Rezinsky
Les hérétiques
« C’est une époque de fou. » Il paraîtrait même que c’est le monde qui rend fou, et aussi le sexe. Sans parler de l’argent qui est devenu religion. Mais si les fous sont soi-disant de plus en plus nombreux, les hérétiques eux, seraient beaucoup plus rares. Ou plutôt de plus en plus « à part. » D’autant qu’ils n’ont pas toujours la lucidité d’un Ahmed Koma. Mais qu’est-ce qu’un hérétique finalement ? « Ce sont des gens qui s’oublient, qui mènent leur chemin en parallèle de ceux établis » explique Pepso Stavinsky, voix du duo Rezinsky qui répond nonchalamment au téléphone. Un peu comme il nous expliquait en 2014 vouloir construire sa propre identité, son propre cheminement. Pour ce disque qu’il réalise avec le beatmaker RezO, le « chemin en parallèle » se rapproche de la diagonale du fou. Et sur leur album, les hommages aux iconoclastes, aux paumés perspicaces et aux personnes libres arbitres de leurs existences pleuvent. Entre échecs et trajectoires de vie au son mat.
Ce n’est donc pas vraiment une surprise que le long du tracklisting de l’album, on rencontre Coluche et les putes, façon Tchao Pantin. Il y a aussi Cesare Borgia, qui repartait se battre sur une pulsion, après avoir perdu trois mille hommes au combat. Stavinsky lui « retourne sur le champ de batailles après avoir perdu trois mille syllabes. » « Caligula » vaut également le détour. C’est cet empereur antique et décadent, précurseur de la chute de Rome finalisée par Néron. Sa trajectoire a été glorifiée dans un Porno-Soft tout en luxure réalisé par Tinto Brass en 1979. Et au milieu de tout ça ? Une Jolie môme, étoile filante prisonnière de sa liberté, et probable muse d’un Pepso Stavinsky qui se veut Enfant Sauvage. Pourquoi ? « Car j’ai dû faire ma rime toute seul, en autodidacte, complètement en dehors des codes du rap. Comme si elle avait été élevée seule en forêt, loin du rap français. » Même si elle doit se retrouver Singe en Hiver au côté de Safirius (du groupe Micronologie) à tourner autour d’une gueule de bois.
Joli minois et gueule de bois. On passera la référence à la « Jolie môme » de Léo Ferré pour retenir celles d’un amateur du septième art. Mais qui court aussi derrière le septième ciel. Voilà qui est celui dont la rime venait de la Lune, en référence à son premier album (Voir la Lune, sorti en 2013). « La sexualité, c’est aussi ça, quelque chose qui n’appartient qu’à deux personnes avec des moments suspendus. Dans la sexualité, j’aime ce côté instantané, l’orgasme qui est un peu un instant où tout s’arrête, où tout devient intemporel » nous disait-il lors d’un entretien réalisé au printemps 2014.
Douze mois plus tard, Pepso Stavinsky capitalise toujours sur ses doutes et ses amours, qu’ils soient libidineux ou platoniques. Son écriture est faite de pulsions. Ces dernières sont parfois poétiques, parfois décadentes. Sur des beats chauds, vulgairement caractérisés de boom-bap, la Rome Antique est revisitée à l’aune d’un bordel psychédélique dont Freud aurait été un observateur heureux. Ici, le destin des empereurs change de sens. Avant c’est eux qui faisaient et défaisaient les vies en baissant le pouce. Aujourd’hui, ce sont les pouces levés qui font et défont les empereurs. Vingt siècles de mutations du monde au bout d’un doigt. Maintenant ça se passe sur internet, où les phalanges parlent désormais plus que les mots.
Quelque part entre le premier et le vingt-et-unième siècle en passant par le quinzième, voilà donc où se situe le duo Rezinsky, sauf peut-être à l’exception de son beatmaker. Lui est précisément dans le crépuscule du vingtième. Il s’appelle RezO et il revendique sans ambages l’étiquette boom-bap collée quelques lignes plus haut. Pour être plus précis, sur Les Hérétiques, les sons s’enroulent autour de caisses claires sèches, de voix pitchées et de samples que ne renierait pas un certain Madlib [CF le titre « Cesare », dont la boucle a été visée a posteriori par l’homme de groove de Stones Throw]. Orfèvrerie d’un autre temps pour certains, mais orfèvrerie tout de même, qui permet à Pepso Stavinsky de naviguer autant dans l’égotrip que dans l’abandon. Ici, l’interprétation et le flow alternent entre l’impression de vulnérabilité (« Jolie môme ») et le sentiment d’invincibilité (« Une parmi les milles »). Aux certitudes de l’égotrip succèdent la rancune du redneck au bonnet Cousteau du titre « Les Hérétiques ». Il faudra aussi en passer par la folie de « Caligula » dans une toge maculée d’orgies ou par l’alcoolisme plein d’illusions perdues de « Novembre. » Autant de thèmes visités à la façon d’un marchand de sentiments et qui errent dans les zones de transit de la vie. Celles où le jour de la semaine n’a plus vraiment d’importance.
En musique, Rezinsky se décrit comme un acteur de rap muet. Dans les enceintes pourtant, il y a un doublage. Il mélange le beau sexe et le sexe tout court. Sept pistes durant, le son s’écoute sans sous-titres et assume le fait de ne pas être tout seul dans sa tête. Un anti-héros qui se drape dans ses exploits autant que dans ses échecs du soir, que ce soit avec mille filles en même temps ou en n’ayant qu’un seule femme à qui raconter sa vie. Qui est-elle ? Jolie môme ? Non, simplement une bouteille de Gin. « Poètes à deux sesterces » les Rezinsky ? Probable, mais affranchis de leurs chaînes et accompagnés d’autant de personnages peints par Silas (CF l’artwork du disque) que par Pand’Or (dont la proximité avec Stavinsky date de 2011 et des End of The Weak). La rappeuse est en featuring sur « W.A.S.P. » Cet acronyme de W.A.S.P ? C’est pour Were Are Sentimental People. Il n’aura pas fallu plus de trois morceaux pour que les masques tombent.
Et pendant ce temps, la chasse aux sorcières continue, sans qu’on ne sache très bien si elle est menée par « les prophètes du net, Soral et ses hommes FEMEN – qui en plus lui rapportent des bénéfices » (en fait, si on sait), ou un ordre mondial plus si nouveau que ça (là aussi on sait). Mais ces dernières années, des disques comme Salem City Rockers de La Gale ou Les hérétiques sortent. Leur point commun ? A 100% dans le présent, sans complexes ni tabous, et avec une envie de vivre qui brûle de mille feux. Comme quoi, les seuls beaux bûchers sont dans les cœurs. Des cœurs, le rap en compte encore quelques-uns. Nourris aux doutes, à l’envie de vivre et parfois trempés dans l’alcool. Chez nous, on appelle ça des feux de joie.
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