Darc Mind
Symptomatic Of A Greater Ill
A travers les sorties, en 2005, du Testament de Cormega (prêt depuis 1997) et des Scars & Memories de MF Grimm (rassemblant des titres de la période 1990-2004), New-York démontrait que son âge d’or avait connu son lot de pertes, de perles oubliées et de mises au placard. Fin 2006, une nouvelle sortie, passée presque inaperçue, sembla confirmer cette idée : celle de l’album Symptomatic of a greater ill, de Darc Mind.
Réalisée entre 1995 et 1997 par un binôme new-yorkais composé du MC Kev Roc et du beatmaker G.M. Web D (alias X-Ray), c’est grâce aux efforts du tant décrié label Anticon que cette pépite a pu finalement faire surface, une dizaine d’années après sa conception. A la fin des années 1990, le groupe subit en effet de plein fouet le crash de son label, Loud Records. Résultat : la seule apparition marquante de Darc Mind en plus d’une décennie d’existence fut le superbe ‘Visions Of Blur’, placé sur la bande originale de Soul In The Hole.
La musique de Darc Mind joue la carte du minimalisme. Pas le minimalisme fainéant, mais plutôt l’efficacité sobre. Ici, trois notes grondantes de basse suffisent à nous plonger dans des abîmes brumeux et opaques comme les rues désertes de Silent Hill. Les cuivres, déchirants, tournoyants, ou mis en sourdine, sonnent comme des cornes de brume, ou des appels à l’aide tourmentés (‘Covert Op’, angoissant). Les onze titres de Symptomatic Of A Greater Ill, produits ou co-produits par G.M. Web D, fonctionnent essentiellement sur le couple beat sec/basse grave : les samples, à de rares exceptions près (notamment ‘BMOC’, porté par une nappe de cordes), apparaissent sporadiquement, dans le seul but d’appuyer un refrain ou d’apporter quelques variations à l’instru de base. Les deux excursions old-school plus rapides (‘Knight Of The Roundtable’ et ‘Fever Pitch’) sont d’utiles aérations dans cet album pesant. A partir de là, il fallait au beatmaker un partenaire lyrical d’une bonne carrure pour ne pas gâcher cette atmosphère.
Et, indéniablement, G.M. Web D a trouvé en Kev Roc le MC idéal. Non seulement celui-ci parvient à se fondre dans l’univers musical proposé, mais il le renforce même, et le transcende. Avec sa voix sépulcrale et ses rimes complexes, Kev Roc aurait pu s’imposer sans problème au sein des Gravediggaz. Sur Symptomatic Of A Greater Ill, il démontre qu’il ne possède pas seulement une stature et une présence imposantes – l’illustration parfaite du rappeur torturé, ésotérique et ténébreux – mais qu’il est aussi un MC technique impressionnant. Hautement appréciables, ses roulements et ses brèves accélérations sur ‘Visions Of Blur’, ‘Outside Looking In’ et ‘I’m ill’ – les trois chefs-d’œuvre de l’album – ou alors le sprint de ‘Knight Of The Roundtable’ sont autant de preuves que Kev Roc ne s’est pas contenté du minimalisme rigide auquel aurait pu l’inciter la noirceur monocorde de ce disque. Il va même jusqu’à modifier complètement le ton de sa voix, pour devenir presque plaintif sur ‘Rhyme Zone’.
Sur le papier, il était étonnant que cet album, somme toute classique, trouve sa place dans le catalogue d’Anticon au vu de la démarche du label depuis la fin des années 1990. En l’écoutant, on comprend ce qui a pu les séduire. Homogène, excellent, sombre, à la fois riche et magnifiquement simple, Symptomatic Of A Greater Ill a plus de dix ans mais n’a pas pris une ride. Une seule question hante l’esprit lorsque l’on en sort : combien d’autres joyaux, d’autres trésors enfouis de cette trempe dorment-ils au fond de tiroirs ?
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