Jedi Mind Tricks
Servants in Heaven, Kings in Hell
À peine six mois après la sortie du tant attendu Torture Papers de l’AOTP, Vinnie Paz retrouve son vieux compère Stoupe pour reconstituer l’une des tag teams les plus efficaces de l’histoire de la musique Hip-Hop. Récapitulatif : en dix ans de carrière, Jedi Mind Tricks c’est 5 albums, des dizaines de bangers, des centaines de concerts, la formation d’un crew légendaire (Army of the Pharaohs) et toute un pan du rap underground mis en lumière (Apathy, Outerspace, Lost Children of Babylon, etc.). Pas mal pour un groupe sorti d’à peu près nulle part et qui n’a pu tout au long de son histoire compter que sur lui-même.
Un album de Jedi Mind Tricks, c’est toujours un évènement. On est certains d’y trouver quelques bombes qui accompagneront notre quotidien de longs mois durant, même quand l’ensemble est mi-figue mi-raisin, comme ce fut le cas pour les deux opus les plus récents. La formule n’a pas changé : Vinnie Paz au micro et l’enigmatique Stoupe the Enemy of Mankind à la prod. Contrairement à la rumeur, Jus Allah n’est pas de la partie. Ce sera pour plus tard, paraît-il.
Un titre à rallonge, ça rappelle inévitablement la première rencontre avec le duo, au milieu des années 90, toute proportion gardée. Servants in Heaven, Kings in Hell ramène à la dualité du discours clairement assumée par Vinnie Paz tout au long de son parcours, entre brutalité extrême et louanges d’une vertu très subjective. Place au son. Ce qui frappe tout de suite, c’est le « back to basics » effectué par un Stoupe en grande forme. Les instrus sont réduits à leur minimum, un break de batterie, une ligne de basse et une boucle. Les samples de musique classique bien grillés ne sont de sortie que deux fois, pour les tonitruands ‘Heavy Metal Kings’ et ‘Outlive the War’. Histoire que sa patte reste toutefois bien visible, The Enemy of Mankind a saupoudré allègrement la plupart de ses prods de ses fameuses voix pitchées.
Cette volonté d’en revenir à une musique plus spontanée tranche paradoxalement avec les nouveaux registres explorés par Vinnie Paz. Si la bestialité et la violence ont évidemment droit de cité sur une grande partie de la galette, l’introspection et la réflexion ne sont, pour la première fois, pas réduites à la portion congrue. Ainsi, ‘Shadow Business’ pose le problème de l’exploitation d’enfants asiatiques par des grandes multinationales, en des termes très didactiques que n’aurait pas reniés notre Rockin’ Squat national. Plus loin, par ‘Black Winter Day’, Vinnie parvient à réaliser une chose dont on aurait pu le croire incapable : nous émouvoir. Le vocabulaire est simple, le texte touchant : « I‘m thoughtful and kind, but I’m evil alas, But everything I love has turned to a tedious task, I feel that life a waiting game for people to pass, But nobody ever want you to see through the mask« . Beaucoup affirmeront que Paz s’est ramolli. D’autres salueront plus sagement le fait qu’il ait esquivé le mur vers lequel il fonçait à toute vitesse, évitant ainsi de ne devenir qu’une pathétique caricature de lui-même.
