Chronique

Sunz of Man
Saviorz Day

D3 - 2002

Enter Saviorz day’s hell fortress… Red Hook, les débarcadères bordant l’upper New York Bay, aux croisement entre l’Hudson river, son embouchure et l’East River. Bâtiments de briques pourries, rougeâtres, aux entrées douteuses, et dont les façades arborent ci et là des drapeaux portoricains à demi-déchirés. Trottoirs détruits, où la mauvaise herbe pousse, juste en face de Manhattan pourtant, de la Statue de la Liberté, mais l’apparente proximité n’y fait rien, « the ghetto remains the ghetto ». Rues désertes, cold world, dans lequel si on ferme les yeux, on perçoit le blues des houses. ‘SOM’. C’est ce qui s’entend dans le flow de Hell Razah. Hors de la réalité du monde. Brooklyn for ever, Red Hook, longue vie bétonnée…

Rarement on aura entendu un son aussi représentatif de ces rues. Pas de fioritures, de ruches opportunes, d’effets spéciaux, artificiels. Pas d’auto-complaisance, de pose devant les tunnels, juste les tas d’ordures jonchant les trottoirs. Les ambulances et les discussions nocturnes, sans fil. Au téléphone sans batterie. Aux cabines sans combiné. Aux combines sans finalité. Le tout réalisé avec les moyens du bord. Comme leur pochette au goût des boîtes de chicken à 3$, made in Brooklyn, couleurs du ghetto, ‘Ghettio’, goût du taudis, réalité intemporelle, complètement à côté de la plaque niveau marketing et promotion – mais bel et bien là, à représenter dans les speakers.

Le label. Rappelons que D3 Entertainement avaient déjà montré leur grand « savoir-faire » des disques et du marketing, en sortant un leurre d’album de Ol’Dirty Bastard. Et s’ils se sont calmés ce coup-ci, ils auront néanmoins réussi à glisser quelques crapuleries comme les soi-disant featurings, indiqués au dos de l’album, de Method Man sur ‘The Cause’, ou de Ghostface sur ‘Industry’, qui sont des titres qui n’existent tout simplement pas. D3 Entertainement vous diront probablement qu’ils ont omis d’apposer la mention skit à côté du nom du morceau.

Bref, mais le business se fait. Et le résultat artistique n’a rien à voir avec les « Trials and Tribulations of Russell Jones ». Le business se fait en effet, se fait peu, peut-être, et ce en dépit pourtant de la qualité artistique Gault-&-Millesque. Comme s’ils essayaient de reproduire un modèle commercial sans y comprendre quoi que ce soit. Ni gangsters, ni banquiers, mais ‘Banksters’, comme Razah, Sixty Sec et Sunzini le disent eux-même sur un de leur titre éponyme. Issus qu’ils sont d’un univers parallèle. Du genre Mad Max 3, le dôme du tonnerre à l’envers de la mode, ou juste trop en retard pour suivre le bon chemin, même après coup, les mauvaises herbes ayant poussé, le sentier ayant disparu sous la jungle envahissante.

Changement de formation. Un soleil manque à l’appel. Mais comme le confiait récemment Hell Razah lors d’une interview : « Killah Priest est un Sunz of Man à lui tout seul. Il ne peut pas quitter le groupe. (…) Il va bien. Je reviens tout juste de chez lui à Los Angeles. On était là-bas, moi, Rass Kass, Kurupt, Prodigal Sunn, et 60nd assassin. Tout va pour le mieux ». Hell Razah, déjà fort d’un excellent album solo (« When all hell breaks loose », 2001), et de deux albums avec Sunz of Man (« The Last Shall Be First », 1998 et « Saviorz Day », 2002), ainsi que d’un bootleg (« The First Testament », 1998) parlait déjà du nouveau projet de SOM, auquel il était prévu que Killah Priest participasse, ainsi que Shabazz the Disciple, autre MC qui se faisait les dents avec SOM à leur débuts, du temps de ‘Population Clik’.

