Chronique

Shabazz the Disciple
The Book of Shabazz (Hidden Scrollz)

Battle Axe Records - 2003

« La vie met des crampes. »

Oxmo Puccino – ‘Mine de cristal’

Sur sa page myspace, Shabazz The Disciple affirme n’être similaire à aucun autre artiste. Mieux, il estime avoir influencé pas mal de monde, Big Pun en tête. Cela peut sembler pour le moins prétentieux. Pourtant en réécoutant ‘Crime Saga’ (1995), l’un des premiers maxis de Shabazz, les similitudes frappent : débit, thème, façon de raconter et de mener son récit, style… La ressemblance est flagrante.

Repéré par RZA dès 1991, celui qui se faisait alors appeler Scientific Shabazz, par ailleurs cousin de Freestyle (ex-Arsonists), faillit faire partie du Wu-Tang Clan. En France, ce MC originaire de Brooklyn est quasiment inconnu. Quelques auditeurs de rap marseillais se souviennent peut-être de ses apparitions sur deux titres du projet Sad Hill Impact de Kheops, en 2000. Les fans de rap américain, eux, ont encore en tête son premier couplet lâché sur le ‘Diary of a Madman’ des Gravediggaz, ou son implication temporaire dans le groupe Sunz Of Man. En dehors de cela, il reste perdu dans la masse grouillante de Wu-Affiliates ayant proliféré à partir de 1993 sans jamais vraiment parvenir à se faire une place au soleil.

Officiellement, il a à son actif deux disques : The Book Of Shabazz (Hidden Scrollz) (2003) et The Passion of the Hood Christ (2005), un album plutôt moyen, malgré quelques textes touchants consacrés à la mort de proches (‘Preme’, ‘Marion’).

The Book of Shabazz, sorti en 2003, est donc à ce jour le meilleur disque de Shabazz The Disciple. Malheureusement pour lui, il ne s’agit que d’une compilation/rétrospective mélangeant anciens titres et inédits. Pas suffisant pour défoncer les portes du Panthéon hip-hop ; seulement une trace rappelant qu’un énième rappeur archi-talentueux passa par là et tailla son lot de gemmes dans son coin.

Car The Book Of Shabazz est une succession de morceaux incroyablement bons. Seule l’absence du classique ‘Death be the Penalty’ est regrettable. Mais du tubesque ‘Red Hook Day’ au lugubre ‘Street Parables’, du rapide ‘Cremate ‘Em’ au sautillant ‘BKBS’, le Disciple s’impose par sa versatilité.

Et c’est bien dans toute sa diversité que ce disque permet de découvrir Shabazz. Guerrier impitoyable et mystique. Simple être humain confronté aux aléas de la vie dans les rues de Brooklyn. Fan de hip-hop respectueux des aînés (« I love Wu-Tang forever, ’cause the RZA discovered me« ) et démuni face à l’industrie du disque. Elève en perpétuelle quête de sagesse, toujours : ce n’est pas pour rien qu’il abandonna l’arrogance du Scientific pour l’humilité du Disciple. Loin de s’être cantonné au registre horrorcore de ‘Diary of a Madman’, il a su composer entre introspection et montées nerveuses, réalité et imaginaire. Deux constantes, néanmoins : une écriture de grande qualité, dense ou limpide selon les thèmes ; et cette voix légèrement éraillée, dégageant une rage naturelle, comme contenue sous pression.

Sombres et discrètes le plus souvent (à l’exception notable des voix joyeuses qui servent de refrain à ‘Red Hook Day’ et du sample de cuivre sur ‘BKBS’), les instrus développent juste ce qu’il faut pour installer une atmosphère noire, sans jamais prendre le pas sur le rap de Shabazz. Juste le nécessaire, donc, dans les beats de Lord Jamar, Q-Unique ou Baby J. Pas d’effets de manches : pianos, cordes, quelques voix par moments, une basse, une rythmique. Ce minimalisme suffit.

Essentiel pour tout amateur de rap east coast du milieu des années 90, The Book Of Shabazz est d’une intensité rare. Seuls quelques skits drôles à la première écoute puis très chiants par la suite (comme souvent) font office de temps morts sur ce disque qui, autrement, ne souffre d’aucune baisse de régime. Si la vie met effectivement des crampes, Shabazz peut néanmoins se vanter d’avoir écrit quelques belles pages du rap new-yorkais, conservées ici.

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*