Chronique

Réel Carter
Un souffle de vie

Autoproduction - 2002

Ancien membre du groupe Zone de Pouvoir, Réel Carter, sort, à 24 ans, son premier album, après avoir écumé mixtapes et compils (« Section Est 3 », « S.O.S Freestyle »). Sorti en auto-production complète, Un souffle de Vie ambitionne, en plus bien sûr de révéler les talents de Carter à la prod et au micro, de sonner le retour aux valeurs positives véhiculées (en théorie) par le hip-hop.

Eh bien, si l’on ne pourra pas annoncer que le jeune artiste est le tant attendu messie qui révolutionnera le paysage rapologique français, Un souffle de Vie constitue assurément un bon rafraîchissement sonore : accompagné d’une horde de jeunes MCs soucieux de s’affirmer, Carter décline durant 72 minutes un hip-hop sans prétention particulière, si ce n’est celle de nous faire passer un agréable moment en sa compagnie.

Le point fort de l’album réside indéniablement dans les prods : bien souvent jazzy et smooth, Carter parvient grâce à elles à construire une atmosphère consistante, à donner de la couleur à son produit, chose assez rare pour qu’elle soit signalée. On reste sous le charme de ‘Couleur ébène’ et son entêtant sample de piano, ‘Où est le mouvement ?’, ‘Rap non-stop’, ainsi des différentes interluds instrumentaux. Après une écoute attentive de l’album, on se rend même compte que le MC/producteur est parvenu à créer une certaine alchimie entre ses instrus, son flow et ses textes, ces deux derniers s’inscrivant également dans une logique de flegmatisme, de détente et de placidité.

Cette cohérence du travail parvient à masquer en partie certaines lacunes niveau MCing : situé dans un contexte musical différent de celui-ci, la performance de Réel Carter le MC serait probablement apparu sans grand relief , les thèmes abordés sont courants (racisme, pauvreté, rue, déliquescence du milieu hip-hop) l’écriture parfois naïve et superficielle. Le flow un peu mou et monocorde, n’est pas sans rappeler celui de Melopheelo. Subsistent quelques bons, voire très bons passages, tel le morceau d’ouverture ‘C’est qui Carter ?’, où Carter se détache du registre conscient qu’il campe sur une grande partie de l’album pour employer le ton de l’autodérision, et signer un titre plein d’humour et de finesse. Comptons aussi parmi les bonnes réussites micro en main ‘La science infuse’ ou ‘Ghetto fiction, ghetto friction’, où l’écriture devient momentanément plus crue et profonde.

Ayant peut être conscience de ne pas pouvoir tenir le crachoir à lui seul sur le long format, et affichant sa volonté de donner la parole à de jeunes talents qui ne l’auraient pas forcément sans ce biais, Carter s’est attaché les services d’une pléthore d’invités : parmi eux on retiendra la désabusée Hannah’M (ça fait quand même quelques temps qu’on avait plus entendu une fille rapper sans prendre d’accent racailleux ou putassier), Meka et ses très cinglantes punchlines, Missié Po ou encore Stoom. En plus d’eux, deux noms plus illustres viennent se rajouter à la guestlist, les inévitables ex-compères au sein de Collekt’or, Grain d’Caf d’Octobre Rouge et Donkishot. Si le premier ne surprend pas, se maintenant à son niveau habituel (loin au dessus de la masse des rappeurs hexagonaux), le second, même si tout est relatif, s’illustre dans un registre que l’on pourrait presque qualifier de conscient.

En conclusion, Un souffle de vie est une bonne trouvaille, même s’il est loin d’être parfait. Réel Carter a réussi la performance de livrer un premier album cohérent de bout en bout, et de parvenir à créer une atmosphère musicale envoûtante. Cela parvient à faire oublier en partie que ses prestations au micro ne sont pas spécialement excitantes, et qui lui reste à faire un effort conséquent pour rendre son écriture plus attrayante. Donc, s’il on ne peut pas parler à proprement d’un vent nouveau sur le rap français, il n’en demeure pas moins qu’on a là une bonne bouffée d’air frais.

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