I Self Devine
Self Destruction
Sous des couvertures diverses, I Self Devine livre une contribution annuelle. En 2003, sous le nom de Semi Official, il sortait l’excellent et méconnu « The Anti-Album » en compagnie de DJ Abilities. L’album semblait prouver que I Self Devine pouvait s’émanciper efficacement des productions taillées sur mesure par Kool Akiem. L’année suivante, c’était au tour du troisième album des Micranots, « The Emperor and the Assassin ». Il explorait d’autres voies que « The Obelisk Movement » tout en restant d’une qualité irréprochable.
On attendait donc avec impatience la livrée 2005, malgré une certaine inquiétude au vu des producteurs de chez Rhymesayers. Une grosse chute de niveau entre le solo de Gift of Gab (auquel Jake One et Vitamin D avaient largement participé) et les albums précédents de Blackalicious avait en particulier fait regretter amèrement le savoir-faire de Chief X-Cel. Disons-le : la déception est à peu près similaire.
Comme le suggère le titre du LP, I Self Devine continue de décrire une Amérique gangrenée d’injustice du sol au plafond, et de raconter de façon imagée les contraintes de la débrouille du quotidien. En même temps, « Self Destruction » s’est fixé un enjeu explicite : remiser au placard tout ésotérisme oriental, pour s’adresser directement aux masses. Pas de plume dans le cul, bien sûr, mais un désir de se rendre plus accessible, dans le fond comme dans la forme.
Le contrat est rempli. Et le résultat est en demi-teinte. Ce premier solo du membre des Dynospectrum ressemble à son dernier titre : il faut être patient et gratter la surface pour trouver le meilleur. Au premier abord, ‘Sunshine’ n’est qu’un morceau estival tout à fait audible, mais loin de casser des briques. La torpeur de son climat semble démentir le titre apocalyptique de l’album. Une fois le dernier rayon de soleil couché sous une boucle de harpe, apparaît alors le morceau caché. Changement radical d’ambiance : le production martiale de ‘N-I-G-G-A’ traite avec force du clivage racial étasunien au travers du Hip-Hop. Sans doute le meilleur morceau du LP…
On a du mal à entrer dans ce « Self Destruction » un peu trop policé. I Self Devine lui-même n’est pas en cause. Si dans l’ensemble, il a adouci son flow, il a aussi diversifié sa manière de rapper. Le voilà désormais à l’aise autant sur des rythmiques brutes que sur des instrumentaux plus mélodiques. I Self Devine est toujours convaincant, grâce à sa voix singulière et à un subtil sens du léger contretemps. On le savait plus que doué pour un emceeing offensif ; il sait également mettre le ton nécessaire à des thèmes délicats, comme celui des filles-mères sur le réussi ‘Feel my Pain’ (au passage, le morceau effectue un contraste saisissant, en succédant à l’évocateur mais peu bandant ‘Sex, Sex, Sex’).
C’est donc du côté des producteurs que « Self Destruction » déçoit, malgré un niveau d’ensemble plus que convenable. Quelques refrains lourdingues, une boîte à rythmes qui donne l’impression d’être coincée sur la touche hand claps, des voix soul pitchées inégalement accueillantes… A côté des expérimentations de Kool Akiem, tout ça paraît souvent un peu fadasse. L’album est certes plutôt varié et se permet quelques incursions originales (une pincée de reggae sur ‘Can’t Say Nothing Wrong’), mais il n’enchante jamais. Beats et boucles ne sonnent pas creux, mais plutôt impersonnels, à l’image de quelques featurings moyens. En somme, le disque se classe assez nettement en dessous de « The Semi Album », sur lequel les productions et les scratchs virtuoses de DJ Abilities avaient la rugosité nécessaire à l’expression du MC d’Atlanta. Ici, quand déboule l’introduction scratchée abrasive de ‘Ice Cold’, il est déjà trop tard.
« Self Destruction » n’est ni impérissable, ni déshonorant. En prenant le temps de s’y pencher longuement, on finit même par bien l’aimer. C’est juste un album dont on attendait mieux.
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