Dr. Dre
The Chronic
1988. Le succès aussi inattendu qu’explosif de Straight Outta Compton, second opus du groupe de Compton, N.W.A, déchaîne les pires polémiques à travers les Etats-Unis. Le groupe, alors composé de cinq membres (Ice Cube, Eazy-E, MC Ren, Dr Dre et DJ Yella), se fait le témoin de la réalité de cette petite banlieue désœuvrée, perdue au sud de Los Angeles. Une vision du ghetto apocalyptique, dépourvue de tout espoir et de sens politique et social. Une oeuvre brute, quelque part extrémiste, appuyée par des propos crus. Après cette incontestable réussite, les divergences d’intérêts (comprenez « financiers ») mais aussi des questions d’égos entraînent le départ l’année suivante d’Ice Cube, leader charismatique du groupe. Le groupe sort tout de même 100 Miles and Runnin, un EP, suivi d’un album, Efil4Zaggin, loin d’égaler l’onde de choc générée par Straight Outta Compton, avant de disparaître officiellement avec le départ de son chef d’orchestre, Dr Dre, en 1992. Ce dernier fonde alors avec Suge Knight, escroc notoire, le label Death Row (« couloir de la mort« ).
The Chronic, premier album de l’ex-N.W.A (acronyme de Niggaz With Attitude) Dr Dre constitue non seulement la première sortie du label, mais aussi le véritable point de départ de la déferlante G-Funk qui submergera les Etats-Unis pendant plusieurs années. Un courant musical mêlant l’intransigeance d’un gangsta rap radical à des envolées de synthés coulées et hypnotiques, appuyées par des basses étouffantes ou une forme de minimalisme salvateur. Inspiré par le funk électrique de George Clinton (‘Let me ride’ reprend un sample de ‘Mothership connection’, ‘The roach’ emprunte le classique ‘P-Funk’ du fondateur de Parliament), ou des atmosphères plus Soul (‘Lil’ Ghetto boy’ reprend l’inoxydable morceau de Donny Hathaway, ‘Nuthin’ but a « G » thang’ le sulfureux ‘I want’a do something freaky to you’ de Leon Haywood), le plus aérien des docteurs (après Doctor J) compose ainsi un édifice sonore à la fois varié et cohérent. Le classique ‘Nuthin’ but a « G » thang’, véritable hymne envoûtant du G-Funk (et révélation pour Snoop Doggy Dogg et son flow nonchalant), côtoie ainsi les bien plus durs et particulièrement explicites ‘Rat-tat-tat-tat’, ‘Lyrical Gangbang’ et ses énormes basses ou encore l’impressionnant ‘Stranded on Death Row’.
Le cocktail est à la fois explosif et planant, à l’image de cette fameuse herbe célébrée ici. Une contradiction digne de son auteur qui avant de vanter les mérites de cette herbe clamait quatre ans plus tôt sur ‘Express yourself’ « I don’t smoke weed or sess, ’cause it’s known to give a brother brain damage, and brain damage on the mic don’t manage, nothing but making a sucka and you equal… ». Les ravages du temps.
En dépit d’apparences, une nouvelle fois, trompeuses, The Chronic ne constitue aucunement une longue apologie de l’ivresse cannabique. Seul le langoureux et synthétique ‘The Roach’ s’en charge (brillamment). On lui préférera tout de même nettement le sanglant ‘Fuck with Dre day’ où Andre Young règle ses comptes avec son ancien homeboy, le déjà anorexique Eazy-E « The hood you threw up with, niggaz you grew up with, don’t even respect your ass » ou ‘The day the Niggaz took over’, référence directe aux émeutes de Los Angeles du 29 avril 1992 après l’acquittement des 4 policiers qui avaient roué de coups Rodney King. Difficile de ne pas citer aussi ‘Let me ride’, description enjouée d’un quotidien qui l’est moins (son remix est peut-être encore un cran au-dessus) et ‘Deez Nuuuuts’, véritable appel à l’insurrection pour une association féministe comme La Meute.
Au contraire des albums conceptuels savamment organisés, The Chronic est composé d’un enchevêtrement de thèmes (une certaine apologie du crime et des bitches, la réalité des rues de Los Angeles et ses mythes) gonflé à l’égotrip et entrecoupé d’interludes inattendus (la parodie télévisée ‘The 20$ sack pyramid’ et le ‘The doctor’s office’ digne de Too $hort, expert en la matière). Soutenu par plusieurs jeunes rappeurs alors méconnus (Snoop Doggy Dogg, Daz Dillinger, Kurupt, Nate Dogg, D.O.C, Warren G,…), cette première sortie de Death Row brille non seulement de par la qualité de son emceeing, mais aussi de par son éclectisme, en harmonie avec les différentes atmosphères concoctées par Dre.
Au final, The Chronic apparaît comme un concentré de dynamite, et le meilleur représentant d’un G-Funk alors en pleine explosion créative. La véritable suite de cet album (considérons The Aftermath comme une erreur de parcours), sortie neuf années plus tard, si elle n’en demeure pas moins réussie, n’égale aucunement l’excellence de ce premier opus. Un classique, cela va sans dire, mais ça va finalement mieux en le disant.
« You never been on a ride like this before with a producer who can rap and control the maestro » (‘Nuthin’ but a « G » thang’.)
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