Restiform Bodies
Re$tiform Bod1es
Kitsch. C’est le premier mot qui vient à l’esprit de toute personne ayant un minimum de bon goût à la vue de la pochette de cet album. J’avoue avoir une certaine attirance pour les pochettes décalées, mais sur ce coup là Re$tiform Bod1es a dépassé toutes mes espérances. Évidemment, un barbu quadragénaire (avec des lunettes disproportionnées) qui colle un pansement à un enfant sur le recto, et des femmes enceintes qui font de l’aérobique pour le verso : forcément ça laisse perplexe et ça intrigue… surtout lorsqu’il s’agit de rap. Deux options paraissent alors envisageables : soit Restiform Bodies est un groupe qui manie parfaitement l’humour décalé et le second degré, soit ils ont fait appel au service d’un créatif publicitaire défoncé aux acides pour l’atwork de leur album…
Mais non, le kitsch et la dérision semble bel est bien être un art de vie chez les Restiform Bodies. Pour ce deuxième album (après « Sun Hop Flat » et une cassette autoproduite, « Oubliette »), les quatre producteurs (Passage, Telephone Jim Jesus, The Bomarr Monk et Agent 6) ont dépoussiéré les bons vieux synthés Yamaha des années 80 pour nous sortir des nappes à faire pâlir Jean-Michel Jarre. Première chose frappante : aucune unité n’est présente sur cet album, et le souci de cohérence ne paraît pas être une priorité, et ce même si certains titres sont enchaînés. L’atmosphère oscille entre instrumentaux étranges et apaisants (‘weather ballon’), et beats lourds et brutaux (‘installation 2 c) rock 4 life’), sur lesquels les MCs (Passage et Telephone Jim Jesus, dans une moindre partie) se déchaînent et étalent toute leur technique. Car ce n’est pas seulement au niveau des productions que Re$tiform Bod1es se situe en marge de ce qui se fait habituellement en Hiphop ; que ce soit au niveau des textes ou des flows, les rappeurs se livrent à d’impressionnants exercices de styles (‘second floor apartment’) qui ne peuvent que laisser bouche-bée à leur écoute. Autre exemple, les fins de rimes de Passage et ses chutes de vers ne tombent pas sur le temps de la caisse claire, mais en plein milieu du beat, ce qui donne une dynamique supplémentaire à des morceaux qui n’en manquent pourtant pas. Cela pourrait déstabiliser, mais noyées aux instrus, les rimes gardent néanmoins toute leur percussion.
Les instrus fleurtent souvent avec l’électro (‘installation 2 a) birds’), voire même avec la musique de relaxation ou l’easy listening sur quelques fragments. Certaines nappes de deux ou trois mesures ne sont d’ailleurs pas s’en rappeller des passages de l’album éponyme de cLOUDDEAD (‘principles of easy listening part a’). Les kits de batteries utilisés sont cependant relativement plus lourds (et moins ralentis), ce qui permet aux MCs de moduler davantage leur phrasé. Malgré la similarité de leur nom, aucun titre ne ressemble à un autre, ce qui provoque un effet de suprise à chaque nouveau track. Ainsi, à peine s’est-on habitué à une atmosphère, que l’on est transporté aussitôt dans un autre univers sans avoir eu le temps de s’en rendre compte (‘dirty porno rug / bathroom cipher (fat)’).
Il existe réellement quelque chose d’étrange et d’intrigant avec cet LP : la majorité des ambiances paraissent familières et il est possible de fredonner la mélodie au bout de quelques mesures, tant certains titres sont agréables à l’oreille et nous renvoient inconsciement dans les années 80 (installation 2 a) birds). Pourtant, les quatre producteurs n’y vont pas de mains mortes pour nous déstabiliser : effets Bontempi à gogo (sur la seconde partie de principles of easy listening part b : anthologique !), variations intrumentales, changements de rythmes, absence de beat…, mais rien n’y fait : cet album n’agresse pas. Surprend parfois, mais les sons sont si bien amenés et associés que tous les enchaînements paraissent d’une évidence enfantine.
La grande victoire de Re$tiform Bod1es est sans doute de faire des sons nouveaux et novateurs avec des ambiances datant d’au minimum vingt ans. L’illustration parfaite est le morceau ‘Weather ballon’, composé de deux parties bien distinctes : la première avec une boucle de guitare de quatres notes on ne peut plus classique et, à la moitié du track, des sons électros amènent la seconde partie du morceau, faite quant à elle de percussions et de sons arabisants. Et Passage (MC le plus présent) navigue de l’une à l’autre avec une aisance déconcertante, sans aucune variation apparente dans la voix.
Il est clair que Re$tiform Bod1es n’est pas un album de Hiphop dit ‘traditionnel’, que ce soit sur le fond ou sur la forme. Mais je ne serais pas partisan de le classer avec les autres anticoneries, les influences sont autrement plus diverses et surtout plus variées. L’approche que le groupe a de la musique est clairement Hiphop mais pour le reste… L’expérimentation est poussé au maximum du raisonnable (qu’est-ce que le raisonnable ?) et les les chemins empruntés par les producteurs sont risqués et loin d’être accessibles à tous. Et, si l’on prend du recul par rapport à ce qui s’est fait depuis la sortie de ce Re$tiform Bod1es, il est clair qu’ils peuvent continuer à jouer les explorateurs et à aller planter des drapeaux aux somments des monts du Hiphop, la majorité de leurs rivaux préférant la platitude paisible et rassurante des grandes plaines.
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