Chronique

Rocé
Gunz N’ Rocé

Hors Cadres - 2013

« Vous voulez jouer aux mots, à la finesse et aux strophes, mais n’aimez pas perdre le pot face au rappeur philosophe. » (« J’rap pas pour être sympa »)

Le rappeur philosophe : la formule est sacrément foutraque. Mais derrière ce grand clin d’œil à un certain âge d’or et au Teacha KRS-One, il y a une symbolique. Et un résumé de l’approche adoptée par Rocé pour son quatrième album. Les conceptuels Identité en crescendo et L’être humain et le réverbère derrière lui, Gunz N’ Rocé marque un retour à la genèse et aux fondamentaux. Avec un son épuré et une approche plus directe, plus en phase avec le séminal Top Départ, il est avant tout porté par la rythmique, par le claquement des breaks. Ceux qu’il a lui-même choisis et calés, puisqu’une nouvelle fois Rocé est derrière la plupart des productions de son album. Le fidèle DJ Karz et les deux duos Gwendal Douet-Yoan Leichnig et Baron Retif-Concecion Perez viennent compléter une structure musicale brute sans être uniforme, où les cordes côtoient les cuivres, et les boucles quelques bouts de compositions.

« Actuel ok, mais pas à la mode. » (« Actuel »)

La nuance est de taille et elle est répétée – voire martelée – sur le refrain d’ »Actuel ». Gunz N’ Rocé déborde de nuances et de contradictions. Ils sont autant de fils sur lesquels son auteur joue les équilibristes, sans jamais tomber à plat. À la fois inscrit dans l’actualité et dans la tradition du rap hexagonal, dans la critique tout en étant divertissement, il aspire à dribbler les tendances pour plonger dans une tradition du contre-courant. Celle qu’il évoquait déjà sur « Changer le monde » (Top Départ), posé sur son BMX et slalomant entre les tours d’immeubles. Un peu rêveur mais avec les deux pieds sur terre, un œil subversif et un sens de la formule certain, il s’attaque aux formats comme au formatage, du rap aux médias, des bancs de l’école aux soirées mondaines. Une foultitude de saillies nourries par la haine et des cellules grises, entrecoupées de quelques rares respirations.

« Tu travailles ton élocution, moi la révolution. » (« Assis sur une pierre »)

Avec un égotrip assuré et une imagerie enrichie de références éparses, Rocé dévoile une écriture plus dépouillée, plus rentre-dedans, chargée de ce sentiment d’urgence perceptible tout au long d’un album dense mais succinct. Sûr de son verbe et obsédé par cette volonté d’être le caillou dans cette godasse trop étroite, il œuvre seul mais pas isolé, parfois esprit solitaire comme « assis sur la lune. »

Si les mots sont choisis, les compagnons de parcours le sont tout autant. Les apparitions de JP Manova et Manu Key ne manquent pas de sens. Le premier oeuvre toujours en dehors des chemins balisés, continuant à creuser son propre sillon tout en jouant avec les attentes, déposant ici un nouveau couplet marquant. Le second est un phare dans le parcours de Rocé, à l’origine d’une partie de ses débuts, ici à la fin de « Magic », ultime morceau. Une conclusion en hommage à DJ Mehdi, grand absent de Gunz N’ Rocé. Une pensée indispensable qui éloigne un peu plus cet album de l’éphémère. Après tout, les absents c’est l’éternité.

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