Ol Kainry & Jango Jack
Soyons Fous
L’an dernier, lorsque « Sexy Legging et Louboutin » était sorti et devait être le premier single de Iron Mic, on avait trouvé un Ol’ Kainry totalement décomplexé, jusqu’au visuel de son clip barré et priapique façon Nicky Larson chez Hugh Heffner. Quand la marque aux semelles rouges a fait annuler la diffusion du single, et obligé Dyf à revoir ses plans pour son quatrième long format, on a craint que le rappeur du 91 soit freiné dans cette envie de s’éclater dans autre chose que le rap street qu’il produisait depuis le poussif Demolition Man. Heureusement, non. Un remix très personnel du « Kush » de Dre plus tard, voilà Ol’ et son acolyte chanteur Jango Jack avec un album bon enfant, sans tomber dans un jeunisme qui semble toucher une grande quantité de rappeurs passés la décennie de carrière.
« J’ai toujours fait mes bails man, dans mon délire, j’ai suivi personne / Tu veux qu’j’m’inspire de qui ? Ils ont tous un balais dans le rectum« . Les deux bougs-en-train amènent sur ce Soyons Fous tout un univers ludique, entre sorties lubriques (le premier couplet de « Soyons Fous », grand moment de Ol’), et élucubrations éthyliques (« Champagnons »), et ce de la musique jusqu’à la promotion de l’album, faite de vidéos virales poilantes. On voit déjà le tableau : autour d’un bon seau d’ailes de poulets et de quelques bouteilles vides, les privates jokes débiles fusent. Elles deviennent concepts de chansons (« Jango Jack A Dit »), néologismes farfelus, comme ce « peignoirisé », digne de Daniel Lakoué, présent sur le collectif et survolté « Sachez-Le », ou encore un tas de gimmicks plus capilo-tractés les uns que les autres, du déjà fameux verbe « se pavaner », au détournement de la danse d’Abd al Malik en « Abd al Swag ».
En treize titres, Soyons Fous offre une grande cohérence, plutôt rare sur des projets visiblement si spontanés. Le son de l’album alterne entre pétarade diurne et virile (« Pimp My Ride ») et atmosphère nocturne et romantique (« Elle »), enthousiasme éméché de début de soirée (« Champagnons ») et lendemain de cuite amer (« 2 Fraises »). Si Astronote et Michael Dravigny amènent des respirations plus organiques et chaudes, Richie Beats (responsable de la colonne vertébrale en adamantium du projet), Blastar (signant le sauvage « Sachez-Le »), Cannibal Smith (plus aérien que d’accoutumé), et Drum Dreamers (impériaux sur « Qu’on M’intronise ») offrent des ambiances synthétiques, mais versatiles. Un tapis sonore parfait pour allier la voix âpre et le flow précis de Dyf’ au chant soyeux mais souvent enlevé de Jango, appuyé parfois en contre-poids par la voix douce et féminine de Jihane. Personnage discret, Jango réitère ici les qualités qu’il avait montré époque Nouvelle Donne et Facteur X : une sensibilité masculine sans être sirupeuse, une fibre soul certaine, et une efficacité imparable pour les refrains. Sa présence aère le style si particulier de Ol’, entre fan de mangas et boxeur de rimes, la concision du projet l’aidant à être finalement plus percutant que sur un long projet comme Iron Mic.
De manière heureuse, l’album ne propose pas qu’un condensé de délires jouvenceaux, et est un opus finalement très personnel : les seuls featurings sont concentrés en un égotrip musclé. Ol’ et Jango ne se contentent pas de sabrer la bouteille de mousseux et d’imiter vulgairement une séance de champagne shower façon Sean Combs : ils balancent malicieusement le bouchon dans la gueule de la rigidité du rap français. A travers des titres comme « 2 Fraises », « A La Recherche du Bonheur », ou « Je Puise Mes Forces », le duo montre qu’il y a autre chose derrière l’image paillarde et quasi-DSKienne de leur dégaine en pantoufle et peignoir. Arrivés à la trentaine, ils se sont débarrassés des soucis d’images qui collent parfois à la peau des artistes « urbains » pour s’assumer comme des entertainers accomplis. D’une certaine manière, ils sont comme les partenaires d’une fusion dans Dragon Ball : au premier abord amusants dans l’exécution de cette danse ridicule, mais dont le résultat décuple leur puissance. Étrangement, c’est dans cette désinhibition que #Jangol (tentative délibérée d’hashtag potentiel) trouve sa maturité artistique.
Il y a dix ans sortait le premier album d’Ol’ Kainry, Au-Delà Des Apparences. Freddy était alors un jeune boug au début de la vingtaine, et slalomait entre morceaux conscients et sorties festives. Il y parlait déjà de son pénis, et se pavanait au milieu de femmes avec Jango Jack. Sur Soyons Fous, les deux compères font la même chose, avec une décennie de plus au compteur, mais sonnent pourtant plus juste que dans leurs jeunes années. Derrière son étiquette fantasque et sa bouteille en forme de bangala, le cru Soyons Fous de la maison Ol’ Kainry & Jango Jack montre caractère et maturation.
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