Louis Logic
Sin-a-matic
Découvert en 98 par le biais du maxi Planet Rock/Punchline, sorti chez Superegular, Louis Logic a depuis connu une carrière pour le moins chaotique : entre changements de label, albums sur CD-R et œuvres mises sur les P2P par des connaissances mal intentionnées, le Drunken Dragon aura vécu différentes galères avant d’avoir la chance de pouvoir sortir enfin un vrai LP. Fruit de ces différentes expériences, Sin-a-matic est donc paru chez Solid Records (label de PMD, Edan et Tragedy Khadafi) le 15 juillet dernier : une date à désormais marquer d’une pierre blanche, tant, pour une fois, le buzz ayant précédé l’arrivée dans les bacs fut justifié et approprié.
Sin-a-matic consacre en effet le début de carrière d’un MC atypique et attachant, ayant su au cours de ses multiples prestations imposer son propre univers, fait de beuveries, de misogynie et d’histoires rocambolesques, mais empreint également d’une certaine conscience sociale et d’une bonne humeur souvent communicative. L’album se décline en 17 morceaux plus un caché, dont certains figuraient déjà sur le fameux « Please Listen to My Demo », embryon d’album placé sur le net sans le consentement du principal intéressé: parmi ceux-là, on retiendra surtout ‘Dos Factotum’, version revue et corrigée de ‘Factotum’. Certes, il y aura toujours des mauvaises langues pour dire que consacrer un beat d’une telle qualité à une ode à l’alcool ce n’est ni plus ni moins que du gâchis, mais elles ne parviendront pas à nous faire oublier notre plaisir : les accords de guitares succédant aux cuivres font toujours le même effet, et si le flow de Louis semble avoir perdu en technique sur cette variante, la qualité n’en est finalement que peu altérée. Sont également présents les déjà connus ‘Mischevious’, ‘Postal’, ‘Street Smarts’ et ‘Freak Show’, où Louis décrit joyeusement le quotidien de son quartier, fait d’actes pédophiles, de violence conjugale et de cannibalisme.
Pour ce que l’album contient de neuf, on remarquera essentiellement la volonté du Demigod de privilégier les textes à thème et à concepts, et d’ainsi ne pas se perdre dans une série de morceaux sans réel fond. La tragédie en deux actes ‘Best Friends/Revenge’ résume en tous points ce désir : dans ‘Best Friends’, Louis, en partance pour une tournée en Europe, demande à Apathy de veiller sur sa petite amie en son absence. Celui-ci s’enverra bien évidemment en l’air avec la demoiselle. ‘Revenge !!!’ met donc en scène la vengeance du MC cocu, accompagné de Celph Titled : si celui-ci se soumet exceptionnellement à l’exercice du texte à thème, il n’y perd toutefois pas l’habitude de joncher ses lignes de cadavres et de gunfights. On remarque aussi que chaque phase de l’action correspond à une production différente, comme sur tous les morceaux de story-telling de l’album.
Si l’écriture paraît plus ciblée, les thématiques développées n’ont que peu changé : l’alcool, la violence et le sexe. ‘Coochie Coup’ ferait passer n’importe quel rappeur bling-bling pour une chienne de garde, tant le MC prend plaisir à évoquer la femme comme un objet sexuel : « They said I’m old-fashion but I don’t want a bitch stuck in the kitchen, I like stuffin’ a dick in her ass while she’s touchin’ her kitten« . On sent une réelle envie de provoquer et de choquer en ironisant à tout va : ‘The Ugly Truth’ se situe parfaitement dans cette lignée, Louis y tenant des propos tantôt racistes, tantôt homophobes, en présentant les dégâts causés par l’immigration et l’homosexualité sur les valeurs américaines et la religion chrétienne. On n’apprendra qu’au terme du morceau qu’il s’était glissé dans la peau d’un célèbre politicien (à vous de deviner lequel), tant pis pour ceux qui n’auront pas tenu jusque là.
Les instrus, assurés en majorité par JJ Brown, ne ternissent pas l’ensemble de l’œuvre (comme cela avait été le cas sur ‘Debacle in a Bottle’) : aucun maillon faible, on tutoie même le grandiose avec Dos Factotum, Postal et Idiot Gear. S’il est impossible de dégager une identité sonore propre à Sin-a-matic, on appréciera toutefois la présence de genres multiples et variés, du très dur ‘Diablos’, au léger ‘Coochie Coup’. Cette diversité convient tout à fait à la versatilité de Louis, dont la voix est définitivement l’une des plus belles du moment dans le rap : il n’hésite d’ailleurs pas à pousser la chansonnette à plusieurs reprises, sur ‘Street Smarts’, ‘Fair Weather Fan’ et ‘The Ugly Truths’. Le flow, lui, reste parfaitement maîtrisé, le MC se livrant même à un exercice de style très intéressant, peut être un peu trop court, sur ‘Halfway Stretch’.
Au final, Sin-a-matic est tout simplement le meilleur album de l’année jusque là : certes, il n’amènera rien de réellement nouveau au rap, mais il est le premier vrai LP d’un MC qui possède ce qui fait défaut à l’immense majorité des rappeurs actuels, le charisme. Louis a su durant toutes ces années construire un personnage attachant au possible, dont la consécration se fera, on l’espère, par le biais de cet album, qui en plus de ne pas contenir de réelle faille, regorge également d’un nombre de bijoux fort conséquent, qui promettent de faire hocher les têtes pendant quelques temps…
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