Main Flow
Sound of Silence
Il est loin le temps où Main Flow, à la suite de l’album Flow Season avec 7L (2006), s’était, de gré ou de force, éloigné du circuit artistique, ainsi d’ailleurs que de son Ohio natale. Installé au Mexique, il préférait alors, semble-il, jouer avec ses mômes sur la plage et faire des affaires extramusicales plutôt que continuer à fréquenter le milieu du rap… Juste après un disque plein à craquer en 2014, The Cincinnati Kid, il a repris du service avec Mood, le groupe qui l’avait fait connaître dans la seconde moitié des années 1990, époque de la sortie de l’album Doom (1997). À cette occasion il avait fait savoir, comme on l’avait indiqué ici même, qu’il serait partant pour réaliser un album solo avec Mil Beats, le producteur français derrière Into the Mood.
C’est chose faite avec Sound of Silence, qui se veut un prequel à Into the Mood – le signe du groupe apparaît d’ailleurs en gros sur la pochette même s’il ne se remarque pas au premier coup d’œil. Et le compère de Donte a eu raison. Car si Main Flow est un bon rappeur, ce sont les productions de Mil Beats qui sortent du lot, d’autant qu’en sa qualité d’ingénieur du son celui-ci a aussi mixé le tout. Et le professionnel connaît son affaire, en particulier pour ce qui est de mêler sampling (y compris avec une bonne vieille SP 1200) et apports instrumentaux (dont il se charge parfois lui-même). Une combinaison annoncée dès « Taking Chances », où une poignée de musiciens (trompette, sax, batterie) mettent la main à la pâte, les cuivres venant réchauffer la ligne de synthé vrombissante qui domine d’abord le morceau.
Ce premier single ne laisse pas tout à fait deviner l’influence jazz qui marque l’album de son empreinte, de la trompette assourdie de l’intro (les trente premières secondes pourraient faire croire à un disque du label ECM) jusqu’aux notes de Fender finales, en passant par la guitare acoustique façon George Benson de « Rappers Delight », solo d’une bonne minute en prime. Ce n’est pas un hasard si Mil Beats compte A Tribe Called Quest et Gang Starr parmi ses références premières, comme il l’a récemment confié sur les ondes d’ « Underground Explorer ». Essai de dévoilement plus ou moins adroit, « Master of Disguise », avec ses temps d’arrêt et ses boucles cuivrées intermittentes, évoque le meilleur du jazz rap des années 1990. Sur le désenchanté « Nothing to Lose », dont le ton contrebalance celui volontaire de « Taking Chances », c’est Bill Evans qui est samplé ; après le second couplet, le beatmaker laisse d’ailleurs courir le son du pianiste… avant de l’attaquer par surprise à grands coups de drums.
Car Sound of Silence bénéficie aussi du soin apporté aux débuts et surtout aux fins de morceaux, qui partent temporairement dans de nouvelles directions et enrichissent les transitions entre les pistes. C’est par exemple le cas entre « Already Dead » et « No Time to Waste », le plus long morceau du LP, qui, sur fond des guitares acoustiques un rien hispanisantes (ne manquent que les castagnettes), invite Reks et Fel Sweetenberg à partager le micro. On y retrouve aussi, comme sur quatre autres tracks (dont la deuxième partie, instrumentale, de « Rappers Delight »), le DJ/turntablist bruxellois DJ Odilon, dont les scratches et cuts sont plus que bienvenus. En l’occurrence, ils font un clin d’œil à Talib Kweli, compagnon de route de longue date (il rappait sur plusieurs morceaux de Doom) que Main Flow avait retrouvé l’année dernière sur un morceau intitulé « In Vino Veritas ».
Tout ceci met Main Flow dans les meilleures dispositions pour faire tantôt dans le commentaire social, tantôt dans l’egotrip, tantôt dans le storytelling, comme sur le saisissant « Stash Dough » et son ambiance de thriller nocturne. Dans la foulée, mais dans un tout autre genre, l’album se clôt par un grandiose « Sky On The Streets », qui évoque Nina Rota et Ennio Morricone. Et Simon and Garfunkel et leur « son du silence », dans tout ça ? Eh bien, le refrain d’Ania sur le morceau-titre reprend le leur. Et pas seulement de manière anecdotique : de ténèbres il est toujours question mais, cette fois, bien ancrées dans le bitume.
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