin d’œil et chaque comparaison hasardeuse, on découvre un jeune homme fou de hip-hop qui s’est retrouvé catapulté au milieu de ses idôles du jour au lendemain. Ainsi, The documentary est l’album d’un enfant du rap, et c’est en ce sens un disque plus personnel qu’il n’y paraît, malgré la patte de Curtis Jackson sur de nombreux refrains (‘West side story’, ‘Hate it or love it’).

Toute la promotion du LP portait sur un seul aspect : le retour en force de la côte ouest sur l’échiquier rapologique. L’album aurait même du s’appeler « Nigga with an attitude, volume 1« , en référence à Eazy-E, son idole, qu’il a tatoué à son bras juste en dessous d’un Tupac Shakur angélique. Mais Game a beau multiplier les références au folklore californien – low rider, jerry curls, Chuck Taylors – le « G » de Game est moins celui du G-Funk que de G-Unit. Bien sûr, la grande réussite de The documentary, c’est la production. Un aperçu du casting ? Côté compositeurs : Timbaland, Dr Dre, Hi-Tek, Eminem. Côté sampleurs : Havoc, Buckwild, Just Blaze, Kanye West, Cool&Dre – tous sur leur 31. Sur le papier, l’effectif donne le vertige. Sur disque, l’exercice tourne à la démonstration de force. Entre la composition limpide et magistrale de Hi-Tek (‘Runnin’), la production « électro-convulsive » de Timbaland et les frappes d’un Just Bla(aaaa)ze décidément déchaîné, on ne sait plus où donner de la tête. Porté par Dre et ses sbires, tantôt en pilotage automatique (‘How we do’), tantôt en pilonage intensif (‘Higher’), The documentary est de ces albums dont chaque production sera rééexploitée pendant des mois dans les freestyles des rappeurs en quête de contrat sur toutes les mixtapes du monde.

Si l’on en croit l’opinion répandue selon laquelle The documentary est une sortie sur-évaluée et sur-médiatisée, alors le premier album officiel de The Game devrait déjà prendre la poussière sur les étagères des auditeurs prisonniers de la hype, forcément passés à l’étape suivante : The massacre. Il semble que non. Écoute après écoute, c’est un disque d’une solidité à toute épreuve qui se révèle. Même s’il est symptomatique de la folie marketing des majors et représentatif du standard actuel de promotion des rappeurs (un passé trouble + 2/3 coups de feu + des pectoraux luisants), The documentary est un disque efficace et imparable, grâce à la direction méthodique du combo Dr Dre/50 Cent. On en a pour son argent. Et c’est bien là l’essentiel.

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