Dans ‘Uncommon Valor: A Vietnam Story’, Vinnie P s’adonne même au storytelling, incarnant un jeune appelé au Viet Nam. Cela dit, il a la mauvaise idée de convier RA the Rugged Man à ses pérégrinations dans la jungle. Visiblement, il ne fallait pas chauffer le Hairy Baboon sur le sujet. Celui-ci s’est en effet fendu d’un couplet aussi long qu’excellent, qui mérite d’être retranscrit ici dans son intégralité :
Call me Thorburn, John H., staff sergeant,
Marksman, skill in killin’, illin’, I’m able and willin’,
Kill a village elephant, rapin’ and pillage a village,
Illegitimate killers, US Military guerrillas,
This ain’t no real war, Vietnam shit,
World War II, that’s a war, this is just a military conflict,
Soothin’ drug abusin’, Vietnamese women screwin’,
Sex, gambling and boozin’, all this shit is amusin’,
Bitches and guns, this is every man’s dream,
I don’t wanna go home where I’m just an ordinary human being,
Special Op, Huey chopper gun ship run shit,
Gook run when the minigun spit, won’t miss,
Kill shit, spit four-thousand bullets a minute,
Vic the Charlie, hit trigger, hit it, I’m in it to win it,
Get it, the lieutenant hinted, the villain, I been it,
The killing, I did it, cripple, did it, pictures I painted is vivid, live it,
A wizard with weapons, the secret mission, we ’bout to begin it,
Government funded, behind enemy lines,
Bullets is sprayin’, it’s heatin’ up a hundred degrees,
The enemies the North Vietnamese, bitch please,
Ain’t no sweat, I’m told, « Be at ease »,
Until I see the pilot got hit, and we ’bout to hit some trees,
Nail the road, it broke, crash land,
American man in Cambodgia, right in the enemy hand,
Take a swig of the Whiskey to calm us,
Them yellow men wearin’ black pajamas, they wanna harm us,
They all up on us, bang, bang, bullet hit my chest, feel no pain,
To my left, the captain caught a bullet right in his brain,
Body parts flyin’, loss of limbs, explosions,
Bad intentions, I see my best friend’s intestines,
Pray to the one above, it’s raining, I’m covered in mud,
I think I’m dyin’, I feel dizzy, I’m losin’ blood,
I see my childhood, I’m back in the arms of my mother,
I see my whole life, I see Christ, I see bright lights,
I see Israelites, Muslims and Christians at peace, no fights,
Black, Whites, Asians, people of all types,
I must’ve died, then I woke up, surprised I’m alive,
I’m in a hospital bed, they rescued me, I survived,
I escaped the war, came back, but ain’t escape Agent Orange,
Two of my kids born handicapped,
Spastic, quadriplegia, micro cephalic,
Cerebral palsy, cortical blindness, name it, they had it,
My son died, he ain’t live, but I still try to think positive,
‘Cause in life, God take, God give.
Le flow est fluide, et l’on se dit que le vétéran de Staten Island n’a pas fini de nous surprendre, même en l’ayant vu mort et enterré si souvent dans sa carrière. La prod sombre et oppressante de Stoupe contribue à rendre l’atmosphère encore plus glauque et poisseuse. Au terme de sa prestation, on réalise que RA a littéralement éclipsé un Vinnie P pourtant en bonne forme. Heureusement pour ce dernier, il n’en est pas de même avec les autres invités de l’album : Sean Price, Ill Bill, Reef the Lost Cauze et Chief Kamachi s’acquittent de leur devoir de manière honnête, sans trop faire d’étincelles non plus. Shara Worden est plutôt efficace sur ‘Razorblade Salvation’ et tout bonnement insupportable sur ‘When All Light Dies’, seul véritable point noir de l’album.
En dehors de l’excellent ‘Uncommon Valor: A Vietnam Story’, d’autres morceaux retiennent particulièrement l’attention : ainsi, ‘Put’em in the Grave’ et ‘Suicide’ ouvrent l’album de manière efficace. ‘Heavy Metal Kings’ et ‘Outlive the War’ tapent fort et feront bouger les têtes comme il se doit. On regrettera enfin que les grandes qualités de Reef the Lost Cauze n’aient pu s’exprimer dans un contexte moins convenu que celui proposé sur ‘Gutta Music’.
Au final, le cru Jedi Mind Tricks 2006 surpasse nos attentes. Une fois de plus, le duo a su apparaître là où ne l’attendait pas, sans pour autant renier ce qui a fait sa renommée jusque-là. Sous l’impulsion de morceaux brillants, Servants in Heaven, Kings in Hell est de bien meilleure facture que ses deux prédécesseurs, Visions of Gandhi et Legacy of Blood, même s’il demeure loin du fracassant Violent by Design et du classique The Psycho-Social LP. Alors que le duo paraissait en perte de vitesse, cette sortie, couplée au succès de Torture Papers, pourrait bien redonner un coup de fouet salvateur à la carrière de JMT, et enfin imposer Jedi Mind Tricks comme une référence du genre.
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