Les productions. Linx (déjà présent sur le solo de Hell Razah) et Joe Loops (qu’on avait déjà entendu sur l’album de Wu-Syndicate) assurent avec une indéniable énergie la charpente de l’album, défendant leur tranche de trottoir, des bouts de ciment incrustés entre les dents. Les MC’s. La liste est longue et pourtant rarement autant de monde aura réussit à se fondre en un tout si cohérent. Rza et Ghostface Killah (Wu Tang Clan), SOM (Hell Razah, Prodigal Sunn, Black Satin), Omar Conry, Smooth (Skin Deep), Ancient C.O.I.N.S (Snuggle Up & Holy Smokes), Makeba Mooncycle, Madam D, 12 O’Clock (Two on the Road), et LA The Darkman.

The Sunz se sont en effet adjoint les services de l’incroyable Madam D pour appuyer les trois MC’s de ses terribles vocalises. A noter, ses performances sur ‘House of blues’ (effort solo réussi de Prodigal Sunn), sur l’excellent ‘Saviorz day’, magistralement produit par Fatal Son, et qui avait été le maxi qui avait précédé la sortie de l’album, featuring Ghostface Killah, et dont l’atmosphère rappelle les teintes langoureuses de ‘I can’t go to sleep’. Mais c’est surtout sur l’inégalable ‘People change’ (featuring MC Eight, et produit par les Platinum Brothers) que Madam D s’envole. « Madam D rules » est le constat. De là, la qualité du LP ne redescend plus. Les réussites s’enchaînent à un rythme pratiquement constant jusqu’à la fin. Il ne s’agit pas ici de considérer un « groupe orbite de … », ou des « disciples de … » ou des MC’s de deuxième division, mais simplement une p’tite famille de l’Ouest de Brooklyn New York a/k/a Red Hook. SOM cherche, comme le chante Omar Conry dans le refrain de ‘The Trinity’, « searching… « . Et ils trouvent. Pour preuve, le terrible ‘Black or white’, le sample de guitare minimaliste, son beat rêveur (produit par DATA, du nom du sympathique androïde de « Star Trek – Next Generation ») et son featuring heureux de Ancient Coins. Plus que du hip-hop, ce qu’on entend est une sorte d’humble héritage d’une culture afro-américaine ; boudés par les radios commerciales, par les buzz pédants et les tendances, les rayons de musique électronique et tous leurs attrape-tête-de-couille à 2 centimes.

Sur ‘Dear Psalms’, c’est un retour au temps des pharaons. Hommage au mysticisme Killah-priestien. Titre solo de Hell Razah, au refrain évanescent psaumé par Smooth de Skin Deep, et habilement produit par Linx. Questions productions, pas de grosses pointures, mais la cohérence globale du chef d’oeuvre ne s’en trouve que renforcée. Madam D s’impose indéniablement comme étant la quatrième poutre de SOM, tant elle parvient, par exemple sur People Change, à imposer son énergie propre au morceau. On la retrouve, plus discrète, sur le « Sunz-of-manien à souhait » ‘Honey Tree’ (produit par Joe Loops) où apparaît également 12’O Clock (collègue de Sunzini au sein du groupe Two on the Road). Sur Time, c’est 62nd Assassin alias Black Satin qui fait son show en solo, rien d’extraordinaire. Mais pour bien faire comprendre que la musique est ici une affaire de famille, Makeeba Mooncycle (la soeur de Prodigal) vient prêter voix forte au micro sur le rouleau-compresseur ‘Doin Ya Thang’ (produit par Joe Loops) qu’on pourrait qualifier de dynamite rapologique. Final en apothéose avec l’hymne ‘All We Got… is us’ (également produit par Joe Loopz) et le quatuor infernal Razah, Madam D, Prodigal Sunn, L.A. The Dark.

Deuxième album officiel, deuxième attentat, toujours autant peu pris en compte par cette pissotière qu’est « le milieu »… Sunz of Man deux. 3 MC’s. 14 morceaux. Parental Advisory – content « nettoyeur d’oreilles ».

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