MF Grimm
Scars and Memories
De l’averse de balles à laquelle il a miraculeusement survécu en 1994, MF Grimm est revenu d’entre les morts avec un regard sur la vie et un fauteuil roulant neufs. Il y a des albums testaments et des albums posthumes : Scars and memories est celui d’une résurrection. C’est aussi un bilan, une compilation du passé avant la reprise d’un parcours clandestin plusieurs fois interrompu.
Scars and Memories regroupe des morceaux de l’ancien compagnon de route des KMD sur la période 1990-2004, soit avant et après deux ruptures de taille. Le coma, d’abord. Grimm est devenu plus humble, confessant même un regain de spiritualité. Désormais conscient de la précarité de l’existence, il nomme son label « Day by Day », et dénigre la bêtise de l’apologie de la violence. Mais la fougue du Grimm Reaper ne s’est pas émoussée, bien au contraire : à peine sorti de l’hôpital, toujours estropié, il est allé se jeter directement en studio lâcher le terrible ‘Crumb Snatchers’.
La prison, ensuite : juste après l’excellent The Downfall Of Ibliys : A Ghetto Opera, Percy Carey se fait serrer pour trafic de dope. D’abord condamné à la perpétuité (démence carcérale étatsunienne oblige), sa peine est ramenée à trois ans. Quand il sort de taule en 2003, le MF rebaptisé GM (pour Grand Master) Grimm n’a plus de temps à perdre. Il lui faut poser son histoire sur disque.
Le paradoxe de cet album, c’est la grande unité qui s’en dégage malgré la variété des producteurs et le chaos des conditions d’enregistrement. Certaines bandes ont été volées ; certains amis sont morts. Et pourtant, tout au long de Scars and Memories, le même style cru, brut, magnifiquement sale. Si vous êtes en manque d’un son new-yorkais poussiéreux, qui fleure bon le brasero des bas-fonds de Manhattan, c’est par ici que ça se passe. Une ambiance qui oscille entre un vieux film noir, l’antichambre d’un ghetto-cimetière et un train fantôme (‘In the End’, avec son piano désarticulé et le sample strident du refrain). Des scratchs de grands noms, de Run DMC à LL Cool J, viennent rappeler régulièrement l’ancrage old school. Avant d’être proche de King Sun, Kool G. Rap et Large Professor, Grimm a grandi avec le Rocksteady Crew… Il fallait qu’il réagisse.
Tout en gardant cette cohérence dans le son, renforcée par le grain de voix et l’énergie intacts du MC, l’album joue sur plusieurs plans et sur quelques contrastes. Une narration downtempo (‘King of New York’) suit le belliqueux ‘Take’em To War’ ; plus loin, un ‘Do It for the Kids’ adouci par les cuivres et parasité par un gamin pleurnichard précède un ‘Emotions’ pesant comme une pierre tombale. Côté marche funèbre, deux productions classieuses de Rob Swift accompagnent Grimm sur le célèbre morceau-titre et sur ‘Bloody Love Letter’. Côté rappel du statut de maître de cérémonie et dénonciation des petites frappes, MF Grimm enfonce le clou. Il pousse la gueulante dans ‘So Whatcha want’, se fait plus retenu et incisif sur l’oppressant ‘The Original’, puis, épaulé de quelques invités triés sur le volet, balance un plus nonchalant ‘Wack Emcees’. Quant à la party jam (‘Get Down’), rien à voir avec ce qu’on a l’habitude de placer dans cette catégorie… Le LP convie au micro des invités sans reproche, qu’ils aient un statut de légende (Kool G. Rap et Akinyele qui font dans le safe sex sur ‘Aids’) ou non (les collègues de Grimm au sein du Monsta Island Czars).
Scars and Memories donne donc largement de quoi attendre American Hunger, un triple album (!) imminent. Il est bien plus qu’un petit amuse-gueules avant le plat de résistance : un de ces albums d’un autre âge, comme on n’en fait plus.
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