Chronique

The Roots
Rising Down

Def Jam Recordings - 2008

Il y a réellement peu de groupes de Hip Hop qui traversent le temps, développent leur musique toujours collée à l’énergie et la société, évoluant avec leur environnement. Il y a bien quelques stars intouchables mais elle se tiennent dans un mouchoir de poche. La plupart des autres adoptent une formule et la ressassent jusqu’à épuisement. The Roots est l’exception parfaite.

Arrivé avec la déferlante Native Tongues du début des 90’s et leurs influences très jazz instrumental, le groupe phare de Philly a su éviter de devenir au fil du temps une déception de plus, un rap grincheux empreint d’une nostalgie pas toujours pertinente et s’enfermant dans un boom bap, certes agréable, mais quelque peu réactionnaire. L’inverse de la théorie même du Hip Hop, musique évolutive par excellence avec ces capacités de développement et de découverte quasiment infinies. Les Roots ont réussi le pari de traverser l’ère post-Rawkus après en avoir placer la plupart des jalons. Avec un mélange subtil de rock indé, limite pop (Phrenology), une consécration live avec l’icône générationnel (Jay-Z/MTV Unplugged) ou un retour aux sources assez brut (Tipping Point), le groupe sait se renouveler tout en gardant son discours et son engagement intacts.

Ces évolutions salutaires sont sûrement à mettre sur le coup d’un changement de composition assez régulier de Scott Storch, devenu producteur star, à Malik B., MC crackhead en convalescence, en passant par Rahzel et Scratch, beat boxers hors norme, capables de capturer le show à eux tous seuls. Mais elles sont surtout originaires des fondateurs du groupe, Questlove et Black Thought. ?uestlove est presque meilleur directeur artistique que batteur et ce n’est pas peu dire. Conseiller du Jay-Z de l’ère Blueprint/Black Album, contributeur à la réussite de talents comme Kanye West, J Dilla, 9th Wonder ou Just Blaze, initiateur du son Soulquarians avec Jay Dee, D’Angelo, Badu et James Poyser, grand manitou de la secte Okayplayer, dernier producteur en date d’Al Green, DJ, Journaliste, le CV de ?uestlove est plus qu’impressionnant. Il réussit toujours, avec un Black Thought trop sous estimé, à transformer le Hip Hop le plus basique en un véritable objet contemporain. Et Rising down n’échappe pas à la règle.

Ce nouvel album des Roots se place sur un palier de leur carrière. Deuxième album signé chez Def Jam, il est dans la continuité exacte de Game Theory, sorti un an plus tôt. Pochette brune et noire très sombre, textes engagés, prise de position et énergie violente, reflet d’une amérique sur le déclin. Mais alors que son prédécesseur se veut plus rock indé, Rising Down se place brutalement avec ces sonorités synthétiques. L’omniprésence de claviers oppressants remplacent les basses habituellement rondes et jazzy du groupe. On joue maintenant dans une autre cour, plus dépouillée, sans aucun artifice. Un breakbeat violent, un clavier basse hypnotique, un rap authentique. Rien de plus, rien de moins.

« Lost in translation or just lost in traffic »

Ce qui caractérise vraiment les Roots, c’est leur capacité à réaliser un album, pas une suite de bons morceaux. Sur Rising Down, l’ambiance est électrique de la première à la dernière seconde, entièrement cohérente. L’intro donne directement le ton, présentant le groupe en 1994 lors d’un échange musclé au téléphone avec leur maison de disque de l’époque, Geffen. La tension est à son comble lorsque Mos Def ouvre l’album avec une de ses meilleures entrées, peignant un tableau presque apocalyptique. Le son est lourd, minimal, le discours présent et appuyé, Styles P ferme le premier track de toute sa présence, continuant la descente lente et infernale. ‘Rising Down’.

« I’ma put you right back where the dirt is at
450 fahrenheit on the thermostat »

Le Fender Rhodes, si cher à l’instrumentation du groupe jusqu’ici, a complètement disparu remplacé par ces larges nappes, ambiance Blade Runner, couplées à une section de cuivres percutante. Les batteries de ?uestlove sont mises en avant, simples mais toujours différentes et pertinentes. Véritable métronome, elles forment la véritable colonne vertébrale de cet album, peut être plus froid et implacable, annoncant le pire comme les 4 cavaliers. Des morceaux comme ‘Get Busy’, avec le toujours explosif Peedi Peedi, ou le fulgurant freestyle ’75 Bars’ développent cette énergie claustrophobe poussée à grand coup de marteau vers la lumière. En pleine polémique Sean Bell, ‘Criminal’ est un bijou bluesy-folk avec un couplet à vif de Saigon en grande forme.

« Monday they predict the storm
Tuesday they predict the bad
Wednesday they cover the grass
And I can see it’s all about cash
And they got the nerve to hunt down my ass
And treat me like a criminal »

Le milieu de l’album est plus tangent, entre l’hommage à Fela Kuti, figure emblématique de l’afrobeat, sur ‘I will not apologize’ et la complainte lancinante du ‘Singing man’. Les seconds couteaux, Dice Raw, P.o.r.n, Truck North et Malik B font alors le travail entre monotonie et éclair de génie, le tout très cohérent avec en toile de fond ce grain typiquement philadelphien. Kweli et Common terminent alors avec deux tracks réussis, s’appropriant la grisaille ambiante entre meurtre, drogue, violence scolaire et urbanisme débordant. La bande son idéale pour n’importe quelle saison de The Wire. Cet ensemble limite paranoiaque se termine pourtant sur une touche d’espoir avec ‘Rising Up’, son beat go-go et ses accords jazzy épaulés par la très belle voix de Chrisette Michelle et la fougue du jeune talent Wale. le Rhodes est de retour, la morale est sauve avec un brin d’optimisme, on se refait pas.

Encore plus dérangeant que Game Theory, encore moins commercial, plus brut et pessimiste, The Roots fait un nouveau bras d’honneur à l’industrie du disque derrière la bannière brûlée de sa plus grande égérie Hip Hop, Def Jam. Derrière le semi échec commercial de leur précédent disque, le platine est encore loin mais l’intégrité et la créativité demeurent intactes. The Roots continuent avec honneur de développer un Hip Hop conscient mais moderne et stylisé. Certains devraient en prendre de la graine.

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