Sefyu
Suis-je le gardien de mon frère ?
Si Qui suis-je ? était l’album de la révélation, Suis-je le gardien de mon frère ? vise la confirmation. Voire mieux : une célébration massive et unanime. Le 93 en étendard, une équipée de têtes cramées (le bien-nommé G8) en soutien, Sefyu part en mission, couteau entre les dents et grenades dans le sac à dos. Cette suite pose une nouvelle question, à laquelle on attend plus qu’une réponse binaire.
Suis-je le gardien de mon frère ? démarre pied au plancher, sans rémission ni introduction. Définitivement Molotov, le cocktail gros synthés-violons et basses surpuissantes, associé au timbre de voix, proche du mortier, de Sefyu impose d’emblée une tension qui ne redescendra jamais vraiment. L’artillerie lourde est de sortie ; le rouleau compresseur, habitué à évoluer sous des chapes de plombs, continue son avancée.
Fort d’une présence indiscutable, Sefyu éclipse les quelques invités, finalement anecdotiques, d’un album qui est assurément le sien. Et si le sénégalo-ruskov n’est pas le plus affûté des paroliers, il a le mérite d’apporter ici une vraie diversité dans les thèmes abordés. Histoire de l’immigration française post-45 (‘3ème Guerre’), pédophilie (‘Sac de bonbons’), idées reçues (‘C pas parce que’), place et influence du grand frère (‘Suis-Je Le Gardien De Mon Frère ?’), ou description du quotidien (‘My life’). L’imagerie de mafia d’Europe de l’est, les tonnes d’égotrip chargés en nitroglycérine et autres références au ballon rond servent de ciment à un ensemble solide. Forcément solide. En dépit de quelques passages plus anodins.
« Ca veut dire quoi s’intégrer pour un chinois, né en Picardie ? »
Au-delà des textes bruts, le désormais symbole d’Aulnay-sous-Bois joue régulièrement avec les assonances et répétitions (‘C pas parce que’, ‘Le Journal’, ‘Mon public’), quitte à perdre parfois en sens – n’est pas Casey qui veut. Ces jeux sur les sonorités sont l’occasion de démonstrations techniques (accélérations, modification du phrasé), éloignant un peu plus Sefyu de cette image du rappeur brut et limité. Définitivement pas « un fou de la cité », Youssef n’est pas un de ces vendeurs de shit converti rappeur sur le tard. En d’autres termes, il confirme d’une voix rocailleuse à souhait qu’il a du plomb dans la tête, ainsi qu’un certain talent d’alchimiste, puisque ce nouvel opus vient d’atteindre le seuil significatif du disque d’or. Et ce n’est pas qu’une prime aux gimmicks. Limiter l’impact de cet album à ces quelques récurrences accrocheuses serait foncièrement réducteur.
Sef’ ne frappe peut-être pas à visage découvert mais il frappe fort. Tellement fort qu’à la fin d’une écoute intensive, on ressort vanné, avec l’impression d’être passé sous un trente-cinq tonnes. Éreintant. Mais avec des albums de ce calibre, le public de Sefyu n’est surtout pas prêt de s’arrêter de grandir.
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