Chronique

Vakill
The Darkest Cloud

2003

Cela peut apparaître comme une lapalissade pour tout auditeur de musique Hip-Hop qui se respecte, mais il semble parfois nécessaire de le rappeler pour les novices souvent prompts à schématiser de manière hâtive : la réduction du rap US à un quelconque axe New-York/Los Angeles souligne une ignorance totale quant à la richesse géographique du genre. Si des villes comme Houston ou Miami furent les premières à rompre cette domination de façade, Oakland, Boston ou Philadelphie jouissent désormais également d’une place de choix. Victime d’une éclosion plus timide, la ville de Chicago s’était jusque là contentée du fatiguant Common comme seul et unique ambassadeur. Heureusement, tout se transforme, et le vent semble tourner dans la ville des Bulls : désormais, il faut compter sur Qwel, Galapagos 4, le crew de producteurs Molemen. Et cela tombe bien, car The Darkest Cloud voient ces derniers offrir leurs services au MC qui monte à Windy City, Vakill.

Celui-ci, affilié au clan Weathermen, s’est en quelques années (et notamment depuis un premier album intitulé « Kill’em All ») construit une solide réputation de battle rhymer. Néanmoins, Copywrite, Canibus et tant d’autres l’ont prouvé, miser sur les seules battles lyrics pour se bâtir une carrière est un pari plus que risqué : alors, histoire de limiter d’emblée les risques, Vakill voit son album entièrement produit par le pool de producteurs le plus en vue du moment…

Et bien lui en prend. Le défaut essentiel de The Darkest Cloud est qu’il tutoie trop rapidement la perfection pour qui n’y prêterait pas d’emblée une oreille attentive : en effet, les deux premiers titres, The Darkest Cloud’ et ‘The Creed,’ sont d’une telle qualité que ce qui suit peut dans un premier temps paraître un peu fade. Si le morceau qui donne son nom à l’album fait dans le brut de décoffrage à l’aide d’une basse ronde et d’un break de batterie qui tape très fort, ‘The Creed’ se révèle plus tranquille, la boucle de piano pris pour thème principal promettant de rester gravée dans les mémoires.

Une écoute trop rapide de l’intégralité de l’album pourrait donc déboucher sur un constat net et sans appel : The Darkest Cloud est inégal, et ses protagonistes n’ont pas su gérer leur créativité, mettant le paquet sur les premières pistes et relâchant nettement la bride par la suite. Pourtant, sous couvert d’une plus grande complexité ou d’une simplicité moindre (qu’on ne s’y méprenne pas, le tout n’est aucunement difficile d’accès), le reste de l’ouvrage de Vakill n’a pas fini de dévoiler ses joyaux quand on prend la peine de s’y pencher. Citons ainsi ‘Fallen’, qui voit Vakill interpréter un rappeur à qui on avait fait miroiter un avenir doré, et qui s’étant fait jeter de son label, décide d’en prendre les employés comme otage.  Slug d’Atmosphere joue le rôle du négociateur, et si on peut à peine reprocher à des Américains de mettre une poignée de clichés au service de l’action, on appréciera réellement la manière dont le dialogue s’articule entre les deux MCs, servis à merveille par une prod sombre et mélancolique. ‘The Sweetest Way to Die’ raconte le suicide d’un graffeur, refusant d’exécuter les cinq ans de prison auxquels il fut condamné : on sera surpris par le contraste entre un instru cool et jazzy et la violence de l’histoire narrée. En dehors du story-telling, The Darkest Cloud regorge bien évidemment de bons morceaux-battle, parmi lesquels ‘Forbidden Scriptures’, où Vakill invite Mhz et l’ubiquiste Breez Evahflowin’, ou encore l’explosif Sickplicity.

On pourra reprocher à Vakill d’employer le flow typique du battle rhymer, c’est à dire agressif et fluide, sans chercher à innover comme ont pu le faire Louis Logic ou les MCs de l’Extended F@mm par exemple. On remarquera toutefois que le phrasé de MC ne lasse pas, probablement servi en cela par des prods de qualité et un casting judicieux au niveau des invités, amenant la diversité nécessaire au moment adéquate. Les lyrics ne contournent pas non plus les clichés du genre, où mysoginie (« Wife’s an acronym for wash, iron, fuck, etcetera« ), homophobie et apologie de la violence se côtoient joyeusement. Vakill s’affirme toutefois comme un très bon lyriciste, dont les punchlines n’ont rien à envier aux actuels maîtres du genre, de Copywrite à Chino XL en passant par les Demigodz : « I nut on CDs and shit on tapes, far as vinyl, I’m the last cat you wanna see working at a fast food, joint the way I spit on plates« .

Les Molemen se contentent quant à eux de ré-utiliser leur bonne vieille recette : des breaks de batterie qui claquent, de grosses lignes de basse, des boucles de piano et d’instruments à corde, pour un boom-bap que beaucoup trouveront peu original mais qui devient de plus en plus efficace et incontournable dans le paysage de la musique Hip-Hop : The Darkest Cloud n’allégera assurément pas le carnet de commandes d’His-Panik, PNS et Memo dans les mois à venir.

The Darkest Cloud se révèle donc être excellent, même si au final rien de radicalement nouveau n’émergera de l’album. Après un début d’année timide, le rap underground US livre ces semaines-ci ses plus belles galettes de l’année, ce qui pourrait entraîner un changement radical de sa physionomie : en plus de The Darkest Cloud, jetez donc une oreille aux albums d’Ugly Duckling, Styles of Beyond, Little Brother, Louis Logic et J-Zone pour ne pas être en reste…

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